NOUVELLE HISTOIRE DE LA PENSEE ECONOMIQUE
298
quelque peu en marge car, s’il fut formé par Wieser et Böhm-Bawerk, son
admiration pour Walras, le conduisit à développer une problématique
assez hérétique.
Les difficultés rencontrées par les Autrichiens pour résoudre les
énigmes de la théorie de l’imputation et élaborer une analyse cohérente
des prix semblaient condamner l’école à l’échec. Cependant, les plus
jeunes (Friedrich Hayek, Gottfried Haberler, Fritz Machlup, Oskar
Morgenstern, Paul Rosenstein-Rodan) surent renouveler la problémati-
que, souvent en cherchant dans l’œuvre de Menger une inspiration
nouvelle. La montée du nazisme et l’Anschluss provoquèrent la
dispersion des économistes autrichiens qui durent chercher refuge dans
les universités étrangères, notamment aux États-Unis. Cependant, la
plupart des économistes qui s’étaient exilés rejoignirent le courant
dominant. Mises resta en marge. C’est dans son séminaire à l’université
de New-York qu’allait prendre naissance la nouvelle école autrichienne
(Murray Rothbard, Israël Kirzner, Ludwig Lachmann, Mario Rizzo,
Gerald O’Driscoll). Ainsi, de Menger jusqu’à nos jours, s’est maintenue
une tradition originale qui n’est pas une simple variante de la théorie
néo-classique. Certes, il convient, sans doute, d’éviter le terme d’école qui
pourrait induire le lecteur en erreur en suggérant une cohérence qui n’a
jamais existé. Néanmoins, une approche commune demeure qui se
traduit par la persistance de thèmes que l’on trouve déjà dans l’œuvre de
Menger : les incertitudes qui apparaissent dans les processus, le rôle du
savoir dans les décisions économiques, l’importance cruciale de
l’hétérogénéité dans le fonctionnement des systèmes économiques.
Indéniablement, l’émergence et le développement de la tradition
autrichienne sont entièrement dus aux livres de Menger. Quelle que soit
l’originalité de ses successeurs, c’est toujours dans la lecture de Menger
qu’ils trouvèrent le point de départ de leurs analyses. Ainsi, plutôt que
de consacrer un développement propre à chacun des économistes
autrichiens, il est commode de partir des idées de Menger en s’efforçant
de replacer les contributions de Wieser et de Böhm-Bawerk par rapport à
ce qui fut leur cadre de travail.
Le premier livre de Menger, Grundsätze der Volkswirthschaftslehre
(1871), est un ouvrage théorique qui traite principalement du comporte-
ment des agents et de l’échange. Le second, Untersuchungen über die
Methode der Socialwissenschaften und der Politischen Ökonomie insbesondere
(1883), se présente comme une recherche sur la méthode des sciences
sociales. Il nous a semblé nécessaire de rompre l’ordre chronologique et
d’aborder la pensée de Menger en exposant d’abord sa conception de la
nature et de l’objet de la science économique. En effet, chez Menger, le
rôle de la réflexion philosophique n’est nullement secondaire. Elle ne se
borne pas à venir étayer, après coup, ses thèses économiques. Elle est, au
contraire, fondatrice. C’est l’idée que se fait Menger de l’objet de la
recherche qui explique son approche de la théorie économique, qui le
conduit à opposer la valeur et les prix et qui l’amène à étudier
l’évaluation subjective que les individus font des biens avant d’analyser