Être atteint d`un cancer à l`adolescence : aspects psychologiques

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Être atteint d’un cancer à l’adolescence :
aspects psychologiques
Gabrielle Marioni
Introduction
Être atteint d’un cancer à l’adolescence suppose de se confronter à la conjonction de
ces deux événements difficiles que sont la maladie et l’adolescence, l’épreuve du cancer
et le travail psychique qui lui est lié entrant en résonance avec les réaménagements
psychiques de la puberté et de l’adolescence. Dans ce contexte, la spécificité des enjeux
psychologiques chez les adolescents atteints de cancer repose sur deux problématiques principales qui se font écho. La première est que la survenue d’un cancer en
période pubertaire prend le contre-pied des exigences développementales de l’adolescent. L’adolescent devra mener parallèlement un « travail de la maladie » et un « travail
d’adolescence » dans lesquels corps malade et corps sexué doivent conjointement
faire l’objet d’un travail de représentation. Ce travail d’élaboration est difficile, dans
la mesure où le « travail de la maladie » et le « travail d’adolescence » engagent des
enjeux différents, susceptibles de s’opposer, voire de s’effacer l’un l’autre (1, 2). L’adolescence peut alors masquer la maladie ; ou bien, ce qui est plus fréquent, la maladie
masque l’adolescence : l’adolescent met en latence ses interrogations conscientes et
inconscientes sur la transformation de son corps et sur l’avènement d’un corps sexué,
et remet à plus tard la nécessité d’un remaniement des liens avec son entourage.
La deuxième problématique est l’impact de l’adolescence et de ses questionnements
sur l’adaptation à la maladie et à ses traitements. Ceux-ci peuvent, dans certains cas
(de non-compliance par exemple), devenir, pour l’adolescent, des terrains privilégiés
sur lesquels vont se jouer et s’exprimer les conflits pubertaires.
Il apparaît donc fondamental d’analyser et de mieux comprendre la spécificité des
difficultés psychologiques que peuvent rencontrer les adolescents atteints de cancer,
afin d’aider les équipes soignantes à répondre le mieux possible, et de façon pluridisciplinaire, aux besoins et aux attentes de cette population.
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L’adolescent atteint de cancer et les siens
L’impact sur la structuration de soi à l’adolescence
Hypothèses étiologiques et fantasmes pubertaires
Afin de la rendre plus tolérable et pensable, l’adolescent essaie de relire et de réécrire
sa maladie en fonction de son histoire individuelle et familiale. Devenant historien
et chroniqueur du passé, il se demande pourquoi la maladie est « tombée sur lui »,
essayant par là-même d’inscrire l’événement dans la continuité d’une quête identitaire
plus profonde et inhérente à cet âge.
La fantasmatique pubertaire infiltre les théories que l’adolescent se forge sur l’éclosion du cancer et lui donne une coloration toute particulière. Le cancer, d’une part,
peut être vécu comme une punition des premiers élans amoureux, des désirs sexuels
et de la réactualisation des mouvements œdipiens, cette punition venant sanctionner
l’adolescent dans un corps qui se sexualise et qui devient adulte. L’adolescent, d’autre
part, peut inconsciemment percevoir et comprendre la survenue de la maladie comme
un événement venant punir son aspiration à devenir autonome, à se distancier de ses
parents, et à investir l’extérieur du cocon familial : peut-être aurait-il pu éviter le cancer
s’il avait mieux accepté la protection parentale et une certaine dépendance ? Dans ce
contexte et afin de se protéger, l’adolescent peut inconsciemment choisir de renoncer
aux besoins et aux désirs qui fondent les enjeux de son « travail d’adolescence », et
régresser à des positions de dépendance infantile. Les représentations que l’adolescent
construit sur son cancer et son étiologie sont par ailleurs en partie fonction de l’organe
ou de la partie du corps malades, l’atteinte des sphères génitale et périnéale convoquant des problématiques pubertaires particulièrement complexes.
Vécu corporel : un corps étranger doublement persécuteur
Le « travail d’adolescence » concerne particulièrement le corps (3), que les transformations physiologiques liées à la puberté ont fait évoluer vers un corps adulte
en mesure, dorénavant, d’agir les pulsions dans leur double dimension libidinale et
agressive. L’émergence de ce corps nouveau – sexué et désirant – contraint l’adolescent
non seulement à intégrer une nouvelle image de lui-même, mais surtout à subir et
à assister, impuissant, à d’importantes transformations qu’il n’a pas décidées et qui
l’obligent à un travail d’élaboration difficile. L’adolescent se demande quand ces changements vont s’arrêter, à quoi il va finalement ressembler. Les manifestations et les
sensations parfois incontrôlables de ce corps nouveau peuvent être vécues avec une
profonde angoisse.
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Dans ce contexte, les transformations corporelles engendrées par la survenue d’un
cancer et par les traitements qui lui sont liés, viennent s’ajouter et se superposer aux
transformations pubertaires, voire les effacer. L’éclosion d’un cancer à l’adolescence
vient donc compliquer voire entraver le travail d’élaboration permettant l’appropriation psychique du corps sexué (ainsi que toutes les problématiques pubertaires qui
lui sont corrélées), corps nouveau que l’adolescent doit pourtant adopter, apprendre
à aimer, et reconnaître comme sien. En outre, le cancer et les traitements qui lui sont
liés, peuvent venir alimenter le sentiment de l’adolescent d’être devenu étranger à luimême, voire augmenter le vécu préexistant d’avoir un « corps étranger » persécuteur,
qui l’inquiète et qui fait effraction.
Finalement, l’adolescent doit mener de front un travail psychique important qui
le confronte à un double traumatisme : celui de la violence liée à l’effraction pubertaire (4, 5) et celui de la maladie. Ce travail d’élaboration psychique apparaît particulièrement complexe et difficile, dans la mesure où il confronte l’adolescent, de façon
presque simultanée, à la découverte d’un corps érogène, sexué et de plaisir, très vite
(re)transformé, voire effacé par la maladie et les traitements en un corps agressé,
défaillant et douloureux. Les modifications pubertaires et la maladie représentent
ainsi deux phénomènes inédits qui coexistent brusquement, avec la menace toujours
présente que le « corps malade » finisse par occulter le « corps sexué », avec toutes les
conséquences que cela peut comporter sur le plan du développement psycho-sexuel.
Effets secondaires des traitements et appropriation du corps sexué
L’appropriation psychique du corps sexué est un enjeu majeur du travail d’adolescence. La possibilité de s’identifier au parent œdipien de même sexe, l’élaboration de la
bisexualité psychique, la mise en place d’une identité sexuelle définitive et d’une orientation sexuelle, la reconnaissance et l’intégration psychique de l’appareil génital du
sexe opposé ainsi que l’acceptation de la masturbation comme moyen de découverte
et d’appropriation du corps sexué, représentent différents éléments qui conditionnent
et favorisent l’accès à une sexualité et à une position subjective adultes.
Dans le contexte de la survenue d’un cancer, l’appropriation du corps sexué est
compliquée voire entravée par les effets secondaires des traitements (perte des poils
et des cheveux, amaigrissement, fonte musculaire, endolorissement de certaines zones
érogènes, atrophie mammaire chez les filles). Ces effets secondaires peuvent en effet
être vécus consciemment ou inconsciemment par l’adolescent comme venant effacer
voire attaquer son corps sexué (6), ce fantasme pouvant induire celui d’un retour à
un corps prépubère, infantile et immature ou encore celui d’avoir un corps asexué ou
androgyne. Ainsi, l’effacement du corps sexué par les traitements peut comporter cela
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de traumatique qu’il vient non seulement concrétiser et cautionner, par une inscription
corporelle, le désir inconscient et ambivalent de l’adolescent de conserver une position
et une sexualité infantiles – et donc de renoncer à une sexualité adulte – mais aussi
confirmer et/ou renforcer sa peur inconsciente d’être « incomplet » ou « anormal » sur
le plan sexuel, freiner sa tentative de dépasser l’angoisse sexuelle et pubertaire et enfin,
justifier l’interdit fantasmatique, surmoïque et œdipien, de se confronter à l’éveil de la
sexualité et de prendre plaisir aux mouvements libidinaux et érotiques qui lui sont liés.
Dans certains cas plus rares, les effets secondaires des traitements peuvent masquer
voire renforcer, chez l’adolescent, des difficultés psychopathologiques d’appropriation
du corps sexué qui préexistaient à la survenue du cancer. L’attaque du corps sexué par
les effets secondaires des traitements vient alors recouvrir et/ou renforcer un rejet déjà
présent, conscient ou inconscient, de la sexualité, qui se traduisait jusque-là par des
troubles des conduites alimentaires ou des conduites à risque à dimension suicidaire,
comportements qui tous témoignaient d’une agressivité exprimée à l’égard du corps
sexué (7). Ce dernier peut en effet être perçu inconsciemment comme un ennemi ou
un persécuteur car source d’éprouvés et de désirs sexuels vécus comme angoissants ou
dangereux. Il importe donc que l’équipe soignante pluridisciplinaire tienne compte de
l’inscription et de la résonance fantasmatique des traitements dans le développement
psycho-sexuel et affectif de l’adolescent atteint de cancer ainsi que de leurs conséquences parfois traumatiques.
Parmi ces effets secondaires potentiels des traitements, la question de la préservation
de la fertilité a une place particulière. Les propositions qui visent à préserver la fertilité
(recueil de sperme, préservation ovarienne) sont habituellement abordées avec l’adolescent dès l’annonce du diagnostic, alors que de nombreuses informations concernant le cancer et son traitement doivent également être données. Ces propositions
suscitent des questions complexes qui dépassent les enjeux médicaux soulevés par les
traitements (8, 9) : sont en effet en jeu la sexualité de l’adolescent et son éventuel désir
de devenir parent. Les interrogations liées à l’avenir et à la parentalité (autrement dit
au fait de pouvoir un jour « donner la vie ») se télescopent alors avec celles, opposées,
liées à l’annonce du cancer et des traitements, qui mobilisent chez l’adolescent d’éventuelles angoisses de mort et une difficulté à se projeter dans le futur. En l’occurrence,
l’adolescent peut avoir du mal à composer avec des questions qui concernent sa sexualité, alors qu’il n’a pas encore nécessairement eu d’expériences sexuelles. L’état de sidération dans lequel le plonge l’annonce du cancer peut par ailleurs freiner la réflexion
difficile dans laquelle l’engagent les médecins. La préservation de la fertilité convoque
également des questions éthiques et psychologiques complexes qui concernent la place
des parents dans les décisions de l’adolescent. Il s’agit, pour eux, d’accompagner leur
enfant dans ses choix, tout en respectant l’intimité (psychique et corporelle) et l’autonomie dont il a besoin.
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Construction identitaire et sentiment de valeur
L’adolescence constitue une étape majeure de la construction identitaire. En témoignent d’importantes questions qui apparaissent à cet âge et que l’adolescent se pose
de façon répétitive : « Qui suis-je ? », « Qui souhaiterais-je être ? », « Qui serai-je
effectivement plus tard ? ». En effet, les changements corporels induits par la puberté
entraînent une interrogation anxieuse sur l’identité, une peur concernant la cohésion et l’unité internes ainsi qu’un sentiment d’inadéquation ou d’étrangeté devant la
nouvelle image du corps.
Dans ce contexte, la survenue du cancer à l’adolescence, par l’atteinte corporelle qu’elle suppose et la perte de fonction qu’elle engendre parfois (amputation,
par exemple), renforcent les doutes anxieux de l’adolescent sur son identité. Il existe
notamment une rupture et une discontinuité entre celui qu’il était avant la maladie et
ce que celle-ci a fait de lui.
Atteint dans son corps par la maladie, par les traitements et leurs effets secondaires (mucites, alopécie, cicatrices, amaigrissement ou surpoids, séquelles physiques
liées à certaines opérations, etc.), l’adolescent ne se reconnaît plus physiquement. Ces
changements n’apparaissent certes pas brusquement mais sont progressifs et jalonnent le parcours médical de l’adolescent. Au cours des traitements, ce dernier doit
successivement composer avec différentes images de lui-même, les assumer et se les
approprier pour ensuite les désinvestir : ceci correspond, par exemple, aux périodes
d’amaigrissement et de prises de poids successives que l’adolescent subit et qui le
mettent en souffrance. L’adolescent se trouve ainsi dans l’obligation d’un perpétuel
réaménagement de l’image physique qu’il a de lui-même, la difficulté consistant pour
lui à trouver un sentiment de continuité identitaire malgré cette discontinuité et dans
cette discontinuité.
Par ailleurs, l’adolescent ne se reconnaît pas toujours dans ce qu’il est devenu,
psychologiquement, du fait du cancer, et peut en être déstabilisé : « Qu’est-ce que le
cancer a fait de moi ? Qui suis-je à présent ? Mon identité se réduit-elle à celle d’un
cancéreux ? ». Certains adolescents se sentent plus forts et disent que la maladie leur a
donné de l’assurance, une plus grande confiance en eux-mêmes et en les autres, une
certaine solidité et qu’elle leur a permis de mieux se connaître et de savoir désormais
qui ils sont. D’autres, au contraire, disent se sentir fragilisés par le cancer et craignent
que cette vulnérabilité ne touche de façon durable différents aspects de leur vie. L’adolescent va donc devoir mener un travail psychique particulièrement important, afin
que la maladie et le corps (même abîmé), puissent malgré tout s’intégrer dans son
identité voire participer à la construction de celle-ci.
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L’adolescent et sa mort « possible »
Les problématiques relatives à la mort, à la séparation et à la perte, occupent une place
et une fonction particulièrement importantes dans le développement psychique de
l’adolescent. Les questions existentielles et la quête de sens, sont particulièrement
présentes : « Pourquoi je vis et pour quoi je vis ? », « La vie/ma vie a-t-elle un sens ? »,
« Que vais-je faire de ma vie et dans la vie ? » et « Quel est mon but dans la vie ? ». De
plus, la mort et le deuil apparaissent au cœur de la dynamique et des problématiques
pubertaires. L’adolescence représente en effet le deuil de l’enfance, aussi bien sur le
plan physique que psychologique : l’adolescent doit accepter de « naître » adulte et
de renoncer progressivement à des positions infantiles. Par ailleurs, les transformations du corps et l’accès à une sexualité adulte notamment, ravivent la problématique
œdipienne de l’enfance et obligent l’adolescent à prendre ses distances par rapport
à ses parents. L’adolescent se trouve alors confronté à la nécessité d’un « meurtre
parental » symbolique, qui passe par une « désacralisation des parents » et par leur
mise à distance physique et psychique.
Avec la survenue d’une maladie grave telle que le cancer, ces questions conscientes
et inconscientes autour de la mort, de la perte et de la séparation, passent du statut
de fantasme ou de question plus ou moins abstraite ou symbolique, au statut de réel
possible. Cette mort possible interfère avec la dynamique adolescente, l’ébranle et la
complique. Le besoin de maîtrise et le sentiment de toute-puissance qui lui est corrélé,
habituellement très présents chez les adolescents, sont bouleversés par la survenue
de la maladie et de la mort possible. Par ailleurs, la problématique de la « limite »,
particulièrement importante à l’adolescence, prend une résonance particulière avec
la survenue du cancer : la maladie confronte l’adolescent à la question de la limite du
vivant, du pensable, du corps, du temps mais, surtout, à la « limite des limites » qui est
la mort. L’adolescent atteint de cancer peut se demander jusqu’où ira la dégradation
physique engendrée par la maladie et par les effets secondaires des traitements.
Enfin, et c’est sans doute l’une des dimensions les plus importantes, l’éventualité
d’une mort possible ébranle l’adolescent dans ses projets d’avenir, à un âge où tout est
encore à construire. L’adolescent se demande s’il va devoir faire le deuil d’un devenir
adulte, s’il pourra construire une famille, avoir des enfants… Ces questions, du reste,
convoquent de façon latente d’autres questions en lien avec la sexualité : pourra-t-il
expérimenter une sexualité adulte ? Pourra-t-il aimer et être aimé, désirer et être désirable, malgré l’expérience du cancer et la connotation de mort qui lui est corrélée ?
Pourra-t-il avoir des enfants ou bien devra-t-il y renoncer, de peur, par exemple, qu’ils
soient eux aussi atteints d’un cancer ? La possibilité d’une mort proche ébranle, en
effet, la confiance que l’adolescent peut avoir en lui-même et dans la vie.
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L’adolescent et son environnement
Que signifie « être l’adolescent de parents d’un adolescent malade » ?
La survenue du cancer engendre, chez l’adolescent, un « double traumatisme » (10) :
un trauma direct, d’une part, surdéterminé fantasmatiquement, lié aux conséquences
psychologiques de l’atteinte somatique sur l’adolescent ; un trauma indirect, d’autre
part, lié au retentissement psychique des réactions parentales sur l’adolescent. L’impact
traumatique de la maladie, en effet, n’est pas uniquement lié à l’affection corporelle
dont l’adolescent est atteint mais à ce qu’il suppose être, à tort ou à raison, consciemment ou inconsciemment, le vécu de ses parents face à la maladie. Ce qui est éprouvant, pour l’adolescent, c’est d’être « l’enfant de parents d’un enfant malade ». Ce qui
est traumatique pour lui, c’est peut-être de percevoir, dans le regard de ses parents, la
difficulté de le regarder parce qu’il incarne et leur renvoie une double blessure : d’avoir
fait du mal à leur enfant en le « faisant » malade, et d’avoir fait un enfant qui leur fait
du mal en étant malade. Ce qui est traumatique, finalement, pour l’adolescent, c’est
d’être un traumatisme pour ses parents. L’adolescent s’accuse d’être à l’origine de leur
effondrement, d’être leur malheur, un poids et un souci. Et bien qu’il ne connaisse pas
nécessairement l’origine de sa maladie, il sait néanmoins qu’elle fait partie de lui. De là
à penser que la maladie ou plutôt le mal, c’est lui, il n’y a qu’un pas. Cette identification à un mauvais objet – cette incarnation du mal – recouvre une blessure narcissique
et une culpabilité importantes.
Le mal (supposé ou réel, conscient ou inconscient) que l’adolescent pense avoir
fait à ses parents en étant malade fait l’objet d’un travail d’élaboration psychique, un
« travail du mal » (11), qui apparaît comme un ensemble d’opérations psychiques
inconscientes permettant l’élaboration du mal engendré par la maladie et qui affecte
la relation du sujet à ses objets internes. Ce concept est directement inspiré des travaux
de Pédinielli sur le « travail de la maladie » (12), le « travail du mal » étant au mal
psychique, ce que le « travail de la maladie » est au mal somatique. L’adolescent tentera
de mener ce travail psychique du « mal » durant toute l’épreuve du cancer, et même
bien après la fin des traitements.
Le mal fait aux parents entrave, à plusieurs titres, le travail psychique de réaménagement des liens de l’adolescent et notamment ce que P. Blos appelle le « travail de “désengagement” » (13). L’expression de l’agressivité inhérente au travail d’adolescence est en
effet rendue difficile, chez l’adolescent atteint de cancer, par la préexistence de la maladie
et du mal : elle grève notamment l’expression des mouvements pulsionnels agressifs, la
mise à distance de l’objet œdipien et, de manière plus générale, la séparation.
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L’éclosion de mouvements agressifs, la destructivité et la gestion de la haine sont en
effet afférentes au travail normal d’adolescence : « Si, dans le fantasme de la première
croissance, il y a la mort, dans celui de l’adolescence, il y a le meurtre », rappelle
Winnicott (14). À la base de toute adolescence en effet, il y a le meurtre des imagos
parentales, condensé fantasmatique de l’agressivité liée à toute croissance : « grandir
(en effet) est par nature un acte agressif » (15). L’attaque des objets internes conditionne donc la possibilité de distanciation de l’adolescent et sa subjectivation. Chez
l’adolescent atteint de cancer, parents et adolescent demeurent prudents dans la lutte
à mort symbolique que suppose le travail d’adolescence car la mort réelle, toujours
possible, pourrait donner réalité à leurs fantasmes (16). L’expression de l’agressivité
est également entravée chez l’adolescent par le lien de souffrance qui s’est établi avec
les parents du fait de la maladie. Inconsciemment coupable du mal qu’il pense leur
avoir fait en étant malade, l’adolescent ne peut que difficilement laisser s’exprimer
ses mouvements pulsionnels agressifs pubertaires, qui majoreraient son sentiment de
culpabilité : comment peut-il les agresser après tout le mal qu’il leur a déjà fait en
étant malade ? N’ont-ils pas déjà suffisamment payé ? Ces mouvements risqueraient
d’augmenter encore la souffrance et la fragilité de ses parents, eux qu’il perçoit déjà
parfois désarmés et déstabilisés par sa faute. Les endommager plus encore, ce serait par
ailleurs risquer de les perdre alors même qu’il a besoin d’eux pour se construire.
Ayant le sentiment d’avoir déjà fait suffisamment de mal à ses parents, l’adolescent
peut alors choisir de ne pas aggraver une peine déjà lourde et chercher à protéger
ses parents de ses attaques. L’emprise de la maladie et du mal sur sa vie pulsionnelle
peut ainsi retarder, réprimer, inhiber, interdire les motions pubertaires, voire conduire
l’adolescent à y renoncer, empêchant ou entravant tout mouvement de séparation et
de subjectivation.
La maladie et le mal peuvent également compliquer le désengagement du lien aux
objets œdipiens. À l’adolescence, le réveil pulsionnel et la possibilité d’une réalisation
sexuelle confrontent le sujet à la menace incestueuse. Cette résurgence des conflits
œdipiens éveille des désirs parricides, l’expression d’une certaine agressivité visant à
mettre à distance les objets œdipiens et certains mouvements incestueux. Chez l’adolescent atteint de cancer, de nombreux paramètres compliquent le dépassement de
ce conflit œdipien. La forte présence et l’implication des parents (et notamment des
mères) auprès de leur enfant, et la proximité corporelle que cette situation induit,
donnent une coloration particulière aux liens instaurés. Ceci complexifie notamment
le travail psychique du garçon atteint de cancer par rapport à ses désirs incestueux et
rend par ailleurs compliqué, dans la relation mère-fille, le travail de distanciation et
l’affrontement œdipien. D’autre part, le peu de présence voire parfois l’absence d’un
tiers séparateur dans la relation mère-enfant ne fait que fragiliser l’accès à la triangulation œdipienne.
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La maladie et le mal peuvent enfin entraver la séparation de l’adolescent d’avec
ses parents. Pour pouvoir se séparer, l’adolescent doit, d’une part, avoir pu intérioriser des imagos suffisamment bonnes, et d’autre part, éprouver un sentiment
de sécurité interne. Or, le mal qui a été fait constitue, chez l’adolescent atteint de
cancer, une entrave à ces deux conditions. Nous savons, en effet, dans la problématique de la conflictualité inhérente au travail d’adolescence, combien le couple
parental interne/réel suffisamment bon représente un support indispensable dans
l’accès à l’autonomie et à l’âge adulte. Or, chez l’adolescent atteint de cancer, l’expérience traumatique de la maladie et du mal atteint la solidité des objets internes.
Dans ce contexte, il s’avère difficile de quitter des parents perçus comme fragilisés
et en souffrance, surtout lorsqu’on se sent responsable de leur vulnérabilité. Et
c’est finalement la culpabilité et le besoin de réparer ses parents intérieurs qui
entrave, en partie, chez l’adolescent atteint de cancer, la renonciation aux liens qui
l’unit à eux.
L’un des points qui conditionne la possibilité de tout adolescent à se séparer, est
par ailleurs le sentiment de sécurité interne, celui-ci dépendant en partie de la qualité
des intériorisations et de l’édification de bases narcissiques solides. Or, ces deux
points peuvent apparaître défaillants chez l’adolescent atteint de cancer. Le sentiment
d’insécurité vient notamment du défaut d’introjection d’objets internes protecteurs
et sécurisants, capables d’atténuer les angoisses de l’adolescent. Les parents peuvent
en effet être représentés comme peu rassurants car eux-mêmes vulnérables, anxieux
et envahis par des angoisses de mort vis-à-vis de leur enfant malade, la séparation
étant représentée comme un danger car susceptible de s’accompagner d’une mort
réelle. L’attitude souvent surprotectrice des parents fait par ailleurs obstacle à la
confiance que l’adolescent atteint de cancer peut avoir en lui-même. En effet, l’hyperprotection parentale peut entraver la constitution d’un pare-excitation et d’un
sentiment de sécurité internes, qui permettraient à l’adolescent de puiser dans ses
propres ressources intérieures pour devenir autonome. Percevant par de multiples
canaux que ses parents l’estiment vulnérable, il peut finalement inconsciemment faire
le choix de rester sous leur protection.
La difficulté propre aux parents à se séparer de leur enfant malade représente un
autre point susceptible d’entraver le travail de séparation de l’adolescent atteint de
cancer. En effet, tout pas vers l’autonomisation est fantasmatiquement anticipé par
les parents comme une séparation dangereuse car perçue comme une menace de
perte voire comme une menace de mort. L’adolescent, du reste, peut avoir peur de
réellement mourir s’il s’éloigne de ses parents, la mort pouvant venir comme punition d’avoir voulu prendre de la distance et assouvir ses besoins pubertaires et justifiant, par là-même, les craintes parentales. Angoisse de séparation, angoisse de mort
et angoisse de disparition sont donc ici entremêlées.
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Finalement, bien qu’ils ne voient apparemment pas d’inconvénients à ce que l’adolescent exprime des besoins d’autonomie, les parents demeurent ambivalents, oscillant
entre leurs propres besoins de dépendance et d’indépendance, ces mouvements rendant
difficile l’accès de l’adolescent atteint de cancer à une certaine autonomie.
Le retentissement sur la relation aux pairs
L’implication dans un groupe de pairs constitue une tâche importante du travail d’adolescence. La capacité à établir des relations de qualité avec les autres jeunes (du même
sexe ou du sexe opposé) et à s’identifier à eux, représente en effet un facteur important
qui contribue à la distanciation et à la différenciation de l’adolescent d’avec ses parents
ainsi qu’à son autonomisation sociale.
Or, la survenue d’un cancer à l’adolescence peut engendrer des difficultés dans le
maintien ou la construction d’une relation aux pairs. Les périodes en effet répétées
et parfois longues d’hospitalisations, les restrictions de sorties liées aux aplasies et
aux problèmes médicaux, la fatigue physique et psychique, ainsi que les liens accrus
de dépendance aux parents, peuvent majorer le sentiment d’isolement. Les retombées physiques de la maladie, notamment, contraignent l’adolescent à pratiquer
moins d’activités physiques, sociales, culturelles et de loisirs, et peuvent le mettre en
souffrance.
Par ailleurs, les relations aux pairs se complexifient. L’adolescent atteint de cancer
peut craindre, à tort ou à raison, que les autres le rejettent du fait de sa maladie. Il en
vient donc parfois à s’isoler lui-même pour se protéger d’un éventuel rejet ou bien
de certaines réflexions qu’il juge parfois maladroites. L’impact de la maladie et des
effets secondaires des traitements sur l’apparence du corps (et du corps sexué tout
particulièrement) viennent également accentuer le décalage entre l’adolescent et ses
pairs et la tentation de s’isoler. D’autre part, ne participant plus concrètement à leur
quotidien (dans le meilleur des cas, il prend des nouvelles par téléphone, mail ou
msn), l’adolescent peut avoir l’impression de ne plus partager les mêmes préoccupations et d’être en décalage, ce qui renforce encore chez lui le sentiment d’être seul
et différent.
Enfin, la confrontation à sa propre mort possible donne à l’adolescent un savoir
que les autres peuvent inconsciemment avoir peur de partager. Ce savoir peut modifier le regard que l’adolescent porte sur sa vie, et générer par là même un décalage
entre les aspirations qui l’occupent et celles des autres. Ses camarades perçoivent
alors l’adolescent comme différent, transformé voire préfèrent le penser inaccessible
du fait de ce savoir.
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Les conséquences sur la scolarité et sur les projets professionnels
Les adolescents atteints de cancer rencontrent d’importantes difficultés dans leur
cursus scolaire, que ce soit sur le plan des apprentissages ou sur celui de la réussite
scolaire. Ces difficultés résultent de différents éléments : problèmes neuropsychologiques induits par la maladie et/ou par les traitements (difficultés de concentration,
problèmes d’attention ou de mémorisation, lenteur, etc.), difficultés scolaires préexistant à la maladie et renforcées par elle, survenue de la maladie à une période clef
des apprentissages, absentéisme scolaire répété et prolongé (du fait des hospitalisations, des aplasies, de la fatigue, de séquelles physiques empêchant l’adolescent de
se déplacer, etc.), difficultés psychologiques (peur du regard des pairs, peur de se
montrer sans cheveux, sentiment de ne pas pouvoir être compris, etc.), ou encore
réactions inadaptées de la part des parents (sous-estimation du rôle de l’école dans
le développement intellectuel, psychologique et social de leur enfant, surprotection,
etc.) et, dans certains cas, manque de soutien de la part de l’équipe hospitalière pour
préserver une scolarité.
Les absences, voire les interruptions scolaires, peuvent être lourdes de conséquences, pas uniquement en termes d’apprentissage mais également sur le plan du
développement psychologique. L’école, en effet, représente un lieu privilégié où se
jouent et s’élaborent d’importantes problématiques pubertaires. La confrontation
aux pairs et à l’autorité notamment, mettent l’adolescent en position de travailler
certains enjeux psychologiques centraux : l’élaboration des identifications, la
construction du sentiment de valeur, l’élaboration d’une bonne image de soi, le
travail de séparation d’avec les parents avec la nécessité d’investir des liens extrafamiliaux, etc.
Encourager la scolarité et, indirectement, le projet professionnel, n’a donc
pas uniquement pour but d’éviter à l’adolescent un retard scolaire ou un décalage avec les pairs (dans le cas d’un redoublement) ni de favoriser ou de prévenir
une meilleure insertion après la fin des traitements, mais de l’aider dans ses enjeux
psychiques pubertaires. Préserver la scolarité, c’est également soutenir chez l’adolescent l’espoir d’un avenir possible, malgré la gravité de la maladie. Par ailleurs,
dans les cas d’adolescents dont le pronostic est très mauvais, la poursuite d’une
scolarité garde tout son sens : elle s’inscrit dans une démarche de soins palliatifs
(dont l’un des objectifs est de rendre décentes les conditions de fin de vie), mais elle
trouve également sa place dans la perspective d’un accompagnement psychologique
des problématiques psychiques pubertaires qui occupent l’adolescent jusqu’à ses
derniers instants.
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L’adolescent atteint de cancer et les siens
Particularités de l’après-traitement à l’adolescence
Grâce aux progrès médicaux de ces dernières années, les taux de survie ont augmenté
chez les adolescents atteints de cancer. Ces résultats conduisent aujourd’hui de
nombreux cliniciens et chercheurs à s’intéresser au vécu des adolescents durant la
période qui suit la fin des traitements et à interroger la manière dont cette population
pourrait être encore mieux aidée psychologiquement. En effet, la fin des traitements
ne constitue pas, sur le plan psychologique, la fin de l’histoire du cancer, et ce que les
adolescents font de l’expérience traversée dépend en partie de la manière dont elle
s’est déroulée (16). L’intensité de leur souffrance n’est par ailleurs pas nécessairement
proportionnelle à la gravité du pronostic, à la lourdeur des traitements qu’ils ont subi
ni aux séquelles physiques dont ils sont atteints. Il importe donc que les adolescents
puissent bénéficier d’une aide pendant la période de rémission, au moment de la
rechute et même après la guérison.
La période de rémission est marquée par la nécessité de trouver de nouveaux repères
identitaires, familiaux, affectifs, sociaux, scolaires, relationnels, culturels, loin de l’univers hospitalier et de la maladie. Il s’agit d’une période de réadaptation progressive à
la vie « normale », néanmoins infiltrée par l’expérience du cancer et qui ne peut donc
plus tout à fait correspondre à celle d’« avant la maladie ». Les difficultés que l’adolescent rencontre sont notamment liées aux séquelles physiques et psychologiques du
cancer, à l’atteinte du corps et de l’image de soi, à la qualité de la communication avec
l’entourage et au sentiment de décalage ou de différence qu’il peut ressentir dans sa
relation avec ses pairs. L’adolescent évoque parfois la difficulté à retrouver une juste
distance dans la relation à ses parents mais également sa peur de l’avenir (familial,
scolaire/professionnel, amoureux) et de la récidive.
La récidive, lorsqu’elle survient, est toujours une expérience difficile. L’adolescent
a éventuellement eu le temps de voir ses cheveux repousser, de retrouver une image
physique de lui-même proche de celle d’avant la maladie, d’instaurer de nouveaux liens
avec ses pairs, de rattraper son éventuel retard scolaire et de retrouver des activités de
loisirs… La récidive vient briser toute cette dynamique de réaménagements importants
qui s’étaient instaurés sur les plans physique, psychologique et social. L’adolescent peut
la vivre comme le signe d’un destin négatif qui s’impose à lui, malgré lui : il ne pourra
jamais se déprendre du cancer, qui ne lui laisse aucun espoir de guérison. Dans tous
les cas, l’adolescent compose avec ce nouvel événement selon la manière dont il a vécu,
compris et toléré la première période de maladie et de traitements.
L’annonce de la guérison, au même titre que l’annonce d’une récidive ou de l’impossibilité de poursuivre des traitements curateurs, suscite des réactions psychologiques complexes chez l’adolescent. Ce dernier peut en effet se sentir déstabilisé par les
mouvements ambivalents qu’il éprouve, entre la joie que l’expérience du cancer soit
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Être atteint d’un cancer à l’adolescence : aspects psychologiques
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enfin derrière lui et la difficulté à se détacher de cette expérience qui l’a occupé pendant
très longtemps et qui a partiellement forgé son identité. Le cancer laisse en effet des
traces importantes dans différents aspects de la vie de l’adolescent : dans sa façon
d’être, dans ses choix, dans l’image qu’il a de son corps et de lui-même, dans sa sexualité, dans son sentiment de valeur, dans son identité et son rapport aux autres, dans
son sentiment de sécurité et son rapport au temps, dans sa place sociale et familiale…
Ces traces peuvent être positives ou négatives : sentiment d’être devenu fragile ou plus
fort, besoin de parler de l’expérience traversée ou au contraire peur de se confronter au
regard des autres, désir d’inscrire l’expérience du cancer dans son histoire et dans son
identité mais également peur d’être réduit à une identité d’« ancien cancéreux », désir
de mettre à distance la maladie voire de l’oublier et besoin de trouver néanmoins une
continuité et une cohérence dans son histoire individuelle…
Même guéri, l’adolescent peut être porteur de séquelles physiques, neuropsychologiques et/ou psychologiques importantes, qui pèsent sur sa vie et la limitent parfois.
Les « marques psychologiques » du cancer, qui ont notamment laissé des traces dans la
vie relationnelle et sexuelle de l’adolescent, ainsi que certaines questions conscientes et
inconscientes restées en suspens, referont parfois surface à l’occasion d’étapes importantes de la vie de l’adolescent : entrée dans le monde du travail, engagement dans une
vie de couple, désir de devenir parent, etc. Ces questions pourront parfois s’exprimer
par des moyens détournés (conduites à risque, autodestructrices ou délinquantes),
signes que l’expérience du cancer n’a pu être complètement élaborée. Il importe donc
que l’adolescent guéri devenu adulte puisse trouver des interlocuteurs susceptibles de
l’accompagner dans ses questions.
Il importe de réfléchir aux modes d’accompagnement psychologique qui peuvent
être offerts aux adolescents après la fin des traitements. Proposer, par exemple, de façon
systématique, un entretien psychologique à l’occasion des consultations médicales de
surveillance, ou développer mieux encore les réseaux extra-hospitaliers susceptibles
d’offrir un espace d’écoute et d’élaboration, pourraient constituer des solutions possibles pour aider les adolescents en rémission ou guéris d’un cancer.
Modalités pubertaires d’expression de la souffrance psychique
C’est ainsi à chaque temps du traitement que la survenue du cancer à l’adolescence
peut engendrer une souffrance psychique importante, qui entre en résonance avec les
émotions et les conflits psychologiques inhérents au travail d’adolescence. Dans ce
contexte, la difficulté pour les soignants consiste à parvenir à différencier les problèmes
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L’adolescent atteint de cancer et les siens
psychiques qui relèvent de la maladie et ceux qui sont propres à l’adolescence. Il
importe en effet que les équipes soignantes demeurent vigilantes à ne pas réduire toute
expression de souffrance à la seule maladie.
De façon générale, les adolescents n’expriment pas nécessairement leur détresse de
façon explicite. Dans le contexte du cancer, il arrive que certains se murent dans un
silence, disent ne pas rencontrer de difficultés ni se poser de questions, comme si ne
pas penser pouvait magiquement les protéger d’une mort possible. La suspension des
processus de pensée, le refoulement massif voire le déni constituent, dans ce cadre,
des « outils » privilégiés de protection psychique pour essayer de composer avec les
angoisses que suscitent la maladie, les traitements et la menace de mort qui leur est
liée. C’est d’ailleurs après la fin des traitements, lorsque le potentiel létal de la maladie
est mis en suspens, que les adolescents apparaissent les plus disponibles pour parler de
ce qu’ils ont vécu et l’élaborer.
Mais chez l’adolescent atteint de cancer, comme chez tout adolescent de la population générale, ce sont le corps et le comportement qui représentent des terrains et
des outils privilégiés d’expression de la souffrance psychique. L’adolescent, en effet,
agit plus qu’il ne recourt à la parole pour exprimer ses préoccupations et ses questions conscientes et inconscientes (17). Ainsi, la maladie et les traitements pourront
être utilisés pour exprimer des conflits qui préexistaient à la maladie, qui sont inhérents au travail d’adolescence ou qui sont engendrés par la survenue du cancer. L’adolescent pourra également mettre en avant ses difficultés par des moyens détournés
qu’il s’agira de décoder : plaintes somatiques, douleurs et problèmes alimentaires non
expliqués médicalement et qui seront majorés ou minimisés, troubles du sommeil,
maux de tête… Par ailleurs, l’adolescent peut recourir à des conduites plus bruyantes
comme la colère, l’opposition et la non-compliance. Les conduites agressives envers
les soignants et les parents, habituellement proportionnelles à la détresse et aux
peurs conscientes et inconscientes de l’adolescent, sont souvent destinées aux imagos
parentales et recouvrent de multiples dimensions enchevêtrées qui demandent à être
analysées : peur de devenir, aux yeux de ses parents, le mauvais enfant qui n’a pas su
répondre à leurs attentes, peur de les décevoir ou de ne plus être aimé, réinterrogation
du désir parental qui fut à l’origine de sa vie…
Ces comportements sont à entendre comme des moyens de donner une expression
à l’angoisse et aux conflits psychiques liés à la maladie, aux problématiques pubertaires, et/ou à l’histoire individuelle de l’adolescent. Ils risquent de fragiliser les relations de l’adolescent à sa famille et à l’équipe soignante s’ils ne sont pas analysés et
accompagnés psychologiquement.
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Conclusion
La survenue d’un cancer suppose, pour un adolescent, de pouvoir composer avec deux
événements inédits que sont la maladie et l’adolescence. Dans ce contexte, il importe
que l’équipe pluridisciplinaire qui accompagne l’adolescent puisse tenir compte, d’une
part, des besoins liés à la maladie et aux traitements, d’autre part, des enjeux psychiques
soulevés par le travail d’adolescence, et enfin, des interactions que l’adolescent entretient avec son environnement. Le cancer, en effet, est susceptible d’entraver le travail
d’adolescence – et réciproquement – et d’engendrer des séquelles psychologiques
sur le long terme. La réalité d’une mort possible, par ailleurs, ainsi que la culpabilité
d’être malade, peuvent freiner le remaniement des liens aux parents, et compromettre
l’accès à l’autonomie et la construction identitaire de l’adolescent. Ce dernier doit
donc pouvoir être aidé psychologiquement durant toute l’épreuve du cancer et même
après la fin des traitements, afin de pouvoir composer le mieux possible avec les enjeux
psychiques du travail d’adolescence, malgré la maladie. La structuration de dispositifs
consacrés à la prise en charge spécifique d’adolescents atteints de cancer doit contribuer à la prise en compte des besoins et des attentes particulières de ces jeunes, dans
toutes leurs dimensions : médicales, psychologiques et sociales.
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L’adolescent atteint de cancer et les siens
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