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prennent des esclaves en Afrique, les emmènent dans les mines brésiliennes et
reviennent avec l'or qui permet de payer les déficits commerciaux avec l'Angleterre (et les
autres pays d'Europe). On est très loin du doux commerce…
Un Portugal dominé
Pourquoi le Portugal est-il alors, au XVIIIe siècle, si dominé commercialement par
l'Angleterre ? La réponse n'a pas grand-chose à voir avec une supposée loi naturelle de
l'économie, mais avec la politique.
Matthew Watson explique que le Portugal a été la première puissance européenne à
contrôler le commerce de l'océan Indien et à apporter les produits d'Asie en Europe, ce qui
contribuait fortement à ses exportations. Or, ce contrôle dépendait de sa puissance
navale, progressivement dépassée par celle des Anglais. Au moment du décès du roi
Carlos II d'Espagne en 1700, la famille royale portugaise a soutenu les prétentions
françaises au trône. Les Anglais lui ont alors fait comprendre que si elle voulait que ses
bateaux puissent continuer à naviguer sans problème pour faire du commerce sous leur
protection, il leur fallait soutenir leur propre candidat, un Autrichien. Les Portugais ont
accepté.
En 1703, poussant son avantage, l'Angleterre signe un traité bilatéral de commerce avec
le Portugal : ce dernier ouvre son marché au textile anglais et reçoit en compensation
l'assurance que les droits de douanes sur le vin portugais seront toujours 30 % inférieurs à
ceux imposés à la France, son principal concurrent. La faille était pourtant évidente : les
Anglais appliqueront bien ce tarif préférentiel, mais ils augmenteront les tarifs douaniers
sur le vin français, et donc par ricochet sur le vin portugais, tout en ayant gagné un accès
libre et total au marché textile du Portugal.
Le drap et le vin, l'Angleterre et le Portugal, les pays et les produits choisis par Ricardo.
Lequel ne fait pourtant aucune mention de ce traité commercial de Methuen (du nom de
son négociateur, John Methuen) signé en 1703. Certes, il écrit son livre plus d'un siècle
plus tard, mais ce traité était très connu dans le débat économique de l'époque. On sait de
plus que Ricardo a bien lu Adam Smith, et ce dernier n'a pas manqué d'aborder le sujet.
Ricardo a simplement, peut-être même sciemment, éliminé toute cette réalité politique du
commerce international, car c'est elle qui faisait de l'ouverture commerciale une source de
richesse pour l'Angleterre.
Les pays doivent-ils s'ouvrir au libre-échange ? Oui, conclut Ricardo, dans la mesure où ils
se spécialisent dans la production de biens pour lesquels ils détiennent un avantage
comparatif. Depuis, les économistes ont développé son argument. Ils considèrent qu'il faut
aller au-delà de la mesure relative de la productivité du travail et tenir compte de
l'ensemble des dotations factorielles (travail, qualifié ou pas, capital, terre…). De leur côté,
les pays émergents ont montré qu'une politique industrielle et financière sérieuse
permettait de bâtir des avantages comparatifs là où ils n'existaient pas à l'origine.
Tous ceux qui chantent les vertus du libre-échange continuent de faire référence à la
"démonstration" de David Ricardo. Un pays peut certainement avoir intérêt à accroître son
ouverture commerciale. Mais si c'est le cas, cela résultera moins des vertus innées d'une
loi économique naturelle que d'un rapport de force politique bien compris.
Christian Chavagneux
Notes
(1) "Following in John Methuen's Early Eighteenth-Century Footsteps : Ricardo's
comparative Advantage Theory and the False Foundation of the Competitiveness of
Nations", par Matthew Watson, université de Warwick, 25 juin 2015.