Drogue ou médicament?
Roger Hobden est un médecin spécialisé dans le traitement des artistes de la scène. Il lui est
fréquemment arrivé de prescrire des bêtabloquants à des interprètes, même si l'anxiété n'est pas une
indication officielle du médicament. «Il y a toujours des conditions, explique-t-il. Je les prescris
seulement à court terme et je conseille toujours de consulter un psychologue spécialiste en imagerie
mentale.»
Les effets secondaires du médicament ne sont pourtant pas négligeables: difficultés pulmonaires,
impression de grande fatigue, dysfonction érectile, nausées. Le produit interagit également avec au
moins une cinquantaine de médicaments, selon l'Ordre des pharmaciens.
Mais pour Roger Hobden, le principal problème ne réside pas dans les effets secondaires. «Le hic,
c'est que plusieurs personnes s'en procurent dans les cliniques sans rendez-vous où les médecins ne
connaissent pas vraiment ça, dit-il. Pris en petites doses, les bêtabloquants ne sont pas dangereux,
mais la question du dosage est très délicate et varie d'une personne à l'autre. Ça demande un suivi.»
Le spécialiste cite également le problème du partage de cachets, fréquent selon Jean-Louis Chatel.
Dépendance psychologique
Les bêtabloquants ne créent pas de dépendance physique, mais ils peuvent rapidement devenir
indispensables, estime André Moisan. «C'est sûr que ça fonctionne, mais l'effet sur l'estime de soi est
terrifiant, parce que plus tu en prends, plus tu es convaincu que tu n'es pas capable de jouer sans.»
Un point de vue que tient à nuancer Richard Roberts, violon solo de l'OSM. «Comme moi, la plupart
des musiciens n'en prennent que quelques fois par année. C'est ridicule de dire que ça crée une
dépendance, dit-il. À mon avis, les gens qui en ont besoin à chaque répétition devraient reconsidérer
leur choix de carrière», poursuit-il.
André Moisan croit que les artistes doivent avant tout se réapproprier leur pensée par la thérapie et
l'autohypnose. «Il y a des gens qui ont l'impression qu'ils jouent leur vie lorsqu'ils passent une
audition. Ce n'est pas normal que dans leur corps, ils se sentent comme s'ils allaient se jeter d'une
tour de 10 étages. Il est permis de faire des fautes. Il faut se laisser le droit d'être humain, quand
même!»
L'ABC du bétabloquant
L'idée de prescrire des bêtabloquants aux musiciens pour les aider à surmonter le trac vient du
cardiologue américain Charles Brantigan. Le chirurgien, qui était également tubiste dans l'Harmonie de
Denver, a mené, dans les années 70, une expérience à la prestigieuse Julliard School of Arts. Cette
étude a démontré que la prise du médicament conduisait à des performances musicales considérées
comme supérieures par des juges. Aujourd'hui, le médicament n'est plus seulement utilisé par les
musiciens.
«Je connais des lecteurs de nouvelles, des conférenciers, des étudiants et des animateurs télé qui en
consomment », affirme le Dr Roger Hobden, médecin en arts de la scène. Les bêtabloquants éliminent
l'anxiété en diminuant le rythme cardiaque. «Ils bloquent les récepteurs bêta-adrénergiques
responsables de la libération d'adrénaline inhérente au stress, explique Diane Lamarre, professeure de
pharmacie à l'Université de Montréal. En inhibant ce mécanisme, on empêche les effets secondaires
du stress comme les tremblements. » Seize types de bêtabloquants existent sur le marché.
Généralement, les musiciens consomment de l'Inderal et du Propranolol. Les doses varient mais
restent généralement dans les dizaines de milligrammes. Une personne qui veut obtenir un
bêtabloquant doit absolument obtenir la prescription d'un médecin. La substance est bannie de
plusieurs sports olympiques comme le biathlon, le bobsleigh et la planche à neige.