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ORIGINES DE LA NOTION DE « RÉSERVOIR »
EN ÉPIDÉMIOLOGIE
DANS LES OUVRAGES EN FRANÇAIS ET EN ANGLAIS
par Nadine STEINFELD* et Bernard TOMA**
*Ingénieure de recherche de l’ATILF-CNRS/Université de Lorraine
44 avenue de la Libération, 54000 Nancy
**Directeur honoraire de l’École nationale vétérinaire d’Alfort
7 avenue du Général-de-Gaulle, 94700 Maisons-Alfort
Sommaire :
Cet article a pour objectif d’identifier l’origine de différents syntagmes se rapportant à la notion
de « réservoir » de maladie transmissible en français et en anglais.
Mots-clés : réservoir de virus, maladie transmissible, épidémiologie
Title: The origin of the reservoir concept in epidemiology in books written in French and English
Summary:
The purpose of this paper is to identify the origin of various syntagmata in English and in French re-
lating to the concept of reservoir in transmissible diseases.
Keywords: reservoir of infection, reservoir host, infectious disease
Dans un article paru en 2003 sur la notion
de « réservoir », R.W. Ashford cite l’Oxford
English Dictionary (OED) comme source
d’information sur l’apparition la plus ancienne
du mot anglais “reservoir” dans un contexte
médical, en 1937, dans le syntagme1reservoir
of infection” :
For the continuous existence of a disease there
must be some reservoir of infection…The most
important reservoirs of infection are human or

1Un syntagme est un groupe de deux ou de plu-
sieurs mots dont la combinaison donne un sens
particulier, mais dont chaque constituant conserve
sa signification propre.
animal cases or carriers. Plants may be the reser-
voir of infection in some of the mycoses2.
Il ajoute que, toujours d’après l’OED, le
syntagme “reservoir host” a été utilisé plus tôt,
en 1913 : “The monkey is most probably the
normal reservoir host [for Physaloptera mor-
dens]”.
Cette double affirmation a été un facteur in-
citatif et déclenchant afin de voir ce qu’il en a
été en langue française. Une investigation a
donc été réalisée pour essayer de traquer
l’amont de l’utilisation du mot français « ré-
servoir » dans différents syntagmes ayant un
rapport avec des maladies transmissibles.

2 ASHFORD, 2003, p. 1495.
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Elle a permis de constater que la langue
française a utilisé des syntagmes comprenant le
mot « réservoir », dans ce type de contexte,
bien antérieurement. Ce faisant, un doute est
né quant à l’exactitude des dates de l’OED
citées par R.W. Ashford. Un travail complé-
mentaire semblable a alors été mené pour les
syntagmes anglais correspondants.
Les lignes qui suivent rendent compte des
résultats de cette recherche.
Ressources numériques et requêtes
La recherche a été faite essentiellement sur
internet, plus particulièrement, sur le site de
Gallica et avec Google Livres. Les interfaces
de Gallica et de Google Livres permettent les
mêmes requêtes, monocritères ou multicritères,
recherche simple ou recherche avancée, langue
et date, titre, texte et fourchette de dates, etc.
Les mots-clés utilisés ont été : « réservoir »,
« réservoir miasmatique », « réservoir de
germes », « réservoir d’infection », « réservoir
de virus », « réservoir de bacilles », « réser-
voir de bactéries », « réservoir de microbes »,
« réservoir de maladie », « hôte réservoir » et
« réservoir animal » ainsi que les syntagmes
anglais correspondants. Par ailleurs, le syn-
tagme « réservoir de…. » a été employé avec
une dizaine de noms de maladies (par ordre
alphabétique) : arbovirose, dengue, fièvre aph-
teuse, fièvre jaune, lèpre, morve, paludisme,
péripneumonie, peste, rage, rouget, tubercu-
lose, tularémie, variole.
La recherche a porté également sur les dic-
tionnaires du site Médic@.
Pour les livres en aperçu limité trouvés
grâce à Google Livres, nous avons contrôlé les
extraits affichés sur l’ouvrage imprimé.
Résultats
Le mot-clé « réservoir » a conduit à un très
grand nombre de réponses (25 826 réponses
sur Gallica), la très grande majorité étant en
dehors de tout contexte pathologique. Il a donc
été nécessaire de passer à la recherche des
syntagmes contenant ce mot, cités ci-dessus.
Les résultats sont présentés par ordre chro-
nologique de première apparition détectée pour
chacun des syntagmes.
x 1847 : « réservoir miasmatique »
Ce syntagme est attesté dans la Gazette mé-
dicale de Paris :
« C’est la rate seule que je viens d’avoir en vue
comme réservoir de la matière miasmatique […].
Je conclus donc que d’ordinaire la rate est le ré-
servoir miasmatique qui entretient la fièvre [palu-
déenne] intermittente3 ».
On le retrouve en 1872, dans la revue Lyon
médical :
« Ici que trouvons-nous ? une cour ; est-ce bien
une cour ? étroite et sombre, véritable réservoir
miasmatique4 ».
x 1867 : « réservoir de virus »
Auzias-Turenne présente une communica-
tion au Congrès médical international de Paris,
en août 1867, sur la prophylaxie des maladies
vénériennes et s’exprime en ces termes :
« Or, en admettant que les prostituées exercent
leur métier pendant quatre années, - ce que relate
certaine statistique, - la mercurialisation aurait
pour résultat de les constituer un réservoir de virus
pendant tout ce temps5 ».
On peut noter que dans cette même com-
munication, il utilise le syntagme « réservoir
de vérole » qui est, de très loin, la première
parution trouvée du mot « réservoir » appliqué
à une maladie :
« En moyenne approximative, avons-nous dit,
les prostituées vivent de leur métier pendant quatre
années, dont elles passent au moins une à l'hôpital,
pour être traitées, je ne dis pas guéries, de la syphi-
lis par le mercure. Il leur resterait donc trois ans
d'une prostitution effective. Elles peuvent être,
pendant ces trois années, un réservoir de vérole
dans une proportion que vient de nous apprendre la
statistique de M. Fournier, et que la syphilisation
nous explique6 ».

3 DURAND, 1847, p. 86.
4 ANONYME, 1872, p. 149.
5 AUZIAS-TURENNE, 1867, p. 376.
6 Ibid., p. 378.
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Les syntagmes « réservoir de virus » et
« réservoir de vérole » figurent dans l’ouvrage
posthume d’Auzias-Turenne, La syphilisation7,
publié par les soins de ses amis en 1878 et
visible sur le site de Gallica. On peut y lire
aussi :
« C’est que n’ayant pas su puiser à la
source même ou dans les réservoirs du virus,
ils n’ont inoculé que des matières fort dou-
teuses, que des produits mélangés ou
rés8 » et : « Mais le chancre mou s’éteindrait
dans le monde si chaque vérolé n’en était un
réservoir et comme l’atelier9 ».
En 1879, à propos de cette même maladie,
Louis Jullien écrit dans son Traité pratique des
maladies vénériennes :
« Je sais bien que Virchow croit donner la clef
de ces problèmes en assignant aux ganglions lym-
phatiques le rôle de réservoirs dans lesquels se
multiplie le virus [de la syphilis] de manière à dé-
terminer une nouvelle explosion de symptômes qui,
d’abord critiques et dépuratoires, pourraient rede-
venir eux-mêmes infectants10 ».
Plus loin, il ajoute :
« L’agent nocif a pris droit de cité dans
l’organisme ; où s’est-il réfugié, où s’accumule-t-il
[…] ? Faut-il croire avec Virchow que les gan-
glions lui servent de réservoirs ?11 ».
À partir de 1904, on retrouve « réservoir de
virus » de manière fréquente. Une notice sur
l’Institut Pasteur d’Algérie, parue en 1955,
indique :
« L’expression très utile de « réservoir de vi-
rus » a été proposée en 1904 par Laveran et Mesnil
dans leur étude sur les trypanosomiases12 ».
Cette information est confirmée et complé-
tée par J.-P. Dedet qui précise que :
« Laveran et Mesnil ont défini cette expression
comme l'ensemble des porteurs de microbes patho-
gènes, en état d'infection aiguë ou d'infection la-
tente et ont employé ce terme avec l'accord d'Émile

7 AUZIAS-TURENNE, 1878, p. 270 et 272.
8 AUZIAS-TURENNE, 1878, p. 761.
9Ibid., p. 861.
10JULLIEN, 1879, p. 544.
11Ibid., p. 783.
12Notice sur l’Institut Pasteur d’Algérie, 1935-
1949, 1955, p. 24.
Roux. Il y a donc eu un consensus à ce sujet à l'Ins-
titut Pasteur13 ».
Dans l’ouvrage de Laveran et Mesnil, il est
indiqué à propos du nagana :
« Ces animaux constituent donc un réservoir de
virus où la mouche va puiser14».
En 1904, on relève ce syntagme dans
d’autres ouvrages ou périodiques :
En février, dans le tome 18 des An-
nales de l’Institut Pasteur, sous la plume
des frères Sergent, dans leur article traitant
de la « Campagne antipaludique en Algérie
(1903) » :
« …des personnes infectées qui ont conservé
l’hémamibe dans leur organisme ;… elles
constituent le réservoir de virus15… ».
Ce syntagme ne figure pas antérieure-
ment dans les Annales de l’Institut Pas-
teur.
Dans l’ouvrage intitulé « Exposé de la
situation générale de l’Algérie par mon-
sieur M. C. Jonnart », des extraits des rap-
ports de Sergent sont cités à propos du pa-
ludisme :
« Ce réservoir de virus, représenté par
les anciens affectés16 ».
Ultérieurement, ce syntagme a continué
d’être largement employé, y compris appli-
qué à diverses maladies non dues à des vi-
rus (cf. ci-dessous).
x 1870 : “reservoir of infection
Un article du Journal of the Society of
Arts, consacré à la “Ventilation of hospi-
tals”, contient ce syntagme :
thus cause many regions or currents of air
not sufficiently ventilated, which become verita-
ble reservoirs of infection17.

13DEDET, 2013.
14 LAVERAN, MESNIL, 1904, p. 161.
15SERGENT et SERGENT, 1904, p. 92.
16JONNART, 1904, p. 50, 51 et 52.
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Il est retrouvé, en anglais, en 1877,
1902, etc.
Ɣ 1872 : « réservoir de germes »
o Google Livres permet de situer pour la
première fois ce concept dans La Lancette
française sous la plume du docteur Surmay
en référence aux travaux de Pasteur :
« Supposons, en effet, que l’ouate qui re-
couvre et enveloppe les plaies, agissant
comme celle qui remplit les appareils de M.
Pasteur, arrête au passage les germes et les
poussières que tient en suspension l’air qui
la traverse. Elle emmagasine ces germes et
ces poussières, elle sera comme un réservoir
avec lequel seront en contact intime et cons-
tant les humeurs sécrétées par la plaie et où
ces humeurs puiseront sans cesse les élé-
ments qui doivent les corrompre18 ».
ż Dans Gallica, ce syntagme se ren-
contre pour la première fois en 1874 dans
un article de la Revue de France signé Jean
L’Ermite, de nouveau, à propos des travaux
de Pasteur :
« Pasteur devait naturellement se de-
mander si ces organismes sont spontané-
ment engendrés par une modification des
cellules de la levure, ou s’ils proviennent de
la poussière (réservoir de germes) des objets
avec lesquels la levure a été en contact19 ».
ż On le retrouve quelques années plus
tard, en 1891, dans un ouvrage de Louis de
Santi, traitant « De l’entérite chronique palu-
déenne ou diarrhée de Cochinchine » :
« …et que la salive est, comme on le sait, un
véritable réservoir de germes putrides ou
septiques20 ».
ż En 1895, il figure dans un livre de Hu-
lot dédié aux « Infections d’origine cutanée
chez les enfants » :
« La peau est à l’état normal un réser-
voir de germes saprophytes et souvent pa-
thogènes21 ».

17ANONYME, 1870, p. 742.
18SURMAY, 1872, p. 380.
19JEAN L’ERMITE, 1874, p. 210.
20DE SANTI, 1891, p. 196.
21HULOT, 1895, p. 75.
ż En 1904, il est relevé dans le Manuel
pratique d’hygiène à l’usage des médecins
et des étudiants de Guiraud :
« …le sol, ce grand et inépuisable réser-
voir de germes22 ».
Ɣ 1875 : « réservoir d’infection»
ż Le syntagme est attesté pour la première fois
dans une parution hebdomadaire,
L’Explorateur : journal géographique et com-
mercial, sous la plume du docteur Saffray,
dans un article portant le titre : « Géographie
de l’hygiène. La fièvre jaune (suite et fin) » :
« …qu’une bouffée d’air chargé du
miasme tellurique pénètre dans ce réservoir
d’infection, et le germe spécifique, trouvant
un terrain admirablement préparé, s’y déve-
loppera sans encombre23 ».
ż On le retrouve dans « La Lanterne : journal
politique quotidien » du 9 avril 1884 :
« Cet énorme réservoir d’infection doit
disparaître24».
ż En 1897, il se lit dans deux périodiques :
La Revue d’économie politique, dans
un article de Schwiedland, « La répression du
travail en chambre. IV Restriction de
l’industrie en chambre en particulier par voie
législative et administrative », à propos de la
petite vérole :
« Les chambres où travaillent ceux qui
cousent les boutonnières sont de vrais réser-
voirs d’infection25» ;
La Dépêche tunisienne du 25 mai
1897 :
« Si jamais des galeries sont construites,
elles deviendront un dangereux réservoir
d’infection26».
Ɣ 1880 : « réservoir de »

22GUIRAUD, 1904, p. 183.
23SAFFRAY, 1875, p. 259.
24ANONYME, 1884, p. 2.
25SCHWIEDLAND, 1897, p. 684.
26ANONYME, 1897, p. 2.
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ż Par rapport à « réservoir de vérole », utilisé
dès 1867 par Auzias-Turenne, des syntagmes
composés du mot « réservoir » associé au nom
d’une maladie semblent n’apparaître que
quelques années plus tard, et parfois beaucoup
plus tard.
À la fin du XIXe siècle et au début du XXe
siècle, le mot « réservoir » associé au nom
d’une maladie n’est attesté que sporadique-
ment. Pourtant, ce syntagme est utilisé pour la
morve dès 1880 par Friès dans un article paru
dans le Recueil de Médecine Vétérinaire du 15
avril intitulé « Statistiques des pertes éprou-
vées en Prusse à la suite de maladies conta-
gieuses, d’après les comptes-rendus de la
Commission vétérinaire royale » :
« La province de Posen et de la Prusse occi-
dentale sont signalées comme des servoirs de
morve27 ».
Au début du XXe siècle, on relève « réser-
voir de lèpre » (1902), « réservoir de palu-
disme » (1908) et « réservoir de la maladie du
sommeil » (1911). Quelques décennies plus
tard, on rencontre « réservoir de peste bovine »
(1930), « réservoir de peste » (1932) ainsi que
« réservoir de (la) tularémie » (1938).
ż Il faut attendre encore plusieurs décennies
pour retrouver « réservoir de » associé à
d’autres maladies :
1982, pour la rage : pour Sureau et al. :
« Le renard est le principal réservoir de
rage parmi les animaux sauvages et les mus-
télidés sont fréquemment infectés28 » ;
1997, pour la dengue : pour Tolou et
al. :
« Restant infectés toute leur vie et ca-
pables de transmettre le virus à leur descen-
dance, les moustiques constituent aussi le
principal sinon l’unique réservoir de la den-
gue29 ».
Notons que pour Deparis et al., douze
ans plus tard :

27FRIÈS, 1880, p. 348.
28SUREAU et al., 1982, p. 332.
29TOLOU et al., 1997, p. 70.
« L’homme représente le principal réser-
voir de la dengue30 ».
Pour les autres noms de maladies utilisés
(ainsi que pour le mot « maladie »), on
cherche en vain « réservoir de… » dans
Gallica, alors que, pour le charbon, mais au
sens de combustible du terme, le syntagme
est signalé 22 fois, et ce dès 1854.
x 1910 : « réservoir animal »
Ce syntagme est relevé pour la première
fois dans une analyse faite par F. Mesnil, dans
le Bulletin de l’institut Pasteur, en 1910, d’un
article de Bruce et al. paru l’année précédente.
Mesnil indique :
« Pour expliquer les faits, les auteurs écartent
l’hypothèse d’une origine humaine du virus ; ils
n’ont pu démontrer l’existence d’un réservoir ani-
mal ; on n’est pas encore fixé sur le maximum de la
durée de vie des Glossines31 ».
Dans l’article de Bruce et al. analysé, on
trouve la phrase :
Or, lastly, it is possible that the mammals and
birds along the Lake-shore have become infected,
and so act as a reservoir of the disease32”.
Le syntagme anglais “animal reservoir of
infection” se rencontre un peu plus tard, en
1913 dans The American Journal of the Medi-
cal Sciences :
The presence of animal reservoirs of infection
would therefore seem to offer the only means by
which this disease could be transmitted by the
group of ticks mentioned and there is no indication
that such reservoirs exist33”.
x 1910 : “reservoir host
Ce syntagme est présent dans le Medical
Times sous la plume de Huber :

30DEPARIS et al., 2009, p. 351.
31 MESNIL, 1910, p. 137.
32BRUCE et al., 1909, p. 56.
33ANONYME, 1913, p. 416.
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