Vices et vertus du déficit public Le soutien du gouvernement à la

Vices et vertus du déficit public
Le soutien du gouvernement à la proposition d’inscrire dans la Constitution une règle d’équilibre budgé-
taire est celui d’un pyromane favorable à des règles anti-incendies. Après le paquet fiscal de l’été 2007,
notre déficit public dérape et va nous valoir d’être sermonnés par la Commission européenne. Ce gouver-
nement n’est pas responsable de la situation de notre dette publique mais n’a rien fait pour inverser la
tendance. Il est donc sain d’ouvrir le débat. Pourquoi, depuis trente ans, le budget français n’a-t-il été équi-
libré qu’une seule fois ? Pourquoi notre pays est il plus affecté que d’autres ? Les travaux existants mon-
trent que deux mécanismes expliquent bien pourquoi certains pays peinent à équilibrer les
comptes publics de manière récurrente.
Le premier est stratégique : en creusant le déficit aujourd’hui, un gouvernement limite les marges
de manœuvre des gouvernements futurs. La tentation est irrésistible lorsque, comme c’est le cas en
France depuis trente ans, chaque élection produit une alternance entre opposition et majorité. Une autre
manière de le dire est que lorsque la droite fait des cadeaux fiscaux à sa clientèle politique, elle rend plus
difficile pour la gauche d’augmenter le nombre d’enseignants dans le futur. Cet objectif de lier les mains de
ses successeurs explique pourquoi la gauche a aussi creusé les déficits dans le passé même si, pour les
pays industrialisés, les gouvernements de droite sont davantage responsables de l’augmentation de la
dette publique.
L’autre explication est que pour un lobby, une profession ou un secteur économique, le bénéfice
d’une subvention ou d’une niche fiscale est direct alors que le coût est partagé par le pays dans son
ensemble et des générations futures qui ne sont pas représentées politiquement.
Deux questions se posent alors : l’introduction de règles budgétaires contraignantes telles que
celles envisagées aujourd’hui sont-elles efficaces et le remède est-il pire que le mal ?
Il est utile d’analyser les expériences étrangères puisque, depuis une quinzaine d’années, de nombreux
pays, en particulier en Europe, ont introduit de telles règles. La réponse des travaux existants est que ces
règles sont efficaces, elles amènent bien à une réduction des déficits. Mais ces règles peuvent aussi
inciter à une certaine gymnastique comptable plutôt qu’à une vraie réduction de la dette publique.
Certaines sont plus contraignantes que d’autres. Par exemple, inscrire la règle dans la Constitution,
comme envisagé aujourd’hui en France, plutôt que dans la loi, augmente fortement la contrainte et son
efficacité. Pourquoi alors ne pas proscrire tout déficit dans la Constitution ? C’est que tous les défi-
cits et toutes les dettes publiques ne sont pas mauvaises. En particulier, laisser les déficits filer
lorsque la conjoncture est mauvaise (ce qu’on appelle les stabilisateurs automatiques) est une
bonne chose car cela permet à la puissance publique de se substituer à la demande privée (la con-
sommation et l’investissement) quand celle-ci est défaillante et donc permet de stabiliser
l’économie. Une trop forte contrainte fait donc peser le risque que les gouvernements soient obligés de
baisser les dépenses pendant les phases de ralentissement lorsque les recettes fiscales sont mécanique-
ment plus faibles. Même si la proposition actuelle prend en compte les variations du cycle économique et
n’imposerait pas l’équilibre chaque année, elle n’est pas sans risque. L’expérience des pays qui ont mis
en place ces règles suggère qu’il existe un arbitrage entre l’efficacité de ces règles à réduire les
déficits et la capacité de la politique budgétaire à stabiliser l’économie. Le véritable défi est d’obliger
le gouvernement à présenter un budget en excédent lorsque la croissance prévue est au-dessus de la
moyenne ce qui permettra de ne pas aborder un ralentissement conjoncturel complètement démuni. Au-
cun travail préparatoire (par exemple dans la commission Balladur) prenant l’expérience des autres pays
sur le sujet n’a été effectué. L’inscription d’une règle budgétaire dans le marbre constitutionnel ne devrait
pas se faire avec tant de désinvolture et se limiter, pour plaire aux députés du Nouveau Centre, au vote
d’amendements de dernière minute.
Enfin, si une règle est adoptée - dans la Constitution ou dans la loi -, elle devrait, contrairement à ce qui est
maintenant prévu, s’imposer avant la prochaine élection. La proposition actuelle laisse les mains libres au
gouvernement actuel et sert surtout à lier celles du gouvernement de 2012. Le débat économique et poli-
tique sur une règle budgétaire renforcée mérite mieux que ce stratagème et cette précipitation.
Philippe Martin - Libération 27 mai 2008
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