Chapitre 3 Le désir
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●Aussi le désir est-il premier au regard de l’objet désiré. Nous ne
désirons aucune chose parce que nous la jugeons bonne, dit Spinoza,
mais au contraire, nous jugeons qu’une chose est bonne parce que
nous la désirons. Ce qui rend les objets désirables à nos yeux ne se
trouve donc pas dans les objets désirés, mais bien en nous-mêmes, en
tant que ces objets favorisent ou augmentent notre puissance d’être.
Quant au sentiment que nous éprouvons lorsque nous prenons
conscience que tel ou tel objet a fortifié notre « puissance d’agir »,
Spinoza l’appelle tout simplement la joie.
B. Ne faites que ce qui vous plaît
Au XIXesiècle, Fourier concevra une philosophie révolutionnaire,
fondée sur la réalisation du désir. Le matérialisme de Fourier se
masque sous l’apparence d’une philosophie de la providence. Les
attractions, dit Fourier (et il entend par là l’ensemble de nos désirs),
«sont proportionnelles aux destinées ». Autrement dit, nos désirs sont
l’indice de ce que Dieu attend de nous. Et la société nouvelle que
Fourier veut instaurer est une société où tous nos désirs seront satis-
faits. Certes, dans notre société, dans ce que Fourier appelle avec
mépris la société « civilisée », chacun ne peut satisfaire ses désirs
qu’au détriment d’autrui. Mais précisément, il faut changer la société
et construire un monde nouveau où les désirs de chacun pourront, sans
nuire à quiconque, se réaliser dans l’harmonie universelle.
C. Libérez le désir !
Dans L’Anti-Œdipe (1972),écrit en collaboration avec Félix Guattari,
Gilles Deleuze (1925-1995) s’en prend violemment à la psychanalyse
freudienne, qui restreint la signification du désir au conflit « papa-
maman-bébé ». Sa thèse prend corps dans le concept de « machine dési-
rante » : l’inconscient n’est pas un théâtre, mais une usine, une machine,
dont la seule fonction est de produire. Or, en ramenant tous les cas
qu’elle observe au sempiternel conflit œdipien (désir d’épouser le parent
du sexe opposé, désir de tuer le parent du même sexe), la psychanalyse
enracine de nouveau le désir dans l’interdit, donc dans le manque.
Deleuze et Guattari voient au contraire dans le désir une force affirma-
tive, une puissance de subversion qui ne demande qu’à investir les corps
et les objets. « Libérez le désir ! », tel pourrait être leur mot d’ordre.
Seul le désir est en mesure de briser la routine pour inventer de nou-
velles normes de vie ; seul le désir peut outrepasser les limites et, dans
un élan de joie, nous réconcilier avec la vie.
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