VARIÉTÉS ABÉLIENNES ET GÉOMÉTRIE RIGIDE

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Actes, Congrès intern, math., 1970. Tome 1, p. 473 à 477.
VARIÉTÉS ABÉLIENNES
ET GÉOMÉTRIE RIGIDE
par MICHEL RAYNAUD
Soient R un anneau de valuation discrète complet, K son corps des fractions, k son
corps résiduel et n une uniformisante. Soit d'autre part A une courbe elliptique sur K
dont l'invariant j n'est pas entier. Quitte alors à remplacer éventuellement R par son
normalisé dans une extension quadratique de K, on peut prolonger A en un K-schéma
en groupes A, dont la fibre spéciale A ®R k est isomorphe au groupe multiplicatif (Gm)k.
De plus, Tate a montré que A est le quotient analytique rigide du groupe multiplicatif (Gm)K par un sous-groupe discret M engendré par les puissances d'un élément q
de K*, avec \q\ < 1. Une démonstration de ce théorème est parue récemment dans [6].
Nous allons indiquer comment ce résultat s'étend aux variétés abéliennes.
1. Structure des schémas semi-abéliens.
Soit i4aig une variété abélienne sur K. Grothendieck a montré que y4alg avait potentiellement une réduction semi-abélienne sur R [2]. Cela signifie, que quitte à remplacer
jR par son normalisé dans une extension finie convenable de K, on peut prolonger
Aalg en un R-schéma en groupes Aa\g, lisse sur JR, dont la fibre spéciale Â=Aaig®R k
est extension d'une variété abélienne B par un tore T. Supposons maintenant que
A possède sur R une réduction semi-abélienne A et notons A le groupe analytique
rigide défini par A . C'est un groupe lisse, connexe, propre au sens de Kiehl [3].
Un groupe rigide qui possède ces propriétés sera appelé une variété abéloïde. Les
variétés abéloïdes sont l'analogue en géométrie rigide des tores complexes de la géométrie analytique classique. Soit A le R-schéma formel en groupes completion de
Aa\g le long de sa fibre formelle A. Rappelons que tout A-schéma formel X définit
ipso-facto un K-espace rigide XK : « la fibre générique » de X. Dans le cas présent, la
fibre générique AK de A correspond à un sous-groupe ouvert rigide connexe de A.
On a AK = A si et seulement si A a bonne réduction sur R, c'est-à-dire encore, si le
tore T est nul.
Pour tout entier n > 0 et tout .R-schéma formel X, posons R„ = R/nn+1R, X„ = X®R Rn.
Il résulte des propriétés infinitésimales des relèvements des sous-tores des schémas
en groupes lisses [1], que T se relève, de manière unique en un sous-tore T'„ de An.
Posons B„ = AJTn qui est un ^„-schéma abélien, qui relève B. Par passage à la limite,
on trouve que le schéma formel A est extension du A-schéma abélien formel B = lim Bn,
par le tore formel T = lim T'n. Par suite, le groupe rigide AK est extension de la variété
abéloïde BK = B par le groupe rigide TK. Soit M'le groupe des caractères du tore T.
Il s'identifie canoniquement au groupe des caractères du tore formel T et c'est aussi
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le groupe des caractères d'un tore rigide T' sur K. Le groupe rigide TK, fibre générique
de T, est un sous-groupe ouvert de T' ; c'est le sous-groupe ouvert de T' où les caractères de T' prennent des valeurs de valuation 0 ; nous dirons aussi que TK est le groupe
des unités de T'.
Ceci étant, on peut utiliser l'immersion ouverte T'K -> T', pour déduire du groupe AK,
extension de B par TK, un groupe rigide E extension de B par le tore T'. Le théorème
de Tate mentionné au début, se généralise alors comme suit :
THéORèME 1. — Soient i: AK -> A et j : AK -> £ les immersions ouvertes canoniques. Alors, il existe un unique morphisme rigide p : E -> A tel que le diagramme
suivant soit commutatif:
4K -> 4
•
K
A
E
De plus, p est surjectif et son noyau M est un sous-groupe discret de E, sans torsion,
de rang égal à la dimension du-tore T'.
Autrement dit, A est le quotient, par un sous-groupe discret M, du groupe E, extension d'une variété abéloïde JB ayant bonne réduction par un tore T non ramifié sur R.
2. Indications sur la démonstration du théorème 1.
Soit X un K-espace rigide propre [3], tel que T(X, 0X) = K et possédant un point
rationnel. Procédant comme dans le cas algébrique, on peut définir le foncteur de
Picard P de Z au-dessus de K. Lorsque X provient d'un schéma propre X a l g , il résulte
de théorèmes du type « Gagà », que P est représenté par le groupe rigide associé au
schéma de Picard de X a i g . Soit H 1 (X, Z) le groupe des revêtements galoisiens de X,
localement triviaux, de groupe Z. En interprétant Z comme groupe des caractères
du groupe multiplicatif Gm et du groupe des unités U, on trouve un diagramme commutatif canonique :
H\X, Z) ^ Horn(G m ,P)
ß\
/res.
Horn (U,P)
Il résulte alors formellement de la nullité des faisceaux Ext1(Gm, Gm) (resp. Ext1^, Gm))
que les flèches a et ß sont des isomorphismes. Par suite, tout morphisme U -> P
se relève de manière unique en un morphisme Gm -> P. Appliquons ce résultat en
prenant pour X la variété abélienne duale de A. On prouve ainsi l'existence de la
flèche p : E -> A. Le fait que p soit surjectif se voit par exemple en étudiant les composantes connexes du modèle de Néron de A.
3. Description de certaines variétés abéloïdes.
Partons maintenant d'un groupe rigide E extension d'une variété abéloïde B qui
a potentiellement bonne réduction par un tore T'. L'extension E est décrite par un
morphisme
CD' : M' -• B1
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du groupe M' des caractères de T" dans la variété duale B' de B. Soit d'autre part
M -* E un morphisme d'un groupe discret M sans torsion dans E, Cherchons à quelles
conditions M est un sous-groupe de E tel que le quotient de E par M soit une variété
abéloïde A. Soit
O: M -• B
la flèche canonique composée de M -• £ et de la projection q: E -> B et soit P le
faisceau inversible universel sur B x B'. On sait que P est muni d'une structure de
bi-extension [2]. La donnée du morphisme M ->• E qui relève 0 équivaut alors à
la donnée d'une trivialisation s de l'image réciproque de P par le morphisme
(J> x $' : M x AT -> B x B'
qui dépend bi-additivement de (m, m') E M x M'.
Nous allons maintenant associer à s une donnée discrète.
a) Supposons d'abord que T' et M soient déployés et que B ait bonne réduction sur
R, donc provient d'un A-schéma abélien formel B. Le dual B' provient alors du schéma
formel dual B' et le faisceau inversible P se prolonge en un faisceau inversible P sur
B x B'. Sur le groupe multiplicatif Gm on dispose de la fonction définie par la valuation
où T est le groupe de la valuation de K. En utilisant le prolongement P de P, on montre
que l'on a aussi une « valuation » canonique sur P vP : P -> T. Composant vP avec
la section s, on obtient une application bi-additive canonique
M
: M x M' -> T.
Le fait que M -• E soit injectif et que le quotient de E par l'image de M soit une
variété abéloïde A est alors équivalent au fait que u soit non dégénéré.
b) Dans le cas général, par descente, on trouve un accouplement canonique
w: M x M' -• T
où F est le divisé du groupe Y. Cet accouplement est compatible avec l'action du groupe
de Galois fini qui « tord » M et M'.
Nous résumons la construction précédente dans le diagramme suivant
0
i
M
ï
n
A
ï
0
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Notons que l'on passe de A à la variété abéloïde duale A' en échangeant les rôles
de B et W, M et M', O et <£'.
4. Algébrisation des variétés abéloïdes.
Partons de la variété abéloïde A construite au n° 3 et cherchons à quelle condition
A provient d'une variété abélienne. Il revient au même de chercher s'il existe un faisceau inversible L ample sur A. Supposons pour simplifier que B a bonne réduction et
que T' est déployé. Soit L un faisceau inversible sur A, p*(L) son image réciproque
sur E. On peut montrer qu'il existe un faisceau inversible N sur B tel que p*(L)~q*(N).
Réciproquement, si N est un faisceau inversible sur B, q*(N) provient d'un faisceau
inversible sur A, si et seulement si q*(N) est muni d'une donnée de descente relativement au sous-groupe M.
Soit A! la variété abéloïde duale de A, de sorte que A' est extension de B' par le tore T
dont le groupe des caractères est M. Si L est un faisceau inversible sur A, il lui correspond de la manière habituelle un homomorphisme cpL : A -> A'. Celui-ci se relève
en un morphisme cp: E -> E', d'où un morphisme cp : M -» M'. Par passage au
quotient, on obtient un morphisme de B dans B', qui n'est autre que cpN. De plus,
le diagramme suivant est commutatif:
M % B
M' % B'
En composant u avec cp, on obtient une forme quadratique sur M à valeurs dans T
m l-> u(m, cp(m))
qui est symétrique.
Ceci étant, supposons que L possède une section non nulle a, donc est de la forme
O^À), où A est un diviseur > 0. Alors p*(A) est un diviseur > 0 sur E, invariant par M.
Lorsque B = 0, donc E = T', p*(A) est un diviseur principal, défini par une équation
Z am>Tm'=0
m'eM'
du type fonction thêta non archimédienne étudié par Morikawa [4]. Dans le cas général, p*(A) n'est pas principal, mais on a p*(L) ~J q*(N). Pour tout m'e M', notons Pm,
le faisceau inversible sur B qui correspond au point 0'(m') de B'. La donnée d'une section de L, donc de p*(L), définit alors une famille am,tm.GÌA. de sections de N ® Pm..
Ces coefficients am. jouent le rôle des coefficients de la série de Laurent du cas de réduction torique. Finalement, on obtient le résultat suivant:
THéORèME 2. — Pour que L soit ample sur A, auquel cas A provient d'une variété
abélienne, il faut et il suffit que les deux conditions suivantes soient réalisées :
1) La forme quadratique m h» u(m, cp(m!)) est positive non dégénérée sur M.
2) Le faisceau inversible N est ample sur B.
COROLLAIRE. — Sous les hypothèses du théorème 1, la variété abéloïde B et l'extension E sont algébrisables.
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BIBLIOGRAPHIE
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Faculté des Sciences d'Orsay
Département de Mathématiques
91-Orsay (France)
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