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Pascal Hachet
Psychotropes – Vol. 10 n
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d’huile, il risque de condamner l’enfant qui le subit à douter systématiquement
et durablement de tout ce qu’il pense, voit, imagine, ressent et fait.
Un dernier point facilitant tient au caractère clos du cadre carcéral4. Cer-
tes, ce cadre attaque foncièrement la capacité des détenus (et sans doute celle
des personnels…) à penser, à ressentir et à sentir (Esneault, 2001) ; et ce fait
est encore accru par le phénomène de « zombification » (Veil, 2000) que pro-
voque la consommation excessive de benzodiazépines et d’hypnotiques, dont
les toxicomanes – on l’imagine sans peine – sont particulièrement friands.
Certes, ces réalités constituent un frein à l’élaboration psychique. Certes, cette
stase relative de la libido se paye souvent – retour du balancier oblige – de
moments où le détenu « déborde » sur un mode mental ou/et comportemental ;
sachant que s’il est alors sanctionné, la détention en quartier disciplinaire le
prive de la possibilité de mettre « à chaud » des mots sur son passage à l’acte
et, partant, de commencer à en enrayer le « montage critique » (Mélèse, 2000).
Pourtant, il semble que le caractère clos du cadre carcéral soit de nature à
favoriser l’émergence d’une forme de vie psychique particulière dans la rela-
tion thérapeutique : j’ai observé à plusieurs reprises dans ce cadre la verbalisa-
tion d’expériences traumatisantes que le patient avait jusqu’alors tues sous
l’effet de la honte et de la peur. Une fenêtre – au sens astronomique d’une
configuration exceptionnelle de corps célestes qui permet de procéder à l’en-
voi d’une fusée ou d’un satellite ou d’effectuer certaines observations au téles-
cope – est alors créée. Dans le détail, cette fenêtre tient à la « conjonction » :
– d’un clivage qui affecte sévèrement le Moi du patient et délimite une zone
où les composantes de sa participation à une ou plusieurs expérience(s)
indicible(s) sont hermétiquement closes (Hachet, 1996),
– d’un espace et d’un temps qui retranchent le patient de la « vie du de-
hors » tout en rendant possible l’instauration d’un espace et d’un temps où
l’intéressé peut tout dire et où le psychologue (ça n’est pas moins impor-
tant !) peut a priori tout entendre.
4 Dissipons toute ambiguïté. Comme je l’ai développé ailleurs (Hachet, 1996b) et à l’instar de
l’ensemble des intervenants en toxicomanie, je rejette sans appel l’idée fascisante selon la-
quelle les murs des établissements pénitentiaires guériraient à eux seuls la toxicomanie. Fausse
sur le plan thérapeutique, car tous les toxicomanes incarcérés et non soignés rechutent à leur
sortie de prison, cette idée est aberrante sur le plan éthique : elle revient à criminaliser un
symptôme et, partant, à cautionner l’équation toxicomane = délinquant avec laquelle les
discours sécuritaires se gargarisent (dont se font l’écho dans notre pays les partisans des lois
d’exception antidrogues et « antidrogués » et le fait que la loi du 31 décembre 1970 prévoit
une amende ou / et une peine d’emprisonnement pour la consommation d’une drogue). Je
constate simplement que la situation d’emprisonnement de sujets qui sont mentalement « pri-
sonniers » du souvenir d’évènements pénibles concourt à l’actualisation des traces psychi-
ques de telles occurrences intrapsychiques et relationnelles dans la relation thérapeutique.