12
Espaces préhilbertiens
On désigne par Eun espace vectoriel réel non réduit à {0}.
12.1 Produit scalaire
Définition 12.1 On dit qu’une forme bilinéaire symétrique ϕsur Eest :
positive si ϕ(x, x)0pour tout xdans E;
définie si pour xdans El’égalité ϕ(x, x) = 0 équivaut à x= 0.
Définition 12.2 On appelle produit scalaire sur Etoute forme bilinéaire symétrique définie
positive.
Définition 12.3 Un espace préhilbertien est un espace vectoriel réel muni d’un produit scalaire.
Un espace préhilbertien de dimension finie est dit euclidien.
Dans le cas où Eest un espace euclidien, on peut aussi dire qu’un produit scalaire sur Eest
la forme polaire d’une forme quadratique de signature (n, 0) .
On notera, quand il n’y a pas d’ambiguïté :
(x, y)7−→ hx|yi
un tel produit scalaire et pour y=x, on note :
kxk=phx|xi.
L’application x7→ kxk2=hx|xiest tout simplement la forme quadratique associée à h· | ·i.
Les deux égalités qui suivent, expressions de la forme polaire d’une forme quadratique, sont
utiles en pratique.
Proposition 12.1 Pour tous x, y dans Eon a :
hx|yi=1
2¡kx+yk2− kxk2− kyk2¢
=1
4¡kx+yk2− kxyk2¢,
kx+yk2+kxyk2= 2 ¡kxk2+kyk2¢.
215
216 Espaces préhilbertiens
La deuxième identité est l’égalité du parallélogramme. Elle est caractéristique des produits
scalaires dans le sens où une norme est déduite d’un produit scalaire si, et seulement si, elle
vérifie l’identité du produit scalaire (voir le chapitre sur les espaces normés).
Exercice 12.1 Montrer que l’application ϕ: (P, Q)7→ P(1) Q0(0) + P0(0) Q(1) définit une
forme bilinéaire sur E=R[x].Est-ce un produit scalaire ?
Solution 12.1 Avec la structure de corps commutatif de Ret la linéarité des applications
d’évaluation en un point d’un polynôme et de dérivation, on déduit que ϕest une forme bilinéaire
symétrique sur E. Pour PEla quantité ϕ(P, P )=2P(1) P0(0) n’est pas nécessairement
positive (prendre P(x) = 2 xpar exemple), donc ϕn’est pas un produit scalaire.
Exemple 12.1 L’espace vectoriel Rnétant muni de sa base canonique (ei)1in,l’application :
(x, y)7→ hx|yi=
n
X
k=1
xkyk
définit un produit scalaire sur Rn.On dit que c’est le produit scalaire euclidien canonique de
Rn.
Exercice 12.2 L’espace vectoriel Rnest toujours muni de sa base canonique (ei)1in.Soit
ωRn.À quelle condition sur ωl’application :
ϕ: (x, y)7→
n
X
k=1
ωkxkyk
définit-elle un produit scalaire sur l’espace vectoriel Rn?
Solution 12.2 L’application ϕdéfinit une forme bilinéaire symétrique sur Rnpour tout ω
Rn.
Si ϕest un produit scalaire, on a alors ωj=ϕ(ej, ej)>0pour tout jcompris entre 1et n.
Réciproquement si tous les ωjsont strictement positifs, on a ϕ(x, x) =
n
P
i=1
ωix2
i0pour tout
xRnet ϕ(x, x)=0équivaut à ωix2
i= 0 pour tout i, ce qui équivaut à xi= 0 pour tout i,
soit à x= 0.
En conclusion, ϕdéfinit un produit scalaire sur Rnsi, et seulement si, tous les ωisont stricte-
ment positifs.
Exercice 12.3 Donner une condition nécessaire et suffisante sur les réels a, b, c, d pour que
l’application :
(x, y)7→ hx|yi=ax1y1+bx1y2+cx2y1+dx2y2
définisse un produit scalaire sur E=R2.
Solution 12.3 Cette application est bilinéaire pour tous réels a, b, c, d. Elle est symétrique si,
et seulement si, sa matrice A=µa b
c d dans la base canonique de R2est symétrique, ce qui
équivaut à b=c.
Pour b=c, ϕ est bilinéaire symétrique et pour tout xR2,on a :
hx|xi=ax2
1+ 2bx1x2+dx2
2.
Produit scalaire 217
Si on a un produit scalaire, alors a=he1|e1i>0, d =he2|e2i>0et pour tout vecteur
x=e1+te2,test un réel quelconque, on a hx|xi=a+ 2bt +dt2>0,ce qui équivaut à
δ=b2ad < 0.
Réciproquement si b=c, a > 0, d > 0et b2ad < 0alors h· | ·i est bilinéaire symétrique et
pour tout xE, on a :
hx|xi=ax2
1+ 2bx1x2+dx2
2
=aµx2
1+ 2 b
ax1x2+d
ax2
2
=aõx1+b
ax22
+ad b2
a2x2
2!0
avec hx|xi= 0 si, et seulement si, x1+b
ax2= 0 et x2= 0,ce qui équivaut à x= 0.
Donc h· | ·i est un produit scalaire si, et seulement si, b=c, a > 0, d > 0et b2ad < 0.
Exercice 12.4 Soient nun entier naturel non nul, x0,··· , xndes réels deux à deux distincts
et ωRn+1.À quelle condition sur ωl’application :
ϕ: (P, Q)7→
n
X
i=0
ωiP(xi)Q(xi)
définit-elle un produit scalaire sur l’espace vectoriel Rn[x]?
Solution 12.4 L’application ϕdéfinit une forme bilinéaire symétrique sur Rn[x]pour tout
ωRn.
Si ϕest un produit scalaire, en désignant par (Li)0inla base de Lagrange de Rn[x]définie
par :
Li(x) =
n
Y
k=0
k6=i
xxk
xixk
(0 in)
(Liest le polynôme de degré nqui vaut 1en xiet 0en xkpour k6=i), on a alors ωj=
ϕ(Lj, Lj)>0pour tout jcompris entre 1et n.
Réciproquement si tous les ωjsont strictement positifs, on a ϕ(P, P ) =
n
P
i=1
ωiP2(xi)0pour
tout xRnet ϕ(P, P )=0équivaut à ωiP2(xi) = 0 pour tout i, ce qui équivaut à P(xi)=0
pour tout icompris entre 0et nsoit à P= 0 (Pest un polynôme dans Rn[x]qui a n+1 racines
distinctes, c’est donc le polynôme nul).
En conclusion, ϕdéfinit un produit scalaire sur Rn[x]si, et seulement si, tous les ωisont
strictement positifs.
Exercice 12.5 nétant un entier naturel non nul, on note Pnl’ensemble des polynômes trigo-
nométriques de degré inférieur ou égal à n, c’est-à-dire l’ensemble des fonctions de Rdans R
la forme :
P:x7→ P(x) = a0+
n
X
k=1
(akcos (kx) + bksin (kx)) .
1. Montrer que Pnest un espace vectoriel et préciser sa dimension.
2. Montrer que si P∈ Pns’annule en 2n+1 points deux à deux distincts dans [π, π[,alors
P= 0 (utiliser les expressions complexes des fonctions cos et sin).
218 Espaces préhilbertiens
3. Montrer que si x0,···, x2nsont des réels deux à deux distincts dans [π, π[,alors l’ap-
plication :
ϕ: (P, Q)7→
2n
X
i=0
P(xi)Q(xi)
définit un produit scalaire sur l’espace vectoriel Pn.
Solution 12.5
1. Il est clair que Pnest un sous-espace vectoriel de l’espace vectoriel des applications de
Rdans R.En notant respectivement cket skles fonctions x7→ cos (kx)pour k0
et x7→ sin (kx)pour k1,Pnest engendré par la famille Bn={ck|0kn} ∪
{sk|1kn},c’est donc un espace vectoriel de dimension au plus égale à 2n+ 1.
Montrons que cette famille de fonctions est libre. Pour ce faire, on procède par récurrence
sur n1(comme avec l’exercice 9.4).
Pour n= 1,si a0+a1cos (x) + b1sin (x)=0,en évaluant cette fonction en 0,π
2et π
successivement, on aboutit au système linéaire :
a0+a1= 0
a0+b1= 0
a0a1= 0
qui équivaut à a0=b0=b1= 0.La famille {c0, c1, s1}est donc libre.
Supposons le résultat acquis au rang n11.Si P=a0+
n
P
k=1
(akck+bksk) = 0,en
dérivant deux fois, on a :
P00 =
n
X
k=1
k2(akck+bksk) = 0
Il en résulte que :
n2P+P00 =n2a0+
n1
X
k=1 ¡n2k2¢(akck+bksk) = 0
et l’hypothèse de récurrence nous dit que n2a0= 0,(n2k2)ak= 0 et (n2k2)bkpour
tout kcompris entre 1et n1,ce qui équivaut à dire que a0= 0 et ak=bk= 0 pour
tout kcompris entre 1et n1puisque n2k26= 0.Il reste alors ancn+bnsn= 0,ce qui
implique an= 0,en évaluant en x= 0 et bn= 0.La famille Bnest donc libre.
On verra un peu plus loin que cette famille est orthogonale, formée de fonctions non
nulles, et en conséquence libre (exercice 12.15).
2. Posant z=eix pour tout réel x, on a :
P(x) = a0+
n
X
k=1 µak
zk+zk
2+bk
zkzk
2i
=a0+1
2
n
X
k=1 µakµzk+1
zkibkµzk1
zk¶¶
=a0+1
2
n
X
k=1 µ(akibk)zk+ (ak+ibk)1
zk
Inégalités de Cauchy-Schwarz et de Minkowski 219
ou encore :
znP(x) = a0z2n+1
2
n
X
k=1 ¡(akibk)zn+k+ (ak+ibk)znk¢=Q(z)
Il en résulte que si Ps’annule en 2n+ 1 points deux à deux distincts, x0,··· , x2n,dans
[π, π[,alors le polynôme complexe QC2n[z]s’annule en 2n+ 1 points distincts du
cercle unité, eix0,··· , eix2n,ce qui revient à dire que c’est le polynôme nul et P= 0.
3. On vérifie facilement que ϕest une forme bilinéaire symétrique et positive. L’égalité
ϕ(P, P ) = 0 entraîne que P∈ Pns’annule en 2n+ 1 points deux à deux distincts dans
[π, π[et en conséquence P= 0.
Exercice 12.6 Montrer que, pour toute fonction α∈ C0¡[a, b],R
+¢,l’application :
ϕ: (f, g)7→ Zb
a
f(t)g(t)α(t)dt
définit un produit scalaire sur l’espace vectoriel E=C0([a, b],R).
Solution 12.6 Avec la structure de corps commutatif de Ret la linéarité et positivité de l’inté-
grale, on déduit que ϕest une forme bilinéaire symétrique positive sur E. Sachant que l’intégrale
sur [a, b]d’une fonction continue et à valeurs positives est nulle si, et seulement si, cette fonction
est nulle, on déduit que ϕest une forme définie. Donc ϕest un produit scalaire sur E.
Exercice 12.7 Montrer que l’application :
(f, g)7→ Zπ
π
f(t)g(t)dt
définit un produit scalaire sur l’espace vectoriel Fdes fonctions définies sur Rà valeurs réelles,
continues et périodiques de période 2π.
Solution 12.7 Ce sont les mêmes arguments qu’à l’exercice précédent compte tenu qu’une
fonction de Fest nulle si, et seulement si, elle est nulle sur [π, π].
12.2 Inégalités de Cauchy-Schwarz et de Minkowski
Dans tout ce qui suit Edésigne un espace préhilbertien.
Théorème 12.1 (Inégalité de Cauchy-Schwarz) Pour tous x, y dans Eon a :
|hx|yi| ≤ kxkkyk,
l’égalité étant réalisée si, et seulement si, xet ysont liés.
Démonstration. Si x= 0,on a alors l’égalité pour tout yE.
Si x6= 0 et y=λx avec λR,on a encore l’égalité.
On suppose donc que xest non nul et ynon lié à x. La fonction polynomiale Pdéfini par :
P(t) = ky+txk2=kxk2t2+ 2 hx|yit+kyk2
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