En somme, il serait, de par ses options épistémologiques ultra-antirationalistes et, inductivement, de par ses
positions politico-religieuses, à l'extrême droite de la droite hanbalite représentée par Ibn Taymiyya et son
disciple Ibn Qayyim Al-Jawziyaa.
Dès lors, pourquoi la lecture wahhabite des textes religieux, laissant si peu de place à la raison, devrait-elle,
rachitiquement inconsistante qu'elle est, retenir notre attention au regard d'autres interprétations des données
scripturaires, telles que celles de mu'tazilites ou des «falâcifa» (philosophes), autrement plus fondées tant
historiquement que scientifiquement?
La réponse en est que le salafisme, en tant qu'antirationalisme et conservatisme, constitue la plate-forme
historique commune à l'islam politique contemporain. Il n'est qu'à lire les référents doctrinaux des Frères
musulmans, consignés dans les écrits d'Hassan Al-Bannâ (1909-1949) ou Sayyid Qutb (1906-1966, théoricien
du salafisme jihadiste, faut-il le rappeler ?) pour mieux s'en convaincre.
Nos politico-religieux sont donc génétiquement salafistes. Wahhabites, ils le sont devenus par «réalisme»
politique et souci d'efficience «opérationnelle». Le «grand frère saoudien» et ses satellites étant, pour les
besoins de la cause, d'un soutien politique «extra muros» quasi inconditionnel, et d'une générosité
pratiquement illimitée.
Ce faisant, et contrairement au discours «modéré» véhiculé par leurs instances officielles (les islamistes
tunisiens étant désormais habitués à leur parfaite maîtrise du double discours, pratique qu'ils revendiquent en
toute conscience sous le nom de «taqiyya»), nos Nahdhaouis se sont radicalisés.
Aux sources de l'ultra littéralisme islamiste
Ce qu'il conviendrait de bien voir, c'est que les implications de l'ultra littéralisme des wahhabites ne sont pas
uniquement théoriques, voire religieuses, mais éminemment politiques. Ceci tient à la nature du droit
islamique qui ne qualifie pas seulement les «‘ibadât» (les actes religieux), mais aussi les «mu'âmalât» (les
actes socio-politiques).
De sorte que l'option rationaliste appliquée au droit islamique mènera à un modèle politico-religieux
«progressiste», l'antirationalisme, ou son pendant le littéralisme, aboutira nécessairement à un modèle
«conformiste». Le «réactionnaire» salafisme wahhabite étant l'extrême illustration de celui-ci.
Pour un rationaliste, tel qu'Averroès, par exemple, un acte ne saurait être qualifié d'obligatoire («al-fardh») ou
bien de prohibé («al-mouharram») que si le sens obvie du Coran le stipule expressément. Les versets
équivoques «mutashâbihât» (devant être rationnellement interprétés selon le philosophe), la «sunna» (tradition
du Prophète), le «qiyâs» (analogie juridique – qu'il ne tient pas en grande estime comparativement au
syllogisme –), l'«ijmâ'» (consensus – de qui au juste? s'interroge-t-il –) ne statuent que sur les actes licites («al-
mubâh»), méritoires («al-mandûb lahou») ou bien détestables («al-makrûh»).
Pour un ultra littéraliste, tel que Muhammad Ibn Abdelwahab, un propos attribué à un «tâbi'iy at-tâbi'iy»
(suivant du suivant du Prophète), «salafoun sâlihoun» (pieux devancier) s'il en est, au moyen d'un improbable
«isnâd» (chaîne des transmetteurs) un demi-siècle après la mort du Prophète aux confins des Indes pourrait
légitimement donner matière à «takfîr» (ex-communion). C'est ainsi qu'il en arriva à ex-communier tour à tour
les «mutkallimûn» (théologiens), toutes écoles confondues, les «falâcifa», les soufites, les chrétiens, les juifs…
Bref, tous ceux qui ne partageaient pas ses vues étaient frappés d'anathème par le rigoriste hanbalite.
Tout ce beau monde devait, à l'en croire, «être frappé par l'épée». Nous passerons sous silence, par pudeur, les
«arguments» de ce triste sire, justifiant pareilles hécatombes : il y est question de sorcellerie et autres maléfices
sataniques (s'agissant notamment des chrétiens et des juifs), totalement incompétents que nous sommes en
affaires de gourous.