LE GESTE QUOTIDIEN D'ENSEIGNER QUELQUES APPORTS DE L'ANALYSE SYSTEMIQUE DE LA COMMUNICATION * par P.de SAINT-GEORGES Aux yeux de l'enseignant, pas condamnée a n'ëtre la sociologie de l'éducation n'est-elle trop souvent qu'une sociologie triste lant, comme une obsession, une sorte de surdétermination ble de son geste quotidien d'enseigner révé- Impitoya- dans le sens d'une reproduc- tion des Inégalités sociales ? Tout en Intégrant perspective peut-elle les conclusions de recherche, contribuer a Importantes Issues de cette l'analyse systémique de la communication un autre cadrage qui restituerait gnant notamment une part de sa responsabilité d'acteur L Le courant a l'ensei- social ? systémique Raisonner un processus de communication - dans l'enseignement ou ailleurs, mais on se limitera ici au domaine de l'enseignement semble aujourd'hui encore appeler assez irrésistiblement une représentation quasi "télégraphique". Et c'est vrai, très souvent, c'est encore le modèle de Lasswell qui semble servir de référence principale (Lasswell, 1948) : 1 QUI 1 dit * IQUOII par I~~LI Communication présentée a a IQUI 1 et avec QUELS RESULTATS l'UCL dans le cadre de la Chaire J.Leclercq, 1982-83.. 37 On aurait sans doute tort de considérer avec dédain ce schéma linéaire car il faut insister sur son influence incontestable dans l'approche des phénomènes de communication, particulièrement dans le champ des "mass media". Et au niveau de l'enseignement , l'apport assez récent du courant docimologique repose en grande partie sur un mode de raisonnement analogue : chercher à ma!triser et à optimiser rigoureusement la séquence de transmission "objectifs poursuivis par l'enseignement - résultats effectivement atteints". Mais on ne peut limiter le propos d'H.Lasswell à une grille de découpage de l'acte de communication, même si c'est cela qu'on a retenu le plus souvent (1). H.Lasswell écrivait son article en 1948 tandis que N.Wiener inventait la cybernétique (1948) et que Shannon et Weaver mettaient au point la théorie mathématique de la communication (1949) à laquelle l'informatique et l'automatique doivent énormément et tandis que K.Lewin créait la notion de "dynamique des groupes" (1947) qui allait révolutionner les méthodes de formation. Or, ces chercheurs avaient participé pour la plupart aux séminaires de la Macy Foundation durant la deuxième partie de la guerre 40-45 et immédiatement après, séminaires auxquels participaient aussi des personnalités telles que Bateson, von Neumann, Lazarsfeld, Mead, Ashby•••et ils y avaient exploré sous des formes variées (des sciences appliquées à la psychothérapie en passant par l'économie) les notions de système et d'auto-régulation (feedback). Mine de rien d'abord, puis dans l'engouement souvent aveugle ensuite, on va assister au développement considérable de ce courant systémique dans de multiples disciplines. On le retrouvera à bien des sauces avant que la part des choses ne se soit faite récemment. Avec le recul, il faut bien constater que la perspective systémique introduit une véritable rupture épistémologique. A l'implication causale du type: 1 CAUSE PIEFFETI (ce qui est, on l'a vu, une lecture partielle et erronée du schéma de Lasswell) ou du genre : [STIMULUS] )IREPONSEI qui en est une variante, l'approche systémique subsitue une relation circulaire fondée sur une boucle de feedback (c'est-à-dire à la fois sur une 'information en retour' révélant l'état de l'action à un moment de la durée et sur une 'régulation en retour' de cette action en cours même d'activité). (1) On retient cependant de LASSWELL l'aspect : "Il nous paratt que de le considérer (1948 :38). 38 analytique et linéaire mals ne disait-il moins Important comme un tout de démonter en relation l'acte pas de communication avec le processus social entier" C'est le schéma bien connu de la "botte noire" t > '-----', but 1 Feedback Appliqué à la communication d'enseignement, ce raisonnement peut bien sür connattre des tas d'implications différentes permettant de saisir le quotidien sous un angle sensiblement original. On pourrait - à titre d'exemple uniquement - s'interroger en axe principal d'investigation sur les mécanismes de feedback au sein du groupe-classe et se demander comment la régulation s'y opère. On serait ainsi amené à distinguer de manière rigoureuse les notions de contrôle et de feedback et à clarifier par là, par exemple, le rôle des interrogations, des travaux écrits, des "devoirs" ou des examens dans le processus de communication "pédagogique". Chacune de ces activités implique en effet l'idée d'une vérification des résultats d'une transmission d'informations auprès des étudiants. Mais si ces résultats ne sont pas acquis et que l'on constate des erreurs, _que se passe-t-il ? Vérifie-t-on - et comment - le processus de transmission lui-même pour s'assurer de ses éventuelles défaillances (" Le langage est source de malentendu" ) et y apporte-t-on, le cas échéant, des correctifs ou d'une manière ou d'une autre, sélectionne-t-on les étudiants en postulant que la transmission a nécessairement fonctionné de manière correcte ? En termes d'investigation de la communication, les deux perspectives sont évidemment tout à fait différentes. Alors, communication ou transmission ? Régulation dynamique par feedback ou vérification statique par contrôle ? Et une fois les réponses à ces questions acquises, que pourra-ton dire des rapports sociaux mis en oeuvre au sein de cette classe et auxquels renvoient les observations faites à propos de la communication ? Autrement dit, quand, par exemple, je me laisse interpeller par la classe, quand je rëexplique la matière ou que je réoriente mon cours: qu'est-ce qui change au juste, la rigueur du contenu de mon enseignement ou la rigidité d'un modèle social dans lequel s'inscrit nécessairement mon acte d'enseigner? Quand la sociologie de l'éducation met en évidence la relation entre l'origine sociale des étudiants et la réussite (ou l'échec) scolai39 re en termes d'inégalité des chances ou quand elle montre l'existence et le rôle d'handicaps socio-culturels, elle ouvre un champ de réflexion nouveau et elle y apporte des repères que l'école doit encore très largement assimiler. Mais elle laisse aussi l'enseignant perplexe au sujet de son rôle dans cette affaire tant l'origine sociale paraît surdéterminer la trajectoire scolaire de l'enfant en dépit même de son intervention à lui. Agent, instrument, otage ou complice •••quelle est la position de l'enseignant dans cette "reproduction sociale" (qui est aussi, ne l'oublions pas, une production sociale ) ? C'est selon les appréciations, mais il est beaucoup plus rare que l'on tente de lui expliquer comment fonctionnent de tels mécanismes dans le quotidien de sa rencontre avec les étudiants. Or, c'est précisément le parti que nous prenons ici : celui d'interroger le geste d'enseigner en le saisissant comme un mode quotidien de participation à un processus de communication plus vaste. Bien entendu, pour répondre à cette interrogation, il convient de compléter le cadre de référence que nous venons d'amorcer. Bref le feedback qui est central dans la perspective systémique para!t bien être un excellent fil d'ariane pour la saisie et la compréhension sociologique de ce qui se passe en profondeur lorsqu'on regarde la société - ou l'enseignement dans le cas présent - comme un système de communication. II. Palo Alto : vers une pragmatique de la communication On vient d'évoquer le rôle peu connu, mais important, de la Macy Foundation dans le développement d'une conception systémique des processus d'information. Peut-être n'a-t-on pas assez souligné la place d'un des participants à ces séminaires : Gregory Bateson. La vie de Bateson (1904-1980) vaudrait le commentaire, même bref : zoologue de formation, il étudie •••la vie des coupeurs de tête en Nouvelle Guinée (1936). A Bali, il met au point des techniques de description et d'analyse du comportement non verbal (1942) ; il découvre le feedback lors des séminaires de la Macy Foundation (1942), passe à la psychiatrie en tant qu'anthropologue et invente le concept de "double-contrainte" (1956). On le verra aussi étudier le langage des dauphins (1966) et l'écologie urbaine (1971)••• Tout cela n'est pas banal et il faudrait détailler plus encore, car l'influence de G.Bateson se fait sentir au travers notamment de R.Birdwhistell, qui est peut-être moins connu chez nous, jusqu'à E.Goffman dont P.Bourdieu lui-même relayera l'oeuvre en France. 40 Enfin, G.Bateson est le mattre a penser de D.Jackson, de Paul Watzlawick, etc., et, par eux, sans en faire partie, de toute "l'école de Palo Alto". Mais avant de présenter les principaux thèmes de l'école de Pa10 Alto, notons que progressivement l'idée d'analyse pragmatique de la communication va se substituer a celle d'analyse systémique au point de se confondre aujourd'hui l'une et l'autre (2). Cette question d'étiquetage n'a guère d'importance en soi, mais elle Indique l'influence supplémentaire de tout un courant Issu de la linguistique anglo-saxonne dont on cherchera longtemps a transposer les méthodes de travail au-dei a de la langue (cf. "Ballnese character", par exemple). Le terme de "pragmatique" est d'ailleurs repris a Carnap et à Morris qui distinguent trois domaines dans l'étude de la communication humaine : la syntaxe, la sémantique et la pragmatique. Pour celle-ci "tout comportement est communication" et "toute communication affecte le comportement". C'est déjà en quelque sorte le premier axiome de "la logique de la communication" : "on ne peut pas ne pas communiquer" (3). L'implication de tout ceci dans le cadre scolaire est manifeste. Sans la développer, soulignons que désormais le ton de la voix, le collier de perles, le jeans, la couleur des murs, les postures physiques ou la disposition des bâtiments, par exemple, seront autant d'Informations a considérer à côté de bien d'autres pour rendre compte correctement du processus de communication pédagogique. On va voir, en creusant cette question, que l'acte individuel de communiquer est aussi a considérer d'emblée et tout autant comme un acte de communication sociale. Bref, la communication est intrinsèquement "polyphonique". Et dans cette perspective, c'est l'image de l'orchestre qui se substitue à celle du télégraphe, orchestre où non seulement chacun jouerait son petit air personnel mais où encore les groupes et les organisations auraient leurs volx a faire entendre. La société serait en quelque sorte un gigantesque concert sans chef d'orchestre, dont le so- (2) Le titre original du livre "Une logique de la communication" blions pas "Pragmatlcs of human communication. était, A study of Interactlonal ne l'oupatterns, pathologies and paradoxes" (New York, Norton and Cy, 1967). (3) Il serait Intéressant BARTHES (1965), un des récente de faire le rapprochement pionniers de la semiologie entre ces études et celles de ou encore avec des travaux de BOURDIEU (1982) sur le langage et la "distinction l'évolution sociale". 41 ciologue essayerait d'établir les partitions : "on ne communique pas, on participe a une communication " diront les membres du groupe Palo Alto. La rencontre quotidienne des enseignants avec leurs ëlëves n'échappe évidemment pas a cette image. Le grand mérite de P.Watzlawick est sans conteste d'avoir commencé a codifier les pratiques mises au point par ses pairs et par lui-même au Mental Research Institute de Palo Alto, pratiques qui s'inscrivent dans le sillage direct des travaux de G.Bateson et qui se situent dans le domaine de la thérapie familiale. Rappelons, en effet, que le cëlëbre article de Bateson "Vers une théorie de la schizophrénie" associait D.jackson, H.Haley et j .M. Weakland, auteurs que l'on retrouve avec R.Flsch, j .Beavln et P.Watzlawlck dans "Une logique de la communication" (1967 ; tr.fr, 1972), "Changements, paradoxes et psychothérapie" (1973 ; tr.fr. 1975) et "Sur l'interaction "(1977 ; tr.fr.1981). Ces quelques repères plantés, espérons qu'ils ne l'aient pas été trop rapidement, nous allons poursuivre cet exposé en pénétrant plus avant dans ce qui fait sans doute l'essentiel du cadre de référence de cette "école de Palo Alto" : la théorie des groupes, les axiomes de la communication, la communication paradoxale ( double contrainte), la théorie des types logiques et la mëtacommunlcatlon, ilL La théorie mathématique des groupes C'est a titre d'analogie féconde que l'école de Palo Alto retient cette théorie pour rendre compte des multiples variations du "jeu de la communication" qui peuvent se produire a l'Intérieur d'un système considéré tout en maintenant tel quel son équilibre. Sans entrer dans les détails, cette théorie permet de formaliser les relations entre un type particulier d' "ensemble" et ses "éléments" constitutifs. Ce type d'ensemble appelé "groupe" est particulier dans la mesure 011 Il est régi par certaines règles précises qui délimitent tous les changements qui peuvent exister a l'Intérieur du groupe sans l'affecter comme tel. Plus précisément, Watzlawlck retient quatre propriétés principales (Watzlawick, Weakland, Ftsh, 1975 : 23) : 1° La possession d'une caractéristique commune telle que toute composition des éléments du groupe donne toujours un des "éléments" du groupe. Ainsi, toute position du dé est nécessairement l'une des 6 positions possibles pour ce dé. 42 20 La séquence de composition des éléments d'un groupe peut être modifiée ; cela donnera toujours le même composé si on respecte la loi régissant ce groupe : (4 + 3) + (2 + 6) + 4 = 19 4 + (3 + 2) + (6 + 4) = 19 3 Un groupe contient un élément neutre tel que sa composition avec tout autre élément produit cet autre élément. ex. : dans un groupe dont la loi de composition Interne est l'addition, l'élément neutre est le zéro : 3 + 0 = 3 4 Il existe un élément symétrique ou inverse pour chaque élément d'un groupe. La composition d'un élément et de son symétrique donne l'élément neutre. ex. : dans un groupe dont la loi de composition Interne est l'addition : 3 +(-3) = 0 0 0 P.Watzlawick souligne qu'une telle théorie, même sous une forme imprécise ou caricaturale "fournit un cadre approprié pour examiner cette curieuse interdépendance entre permanence et changement que nous remarquons dans les nombreuses situations concrètes où 'plus ça change, plus c'est la même chose'". Or, dit-il, c'est précisément ce qui se passe "chaque fois que nous observons une personne, une famille ou un système social plus étendu, aux prises avec des difficultés qui durent et se répètent en dépit de leur volonté et de leurs efforts pour modifier la situation." (Ibid. : 20-24). Ce système passe par tous les changements internes possibles, mais 11 est prisonnier d'un "jeu sans fin". "Il ne peut pas engendrer de l'intérieur les conditions de son propre changement ; il ne peut pas produire les règles qui permettraient de changer ses règles" (Watzlawick , Beavin, Jackson, 1972 : 40-41). L'histoire de l'introduction du "rénové" dans l'enseignement secondaire belge et ses multiples avatars pourrait fournir matière â illustration. L'évolution des méthodes d'enseignement de la grammaire française dans l'enseignement primaire en serait une autre. Dans une perspective différente, on peut se donner beaucoup de mal â changer les "éléments" d'une classe scolaire, sans pourtant toucher â "l'ensemble" auquel on croit apporter un changement : choisir une disposition des tables en carré plutôt qu'en rangs par exemple. Certains problèmes qualifiés souvent de "disciplinaires" et caractérisés parfois par des perturbations de la relation entre un enseignant et une partie au moins de ses élèves peuvent aussi fournir un 43 champ d'application. Les efforts des uns et des autres pour trouver ou imposer une "solution" ressortissent parfois au "Jeu sans fin". Bref, la théorie des groupes se présente pour l'école de Palo Alto comme une formalisation de certains aspects du fonctionnement interne des systèmes et ce n'est pas pour rien qu'elle a pu être à ce titre un des outils des "cybernéticiens" (4). Pour le sociologue, elle met surtout l'accent sur l'importance des "modèles de redondance", c'est-à-dire non sur l'événement original, exceptionnel ou marginal, mais plutOt sur le retour plus ou moins régulier de séquences répétitives : "Là oü Il y a modèle, Il y a sens". IV. Les axiomes de la communication Avec les axiomes, on aborde un autre aspect de la question. Car les axiomes sont un peu comme les préceptes d'une "grammaire" dont on pourrait constater ou non l'application dans une communication donnée. C'est évidemment une gageure que de vouloir présenter en quelques mots l'ensemble des axiomes de la communication. Essayons cependant d'y introduire et de fournir un commentaire Indicatif permettant d'en mesurer la portée et les limites (5). Axiome 1 : "on ne peut pas ne pas communiquer" Il y a un corollaire à cet axiome : toute tentative de non-communication est vouée à l'échec puisqu'elle est communication. Prenons l'exemple des deux passagers dont l'un ne désire pas adresser la parole à l'autre qui lui, pourtant, le souhaiterait. On voit tout de suite deux choix : accepter la communication ou la rejeter. Mais on peut aussi annuler la communication (en parlant d'autre chose, par exemple) ou faire ce que Watzlawick appelle "produire un symptôme" (c'est-à-dire faire appel à des motifs qui ne se commandent pas : pleurer, s'évanouir, "faire le fou"). Il faut cependant dépasser l'aspect "comportementaliste" de la formulation de cet axiome et le considérer plutôt comme l'expression même de ce qui fait la base de la pragmatique de la communication : tout est signal en matière de communication humaine. (4) Cf. par exemple ASHBY, 1958. (5) Pour 1972. 44 une prêaentatlon complete, cf. WATZLAWICK, BEAVIN, JACKSON, Axiome 2 : "toute communication présente deux aspects : le contenu et la relation, tels que le second englobe le premier et par suite est une mëtacornmunlcatlon" Autrement dit : on échange un contenu, mais en même temps on définit ensemble la nature de la relation. Corollaire : Il existe des désaccords portant sur .la relation et d'autres portant sur le contenu. Un problème courant consiste a traiter au niveau du contenu un désaccord portant en fait sur la relation. Ex. : quand le bidasse se plaint de la soupe, c'est peut-être le commandant qu'Il faut changer. On pourrait aussi comparer quelques phrases du genre: - veuillez fermer la porte, je vous prie - fermez la porte ! - pourriez-vous fermer la porte ? - puis-je vous demander de bien vouloir fermer la porte ? Le "contenu" est le même dans tous les cas, mais la définition de la relation est évidemment toute différente d'un cas a l'autre. Il serait sans doute ëclalrant d'enregistrer une série d'Interactions entre un professeur et ses élèves et de les analyser sous cet angle. En quelque sorte donc, comme en matière d'ordinateurs, Il y a les données, mais aussi un programme. Et c'est ce dernier qui détermine l'usage qui sera fait des données. Axiome 3 : "la nature d'une relation dépend de la ponctuation séquences de communication entre les partenaires" des Autrement dit : "a chacun sa vérité" ou encore : chacun a son point de vue et sa manière de décrire une situation. Corollaire : les troubles de ponctuation se présentent comme des cercles vicieux. Il y a désaccord sur la cause et l'effet alors que ces concepts ne s'appliquent pas en raison de la circularité de l'interaction. ex. : le professeur: qui a commencé cette bagarre? le premier élève : ce n'est pas moi, Monsieur, c'est lui le second : non, ce n'est pas moi, Monsieur, c'est lui ! le premier: ce n'est pas vrai ! le second : menteur ! le professeur : ••• Autre exemple : est-ce que le professeur au début d'une leçon parle parce que les élèves se taisent ou les élèves se taisent-Ils parce que le professeur parle ? 45 Je me souviens très bien d'un professeur commençant l'année avec une nouvelle classe. Debout sur l'estrade, il attendait que le calme se fasse après l'ébullition de la récréation. Le calme se fit, relatif. Mais le professeur ne saisit pas cet instant ; pour lui le "point bas" était plus bas. Il se demande toujours pourquoi il a été chahuté le restant de l'année ••• Il est intéressant de noter encore qu'il existe de nombreuses conventions de ponctuation communément qualifiées d'usages sociaux, d'habitudes culturelles, de "bonnes manières" ou de "savoir-vivre". Axiome 4 : "Les ëtres humains usent de deux modes de communication : le mode digital et le mode analogique" Ce serait une particularité de la communication humaine. Mais des "erreurs de traduction" peuvent se produire entre l'analogique et le digital. Qu'est-ce à dire? Prenons un exemple: Quel est le rapport entre le numéro de téléphone et l'abonné qui possède ce numéro ? Il est d'ordre purement conventionnel et arbitraire. On parle dans ce cas du mode digital (binary digit) avec ses valeurs de "vrai" et de "faux", sa sémantique et sa syntaxe rigoureuse (cf. l'informatique), Mais quel est le rapport entre le souffle du tunnel des essais aérodynamiques et le vent auquel l'avion devra faire face ? Il y a une correspondance analogique. Il représente en quelque sorte ce qu'il signifie comme les gestes, l'inflexion de la voix, le débit verbal; etc. Imaginons que nous changions complètement de culture. On ne parle pas la langue, on ne comprend pas l'écriture ; restent les signaux analogiques qui permettent de sentir, par exemple la sympathie, l'indifférence, l'hostilité •••Nous les percevons assez clairement. Mais ces signaux qui conviennent particulièrement bien à l'expression d'une relation ont aussi pour caractéristique d'être d'une amblgu Ïtë souvent antithétique : les larmes expriment la joie comme la tristesse. Ce sera donc souvent un problème que de "digitaliser" correctement une relation •••"les mots manquent pour le dire", Bref, tous les aspects non-verbaux de la communication interviennent conjointement avec les aspects strictement linguistiques au point d'en être pragmatiquement indissociables. S'il fallait d'autres exemples, on pourrait penser à l'uniforme de certains établissements scolaires et à la manière très peu uniforme dlsrlnguëe ou populaire - de le porter. C'est en fait une véritable 46 reconnaissance sociale qui est véhiculée au travers de ces "détails". Et quand l'étudiant met costume et cravate pour se rendre a l'examen, li appllque - avec le professeur qui le reçoit - ce même axiome (6). Axiome 5 : "Tout échange de communication est symétrique ou complémentaire selon qu'li se fonde sur la similitude ou la différence" C'est peut-être le plus sibyllin des axiomes. En fait, il cerne les positions respectives qu'occupent les acteurs au sein de la communication. D'une part, la relation peut se présenter sur le schéma position haute (initiateur) / position basse (suiveur) et se révéler être ainsi de type complémentaire : les relations mère-enfant, professeur-étudiant, médecin-malade peuvent a priori servir d'illustrations. Dans ce modèle, les comportements des partenaires se répondent l'un a l'autre en se complétant mutuellement. Ils sont fondés sur la différence entre les positions respectives des uns et des autres. Et la définition que se donnent les partenaires de la communication accepte cette différence sur laquelle elle se base prëclsëment, _ Mais on voit en même temps que si cette relation était Jamais envers et contre tout uniquement complémentaire, sans qu'aucune souplesse ne puisse intervenir, on se trouverait devant une Interaction rigide et potentiellement sinon effectivement productrice de rupture (schlsmogenëse complémentaire : plus Je t'en donne, plus tu en veux ; plus tu en veux, plus Je t'en donne•••c'est l'emballement du système). Et en ce sens, cet axiome pourrait éclairer, par exemple, ce qui se passe parfois au sein d'un enseignement magistral unilatéral. D'autre part, dans un échange symétrique, les partenaires se répondent par un comportement en miroir : plus Je t'en donne, plus il en donne ; plus il en donne, plus Je lui en donne, etc. Dans le langage courant, on dira que chacun "en remet". Et lorsque ce comportement se rigidifie, il fonctionne sur le modèle de l'escalade et il y a risque de schlsmogenèse symétrique ("Tout le monde est égal, mals je suis un peu plus égal que toi"). (6) C'est évidemment ici qu'il faudrait nésique (BIRDWHISTELL, 1970), tinction sociale" a particulièrement la proxémie (BOURDIEU, (979) qui s'attachent l'angle du geste et du mouvement, de l'espace a a faire référence (HALL, 1971 et l'étude et des distances, 1979) ou a de ces questions de l'usage la ki- la "dissous social du langage et du "bon goüt", 47 Je me souviens d'une situation où le professeur voulait mettre un élève "à la porte". Cet élève qui se :voyait sans doute comme une "victime injuste de la répression", occupait, comme par hasard, une place au fond de la classe et de ce fait, il était impossible au professeur d'empoigner le perturbateur et de le sortir manu militari (il en aurait bien eu l'envie, semble-t-il). Le professeur : Dupont, j'en ai assez, sortez ! L'étudiant: Moi ? Mais je n'ai rien fait, Monsieur. Le professeur: Je vous ai dit de sortir! L'étudiant, de la tête : non ! Le professeur: Sortez, vous dis-je! L'étudiant : Mais, Monsieur••• Le professeur: Sortez ou j'appelle le préfet ••• L'étudiant ne bouge pas••• C'était l'épreuve de force symétrique dans toute sa rigidité. Par pudeur, nous ne dirons pas comment l'affaire s'est terminée •••Heureusement, le problème ici n'est pas de fournir une "solution" à ces "interlocuteurs", car il faudrait évidemment considérer tout le système "classe" et peut-être au-delà. Bateson souligne, qu'il s'agisse de schlsmogenëse complémentaire ou symétrique, que dans l'un et l'autre cas, il y. a "continuité du processus, mais discontinuité du produit"(1977 : 179)• V. Les paradoxes pragmatiques ou "doubles-contraintes" Partons d'une phrase d'apparence anodine et qui n'est peut-être pas exceptionnellement rare : "Vous étudierez cela par vous-mêmes" ou "faites cela par vous-mêmes", mais c'est à la structure de cette phrase que nous allons nous attacher et non à son contenu analogique. Il est intéressant de noter qu'en fait cette phrase contient deux propositions logiques : d'une part une injonction à laquelle il faut obéir, en raison notamment d'une relation complémentaire accentuée et d'autre part, à laquelle il faudrait en même temps désobéir ••• pour pouvoir obéir. En effet, c'est bien le professeur qui ordonne à l'élève de faire quelque chose dont en fait l'élève seul devrait être l'initiateur et cela du fait même de l'ordre donné: "Faites cela par vous-même". Comme on le voit, une telle injonction est en fait paradoxale et puisque ce paradoxe affecte ici le comportement, il s'agit d'un para- 48 doxe pragmatique ou "double contrainte" : que doit faire l'élève qui veut étudier par lui-même : obéir ou non ? Et si l'élève étudie, étudie-t-il de lui-même ou parce qu'on le lui a ordonné ? Autre exemple que fournit Dan Greenburg : "Faites cadeau à votre fils de deux chemises sport. La première fols qu'il en met une, regardez-le avec tristesse et dites-lui d'un ton pénétré : 'Alors, et' l'autre, elle ne te plalt pas ?' ", On peut définir la "double contrainte" à partir de la structure de ces exemples (Watzlawick, Beavln, Jackson, 1972 : 212 et ss) : 1° "Des personnes sont engagées dans une relation Intense qui a une valeur vitale, physique et/ou psychologique pour l'une d'elles, pour plusieurs ou pour toutes ••• 2° Dans un tel contexte, un message est émis qui est structuré de manière telle que : a) il affirme quelque chose ; b) il affirme quelque chose sur sa propre affirmation c) ces deux affirmations s'excluent. Le sens du message est donc indécidable. 3° Enfin, le récepteur du message est mis dans l'impossibilfté de sortir du cadre fixé par ce message •••Donc, même si logiquement le message est dénué de sens, il possède une réalité pragmatique : on peut ne pas y réagir, mais on ne peut pas non plus y réagir de manière adéquate (c'est-à-dire non paradoxale) puisque le message est lui-même paradoxal". Bien entendu, tout cela n'est pas bien grave dans la vie quotidienne lorsque l'Intensité de la relation est faible ou que l'Interaction n'est qu'occasionnelle. Souvent ceci ne conduit qu'à une confusion momentanée. Mals on volt tout de suite qu'une double contrainte dans une relation continue ("parents-enfants; Infirmité, dépendance matérielle ; captivité ; amitié ; amour ; fidélité à une croyance, une cause ou une Idéologie ; contextes marqués par les normes et traditions sociales; situation psychothêrapeutlque ••• ")(ibid. :212-213) .peut rapidement devenir un problème. Bateson et al. ont montré, entre autres choses, que la schizophrénie était élucidable dans le cadre de cette matrice conceptuelle. Pour eux, la schizophrénie est ainsi une forme adéquate de comportement dans une situation de double contrainte (Ibid. : 219). On notera l'originalité de ce point de vue où la schizophrénie est envisagée comme une forme particulière de collusion à propos des prestations mutuellement attendues dans une relation donnée. 49 Mais la notion de "double contrainte" dépasse - déjà chez Bateson - le cadre des troubles psychiques, même si actuellement c'est bien dans ce champ d'application qu'elle s'est révélée la plus féconde. Il nous semble que la "double-contrainte" appliquée à la communication d'enseignement peut correctement expliquer un certain nombre de blocages parfois complets des mécanismes de régulation. Elle offre à nos yeux l'intérêt de s'appliquer au niveau psychologique (dépression, problèmes psychologiques des élèves et des professeurs) comme au niveau psycho-sociologique (l'ennui à l'école comme réponse adéquate) et sociologique (la structure sociale de certains processus de communication dans l'enseignement se présentant dans la pratique des acteurs sous la forme d'une "double-contrainte" (7)) : attestation et contestation de la société, éducation à l'autonomie et dépendance, production et reproduction sociale ••• VI. Théories des types logiques et métacommunlcation Pour Bateson, on y a fait allusion en commençant, la communication est organisée en "niveaux hlërachlsës", La "théorie des types logiques" ou des "niveaux de langage" va montrer comment ces niveaux Interagissent (8). On a cité l'exemple de la différence de niveau qui existe entre parler une langue et faire un énoncé de grammaire sur cette langue. L'énoncé de grammaire dit quelque chose sur la façon de dire ; il est à un niveau 'meta' par rapport au premier. C'est aussi le cas du deuxième terme dans une phrase aussi simple que "Fermez la porte, c'est un ordre 1" ou dans "N'en croyez rien, Je plaisantais". Et bien entendu la structure même des doubles contraintes mettait en évidence de telles différences de registres dans la communication. Reprenons un exemple: que doit faire en ce qui le concerne le barbier militaire auquel son chef ordonne de raser tous les hommes du régiment qui ne se rasent pas eux-mêmes et uniquement ceux-là? Cet exemple conduit à distinguer les concepts d'éléments et de classe d'éléments et à établir que c'est dans la confusion de ces (7) Cf. P.de SAINT-GEORGES, (8) BATESON introduit RUSSELL portant notamment 50 1980. ce concept a la suite des travaux sur ceux de WITTGENsrEIN. de WHITEHEAD et deux niveaux que se nouent certains paradoxes alors qu'une proposition portant sur l'un n'est pas pertinente pour l'autre. 0'00 le principe fondamental de la théorie des types logiques : "ce qui comprend 'tous' les éléments d'une classe ne doit pas être un élément de cette classe" ou de manière imagée : "la classe des éléphants n'a pas de trompe et n'est pas elle-même un éléphant" (Bateson, 1977 : 178 et ss.) Bref, tandis que la théorie des groupes montrait - en quelque sorte horizontalement - comment pouvait fonctionner un niveau de communication donné, la théorie "verticale" des types logiques montre comment Il est possible d'agir cette fols sur la règle de fonctionnement d'un système (et donc d'en changer le réglage). Et comme on vient de le voir, le passage d'un niveau â l'autre s'opère par métacommunlcation. La métacommunicatlon (ou "communication sur la communication" ) apparatt ainsi comme un type parttcullërement intéressant de feedback Portant sur le processus de communication. La théorie des types logiques complète donc la théorie des groupes. Elle fournit le cadre recherché en ce qui concerne le changement systémique. Et de ce fait, elle permet notamment de résoudre certaines doubles-contraintes. L'école de Palo Alto montre la richesse de ces concepts de niveaux de communication et de métacommunicatlon en explicitant sous forme de techniques thérapeutiques (thérapie famlliale) quelques formes de mëtacommunlcatlon comme par exemple le "contre-paradoxe" et le "recadrage", Disons schématiquement que la prescription paradoxale ou "contre-paradoxe" ne s'appllque que dans une situation de double-contrainte. Dans ce cas, le thérapeute démonte le noeud de la doublecontrainte et en formule alors une autre qui va porter sur la première. Il y a donc en quelque sorte inversion de l'Indêcldabilité, Ce contre-paradoxe est alors prescrit â la famille en traitement. Si tout se passe comme prévu, cela conduit en un laps de temps assez court au changement souhaité et donc â la résolution du problème posé par cette famille. Il y a déblocage des mécanismes de régulation et réintroduction de communications souples là 00 la rigidité imposait sa loi souvent dramatique. Il est difficile de donner un exemple court d'une telle prescription paradoxale. Un certain humour "anglais" pourrait cependant approcher la question et l'illustrer : "Si tu continues, dit l'épouse à 51 son mari, je me jette par la fenêtre l", Calmement, le marl ouvre la fenêtre et lui dit :"Je t'en prie". Il faut évidemment être assez sûr de son diagnostic ••• Le "recadrage" quant à lui consiste à donner, par mëtacommmunlcatlon, une nouvelle définition à une situation "cadrée" (c'est-à-dire bloquée par l'ordonnancement qu'en font les acteurs de la communication). Le recadrage ne modifie pas les éléments concrets d'une situation, mais le sens qui leur est accordé. De ce fait, il est Inducteur de changement. Les illusionnistes, par exemple, utilisent couramment de tels procédés pour mettre en condition leur auditoire. Il faudrait bien entendu développer tout ceci. Contentons-nous de souligner deux choses: tout d'abord, cette théorie des types logiques a conduit Bateson, Il faut le souligner, à la notion de "catégories de l'apprentissage" (apprentissage l, Il, Ill••• ) qui recadre (c'est le cas de le dire) l'apport des théories behavloristes de l'apprentissage par "essais et erreurs" et celles fondées sur la "connaissance des résultats". Il montre qu'une formulation fondée sur les processus de communication permet à la fois d'intégrer les conclusions de -ces recherches tout en allant plus loin. Ensuite, on notera la proximité entre cette vue "par niveaux de communication" et les recherches portant sur l'opinion publique et ses mécanismes. Une des voies fécondes dans ce courant proposait notamment de voir la formation des opinions publiques au travers d'une hiérarchisation de' phénomènes où intervenaient (à la charnière des niveaux) des "gate keepers" et des "leaders d'opinion". Le pont reste à faire mais Il est troublant de noter que Bateson avait l'intuition que la théorie des types logiques fournissait une possibilité fondamentale de mise en ordre des phénomènes de communication (Ibid. : 253-282). Pour notre part, nous avons essayé de montrer comment l'introduction d'un "animateur" (au sens de la conduite des groupes) à cëtë des étudiants et du professeur pouvait créer les conditions de possibilité d'une communication effective (et non auto-référentielle, comme dans l'enseignement unilatéral bipolaire) dans un dispositif de formation universitaire. L'hypothèse était qu'au sein d'un dispositif ternaire, cet animateur instituait l'importance accordée au feedback et la possibilité de métacommuniquer. Et peut-être cette formule permet-elle d'introduire au sein du dispositif de formation les conditions d'une production sociale alternative (9). Mais ceci est une autre histoire. (9) Cf. P.de SAINT-GEORGES, 1980. S2 Il n'y a évidemment pas de conclusions a donner a un tel exposé. Son objectif central était de mettre en perspective l'analyse systémique de la communication dans son contexte historique immédiat, d'en présenter le cadre de référence - ou du moins ses principaux éléments - et d'ouvrir quelques pistes de réflexion sur son application a l'enseignement • . Je me rends compte que cette entreprise courait le danger d'échouer sur un double écueil. S'adressant au spécialiste, elle risque de le laisser sur sa faim en ayant sans doute laissé les problèmes la où celui-ci les aurait seulement pris ; mais s'adressant a des enseignants de différentes disciplines peut-être moins introduits a ces problématiques, elle pourrait avoir été dans le même temps trop ambitieuse, trop rapide ou trop peu explicite. Les uns et les autres voudront bien m'excuser de ce choix••• Références bibllograpbiques ASHBY W.R., 1958 Introduction à la cybernétique, Paris, Dunod. BARTHES R., 1965 Le degl'ézéro de l'écriture (suivi de Éléments de sémiologie), Paris, Ed. Gonthier. BATESONG., 1936 Naven, Cambridge, Cambridge Univ. Press (tr.fr.: La cérémonie du Naven, Paris, Minuit, 1971). 1977 Vers une écologie de l'esprit, Tome I, Paris, Seuil. 1980 Vers une écologie de l'esprit, Tome 2, Paris,Seuil. 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