l'endroit où la personne s'aliène en se désintéressant des choses
importantes pour concentrer son attention sur des futilités. En urba-
nisme, par exemple, certains groupes voudraient battre en brèche
le repli sur le logement, lieu par excellence de la vie privée, et
promouvoir la vie sociale dans la rue et sur la place publique.
Partant de ces concepts courants, nous allons nous livrer à une
analyse sémantique de l'usage qui en est fait dans la vie quotidienne
pour tâcher de dégager le contenu mental de cette opposition. Cette
analyse ne procède donc pas d'interviews, mais d'exemples retirés
de situations diverses dans la vie quotidienne et corroborés par
l'analyse d'associations, émanant de diverses catégories de person-
nes, autour des mots «privé» et «public ». Notre problème n'est
donc pas de déterminer des fréquences d'utilisation de ces concepts,
mais d'expliciter leurs divers contenus possibles et leurs liaisons
éventuelles avec certaines catégories sociales.
Une fois systématisé l'usage social de ces concepts, nous nous
interrogerons de la manière suivante sur leur signification sociale.
La dichotomie privé/public, utilisée au plan de la perception, permet-
elle de détecter les mécanismes
à
travers lesquels se structure la
vie sociale? Ou, au contraire, cette dichotomie privé/public contri-
bue-t-elle
à
faire illusion et empêche-t-elle une focalisation sur les
points cruciaux d'une analyse? Dans ce cas de non-correspondance,
il faudrait faire rupture
à
l'égard de ces concepts et les refuser
comme concepts d'analyse. Ce sera la proposition à laquelle nous
nous rangerons après avoir montré comment ces concepts sont le
produit de la structure sociale qu'ils contribuent à rendre efficace.
Malgré cette non-correspondance avec des mécanismes sociaux,
ces concepts, une fois institués socialement, provoquent un effet de
légitimité et de mobilisation affective dont nous nous demanderons
alors quels peuvent être les fondements. Pourquoi la valorisation de
la vie privée apparaît-elle généralement légitimée au plan du «bon
sens»
?
Au plan méthodologique, une telle analyse voudrait présenter et
rendre apparente une matrice de questions que nous pensons socio-
logiquement pertinentes. Au contraire d'une perspective empirique,
affirmant que la connaissance scientifique naît de façon exclusive
d'un rapport immédiat avec le concret, nous pensons que la con-
naissance de l'objet suppose la production d'un concept; nous re-
joignons ainsi l'avis d'Althusser (1970, Vol. 2 : 19) : «La théorie
d'une science,
à
un moment donné de son histoire, n'est que la
matrice théorique d'un type de questions que la science pose
à
son
objet ». Ceci ne contredit nullement le fait que la connaissance
scientifique est, par essence, expérimentale et doit fournir les preu-
ves. C'est l'apport de l'empirisme qu'il importe de préserver (Gode-
lier, 1971, Vol. 2: 120). Une vigilance épistémologique peut être
d'autant mieux assurée que la matrice d'interrogations est perçue
comme telle et n'est pas présentée comme dérivant nécessairement
de l'objet d'observation.
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