le comportement comme objet d`expérimentation et la question de l

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CM 7: Le comportement comme objet d'expérimentation: aspects historiques et socio­politiques
dans le cadre du module “Expérimenter avec le vivant et questions d'éthique »
Université Louis Pasteur, Strasbourg
L2/S3
2008­2009
Objectifs du cours
1. examiner le rôle de la tradition naturaliste et de l’héritage darwinien dans le développement des études sur le comportement animal.
2. caractériser l’éthologie dite « classique » et en présenter la dimension politique.
3. examiner le contexte de naissance du behaviorisme, en présenter les théories et principes principaux et en discuter les implications sociales et politiques.
4. étudier les études sur l’intelligence animale et en discuter les implications politiques.
Plan du cours I. La tradition naturaliste britannique et l’étude du comportement animal dans un cadre darwinien
I. 1. Darwin et l’hypothèse de sélection sexuelle
I. 2. Chasseurs et naturalistes amateurs : la tradition britannique du bird watching
I. 3. Julian Huxley (1887­1975) et l’étude du comportement de ritualisation chez les grèbes huppées
II. La nature comme lieu d’étude du comportement : l’éthologie selon Konrad Lorenz (1903­1989) et Nikolaas Tinbergen (1907­1988)
II. 1.Quelques éléments biographiques
II. 2. Konrad Lorenz et l’étude des schémas instinctifs de comportement chez les oies cendrées
II. 3. Éthologie et nazisme : la question de la domestication et de la dégénérescence de la race
Plan du cours (suite)
III. Le laboratoire comme lieu d’étude du comportement : John Watson (1878­1958) et l’émergence du behaviorisme III. 1. Rejet de la psychologie introspective et affirmation d’une psychologie scientifique III. 2. Psychologie animale et psychologie humaine: la souris, modèle­animal à l’appui du schéma de comportement stimulus­réponse (schéma S­R)
III. 3. Comportements conditionnés et contrôle social
IV. La question de l’intelligence animale
IV. 1. Étudier les états mentaux malgré le behaviorisme
IV. 2. Les singes sont­ils intelligents?: les études du psychologue américain Robert Yerkes (1876­1956) sur l'esprit animal
IV. 3. Tests d’intelligence et politiques eugénistes
L’œuvre de Charles Darwin, pierre angulaire de l’éthologie et la psychologie comparée
Charles Darwin (1809­1882)
Charles Darwin et l’hypothèse de sélection naturelle et sexuelle
L’Origine des espèces au moyen de la sélection naturelle ou la préservation des races favorisées dans la lutte pour la vie (1859)
Charles Darwin et l’hypothèse de sélection naturelle
« Grâce à cette lutte, les variations, quelques faibles
qu'elles soient et de quelque cause qu'elles proviennent,
tendent à préserver les individus d'une espèce et se
transmettent ordinairement à leur descendance, pourvu
qu'elles soient utiles à ces individus dans leurs rapports
infiniment complexes avec les autres êtres organisés et
avec la nature extérieure. [...] J'ai donné à ce principe, en
vertu duquel une variation si insignifiante qu'elle soit se
conserve et se perpétue, si elle est utile, le nom de
sélection naturelle, pour indiquer les rapports de cette
sélection avec celle que l'homme peut accomplir. »
Darwin, L'Origine des espèces (1859)
Le mélanisme industriel: une illustration de la sélection naturelle
1. Parmi les espèces de phalène du bouleau les plus connues dans la région de Manchester, celle aux ailes blanches (espèce typica) est majoritaire sur celle aux ailes sombres (espèce carbonaria).
2. En quelques années, la forme noire se répand dans les zones industrielles aux dépens de la forme blanche.
3. Le succès de l'une des formes est conditionné par le mimétisme du papillon posé sur l'écorce des bouleaux et l'avantage des formes noires en zone industrielle vient comme une conséquence de l'activité humaine.
4. Sur les troncs noircis par les fumées d'usine, la forme blanche, bien visible, s'offre en proie immédiate aux oiseaux, tandis que la forme noire, alors devenue mimétique, est protégée au moins partiellement.
Un autre mécanisme d’évolution des espèces: la sélection sexuelle
La Filiation de l’homme et la sélection liée au sexe (1871)
« l’avantage que certains individus mâles ont sur d’autres du même sexe et de la même espèce sous le rapport exclusif de la reproduction » La sélection sexuelle permet d'expliquer
­ des phénomènes d’apparence contraire aux conditions de survie Ex: queue du paon
La sélection sexuelle permet d'expliquer
­ le dimorphisme sexuel
Perroquets bavards: la femelle est rouge, à bec noir, le mâle est vert, à bec jaune
Une tradition naturaliste britannique: le bird watching
Une tradition naturaliste britannique: le bird watching
­ Edmond Selous (1857­1934): corrobore la théorie de sélection sexuelle darwinienne, et insiste sur le rôle des femelles dans le choix des mâles. ­ Henry Eliot Howard (1873­194): concept de “territoire”: les comportements de parade des mâles sont davantage utiles pour protéger un territoire que pour courtiser une femelle
­ Julian Huxley (1887­1975): concept de « sélection mutuelle », comme un intermédiaire entre sélection naturelle et sélection sexuelle
Julian Huxley (1887­1975)
Quelques éléments biographiques
Julian Huxley (1887­1975)
­ 1887 : Naissance de Julian Huxley dans une famille célèbre.
­ 1900: Études au collège d’Eton. ­ 1906­1910 : Études d’embryologie à Oxford. Devient enseignant.
­ 1912­1916: Enseignant à l’université de Rice, à Houston, au Texas (USA).
­ 1914 : Études sur le comportement de parade des grèbes huppées.
­ 1916­1918: Participe à l’effort de guerre.
­ 1919­1925 : Professeur à Oxford.
­ 1925 : Professeur au King’s College de Londres.
­ 1930­1935 : Voyages en Afrique. ­ 1942 : Élaboration de la Théorie synthétique de l’évolution
­ 1946 : Premier directeur de l’UNESCO.
­ 1958 : Fait chevalier de l’empire britannique.
­ 1965 : Symposium sur le comportement de “ritualisation” chez les animaux et les hommes à la Société royale de Londres.
­ 1975 : Mort de Julian Huxley.
1912: étude des parades sexuelles des grèbes huppées
Sélection mutuelle chez les grèbes huppées
­ absence de dimorphisme sexuel: collier et huppe présents chez le mâle et la femelle
­ même comportement de parade amoureuse chez le mâle et la femelle
Extrait de Julian Huxley « The courtship ­habits of the great crested grebe » (1914)
Konrad Lorenz (1903­1989)
Éléments biographiques
Konrad Lorenz (1903­1989)
­ 1903 : Naissance de Lorenz à Vienne dans une famille aisée
­ 1928 : Docteur en médecine.
­ 1931: Rencontre décisive avec l’ornithologue Oskar Heinroth.
­ 1937: Recherches sur les schémas instinctifs comportementaux avec Nikolaas Tinbergen. Études sur le comportement des oies cendrées.
­ Juin 1938: Inscription de Lorenz au parti nazi.
­ 1940 : Professeur à l’université de Königsberg (Prusse orientale).
­ 1941 : Médecin psychiatre dans la Wehrmacht.
­ 1944­1948 : Prisonnier de guerre de l’armée soviétique.
­ 1949­1951: Dirige l’Institut d’éthologie comparée à Altenberg.
­ 1951­1954: Dirige l’Institut Max Planck de physiologie comportementale de Buldern.
­ 1963 : Publication de L’Agression.
­ 1965 : Publication de Études sur le comportement animal et humain
­ 1973 : Prix Nobel de physiologie et de médecine.
­ 1981 :Publication de Les Fondements de l’éthologie
­ 1989 : Mort de Lorenz à Vienne.
Konrad Lorenz et la question de l’instinct
« Les instincts comme des organes doivent être étudiés d’un point phylogénétique. »
K. Lorenz, « Evolution of Ritualization in the Biological and Cultural Spheres », Philosophical Transactions of the Royal Society of London (1996)
>>> l’étude des comportements permet de construire des arbres phylogénétiques.
On doit « se livrer à des études comparées de l’instinct avec les mêmes méthodes empruntées à l’anatomie comparée. » K. Lorenz, Études sur le comportement animal et humain (1965 )
>>>> l’éthologie comparée devient un analogue de l’anatomie comparée
La question de l’instinct
Première définition de l’instinct:
une série de réflexes déclenchée par un stimulus extérieur
Problème: comment expliquer les « activités à vide » (= expression d’un schéma comportemental instinctif sans stimulus)?
ex: un chien attrapant une mouche imaginaire
1)Travaux de Erich von Holst (1908­1962) : auto­activation du système nerveux central, sans nécessité d'un stimulus extérieur.
2) Travaux de Wallace Craig (1876­1954) : appétence et goût comme constitutifs des instincts: l'instinct n'est provoqué que si l'animal le souhaite (notion d'appétence)
Robinet
Modèle hydraulique de Lorenz
Valve
Ressort
Réservoir: accumulation d'une énergie endogène (stimulus endogène) jusqu'à un seuil critique (ouverture de la valve) >>> déclenchement du comportement
Poids (accroché à la poulie) = stimulus exogène (qui peut aussi déclencher le comportement)
Système de poulie
La question de l’instinct
Remplacement du modèle de la série réflexe par un modèle hydraulique qui prend en compte un mécanisme interne de déclenchement d'un comportement (appétence).
Réservoir = accumulation d'une énergie endogène (stimulus endogène) jusqu'à un seuil critique
>>> déclenchement d'un comportement
Poids: stimulus exogène (qui peut aussi permettre le déclenchement du comportement)
La question de l’instinct
Eté 1937
Altenberg (Autriche)
LORENZ ET TINBERGEN ÉCHAFFAUDENT UNE THÉORIE DE L’INSTINCT La question de l’instinct
Quand l’animal rencontre un certain nombre de signaux (stimulus visuel, tactile, odorant ou sonore), il se met à agir de manière stéréotypée, déployant un schéma de comportement fixé (FAP). Chaque animal possède un système de comportements distincts et de déclencheurs (releaser = stimulus environnemental) associés à ce comportement.
Ces comportements sont caractéristiques de l’espèce et ont évolué en réponse à la sélection naturelle. L'étude des mouvements stéréotypés:
le roulement des oeufs par une oie cendrée
­ Mise en évidence d’un mouvement stéréotypé: cou tendu au­dessus de l’œuf orienté en direction du nid
­ Mise en évidence d’un taxis: balancement de l’animal pour maintenir l’œuf en direction du nid
1973: Konrad Lorenz, Nikolaas Tinbergen et Karl von Frisch (1886­1982)
reçoivent le Prix Nobel de physiologie et médecine pour leurs études sur les schémas de comportements innés
Lorenz et la théorisation de l’empreinte
Phénomène de l'empreinte:
désigne le fait que les nouveaux­nés, après leur naissance, dirigent leur attention vers un objet mouvant et développent un comportement d'attachement envers cet objet Cet objet, le plus souvent, est leur mère
Empreinte entre une
mère cane et sa progéniture
.. mais peut être aussi un animal d'une autre espèce:
ex: l'homme
Lorenz et ses canetons
Lorenz et l’empreinte
Mise en évidence:
­ d’une période critique et irréversible
dans le développement de l’animal et spécifique à une espèce donnée.
­ du fait que le processus ne se produise qu’à un moment précis et pendant une durée précise (quelques heures) du développement. Lorenz et l’empreinte
L’empreinte n’est pas un processus d’apprentissage. ­ cela impliquerait la condition que les éléments acquis puissent être oubliés ou améliorés. ­ cela impliquerait une durée supérieure à quelques heures pour sa réalisation.
Cependant, Lorenz admet que, pour certaines espèces d’oiseaux, « un changement dans la détermination est encore possible. » L'empreinte et la construction de l’image de l’éthologiste
« J’acquis d’un voisin un caneton âgé d’un an et réalisais, à ma plus grande joie, qu’il avait développé à mon égard un intérêt particulier. Au même moment, je fus irrésistiblement attiré par une poule d’eau, et je devins un expert de leur comportement en tant qu’enfant. […]
Ce que nous n’avions pas noté et qui devint apparent seulement plusieurs années plus tard était le fait que, j’avais, à cette époque, été imprimé par les canards. Mon amour éternel pour les canards est la bonne illustration du caractère fondamentalement irréversible du processus d’empreinte. » K. Lorenz, «
My Family and Other Animals », in Donald A. Dewsbury (ed.), Leaders in the Study of Animal Behaviour, 1985.
Konrad Lorenz et la construction de l’image de l’éthologiste
« Petit garçon, j’adorai les hiboux et j’étais déterminé à devenir un hibou. […] J’appris à nager très tôt et lorsque j’ai réalisé que les hiboux ne pouvaient pas nager, ils perdirent mon estime. Mon vif désir pour l’universel me poussa à vouloir devenir un animal qui pouvait voler, nager et rester dans les arbres. […] Je n’avais pas tout à fait six ans quand je fus frappé par le livre immortel de Selma Lagerlöf Le merveilleux voyage de Niels Holgersson chevauchant des oies sauvages. C’est alors, je voulais devenir l’espèce d’oie sauvage idéalisé par la poétesse suédoise. » K. Lorenz, « My Family and Other Animals », in Donald A. Dewsbury (ed.), Leaders in the Study of Animal Behaviour, 1985.
Illustration extraite du
Merveilleux voyage de Niels Holgersson, écrit par Selma Lagerlöf entre 1906 et 1907
Lorenz et la construction de l’image de l’éthologiste
Le type « berger »
Le jeune Konrad Lorenz avec ses corbeaux élevés par ses soins.
Le scientifique comme «berger»: Lorenz et ses canards au milieu des années 1960.
Konrad Lorenz et la construction de l’image de l’éthologiste
Le type « chasseur »
Tinbergen derrière la camera:
En 1968, le « chasseur » d’animaux devenu « chasseur d’images » obtient un grand succès par son documentaire
animalier, Signals for Survival,
diffusé par la BBC.
Nikolaas Tinbergen (1907­1988)
Quelques éléments biographiqes
Nikolaas Tinbergen (1907­1988)
­ 1907 : Naissance de Tinbergen à La Haye (Pays­Bas). ­1932
: Docteur en zoologie.
­ 1936: Rencontre décisive avec Konrad Lorenz à Leiden.
1937: Recherches sur les schémas instinctifs comportementaux avec Konrad Lorenz (1903­1989), à Altenberg (Autriche). ­ 1942: Arrestation de Tinbergen par les Nazis
­1949 : Lecturer à l’université d’Oxford.
­ 1949 : Fonde la revue Behaviour.
­ 1955 : Reader en éthologie à l’université d’Oxford.
­ 1951: Publication de The Study of Instinct.
­1950­1960: Études le comportement des goélands.
­ 1970­1974: Études sur l’autisme chez l’enfant.
­1973 : Prix Nobel de physiologie et de médecine.
­ 1988 : Mort de Tinbergen à Oxford.
Observation et expérimentation en milieu naturel
Tinbergen construisant un refuge pour les oiseaux à partir d’une veille corbeille, de sacs et de motte de gazon
Observation des mouettes à partir d’un abri
Tinbergen fabriquant des leurres
Domestication et dégénérescence Pour Lorenz, les animaux domestiques ou en captivité, à l'instar d'animaux malades, ont perdu leurs instincts ancestraux et exhibent des comportements dégénérés.
Cette dégénérescence se traduit notamment par:
* Des problèmes alimentaires et un manque de contrôle des mécanismes de l'appétit pouvant entraîner l'obésité.
* Des problèmes de régulation de la sexualité et une hypersexualisation.
Dégénérescence et domestication
Esquisse de Lorenz représentant les effets de la dégénérescence due à la domestication chez les oies, les canards, les chiens, les poissons, les cochons et les hommes.
Tiré d’une lettre de K.Lorenz adressée à O. Heinroth, datée du 18 Janvier1939
Parallèle entre l'homme civilisé et les animaux domestiques
Les types humains qui auraient dûs être éliminés par la sélection naturelle sont maintenus artificiellement dans les sociétés modernes.
>>> dégénérescence des sociétés civilisées
>>> Sociétés civilisées = sociétés auto­domestiquées
>>> perturbation des schémas de comportements instinctifs (ex: agression)
Domestication et hygiène raciale nazie
Lorenz adopte la terminologie couramment utilisée dans les discours des biologistes pro­nazis pour faire valoir ses idées sur la domestication et la dégénérescence de la race:
« Rien n'est plus important pour la santé d'un peuple entier que l'élimination des types « invirent », qui, avec la plus extrême et dangereuse virulence menacent le corps social comme les cellules tumorales menacent la santé de l'organisme. » (Lorenz, 1939)
“invirent”, terme emprunté au biologiste nazi, Ernst Jaensch, désigne les types humains “faibles”, “prêts à se désintégrer”
Domestication et hygiène raciale nazie
Idéologie commune à Lorenz et aux Nazis:
le sauvage, le naturel, l'inné
associé à la pureté/la santé/l'uniformité
versus
le sauvage/le domestiqué/l'acquis/
associé à la dégénérescence/la maladie/la variabilité
La critique de Lorenz à l’encontre des psychologues
« […] Spencer, Lloyd Morgan, MacDougall ainsi que Yerkes, Watson […] Je dois avouer que tous m’ont causé une profonde déception et désillusion! Ce n’était pas des experts! Ils ne connaissaient simplement rien au sujet des animaux! Ils étaient ignorants des phénomènes et des problèmes, auxquels, moi, alors jeune homme, je m’étais attaqué. » K. Lorenz, Studies in Animal and Human Behavior, 1965.
John Broadus Watson (1878­1958)
Quelques éléments biographiques
John Broadus Watson (1878­1958)
­ 1878 : Naissance en Caroline du Sud dans une famille de fermiers pauvres.
­ 1900­1903
: Études de philosophie, de psychologie et de neurologie à l’université de Chicago.
­1903: Docteur en psychologie expérimentale. ­ 1905: Travaux de psychologie animale.
­ 1907: Études éthologiques.
­ 1908 : Professeur à l’université de Johns Hopkins. Directeur d’un laboratoire de psychologie comparée.
­1913: Publication de "Psychology as the Behaviorist Views It,"Psychological Review. ­ 1915: Président de l’American Psychological Association
­1920 : Expérience du « Petit Albert ».
­ 1920: Forcé à démissionner de son poste de professeur.
­ 1924 : Publication de Behaviorism
­1924 : Vice­Président de l’agence publicitaire, J. Walter Thompson
­ 1928 : Publication de The Psychological Care of Infant and Child
­ 1935­1945
: Conseiller exécutif de la William Esty Company (agence publicitaire)
­ 1958 : Mort de John Watson.
Définition du behaviourisme
Behaviourisme = étude du
comportement
( behavior , en américain)
et non plus de la conscience
(comme dans l'ancienne
psychologie introspective)
Le behaviourisme: sceau de scientificité de la psychologie
« […] la psychologie, ainsi que la voit le behavioriste, est une étude purement objective, expérimentale et ainsi une branche des sciences naturelles, qui a aussi peu besoin de l’introspection que les sciences physiques ou chimiques. » J. Watson, “Psychology as the Behaviorist Views it”, Psychological Review, 1913. Qu'est ce que le behaviourisme?
Le behaviourisme
repose sur l'idée que les actes d'un animal (ou
d'un humain) sont provoqués par un stimulus qui entraîne une
réponse particulière.
- peut se symboliser par la formule S-R, où S fait référence à
un stimulus et R à la réponse (le comportement).
stimulus = n'importe quel objet de l'environnement ou
n'importe quel changement interne dans un tissu glandulaire ou
musculaire.
réponse (ou réaction) = mouvement déclenché par le
stimulus,
c'est-à-dire l'acte en lui-même,
le comportement.
1920: l’expérience du “Petit Albert”
Idée: théoriser au sujet de la peur, une des trois réactions émotionnelles de base identifiées par Watson.
Montrer le caractère conditionné de la peur (seule la peur du bruit et de la chute sont des peurs naturelles). Le bébé Albert entouré par John Watson
et son assistante, Rosalie Rayner
L'enfant avant conditionnement
1ère série d'expériences:
présentation au bébé de différents objets vivants et inertes à fourrure
Le bébé n’a peur ni d’un rat
…. ni d’un chien
… ni du masque du Père Noël
Le conditionnement
2ème série d'expériences:
A chaque fois que le bébé touche le rat, Watson et son assistante frappent violemment un marteau sur une barre métallique derrière lui, ce qui provoque un bruit strident.
>>> le bébé hurle et éprouve une réaction de peur
3ème série d'expériences:
Présentation du rat seul: le bébé montre des signes de panique.
>>> conditionnement = le bébé a associé la peur du bruit au rat
L'enfant après conditionnement
4ème série d'expériences: généralisation de la peur
Le bébé déclenche une réaction de peur à la seule vue d'un animal (ou d'un objet inerte) à fourrure, et même du masque du Père Noël
Questions d’éthique autour de l’expérience du “Petit Albert”
­ Objet de l’expérimentation: le bébé est âgé de 9 mois: trop jeune
­ Mère non informée de l’expérience réalisée sur son enfant (nécessité aujourd’hui du consentement éclairé des parents ou proches)
­Sujet de recherche: interdiction de provoquer du stress, de la peur chez des sujets soumis à une expérimentation dans le cadre du laboratoire (l’apparition du stress est un motif pour arrêter la recherche).
­ Pas de suivi de l’enfant après l’expérience: il se peut que le “Petit Albert” ait, toute sa vie, souffert de troubles psychologiques récurrents dûs à l’expérience traumatique à laquelle il fut soumis dans son enfance.
Behaviorisme et contrôle du comportement
« Le but des études psychologiques est l’établissement de données et de lois telles que, le stimulus étant donné, la psychologie puisse prédire quelle sera la réaction ; et que, d’autre part, la réaction étant donnée, elle puisse déterminer quelle était la nature du stimulus. »
« L’intérêt du behavioriste pour le comportement humain est plus grand que celui du spectateur: il veut contrôler les réactions humaines comme le physicien veut contrôler et manipuler un phénomène naturel. Le travail du psychologue behavioriste est de prédire et contrôler l’activité humaine . »
John Watson, “Psychology as the Behaviorist Views it”, Psychological Review, 1913. Brave New World? Réflexes conditionnés et société totalitaire
« Les infirmières se raidirent au garde­à­vous à l’entrée du DIC [Directeur d’incubation et de conditionnement]
­ Installez les livres, dit­il sèchement.
En silence, les infirmières obéirent à son commandement. Entre les vases de roses, les livres furent dûment disposés, une rangée d’in­
quatro enfantins ouverts d’une façon tentante, chacun sur quelque image gaiement coloriée de bête, de poisson ou d’oiseau.
­ A présent, faites entrer les enfants [des bébés de huit mois].
­ A présent, tournez­les de façon qu’ils puissent voir les fleurs et les livres
Tournés, les bébés firent immédiatement silence, puis ils se mirent à ramper vers ces masses de couleur brillantes, ces formes si gaies et si vives sur les pages blanches. Tandis qu’ils s’en approchaient, le soleil se dégagea d’une éclipse momentanée où l’avait maintenu un nuage. Les roses flamboyèrent comme sous l’effet d’une passion interne soudaine : une énergie nouvelle et profonde parut se répandre sur les pages luisantes des livres. Des rangs des bébés rampant à quatre pattes s’élevaient de petits piaillements de surexcitation, des gazouillements et des sifflements de plaisir. […]
[Puis] il y eut une explosion violente. Perçante, toujours plus perçante, une sirène siffla. Des sonneries d’alarme retentirent, affolantes. Les enfants sursautèrent, hurlèrent ; leur visage était distordu de terreur. […] Les explosions cessèrent, les sonneries s’arrêtèrent, le hurlements de la sirène s’amortit, descendant de ton en ton jusqu’au silence. Les corps raidis et contractés se détendirent, et ce qui avait été les sanglots et les abois de fous furieux en herbe se répandit de nouveau en hurlements normaux de terreur ordinaire.
­ Offrez­leur encore une fois les fleurs et les livres.
Les infirmières obéirent ; mais à l’approche des roses, à la simple vue de ces images gaiement coloriés du minet, du cocorico et du mouton noir qui fait bêê, bêê, les enfants se reculèrent avec horreur ; leurs hurlements s’accrurent soudain en intensité.
­ Observez, dit triomphalement le Directeur, observez. […] ­ Ils grandiront avec ce que les psychologues appelaient une haine “instinctive” des livres et des fleurs. Des réflexes inaltérablement conditionnés. Ils seront à l’abri des livres et de la botaniques pendant toute leur vie. – Le Directeur se tourna vers les infirmières. – Remportez­les. »
Aldous HUXLEY, Le Meilleur des mondes (1931), pp. 38­40 (passim)
Éducation et thérapie comportementale
« Donnez­moi une douzaine d’enfants en bonne santé, bien constitués, et laissez moi libre de les éduquer selon ma propre approche. Je vous garantis que, en les prenant au hasard, je les formerai de manière à en faire un spécialiste de mon choix : médecin, juge, artiste, commerçant, et même mendiant ou voleur, tout ceci, indépendamment de leurs talents, penchants, tendances, aptitudes, ainsi que de la profession et de la race de leurs ancêtres. » Watson, Behaviourism (1924)
Robert M. Yerkes, défenseur de la psychologie comparée et de la primatologie
Robert M. Yerkes (1876­1956)
Psychologue américain
Robert M. Yerkes, défenseur de la psychologie comparée et de la primatologie
Yerkes, avec les singes Chim et Panzé
Quleques éléments biographiques
Robert M. Yerkes (1876­1956)
­ 1878 : Naissance en Pennsylvanie (Etats­Unis) dans une famille de fermiers. ­1902: Docteur en psychologie de l’université de Harvard. ­ 1902­1917: Instructeur et Professeur assistant en psychologie comparée à Harvard
­ 1907: The Dancing Mouse
­ 1911: Lance avec John B. Watson le Journal of Animal Behavior
­ 1913­1917: Directeur des Services de recherches en psychologie, Hôpital de psychopathologie de Boston.
­1915: Création d’une échelle de mesure de l'intelligence (Yerkes­Bridges Point scale of Intelligence).
­ 1917: Président de l’American Psychological Association.
­1917 : Président du Comité pour l’examen psychologique des recrues. Participe à l’élaboration des tests d'intelligence Alpha et Bêta.
­ 1922­1924: Président du Comité sur les problèmes scientifiques de l’immigration. ­ 1921­1947: Président du Comité pour la recherche sur les problèmes de sexe.
­1929 : The Great Apes: A Study of Anthropoïd Life.
­1929­1941 : Fonde et dirige les Yale Laboratories of Primate Biology (Primate Laboratory à New Haven, Connecticut et Orange Park, Floride
­1924­1944 : Professeur de psychobiologie à l’université de Yale, Connecticut.
­ 1943: Publication de Chimpanzees: A Laboratory Colony.
­ 1956 : Mort à New Haven, Connecticut.
Edward Thorndike et les “boîtes à problèmes”
« Boîtes à problèmes » imaginées par Thorndike en 1898
Edward L. Thorndike
(1874­1949)
L’apprentissage par “essais et erreurs”
Chat affamé, prisonnier d’une « boîte à problèmes »
Chat affamé cherchant à s’échapper d’une « boîte à problèmes »
L’apprentissage par “essais et erreurs”
Courbes « d’essais et erreurs
»
L’étude de l’esprit animal
Conclusions de Thorndike:
la plupart des animaux apprennent par “essais et erreurs »
Mais qu'en est­il des grands singes?
Yerkes et l’étude de l’esprit animal
Robert Yerkes et l’orang­outan Julius, en Californie, en 1915.
Julius sera son plus brillant sujet expérimental
L’étude de l’esprit animal dans une station expérimentale
Profiter de la générosité d’un mécène et d’un psychiatre, Gilbert van Tassel Hamilton (1877­1944), féru de psychologie comparée
La station expérimentale de Montecito, près de Santa Barbara, en Californie
Vue sur la cage aux singes et le bâtiment renfermant la chambre expérimentale
La laboratoire d'étude de l'esprit animal
Le laboratoire de Montecito
(plan général)
Jeu de portes et chambre expérimentale
La chambre expérimentale du laboratoire de Montecito
La mise en évidence d'un comportement intelligent
Courbes d’apprentisage:
­ de 2 macaques rhésus: Sobke, Skirrl
­ de l’ourang­outan, Julius
Les deux premièrs présentent des courbes faibles caractéristiques d’un apprentissage par “essais et erreurs”, tandis que la courbe de Julius décrit une chute rapide, qui montre son habileté à articuler des idées, à faire preuve, dans les termes de Yerkes, d’un ideational behavior.
Courbes extraites de Robert Yerkes, “Ideational Behavior of Monkeys and Apes”, Proceeeding of the National Academy of Sciences of the United States of America, 1916
La psychologie au service des tests d’intelligence humaine
Des tests pour évaluer l’intelligence des recrues de l’armée (1914­1918)
Puis celle des immigrants arrivant sur le sol américain (loi d’immigration de 1924)
Test Bêta (partie 6)
« Qu’est­ce qui manque dans ces images?
»
Des tests d’intelligence pour discriminer les populations immigrantes
A Study of American Intelligence (1923)
Carl Brigham
­ psychologue américain,
­ disciple de Robert Yerkes
­ supériorité de la race nordique (“Nordic Race”)
­ corrélation entre le déclin de l’intelligence de la population américaine et les flux migratoires
Science et politique: tests d'intelligence et lois sur l'immigration
« L’Amérique doit rester américaine. Les lois biologiques montrent que … les Nordiques dégénèrent lorsqu’ils se mélangent à d’autres races. »
Le président Coolidge signant la loi de 1924 sur l’immigration.
Evolution des flux migratoires aux Etats­Unis
En rouge: Nord­Ouest de l’Europe
En bleu: Sud­Est de l’Europe
Evolution des flux migratoires aux Etats­Unis
1924
Immigration Act
>>> chute des flux migratoires en provenance de l’Europe centrale et méridionale
L'animal­modèle au service d’une société utopique
« Nous avons jugé important de convertir l’animal en un sujet de recherche biologique presque idéal et qui puisse être aussi mis en pratique. Et, à cette intention a été associée le souhait qu’un éventuel succès puisse servir de démonstration efficace montrant la possibilité de re­créer l’homme lui­même, à l’image d’un idéal généralement accepté. » Robert Yerkes, Chimpanzees: A Laboratory Colony (1945)
Yerkes, psychobiologiste et eugéniste
« Notre vision est claire, si nous voulons réunir et placer au service de l’humanité la connaissance de la vie des singes, et si nous voulons rendre possible cette collecte de résultats scientifiques qui profiteront à l’amélioration de l’homme, nous devons concentrer nos efforts pour établir une station expérimentale ou un institut de recherche (i.e. un institut de recherche en primatologie). » Robert Yerkes, The Mental Life of Monkeys and Apes (1916)
Le devenir de l'éthologie et de la psychologie comparée: l'écologie comportementale
“Il est conventionnellement établi que l’éthologie, qui est l’étude des schémas de comportements des animaux dans un environnement naturel, et sa compagne de route, la psychologie comparée, sont les champs fondamentaux et unifiant la biologie comportementale. Il ne le sont plus; les deux sont destinés à être cannibalisés par la neurophysiologie […] d’un côté, et la sociobiologie et l’écologie comportementale de l’autre.”
Schéma de la cannibalisation de l’éthologie
extrait de E.O. Wilson
Sociobiology, The New Synthesis (1975)
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