texte 4 Lévi-Strauss

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Théories en ethnologie: Claude Lévi-Strauss
Structuralisme et écologie :
Même s’il existait un mécanisme commun sous-jacent aux différentes manières dont
opère l’esprit humain, pour chaque société particulière et à chaque étape de son
développement historique, ces rouages mentaux s’engrènent sur d’autres, et l’observation
ne révèle jamais d’action isolée de l’un deux : nous pouvons seulement constater les
effets globaux qui résultent de leur mutuel ajustement.
♣ Il ne s’agit pas là d’une vue philosophique inspirée par l’observation, mais
plutôt, d’une règle de méthode à laquelle le recherche ethnographique nous oblige à nous
conformer à l’occasion de problèmes concrets. C’est cette nécessité que je voudrais
maintenant illustrer par quelques exemples, empruntés aux études mythologiques qui
m’ont occupé.
♣ Chaque fois que, dans une version d’un mythe, apparaît un détail qui semble
« détonner » par rapport aux autres versions, il est vraisemblable que la version déviante
s’efforce de dire l’opposé d’une version normale qui existe ailleurs, et généralement pas
très loin de l’autre.
♣ Le mythe Bella-Bella et le mythe Kwatiutl ogissent en parallèle :
- Les cornes et les siphons sont des moyens pour atteindre une certaine fin.
- Le héro devient le premier possesseur soit des coquilles de dentalia, soit des
trésors qui appartenaient à l’ogresse.
- Chaque mythe explique comment certains moyens permirent d’atteindre une
fin, mais chacun diffère de l’autre par le choix du moyen et par celui de la fin.
- Tout deux offrent des affinités avec la terre (cornes de chèvres et trésors) et
avec l’eau (siphons de palourdes et coquillages de dentalia)
- Un offre un moyen avec l’eau et une fin avec la terre et l’autre l’inverse.
- Les coquillages et les palourdes proviennent tout deux de la mer mais offrent
des caractères opposés quand on les situe dans leur contexte culturel.
- Les cornes de chèvre, tout comme les siphons de palourdes sont
immangeables, mais peuvent être un moyen pratique (culturel) de transférer la
nourriture de plat du consommateur.
♣ Il existe des ensembles de règles permettant de transformer un mythe en un autre, et
que ces règles ont des caractères subtils et cohérents.
- Les gens d’un peuple s’approprient le mythe de leur voisin pour ne pas
paraître inférieurs à ceux-ci tout le faisant leur bien propre.
- Les mythes sont toujours réductibles les uns aux autres au moyen de
transformations de ce type, et que ces transformations réciproques
s’engendrent par symétrie et inversion, de sorte que les mythes se réfléchissent
mutuellement selon tel ou tel axe.
- Les lois mentales qui ne sont pas sans ressembler à celles qu’on trouve à
l’œuvre dans le monde physique, contraignent les mythes, comme expression
de l’idéologie à se construire et à se transformer suivant des schémas
réguliers.
♣ Pourquoi les indiens ont besoins d’expliquer la genèse des coquillages, pourquoi
choisir telle ou telle représentation plutôt qu’un autre, toutes ces questions s’expliquent
par le second type de déterminisme : celui qui résulte d’une part des conditions
écologiques, d’autres part des formes de l’activité techno-économique, ainsi que des
conditions socio-politiques qui prévalent entre tribus de l’intérieur et tribus de la côte :
c'est-à-dire l’ensemble des facteurs constituant l’environnement naturel sociologique des
populations considérées.
- Les rapports inversés aux choses aident à comprendre les rapports analogues
que nous avons dégagés entre les mythes respectifs au niveau idéologique.
- La position schématique des dentalia se résume que chez les gens de
l’intérieur : ceux-ci les apprécient hautement mais n’en ont pas, tandis que les
gens de la côte ont les palourdes, mais n’apprécient pas leurs siphons.
- Confronté à une situation écologique et techno-économique déterminée,
l’esprit ne reste pas inactif, mais il est aussi averti de l’existence
d’environnements dont il n’a pas d’expérience directe, ainsi que de la façon
dont d’autres peuples y réagissent.
La notion de structure en ethnologie :
Quand on parle de structure sociale, on s’attache surtout aux aspects formels des
phénomènes sociaux; on sort donc du domaine de la description pour considérer des
notions et des catégories qui n’appartiennent pas en propre à l’ethnologie, mais qu’elle
voudrait utiliser.
Structure sociale
La notion de structure ne relève pas d’une définition inductive, fondée sur la comparaison
et l’abstraction des éléments communs à toutes acceptions du terme tel qu’il est
généralement employé. Ou le terme de structure sociale n’a pas de sens, ou ce sens même
a déjà une structure. C’est cette structure de la notion qu’il faut d’abord saisir, si on ne
veut pas se laisser submerger par un fastidieux inventaire de tous les livres écrits sur le
sujet.
Le principe fondamental est que la notion de structure sociale ne se rapporte pas à la
réalité empirique, mais aux modèles construits d’après celle-ci. Il faut différencier la
structure sociale et les relations sociales.
♣ RELATIONS SOCIALES : C’est la matière première employée pour la
construction des modèles qui rendent manifeste la structure sociale elle-même.
♣ SRUCTURE : des modèles doivent exclusivement satisfaire à quatre
conditions :
1- Une structure offre un caractère de système. Elle consiste en éléments tels
qu’une modification de tous les autres.
2- Tout modèle appartient à un groupe de transformations dont chacune
correspond à un modèle de même famille, si bien que l’ensemble de ces
transformations constitue un groupe de modèles.
3- Les propriétés ci-dessus permettent de prévoir de quelle façon réagira le
modèle, en cas de modification d’un de ses éléments.
4- Le modèle doit être construit de telle façon que son fonctionnement puisse
rendre compte de tous les faits observés.
Observation et expérimentation
Ne jamais confondre expérimentation et observation.
Expérimentation sur les modèles : Ensemble des procédés permettant de savoir
comment un modèle donné réagit aux modifications, ou de comparer entre eux des
modèles de même type ou de types différents.
Observation : Les faits doivent être observés et décrits, sans permettre aux préjugés
théoriques d’altérer leur nature et leur importance. Les faits doivent être étudiés en euxmêmes et aussi en relation avec l’ensemble.
Conscience et inconscience
Les modèles peuvent être conscients ou inconscients, cette condition n’affecte pas sa
nature, il est seulement possible de dire qu’une structure superficiellement enfouie dans
l’inconscient rend plus probable l’existence d’un modèle qui la masque, comme un écran,
à la conscience collective. En effet, les modèles conscients (normes) comptent parmi les
plus pauvres qui soient, en raison de leur fonction qui est de perpétuer les croyances et les
usages, plutôt que d’en exposer les ressorts.
♣ Plus nette est la structure apparente, plus difficile devient-il de saisir la structure
profonde, à cause des modèles conscients et déformés qui s’interposent comme des
obstacles entre l’observateur et son objet.
♣ Les modèles- maisons (élaborés par les sujets mêmes) peuvent être très bons même
s’ils sont tendancieux ou inexacts, La tendance et le genre d’erreurs qu’ils recèlent font
partie intégrante des faits à étudier; et peut-être comptent-ils parmi les plus significatifs.
Structure et mesure
Il n’existe aucune connexion nécessaire entre la notion de mesure et celle de structute.
Modèles mécaniques et modèles statistiques
Modèles mécaniques : Les éléments constitutifs sont à l’échelle des phénomènes.
(mariage en classes de parenté)
Modèles statistiques : Les éléments sont à une échelle différente de celle des
phénomènes.
♣ Il peut exister un intermédiaire entre les deux, un même phénomène peut relevé des
deux types de modèles ( mariage idéal avec cousin croisé, mais ce n’est pas tout le monde
qui a fait ce type de mariage).
♣ Les recherches structurales n’offriraient guère d’intérêt si les structures n’étaient
traduisibles en modèles dont les propriétés formelles sont comparables, indépendamment
des éléments qui les composent. Le structuralisme doit identifier et isoler les niveaux de
réalité qui ont une valeur stratégique du point de vue où il se place.
Exemple : le suicide peut être analysé par deux perspectives différentes. L’analyse
de cas individuels permet de construire ce qu’on pourrait appeler des modèles
mécaniques de suicide : son histoire individuelle, le type de personnalité de la victime, les
propriétés des groupes primaires et secondaires, etc. On peut aussi construire des modèles
statistiques en regardant la fréquence du suicide sur un période données, les divers types
de sociétés, etc.
Peu importe l’analyse choisie, on aura isolé des niveaux où l’étude structurale du
suicide est significative en comparant :
1- plusieurs types de suicides
2- Pour des sociétés différentes
3- Pour divers types de phénomènes sociaux
♣ Dans l’isolement de niveaux non encore repérés, où l’étude de phénomènes donnés
conserve une valeur stratégique.
♣ Les recherches du structuralisme n’ont qu’un seul intérêt : construire des modèles dont
les propriétés formelles sont, du point de vue de la comparaison et de l’explication,
réductibles aux propriétés d’autres modèles relevant eux-mêmes de niveaux stratégiques
différents.
Observation
empirique/
construction
de modèles
Modèles
mécaniques /
Modèles
statistiques
Histoire
Oui
Sociologie
Non
Ethnographie
Oui
Ethnologie
Non
Non
Non
Oui
Oui
♣ Toutes sciences sociales, doivent nécessairement adopter une perspective temporelle,
se distinguent par l’emploi de deux catégories de temps :
- L’ethnologie fait appel à un temps « mécanique » c’est-à-dire réversible et
non-cumulatif (modèle des sociétés patrilinéaires)
- Le temps de l’histoire est « statistiques » il n’est pas réversible et comporte
une orientation déterminée.
♣ L’accumulation de faits, même très nombreux, ne sert de rien s’ils ont été établis d’une
manière imparfaite, elle ne conduit jamais à la connaissance des choses teles qu’elles se
passent actuellement… Il faut choisir des cas tels qu’ils permettent de porter des
jugements décisifs. Mais alors ce qu’on aura établi dans un cas vaudra aussi pour les
autres.
- Soit se limiter résolument à l’analyse approfondie d’un petit nombre de cas, et
prouver ainsi qu’en fin de compte, une expérience bien faite vaut une
démonstration.
- Il est évident qu’on ne peut fabriquer un modèle statistique sans statistiques,
autrement dit, sans accumuler de faits nombreux. Mais, même dans ce cas, la
méthode ne peut être appelée comparative : les faits rassemblés n’auront de
valeur que s’ils relèvent tous d’un même type. On revient toujours à la même
option, qui consiste à étudier à fond un cas, et la seule différence tient au
mode de découpage du cas dont les éléments constitutifs seront à l’échelle du
modèle projeté, ou à une échelle différente.
Morphologie sociale ou structure de groupe :
Groupe : La manière dont les phénomènes sont groupés entre eux. D’autres part, il
résulte de la première section de ce travail que les recherches structurales ont pour objet
d’étude des relations sociales à l’aide des modèles.
L’espace et le temps sont les deux systèmes de références qui permettent de penser les
relations sociales, ensemble mentale en ethnologie et possède la m^me valeur heuristique
que celle d’isolat en démographie.
Statique sociale, ou structure de communication :
La communication s’opère au moins à trois niveaux :
1- Communication des femmes (système de parenté)
2- Communication des biens et services (système économique)
3- Communication des messages (système linguistique)
4- Les règles de parenté et de mariage (gènes et phénotypes)
♣ Quand on passe du mariage au langage, on va d’une communication à rythme lent à
une autre très rapide. Différence facilement explicable : Dans le mariage objet et sujet de
communication sont presque de même nature tandis que, dans le langage, celui qui parle
ne se confond pas avec ses mots. Nous sommes en présence d’une double opposition :
personne et symbole; valeur et signe.
3 ordres de considérations découlent de notre manière de concevoir la communication
sociale.
1- Les rapports entre science économique et études de structure sociale peuvent être
mieux définis. Jusqu’à présent, les ethnologues ont manifesté beaucoup de
défiance envers la science économique. Aussi inattendu que le rapprochement
puisse paraître, ce formalisme rejoint donc certains aspects de la pensée marxiste.
Aussi, nous y trouvons pour la première fois des modèles mécaniques du type que
ceux qui utilisent l’ethnologie et la logique, et propres à servir d’intermédiaire
entre les deux.
2- S’il est permis d’espérer que l’anthropologie sociale, l’économie et la linguistique
s’associent pour fonder la science de la communication, celle-ci consistera surtout
en règles indépendantes de la nature des partenaires dont elle commande le jeu.
3- On en vient à introduire, dans les études relatives à la parenté et au mariage, des
conceptions dérivées de la théorie de la communication. L’information d’un
système de mariage est fonction du nombre d’alternatives dont dispose
l’observateur pour définir le statut matrimonial.
♣ Avec ces trois considérations une autre possibilité s’ouvrira : la conversion des
modèles statistiques en modèles mécaniques et inversement. Ce qui revient à dire que
le fossé sera comblé entre démographie et ethnologie, et qu’on disposera d’une base
théorique pour la prévision et l’action.
♣ Le principal bénéfice que nous pouvons en espérer consiste, à la consolidation en
une seule discipline des recherches considérées comme très différentes, et acquérir
certains outils théoriques et méthodologiques indispensables au progrès dans cette
direction.
♣ De tous les faits sociaux, ceux qui touchent à la parenté et au mariage manifestent
au plus haut point ces caractères durables, systématiques et continus jusque dans le
changement, qui donnent prise à l’analyse scientifique.
Radcliffe-Brown : Structure sociale Selon lui, l’étude des systèmes de parenté à comme
but
1- Dresser une classification systématique
2- Comprendre les traits propres à chaque système : en y rattachant chaque trait à un
ensemble organisé ou en y reconnaissant un exemple particulier d’une classe de
phénomène déjà identifiée.
3- Parvenir à des généralisations valables sur la nature des sociétés humaines
4- L’analyse cherche à ramener la diversité à un ordre, quel qu’il puisse être.
Derrière la diversité, on peut trouver des principes généraux, en nombre limité,
qui sont appliqués et combinés de façons diverses.
La notion de structure lui apparaît comme un concept intermédiaire entre ceux de
l’anthropologie sociale et de la biologie.
Il ramène le niveau des études de parenté à celui de la morphologie et de la physiologie
descriptive, il reste fidèle à l’école anglaise.
Selon lui, l’origine et le modèle de tous les types de liens familiaux résident dans les
liens biologiques.
♣ La position empirique de Radcliffe-Brown explique sa répugnance à distinguer
clairement la structure sociale et relations sociales. Il réduit la structure sociale à
l’ensemble des relations sociales existantes dans une société donnée.
♣ L’assimilation proposée de la structure sociale aux relations sociales, l’incite à
dissocier la première en éléments claqués sur la forme la plus simple de relation qu’on
puisse concevoir, celle entre deux personnes.
♣ Les relations dyadiques forment une chaîne qui peut être allongée indéfiniment par
adjonction de relations nouvelles.
Murdock : L’attitude systématique et formaliste s’oppose à celle, empiriste et
naturaliste de Radcliffe-Brown.
♣ Au lieu de considérer les systèmes de parenté comme les moyens sociaux destinés à
remplir une fonction sociale, Murdock en vient finalement à les traiter comme des
conséquences sociales des prémisses exprimées en termes de biologie et de psychologie.
♣ il a voulu rajeunir la méthode statistique : celle-ci dépend du découpage auquel on
s’est livré pour définir les phénomènes mis en corrélation.
♣ Il a aussi voulu reconstituer l’évolution historique des systèmes de parenté ou, tout au
moins, à définir certaines lignes d’évolution possibles ou probables, à l’exclusion de
quelques autres, mais sa reconstitution historique reste idéologique car elle consiste à
abstraire les éléments communs à chaque stade pour définir le stade immédiatement
antérieur et ainsi de suite.
♣ On peut donc observer que Radcliffe-Brown tend à confondre observation et
expérimentation, tandis que Murdock ne distingue pas suffisamment entre modèles
statistiques et modèles mécaniques : il cherche à construire des modèles mécaniques à
l’aide d’une méthode statistique, tâche impossible, au moins de la façon directe qui est la
sienne.
Les systèmes de parenté, les règles de mariage et de filiation est d’assurer la permanence
du groupe social, en entrecroisant, à la façon d’un tissu, les relations consanguines et
celles fondées sur l’alliance. Ainsi espérons-nous avoir contribué à élucider le
fonctionnement de la machine sociale, extrayant perpétuellement les femmes et leurs
familles consanguines pour les redistribuer dans autant de groupes domestiques, lesquels
se transforment à leur tour en familles consanguines, et ainsi de suite.
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