Oulipo - French at HKU

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LANG3059 – Modern French Literature– HK-SMLC _ DC.Meyer
CONTRAINTES OULIPIENNES
ECRIRE AVEC DES CONTRAINTES EST NON SEULEMENT UN PLAISIR, MAIS C’EST AUSSI LA NORME.
Ecriture abécédaire
1.
Ah bien, c’est des étrangers,
familiers, gentils, héroïques !
Ici, je klaxonne les motoristes nationaux,
ordonnant plus que roulant.
Sifflant, tout un vert wagon xénophobe y zigzague.

Chacun des mots d’un texte commence par une lettre dans l'ordre de l'alphabet. Certaines lettres sont
difficiles : "k" (190 mots courants commençant par k) ; "w" (50 mots) ; "x" (40 mots) ; "y" (40 mots) ; "z"
(130 mots). Ces trois dernières lettres sont particulièrement difficiles parce qu’elles se suivent !
S+7
2.
Le cilice ayant chapitré tout l'étendard se typa fort dératisé quand la bistrouille fut vermoulue.

3.
Mots-valises
i.
ii.
iii.
iv.
Un éléphrant est un gros animal sincère. (éléphant - franc)
Une coussine est une fille de la famille sur laquelle on peut se reposer (cousine-coussin)
Un jourmal ne présente que des mauvaises nouvelles.
Une institutriste est une enseignante qui n’est pas heureuse.

4..
Sans dire un mot, il lui dit : « Comment vas-tu ? »
Un jour qu'il faisait nuit…
Les yeux fermés, nous regardions la scène.
Un affreux soleil noir d'où rayonne la nuit. (Victor Hugo)

Phrases où on introduit volontairement une contradiction entre des mots afin d’obtenir un effet poétique.
Lipogramme
i.
ii.
iii.
iv.
Bonjour, comment vous nommez-vous ?
Un gras cochon part pour Paris.
Bonjour, gros cochon dodu du coin !
« Tu dis zut ? » mugit-il.

6.
On crée un mot nouveau avec deux mots connus. On choisit deux mots existants et on les associe
pour qu'ils forment un mot nouveau (néologisme).
Oxymoron ou phrase paradoxale
i.
ii.
iii.
iv.
5.
« La Cigale et la Fourmi », fable de Jean de La Fontaine (1621-1695) a été réécrite : « La cigale ayant
chanté tout l’été se trouva fort démunie quand la bise fut venue… » Chaque nom ou verbe ou adjectif a
été remplacé par le septième nom ou verbe ou adjectif qui le suivait dans le dictionnaire.
On s'oblige à écrire une phrase, un texte en n'utilisant pas certaines lettres, le plus souvent des
voyelles. Voir « La Disparition » de Georges Pérec.
Tautogramme
i.
ii.
iii.
Si sa soeur Sophie savait seulement sauter sans sa sucette, Simon serait satisfait.
La longue ligne longe le local loué.
Comme elle est belle, elle est souvent bien fardée !

On s'oblige à écrire une phrase en employant le plus possible une lettre imposée. Le tautogramme est
le moyen inverse du lipogramme. Quand on s'oblige à employer toutes les lettres de l'alphabet, c’est
un pangramme : « Portez ce vieux whisky au juge blond qui fume. »
LANG3059 – Modern French Literature– HK-SMLC _ DC.Meyer
OULIPO ?
Qu'est ceci ? Qu'est cela ? Qu'est-ce que OU ? Qu'est-ce que LI ? Qu'est-ce que PO ?
OU c'est OUVROIR, un atelier. Pour fabriquer quoi ? De la LI.
LI c'est la LITTÉRATURE, ce qu'on lit et ce qu'on rature. Quelle sorte de LI ? La LIPO.
PO signifie POTENTIEL. De la littérature en quantité illimitée, potentiellement productible jusqu'à la fin
des temps, en quantités énormes, infinies pour toutes fins pratiques.
QUI ? Autrement dit qui est responsable de cette entreprise insensée ? Raymond Queneau, dit RQ, un
des pères fondateurs, et François Le Lionnais, dit FLL, co-père et compère fondateur, et premier
président du groupe, son Fraisident-Pondateur.
Que font les OULIPIENS, les membres de l'OULIPO (Calvino, Perec, Marcel Duchamp, et autres,
mathématiciens et littérateurs, littérateurs-mathématiciens, et mathématiciens-littérateurs) ? Ils
travaillent.
Certes, mais à QUOI ? A faire avancer la LIPO.
Certes, mais COMMENT ?
En inventant des contraintes. Des contraintes nouvelles et anciennes, difficiles et moins diiffficiles et
trop diiffiiciiiles. La Littérature Oulipienne est une LITTERATURE SOUS CONTRAINTES.
Et un AUTEUR oulipien, c'est quoi ? C'est "un rat qui construit lui-même le labyrinthe dont il se propose
de sortir".
Un labyrinthe de quoi ? De mots, de sons, de phrases, de paragraphes, de chapitres, de livres, de
bibliothèques, de prose, de poésie, et tout ça...
Jacques Roubaud et Marcel Bénamou
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« La Disparition » de Georges Pérec
« Un marin nantuckais immortalisait un combat colossal qui, par trois fois, opposait Achab au grand
Cachalot blanc, à Moby Dick. Moby Dick! Son nom glaçait jusqu'aux plus forts, un frisson convulsif
parcourut l'octogonal tillac. Moby Dick ! L'animal d'Astaroth, l'animal du Malin. Son grand corps blanc
qu'un vol d'albatros partout, toujours, accompagnait, faisait, aurait-on dit, un trou au mitan du flot, un
noyau blanc sur l'horizon azur, qui vous fascinait, qui vous attirait, qui vous horrifiait, trou sans fond,
ravin blanc, sillon fulgurant d'un courroux virginal, couloir qui conduisait à la mort, puits vacant, profond,
lacunal, vous aspirant jusqu'à l'hallucination, jusqu'au tournis ! Huis blanc d'un Styx plus noir qu'aucun
goudron, tourbillon blafard du Malström ! Moby Dick ! On n'y faisait allusion qu'à mi-voix. Signons-nous,
disait parfois un bosco pâlissant. L'on voyait plus d'un marin murmurant tout bas un dominus vobiscum.
Alors, apparaissait Achab. Un sillon profond, d'un blanc blafard, traçait son cours parmi son poil
gris, striait son front, zigzaguait, disparaissait sous son col. Bancal, il s'appuyait sur un pilon ivoirin,
moignon royal qu'on façonna jadis dans l'os palatin d'un grand rorqual.
Il surgissait, tonnant, hagard, maudissant l'animal qu'il pourchassait voici dix-huit ans, il lui
lançait d'insultants jurons.
Puis, au haut du grand mât, il plantait, il clouait un doublon d'or, l'offrant à qui saurait voir avant
tous l'animal.
Nuit sur nuit, jour sur jour, à l'avant du galion, transi, raidi dans son suroît, plus dur qu'un roc,
plus droit qu'un mât, plus sourd qu'un pot, sans un mot, sans un clin, plus froid qu'un mort, mais
bouillonnant dans son for d'un courroux surhumain, volcan grondant ainsi qu'un bloc raidi chu d'un
ouragan obscur, Achab scruta l'horizon noir. La Croix du Sud brillait dans la nuit. Au haut du grand mât,
ainsi qu'un point sur un i, l'halo gris baignait d'un clair obscur pâlissant l'or maudit du doublon.
Trois ans dura la circumnavigation. Trois ans durant cingla l'hardi galion, louvoyant du nord au
sud, roulant, tanguant dans l'inouï tohu-bohu du jusant, bourlinguant sous l'août brûlant, sous l'avril
glacial.
Un court instant, tout parut s'adoucir. A dix furlongs du galion, Moby Dick glissait, animal divin,
paix avant l'ouragan final. Il y avait dans l'air ambiant un parfum saisissant d'absolu, d'infini. Du flot
cristallin sourdait, montant, un halo lustral qui donnait à tout un air virginal. Nul bruit, nul courroux.
Chacun s'immobilisait, contraignant son inspiration, saisi par la paix qui soudain rayonnait, s'irradiait,
alangui par l'amour inouï qui montait du flot calmi, du jour blanchissant. »
Extrait de La Disparition, Denoël, Paris ©1969
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