Mais cet intérêt bien ciblé ne doit pas éclipser les derniers grands textes de Russell :
Inquiry into Meaning and Truth ainsi que Human Knowledge, bien que considérés par un
certain nombre de ses contemporains comme d‘un empirisme anachronique parce qu‘ils
auraient manqué le tournant linguistique.8 Russell y défend une méthode fondée sur la science
et non pas sur l‘analyse du langage. Il croit à la valeur des problèmes philosophiques
traditionnels. Il ne les considère pas comme a pu le faire la philosophie du langage ordinaire
d‘Austin et de ses disciples comme des problèmes nés d‘un usage incorrect du langage
ordinaire.9 Un ami intime de Russell, Rupert Crawshay-Williams10 rapporte la manière dont
Russell explique la mécompréhension de Human Knowledge par la nouvelle génération de
philosophes d‘Oxford :
Après le dîner Bertie commença ici à discuter du problème (qui l‘a toujours
intrigué) de savoir pourquoi son œuvre philosophique récente a été si complètement
ignorée par les philosophes contemporains. Nous l‘expliquions comme étant en partie
dû au fait que les philosophes ont aujourd'hui abandonné le programme « logique » en
philosophie ; c‘est-à-dire, qu'ils commencent à admettre que leurs théories ne peuvent
être logiquement prouvées — et de là ils abandonnent complètement les théories […]
Soudain Bertie éclata et dit que c‘était pure paresse : « Ces philosophes
sont simplement trop paresseux pour faire face aux problèmes importants ; ils ne
connaissent rien ; ils ne connaissent ni le Grec ni la science ; ils éludent toutes les
difficultés… », et ainsi de suite.
Puis, quelques minutes plus tard, juste à la fin de la soirée, il dit :
8 Ray Monk, Bertrand Russell 1921-70. The Ghost of Madness, London, Jonathan Cape, 2000, pp. 29.
9 Rupert Crawshay-Williams, Russell Remembered, Londres, Oxford University Press, p. 98.
10 Son ami Rupert Crawshay-Williams rend compte du désarroi et de la déception de Russell suite à la réception
mitigée de Human Knowledge et tente de comprendre pourquoi les derniers textes de Russell n‘ont pas été reçus
tels qu‘ils le méritaient dans Russell Remembered (Londres, Oxford University Press, 1970), pp. 40-50 et pp. 75-
100. Pour un certain nombre de pièces apportées à la dispute par Russell : la recension du livre de J. O. Urmson,
Philosophical Analysis : Its Development Between the Two World War, « Philosophical Analysis », in The
Hibbert Journal, 54, juillet 1956, pp. 320-329 et C. P. 11, pp. 614- 625, la discussion de « Metaphysics in
Logic » de G. F. Warnorck, « Logic and Ontology », in The Journal of Philosophy, 54, avril 1957, pp. 225-230
et C. P. 11, pp. 625-630, la recension de « On Referring » de Strawson, «Mr Strawson on Referring », in Mind,
66, juillet 1957 et C. P. 11, pp. 630-635, « What is Mind? », in The Journal of Philosophy, 55, janvier 1958 et C.
P. 11, pp. 635-642 (ces textes ont été partiellement republié par Russell dans My Philosophical Development, pp.
214-254, trad. fr., pp. 289-318) et l‘introduction à Ernest Gellner, Words and Things, Londres, Victor Gollancz
et Boston , Beacon Press, 1959, pp.13-15 et C. P. 11, pp. 642-644.