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N° 1 2016
Vol. 3
ment entre deux types d’universels : « Tout cela si l’universel a
une existence, s’il n’a pas d’existence, ou bien il a une existence
possible, tel le phénix, ou son existence est impossible (Mumtanic
Al-Wujūd ), tel le partenaire de Dieu … » (Ibn al-Nafīs
2009, p. 15, 06/a).
Cette séparation n’est pas bien saisie par certains auteurs, qui la
considèrent seulement comme un essai de distinction entre essence
et existence, comme le mentionne Goichon : « Cependant, la dis-
tinction fondamentale établie entre l’essence et l’existence peut
demeurer, sans toutefois atteindre sa plénitude » (1984, p. 43).
D’autres la nient catégoriquement3.
Cette interprétation inexacte du texte avicennien est due à la confu-
sion qui existe entre « la distinction de l’essence et de l’existence
chez Aristote, avec la séparation des deux notions chez Al-Fārābī et
Ibn Sīnā… », parce que « … si la séparation implique la distinction,
cette dernière n’implique pas nécessairement la séparation ni du
point de vue logique, ni du point de vue réel » (Moussaoui 2007, p.
76). C’est cette séparation entre essence et existence qui est à l’ori-
gine de l’élaboration de la théorie du terme d’Ibn al-Nafīs.
2 – La contribution de cette sépara-
tion au développement de la logique
chez Ibn al-Nafīs
2.1 La théorie du terme
Ibn al-Nafīs distingue, comme Aristote, entre le terme particulier et
le terme universel.
2.1.1 Le terme particulier (Al-Juz’ī )
Il dénit le terme particulier comme un « terme simple (Al-Bassīţ
), dont le sens (Al-Macnā ) est conçu de manière à ce qu’il
interdise toute multiplicité (Al-kathra ) » (Ibn al-Nafīs 2009, p.
14, 05/b), et il distingue entre deux termes particuliers : le particu-
lier par quiddité, ou individuel, et le particulier par accident.
2.1.1.1 Le terme particulier par quiddité (Al-Juz’ī al-Ĥaqīqī ’w
al-Ŝaẖçī )
Il considère le terme particulier par quiddité comme le véritable
terme particulier, et il mentionne comme exemple l’afrmation
« Celui-ci est Zayd » (Ibn al-Nafīs 2009, p. 14 (05/b)
2.1.1.2 Le terme particulier par accident (Al-Juz’ī al-Iḏāfī
)
Pour le terme particulier par accident, il donne comme exemple un
nom propre : Zayd. Dans un sens, pour Ibn al-Nafīs, il a la qualité
d’un terme universel, car plusieurs individus peuvent avoir ce nom,
mais comme il a un sens unique qui interdit toute multiplicité (plu-
ralité), il est particulier.
La différence entre les deux termes est que le premier ne peut ja-
mais être un terme universel, parce qu’il désigne une entité qui se
trouve devant nous, alors que le second le peut (Ibn al-Nafīs 2009,
p. 15, 05/b).
2.1.2 Le terme universel (Al-Kulī )
Ibn al-Nafīs dénit le terme universel comme « un terme simple,
dont le sens est conçu de manière à ce qu’il n’interdit pas sa multi-
plicité » (Ibn al-Nafīs 2009, p. 15, 05/b- 06/a).
Nous remarquons déjà que les deux dénitions données sont exten-
sionnelles, du moment qu’elles portent sur le nombre et sur la quan-
tité, c’est-à-dire sur les individus relatifs au terme, qu’il soit particu-
lier ou universel. Or, c’est la caractéristique principale qui distingue
la théorie des classes telle que Cantor l’a élaborée, puisque ce qui
détermine une classe, ce sont ses membres, et elle est dénie par
Frege et Russell comme l’extension d’un concept (Whitehead &
Russell 1962, p. 23). Évidemment, il faut être prudent, puisqu’il ne
s’agit pas là d’une théorie des classes au sens moderne du terme.
Ibn al-Nafīs distingue entre six formes de termes universels, qu’il
répartit en deux types. Cette répartition prend source dans la no-
tion de multiplicité (Al-Kathra), parce-que, d’après lui, cette mul-
tiplicité porte sur un type d’universel qui présuppose l’existence
des objets de la réalité concrète, c’est-à-dire d’une classe dont
les membres existent, ou sur un autre type d’universel dont les
membres n’existent pas, c’est-à-dire une classe vide ne contenant
aucun membre.
2.1.2.1 Le terme universel à individus existants (Al-Kathra
mawujūda ) distingue entre deux classes, les termes plu-
riel et singulier, qui se subdivisent à leur tour en deux sous classes.
2.1.2.1.1 Le terme pluriel (Kathra mawujūda )
Le terme pluriel est constitué de plusieurs membres, et il distingue
entre deux.
2.1.2.1.1.1 Le terme à multiplicité nie (Kathra mawujūda
mutanāhia )
Ce genre de terme pluriel correspond à une classe dont les membres
sont nis, telle que la classe des planètes du système solaire (Ibn
al-Nafīs 2009, p. 15, 05/b)4.
2.1.2.1.1.2 Le terme à multiplicité illimitée (Kathra mawujūda
ġayr mutanāhia ) correspond à une classe dont
les membres sont innis. Cette classe nous intéresse particulière-
ment, parce qu’elle représente un concept très important en mathé-
matiques.
2.1.2.1.2 Le terme singulier (Kathra ġayr mawujūda
)
Ce second type de terme à individus existants ne contient qu’un
seul membre, c’est-à-dire que la multiplicité n’existe pas. Il s’agit
d’une classe singleton (ensemble ne contenant qu’un seul élément)
La séparation entre «es-
sence» et «existence» et son
infLuence sur La théorie du
terme et La proposition chez
Ibn al-nafīs
3 - « M. Jean Paulus ne croit pas que d’après Avicenne l’essence se distingue réellement de l’existence » (Goichon 1984, p. 43).
4 - Il s’agit des planètes du système solaire connues à l’époque d’Ibn al-Nafīs.