Virginia Satir et, à la fin du projet Bateson, Weakland et Haley l’ont rejoint. Jeune psychiatre ayant quitté New
York après un divorce douloureux, déçu de la psychiatrie traditionnelle et intéressé par les travaux de Jackson,
Dick Fisch a contacté Jackson et lui a proposé ses services. C’est comme cela qu’il est devenu un des piliers de
l’école de Palo Alto.
Qu'est-ce qui l'a poussé à créer le Centre de Thérapie Brève au sein de l'Institut ? Qu'appelle-t-on
"tentatives de solutions" ?
En 1965, chacun recevait ses patients au MRI et les contacts étaient rares et informels. Dick Fisch est allé trouver
Jackson et lui a proposé de trouver des fonds pour créer un projet commun, dont l’objectif serait de rendre la
psychothérapie plus efficiente. Le Centre de Thérapie Brève, le premier au monde, a vu le jour en 1967 ; dirigé
par Dick Fisch, il réunissait Don Jackson, Jay Haley, Paul Watzlawick, John Weakland et Arthur Bodin. Il
s’agissait de voir ce qu’on pouvait faire en 10 séances maximum en travaillant en équipe, avec l’aide d’une glace
sans tain et d’un système d’enregistrement des séances. La mort prématurée de Jackson, le départ de Haley et de
Satir, élaguent l’équipe, et la première formalisation de leurs recherches, publiée en 1972, sera signée par les
quatre derniers. La pierre angulaire de l’approche, le concept de « tentatives de solution », a été découvert par
Dick Fisch lors d’une thérapie pour un enfant qui avait une « phobie » scolaire. Dick Fisch raconte qu’ils étaient
tous excédés par le discours du père qui n’arrêtait pas de dire à son fils que l’école c’était bien, qu‘il fallait qu’il
réalise à quel point c’était important pour son avenir, etc. Fisch demande alors au père comment il avait lui-même
vécu sa scolarité et celui-ci répond : « Oh mon Dieu, c’était pénible, je n’aimais pas du tout ça… mais vous
comprenez, on n’a pas le choix. » Et Dick Fisch de lui dire : « Et si vous lui disiez cela tout simplement… ? » Le
père l’a fait et… le garçon est retourné à l’école ! A partir de là, ils vont se focaliser sur la façon dont les patients
et l’entourage s’y prennent pour essayer de régler le problème, et découvrir que sont les efforts inadéquats pour
résoudre la difficulté qu’ils rencontrent, et qui non seulement maintiennent mais renforcent le problème. Ce que
Watzlawick résume dans sa célèbre formule paradoxale : « Le problème, c’est la solution ! »
Comment Dick Fisch envisageait-il son métier de thérapeute ? Avez-vous une ou des anecdotes éclairantes
sur sa façon de travailler en séance avec les patients ? Et avec ses collègues ?
Pour lui, un thérapeute était avant tout un technicien, non pas un confident, ni un expert en nature humaine ou un
directeur de conscience. Tout comme on attend d’un bon garagiste qu’il répare la panne et non qu’il fournisse des
explications sur son origine, le thérapeute devait s’attacher à aider ses patients à trouver des solutions pour qu’ils
en soient soulagés au plus vite. « J’adore réparer les choses », disait-il (c’était un plaisir de l’avoir quelques jours
à la maison !). Son travail reflétait ce souci pragmatique. Pourtant, ses patients avaient toujours le sentiment d’être
écoutés et soutenus. Il possédait une souplesse d’adaptation hors pair. Il avait fait du théâtre, et était capable
d’utiliser toutes les ressources de la communication et de l’interaction pour entrer dans la vision du monde des
patients et les faire évoluer vers une solution. Il « vivait » la thérapie brève. Je me souviens d’une soirée à Aix-en-
Provence au cours de laquelle un de mes collègues avait évoqué les difficultés concernant son fils autiste. Il ne
pouvait accepter les diagnostics des spécialistes, et se défendait comme il le pouvait contre les hypothèses
culpabilisantes des thérapeutes qu’il avait rencontrés : ils voulaient à tout prix le convaincre de la maladie de son
fils et, pour certains d’entre eux, de la responsabilité du couple dans la genèse du problème. Dick l’a longuement
écouté, a compati et approuvé son combat ; puis, il lui a simplement demandé de réfléchir à ce qu’il ferait s’il
savait vraiment que son fils était différent des autres. Mon collègue se souvient encore aujourd’hui de l’effet de
cette proposition : ce fut comme s’il sortait d’une transe, que son combat prenait fin, que les priorités
apparaissaient évidentes… Sa colère tomba net et, à partir de là, il ouvrit les yeux et s’intéressa à son fils.
On compare parfois l'antipsychiatrie à certains apports de l'école de Palo Alto. Ce
rapprochement vous paraît-il pertinent ?
Je ne suis pas un spécialiste du mouvement antipsychiatrique mais je sais qu’il y a eu beaucoup de contacts entre
Ronald Laing et l’équipe de Gregory Bateson après la publication de la théorie de la double contrainte, et que les
antipsychiatres accordaient beaucoup d’attention aux relations familiales et à leur impact sur les troubles des
patients. A mon sens, la grande différence se situe dans le fait qu’on ne trouve pas, dans l’Ecole de Palo Alto, la
critique institutionnelle et sociale qui a marqué l’antipsychiatrie en Europe. L’équipe de Palo Alto a choisi une
optique stratégique (influencée par Erickson) et non idéologique. Watzlawick, qui avait beaucoup souffert de la
formation du bloc de l’Est après la Seconde Guerre mondiale, se méfiait beaucoup des régimes totalitaires tant de
gauche que de droite, et avait épousé la position de Bateson qui citait : « Celui qui veut le bien d’autrui doit
s’attacher uniquement au cas particulier. Le Bien général n’est que le prétexte dont s’ornent les hypocrites, les
fripouilles et les flatteurs. »