Mars-Avril 2001 • 25
MESDAMES, MESSIEURS,
1. (…) Je vous suis à tous très reconnais-
sant de m’avoir invité à participer à cette ren-
contre et j’apprécie à sa juste valeur votre
prise en considération de l’enseignement mo-
ral de l’Église. Dans le respect de la science
et à l’écoute, en particulier, de la loi de Dieu,
l’Église n’a pour objectif que le bien intégral
de la personne humaine.
Les transplantations représentent un grand
pas en avant de la science au service de
l’homme, et de nombreuses personnes doi-
vent aujourd’hui la vie à une greffe d’organes.
Les techniques de transplantation se sont ré-
vélées être de plus en plus un moyen efficace
d’atteindre l’objectif fondamental de toute
médecine : servir la vie humaine. C’est pour-
quoi, dans la Lettre Encyclique Evangelium
vitae, jai suggéré que lune des manières
de promouvoir une véritable culture de vie
«est le don dorgane, accompli sous une
forme éthiquement acceptable, qui permet à
des malades parfois privés despoir de nou-
velles perspectives de santé et même de vie »
(EV, 86). [Voir encadré p. 26.]
2. Comme pour toute avancée sur le plan
humain, ce domaine particulier des sciences
médicales, malgré tout lespoir de santé et
de vie quil offre à de nombreuses personnes,
induit certaines questions graves quil est
nécessaire dexaminer à la lumière dune ré-
flexion anthropologique et éthique attentive.
Dans ce domaine des sciences médicales
également, le critère fondamental doit être la
défense de la promotion du bien intégral de la
personne humaine, en harmonie avec la di-
gnité unique qui est la nôtre en vertu de notre
humanité. Il est donc évident que toute inter-
vention médicale effectuée sur la personne
humaine est soumise à des limites : non seu-
Le 29 août 2000, lors du XVIIIe Congrès
médical international sur les transplantations
qui a réuni à Rome 5000 chercheurs et
médecins, le Pape Jean-Paul II a rappelé
que cette pratique, pour être acceptable,
devait être encadrée par une réflexion éthique
continue. Il a souligné également que, dans
tous les cas, il fallait respecter la dignité des
donneurs et des bénéficiaires. Nous proposons
ici l’essentiel de cette intervention.
Aujourd’hui, les transplantations d’organes
représentent une avancée de la science au service
de l’homme. Cependant, ce progrès nous invite à une
réflexion sur plusieurs questions importantes, d’ordre
éthique, liées au respect et à la dignité de la personne
humaine. Celles-ci concernent les critères permettant de
distinguer ce qui est techniquement possible de ce qui
est moralement admissible, le respect absolu de la liberté
de celui qui fait le don d’organe ainsi que la manière de
l’informer du processus que ce don implique, le danger
de la commercialisation des organes humains,
le moment du prélèvement (le constat de la mort),
les listes d’attente et l’attribution des organes, etc.
Aujourd’hui, il est important aussi d’aborder la question
de la transplantation d’organes d’animaux sur des
personnes humaines ainsi que les multiples problèmes
liés au clonage humain (manipulation et destruction
des embryons humains, etc.).
Ce discours fait suite à la publication, le 25 août
2000, par lAcadémie pontificale pour la Vie,
dune déclaration «sur la production et lutilisation
scientifique et thérapeutique des cellules souches
embryonnaires humaines » (voir DC 2000, n°2234,
p. 866-870).
Pour le texte intégral du discours, voir DC 2000, n°2234,
p. 852-854.
RÉSUMÉ
PERSPECTIVES
FICHE DE LECTURE
Réflexion éthique
sur le don d’organe
MISE ÀJOUR DU DOSSIER SUR LA SANTÉ
ÀDÉTACHER ET INSÉRER DANS VOTRE DOSSIER SUR LA SANTÉ
26 Questions actuelles (n°18)
lement les limites de ce qui est technique-
ment possible, mais aussi celles que détermi-
nent le respect de la nature humaine, entendue
dans son intégralité: «ce qui est technique-
ment possible nest pas pour autant morale-
ment admissible » (Congrégation pour la
Doctrine de la foi, Donum vitae, 4). ()
Le don dorgane :
un véritable acte damour
3. Il faut tout dabord souligner, comme jai
pu le faire remarquer en une autre occasion,
que toute transplantation dorgane a pour ori-
gine une décision dune grande valeur éthique :
«la décision doffrir sans aucune compensation
une partie de son propre corps pour la santé et
le bien-être dune autre personne » (Allocution
adressée aux participants dun Congrès sur les
transplantations dorganes, 3 [20 juin 1991]).
Cest là précisément que réside la noblesse de
ce geste, un geste qui est un véritable acte
damour. Il ne sagit pas seulement de se dé-
faire de quelque chose qui nous appartient
mais de donner quelque chose de nous-
mêmes, car «en raison de son union substan-
tielle avec l’âme spirituelle, le corps humain ne
peut pas être considéré seulement comme un
ensemble de tissus, dorganes et de fonctions
[...] mais il est partie constitutive de la per-
sonne qui se manifeste et sexprime à travers
lui » (Donum vitae, 3).
Par conséquent, toute procédure qui tend à
commercialiser des organes humains ou à les
considérer comme des produits pouvant être
échangés ou vendus, doit être considérée mo-
ralement inacceptable, car utiliser le corps
comme un «objet », cest violer la dignité de
la personne humaine.
Ce premier point a une conséquence immé-
diate dont la portée éthique est considérable :
un consentement avisé est nécessaire.
L’« authenticité» humaine dun geste si capi-
tal exige que les personnes soient convena-
blement informées du processus que cela im-
plique, afin d’être en mesure dy consentir ou
dy renoncer sciemment et en toute liberté.
Laccord des proches possède une valeur
éthique en labsence de décision de la part du
donneur. Bien sûr, un consentement ana-
logue doit être donné par le bénéficiaire du
don dorgane.
4. La reconnaissance de la dignité unique de
la personne humaine a une autre conséquence
inhérente : les organes vitaux individuels dans
le corps ne peuvent être prélevés quaprès la
mort, cest-à-dire à partir du corps dune per-
sonne dont la mort est avérée. Cette exigence
va de soi, puisquagir différemment signifierait
provoquer intentionnellement la mort du don-
neur en prélevant ses organes. Cela soulève
lune des questions les plus débattues au-
jourdhui dans le monde de la bioéthique et
suscite beaucoup dinquiétude au sein de lopi-
nion publique. Je me réfère au problème de la
vérification de la mort. Quand peut-on considé-
rer avec certitude quune personne est morte?
() Pour le texte
intégral de
Donum vitae,
qui traite plus
directement du
respect de la vie
naissante et de
la dignité de
la procréation,
voir DC 1987,
n°1937,
p. 349-361.
Voici le paragraphe de lencyclique Evangelium
vitae qui situe le don dorganes dans le contexte
plus large de «l’Évangile de la vie »:
86. Dans lesprit du culte spirituel agréable à Dieu
(cf. Rm 12, 1), la célébration de l’Évangile de la vie
demande à être réalisée surtout dans lexistence
quotidienne, vécue dans lamour dautrui et dans
le don de soi. Cest toute notre existence qui se fera
ainsi accueil authentique et responsable du don de
la vie et louange sincère et reconnaissante de Dieu
qui nous a fait ce don. Cest ce qui se passe déjà
dans tant de gestes doffrande, souvent humble et
cachée, accomplis par des hommes et des femmes,
des enfants et des adultes, des jeunes et des anciens,
des malades et des bien portants.
Cest dans un tel contexte, riche dhumanité et
damour, que prennent aussi naissance les gestes
héroïques. Ceux-ci sont la célébration la plus
solennelle de l’Évangile de la vie, parce quils le
proclament par le don total du soi; ils sont la
lumineuse manifestation du degré damour le plus
élevé: donner sa vie pour la personne quon aime
(cf. Jn 15, 13); ils sont la participation au mystère de la
Croix, sur laquelle Jésus révèle tout le prix qua pour lui
la vie de tout homme et comment cette vie se réalise
pleinement dans le don total de soi. Au-delà des
actions d’éclat, il y a lhéroïsme au quotidien, fait de
petits ou de grands gestes de partage qui enrichissent
une authentique culture de la vie. Parmi ces gestes,
il faut particulièrement apprécier le don dorganes,
accompli sous une forme éthiquement acceptable,
qui permet à des malades parfois privés despoir
de nouvelles perspectives de santé et même de vie.
Pour le texte intégral de lencyclique, voir DC 1995, n°2114, p. 351-405.
UN GRAND GESTE DE PARTAGE
ÀDÉTACHER ET INSÉRER DANS VOTRE DOSSIER SUR LA SANTÉ
Mars-Avril 2001 27
On peut dire ici que le critère
récemment adopté pour établir
avec certitude la mort, cest-
à-dire la cessation complète et
irréversible de toute activité
cérébrale, sil est rigoureuse-
ment appliqué, ne semble pas
être en conflit avec les éléments
essentiels dune anthropologie
sérieuse. La personne respon-
sable, en milieu médical, d’établir le moment
de la mort peut donc se fonder au cas par cas
sur ces critères pour atteindre ce degré das-
surance dans le jugement éthique que la doc-
trine morale qualifie de «certitude morale ».
Cette certitude morale est considérée
comme la base nécessaire et suffisante pour
agir de façon éthiquement correcte. Ce nest
que lorsque cette certitude existe, et que le
donneur ou son représentant légitime a,
en connaissance de cause, exprimé son ac-
cord, quil est moralement admissible dini-
tier les procédures techniques nécessaires
au prélèvement dorganes destinés à la
transplantation.
6. Une autre question très importante du
point de vue éthique est celle de lattribution
des organes à travers des listes dattente et
lassignation de priorités. Malgré les cam-
pagnes dincitation au don dorgane, dans de
nombreux pays, les ressources disponibles
sont à lheure actuelle insuffisantes et ne peu-
vent répondre aux besoins de la médecine.
Doù la nécessité d’établir des listes dattente
pour des transplantations sur la base de cri-
tères clairement définis et bien fondés.
Du point de vue moral, un principe évident
de justice exige que les critères dattribution
des organes ne soient en aucun cas «discri-
minatoires » (cest-à-dire basés sur l’âge, le
sexe, la race, la religion, le statut social, etc.)
ou «utilitaristes » (cest-à-dire fondés sur les
capacités professionnelles, lutilité sociale,
etc.). Au contraire, la priorité quant à lattri-
bution dorganes doit être déterminée en
fonction de facteurs immunologiques et cli-
niques. Tout autre critère se révélerait tota-
lement arbitraire et subjectif et ne parvien-
drait pas à reconnaître la valeur intrinsèque
de chaque être humain en tant que tel, cette
valeur étant indépendante de toute autre cir-
constance extérieure.
À cet égard, il est utile de rappeler que la
mort dune personne est un événement
unique qui consiste en la désintégration totale
de cet ensemble unitaire et intégré, quest la
personne. Elle résulte de la séparation du
principe de vie (ou âme) de la réalité corpo-
relle de la personne. La mort de la personne,
selon cette signification fondamentale, est un
événement quaucune technique scientifique
ou empirique ne peut directement identifier.
Pourtant, lexpérience humaine montre que
lorsque la mort survient, certains signes bio-
logiques suivent inévitablement, signes que la
médecine a appris a reconnaître avec de plus
en plus de précision. En ce sens, les «cri-
tères » permettant de constater la mort et qui
sont utilisés par la médecine aujourdhui ne
devraient pas être compris comme la détermi-
nation technique et scientifique du moment
exact de la mort dune personne, mais comme
un moyen scientifique solide didentifier les
signes biologiques qui montrent quune per-
sonne est effectivement morte.
Respect de «la certitude
morale »
5. Chacun sait que, depuis quelque temps,
certaines approches scientifiques relatives
au constat de la mort ont mis laccent sur
ce quon appelle le critère «neurologique »
plutôt que sur les signes cardio-respiratoires
traditionnels. Cela consiste en fait à établir,
selon des paramètres clairement déterminés
et reconnus par la communauté scientifique
internationale, la cessation complète et irré-
versible de toute activité cérébrale (dans le
cerveau, le cervelet, et le tronc cérébral).
Cest alors, dit-on, le signe que lorganisme a
perdu sa capacité dintégration.
En ce qui concerne les paramètres utilisés
aujourdhui pour établir la mort avec certitude
quil sagisse des signes «encéphaliques »
ou des signes cardio-respiratoires plus tradi-
tionnels l’Église ne prend pas de décisions
techniques. Elle se limite au devoir évangé-
lique qui consiste à comparer les données pro-
posées par les sciences médicales avec la
conception chrétienne de lunité de la per-
sonne, en relevant les similitudes et les
conflits éventuels qui risqueraient de mettre
en danger le respect de la dignité humaine.
(VOIR QUESTIONS ACTUELLES N°7, MAI-JUIN 1999) ➨ ➨ ➨
28 Questions actuelles
Certaines pratiques
sont moralement
inacceptables
7. La dernière question concerne
une éventuelle alternative permet-
tant de trouver des organes hu-
mains destinés à la transplantation,
solution qui reste en très grande
partie au stade expérimental, que
lon appelle hétérogreffe et qui consiste à
transplanter des organes provenant dautres
espèces animales.
Il nest pas dans mon intention dexplorer
en détail les problèmes liés à cette forme din-
tervention. Je rappellerai simplement que,
déjà en 1956, le Pape Pie XII avait soulevé la
question de leur légitimité. Il le fit en com-
mentant la possibilité scientifique, alors envi-
sagée, de transplanter sur l’être humain des
cornées animales. Sa réponse continue au-
jourdhui de nous éclairer : en principe, dé-
clara-t-il, une hétérogreffe ne peut être licite
que si lorgane transplanté ne porte pas at-
teinte à lintégrité de lidentité psychologique
ou génétique de la personne qui le reçoit. De
même, la preuve doit avoir été établie quune
telle transplantation est réalisable du point de
vue biologique et que celle-ci ne présente pas
de risques disproportionnés pour celui qui
en bénéficie. (Cf. Allocution à lAssociation ita-
lienne des donneurs de cornée, et aux clini-
ciens oculistes et membres de la médecine
légale, le 13 mai 1956.) ()
8. En conclusion, jexprime lespoir que,
grâce au travail de tant de personnes géné-
reuses et hautement qualifiées, la recherche
scientifique et technologique dans le domaine
de la transplantation continue de progresser
et s’étende à lexpérimentation de nouvelles
thérapies qui puissent remplacer les trans-
plantations dorganes, comme semblent le
promettre les récents progrès accomplis dans
le domaine des prothèses. Dans tous les cas,
les méthodes qui ne respectent pas la dignité
et la valeur de la personne doivent toujours
être évitées. Je pense en particulier aux ten-
tatives de clonage humain (••) dans le but
dobtenir des organes destinés à la transplan-
tation : ces techniques, dans la mesure où
elles entraînent la manipulation et la destruc-
tion dembryons humains, ne sont pas mora-
lement acceptables, même quand le but assi-
gné est en soi légitime. La science elle-même
laisse entrevoir dautres formes dinterven-
tions thérapeutiques qui nentraîneraient ni la
pratique du clonage ni lutilisation de cellules
embryonnaires, mais se serviraient de cel-
lules-souches prélevées sur des adultes. Telle
est la voie que la recherche doit emprunter si
elle souhaite respecter la dignité de chaque
être humain, même au stade dembryon.
La contribution des philosophes et des
théologiens en ce domaine est fondamentale.
Leur réflexion attentive et compétente sur
les problèmes éthiques liés à la thérapie des
transplantations peut contribuer à définir les
critères permettant de dire quels sont les
types de transplantation moralement accep-
tables et sous quelles conditions, tout parti-
culièrement au regard de la protection de
lidentité personnelle de chaque individu.
Je suis persuadé que les responsables so-
ciaux, politiques et éducatifs renouvelleront
leurs engagements permettant dencourager
une vraie culture de générosité et de solidarité.
Il est nécessaire dinstiller dans le cœur des
personnes, et tout particulièrement dans celui
des jeunes, une reconnaissance authentique et
profonde du besoin damour fraternel, un
amour qui puisse trouver son expression dans
la décision de devenir un donneur dorgane.
Puisse le Seigneur soutenir chacun de vous
dans son travail et vous aider à servir un pro-
grès humain authentique. Jaccompagne ce
souhait de ma bénédiction.
() Voir DC
1956, n°1228,
colonnes
782-786.
(••) Sur la
question du
clonage, voir :
« Réflexions
sur le clonage »,
note de
lAcadémie
pontificale des
Sciences (DC
1997, n°2168,
p. 894-897)
et « Lespoir que
constituent les
cellules souches
adultes »,
déclaration
de lAcadémie
pontificale pour
la Vie (DC
2000, n°2234,
p. 866-870).
ÀDÉTACHER ET INSÉRER DANS VOTRE DOSSIER SUR LA SANTÉ
Voici quelques documents ecclésiaux importants
concernant la transplantation dorganes :
«Solidarité et respect des personnes dans les greffes
de tissus et dorganes », déclaration du Conseil
permanent de la Conférence des évêques de France
(DC 1993, n°2082, p. 967-973);
«Le don dorganes : une forme éloquente
de fraternité», Appel de la Commission sociale
de l’épiscopat français, accompagné dune note
dinformation rédigée par le P. Patrick Verspieren sur
les dons dorganes (DC 1996, n°2134, p. 282-284);
«La transplantation dorganes de lanimal à
lhomme : note pour aider la formation du jugement
éthique », document du Secrétariat de la Conférence
épiscopale allemande et de lOffice central de l’Église
évangélique en Allemagne (DC 1999, n°2202,
p. 386-395).
POUR ALLER PLUS LOIN
1 / 4 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !