À DÉTACHER ET INSÉRER DANS VOTRE DOSSIER SUR LA SANTÉ MISE À JOUR DU DOSSIER SUR LA SANTÉ FICHE DE LECTURE Réflexion éthique sur le don d’organe L e 29 août 2000, lors du XVIIIe Congrès médical international sur les transplantations qui a réuni à Rome 5 000 chercheurs et médecins, le Pape Jean-Paul II a rappelé que cette pratique, pour être acceptable, devait être encadrée par une réflexion éthique continue. Il a souligné également que, dans tous les cas, il fallait respecter la dignité des donneurs et des bénéficiaires. Nous proposons ici l’essentiel de cette intervention. RÉSUMÉ A ujourd’hui, les transplantations d’organes représentent une avancée de la science au service de l’homme. Cependant, ce progrès nous invite à une réflexion sur plusieurs questions importantes, d’ordre éthique, liées au respect et à la dignité de la personne humaine. Celles-ci concernent les critères permettant de distinguer ce qui est techniquement possible de ce qui est moralement admissible, le respect absolu de la liberté de celui qui fait le don d’organe ainsi que la manière de l’informer du processus que ce don implique, le danger de la commercialisation des organes humains, le moment du prélèvement (le constat de la mort), les listes d’attente et l’attribution des organes, etc. Aujourd’hui, il est important aussi d’aborder la question de la transplantation d’organes d’animaux sur des personnes humaines ainsi que les multiples problèmes liés au clonage humain (manipulation et destruction des embryons humains, etc.). C PERSPECTIVES e discours fait suite à la publication, le 25 août 2000, par l’Académie pontificale pour la Vie, d’une déclaration « sur la production et l’utilisation scientifique et thérapeutique des cellules souches embryonnaires humaines » (voir DC 2000, n° 2234, p. 866-870). Pour le texte intégral du discours, voir DC 2000, n° 2234, p. 852-854. MESDAMES, MESSIEURS, 1. (…) Je vous suis à tous très reconnaissant de m’avoir invité à participer à cette rencontre et j’apprécie à sa juste valeur votre prise en considération de l’enseignement moral de l’Église. Dans le respect de la science et à l’écoute, en particulier, de la loi de Dieu, l’Église n’a pour objectif que le bien intégral de la personne humaine. Les transplantations représentent un grand pas en avant de la science au service de l’homme, et de nombreuses personnes doivent aujourd’hui la vie à une greffe d’organes. Les techniques de transplantation se sont révélées être de plus en plus un moyen efficace d’atteindre l’objectif fondamental de toute médecine : servir la vie humaine. C’est pourquoi, dans la Lettre Encyclique Evangelium vitae, j’ai suggéré que l’une des manières de promouvoir une véritable culture de vie « est le don d’organe, accompli sous une forme éthiquement acceptable, qui permet à des malades parfois privés d’espoir de nouvelles perspectives de santé et même de vie » (EV, 86). [Voir encadré p. 26.] 2. Comme pour toute avancée sur le plan humain, ce domaine particulier des sciences médicales, malgré tout l’espoir de santé et de vie qu’il offre à de nombreuses personnes, induit certaines questions graves qu’il est nécessaire d’examiner à la lumière d’une réflexion anthropologique et éthique attentive. Dans ce domaine des sciences médicales également, le critère fondamental doit être la défense de la promotion du bien intégral de la personne humaine, en harmonie avec la dignité unique qui est la nôtre en vertu de notre humanité. Il est donc évident que toute intervention médicale effectuée sur la personne humaine est soumise à des limites : non seu- Mars-Avril 2001 • 25 À DÉTACHER ET INSÉRER DANS VOTRE DOSSIER SUR LA SANTÉ (•) Pour le texte intégral de Donum vitae, qui traite plus directement du respect de la vie naissante et de la dignité de la procréation, voir DC 1987, n° 1937, p. 349-361. lement les limites de ce qui est techniquement possible, mais aussi celles que déterminent le respect de la nature humaine, entendue dans son intégralité : « ce qui est techniquement possible n’est pas pour autant moralement admissible » (Congrégation pour la Doctrine de la foi, Donum vitae, 4). (•) Le don d’organe : un véritable acte d’amour 3. Il faut tout d’abord souligner, comme j’ai pu le faire remarquer en une autre occasion, que toute transplantation d’organe a pour origine une décision d’une grande valeur éthique : UN GRAND GESTE DE PARTAGE Voici le paragraphe de l’encyclique Evangelium vitae qui situe le don d’organes dans le contexte plus large de « l’Évangile de la vie » : 86. Dans l’esprit du culte spirituel agréable à Dieu (cf. Rm 12, 1), la célébration de l’Évangile de la vie demande à être réalisée surtout dans l’existence quotidienne, vécue dans l’amour d’autrui et dans le don de soi. C’est toute notre existence qui se fera ainsi accueil authentique et responsable du don de la vie et louange sincère et reconnaissante de Dieu qui nous a fait ce don. C’est ce qui se passe déjà dans tant de gestes d’offrande, souvent humble et cachée, accomplis par des hommes et des femmes, des enfants et des adultes, des jeunes et des anciens, des malades et des bien portants. C’est dans un tel contexte, riche d’humanité et d’amour, que prennent aussi naissance les gestes héroïques. Ceux-ci sont la célébration la plus solennelle de l’Évangile de la vie, parce qu’ils le proclament par le don total du soi ; ils sont la lumineuse manifestation du degré d’amour le plus élevé : donner sa vie pour la personne qu’on aime (cf. Jn 15, 13) ; ils sont la participation au mystère de la Croix, sur laquelle Jésus révèle tout le prix qu’a pour lui la vie de tout homme et comment cette vie se réalise pleinement dans le don total de soi. Au-delà des actions d’éclat, il y a l’héroïsme au quotidien, fait de petits ou de grands gestes de partage qui enrichissent une authentique culture de la vie. Parmi ces gestes, il faut particulièrement apprécier le don d’organes, accompli sous une forme éthiquement acceptable, qui permet à des malades parfois privés d’espoir de nouvelles perspectives de santé et même de vie. Pour le texte intégral de l’encyclique, voir DC 1995, n° 2114, p. 351-405. 26 • Questions actuelles (n° 18) « la décision d’offrir sans aucune compensation une partie de son propre corps pour la santé et le bien-être d’une autre personne » (Allocution adressée aux participants d’un Congrès sur les transplantations d’organes, 3 [20 juin 1991]). C’est là précisément que réside la noblesse de ce geste, un geste qui est un véritable acte d’amour. Il ne s’agit pas seulement de se défaire de quelque chose qui nous appartient mais de donner quelque chose de nousmêmes, car « en raison de son union substantielle avec l’âme spirituelle, le corps humain ne peut pas être considéré seulement comme un ensemble de tissus, d’organes et de fonctions [...] mais il est partie constitutive de la personne qui se manifeste et s’exprime à travers lui » (Donum vitae, 3). Par conséquent, toute procédure qui tend à commercialiser des organes humains ou à les considérer comme des produits pouvant être échangés ou vendus, doit être considérée moralement inacceptable, car utiliser le corps comme un « objet », c’est violer la dignité de la personne humaine. Ce premier point a une conséquence immédiate dont la portée éthique est considérable : un consentement avisé est nécessaire. L’« authenticité » humaine d’un geste si capital exige que les personnes soient convenablement informées du processus que cela implique, afin d’être en mesure d’y consentir ou d’y renoncer sciemment et en toute liberté. L’accord des proches possède une valeur éthique en l’absence de décision de la part du donneur. Bien sûr, un consentement analogue doit être donné par le bénéficiaire du don d’organe. 4. La reconnaissance de la dignité unique de la personne humaine a une autre conséquence inhérente : les organes vitaux individuels dans le corps ne peuvent être prélevés qu’après la mort, c’est-à-dire à partir du corps d’une personne dont la mort est avérée. Cette exigence va de soi, puisqu’agir différemment signifierait provoquer intentionnellement la mort du donneur en prélevant ses organes. Cela soulève l’une des questions les plus débattues aujourd’hui dans le monde de la bioéthique et suscite beaucoup d’inquiétude au sein de l’opinion publique. Je me réfère au problème de la vérification de la mort. Quand peut-on considérer avec certitude qu’une personne est morte? (VOIR QUESTIONS ACTUELLES N° 7, MAI-JUIN 1999) À cet égard, il est utile de rappeler que la mort d’une personne est un événement unique qui consiste en la désintégration totale de cet ensemble unitaire et intégré, qu’est la personne. Elle résulte de la séparation du principe de vie (ou âme) de la réalité corporelle de la personne. La mort de la personne, selon cette signification fondamentale, est un événement qu’aucune technique scientifique ou empirique ne peut directement identifier. Pourtant, l’expérience humaine montre que lorsque la mort survient, certains signes biologiques suivent inévitablement, signes que la médecine a appris a reconnaître avec de plus en plus de précision. En ce sens, les « critères » permettant de constater la mort et qui sont utilisés par la médecine aujourd’hui ne devraient pas être compris comme la détermination technique et scientifique du moment exact de la mort d’une personne, mais comme un moyen scientifique solide d’identifier les signes biologiques qui montrent qu’une personne est effectivement morte. Respect de « la certitude morale » 5. Chacun sait que, depuis quelque temps, certaines approches scientifiques relatives au constat de la mort ont mis l’accent sur ce qu’on appelle le critère « neurologique » plutôt que sur les signes cardio-respiratoires traditionnels. Cela consiste en fait à établir, selon des paramètres clairement déterminés et reconnus par la communauté scientifique internationale, la cessation complète et irréversible de toute activité cérébrale (dans le cerveau, le cervelet, et le tronc cérébral). C’est alors, dit-on, le signe que l’organisme a perdu sa capacité d’intégration. En ce qui concerne les paramètres utilisés aujourd’hui pour établir la mort avec certitude – qu’il s’agisse des signes « encéphaliques » ou des signes cardio-respiratoires plus traditionnels – l’Église ne prend pas de décisions techniques. Elle se limite au devoir évangélique qui consiste à comparer les données proposées par les sciences médicales avec la conception chrétienne de l’unité de la personne, en relevant les similitudes et les conflits éventuels qui risqueraient de mettre en danger le respect de la dignité humaine. ➨➨➨ On peut dire ici que le critère récemment adopté pour établir avec certitude la mort, c’està-dire la cessation complète et irréversible de toute activité cérébrale, s’il est rigoureusement appliqué, ne semble pas être en conflit avec les éléments essentiels d’une anthropologie sérieuse. La personne responsable, en milieu médical, d’établir le moment de la mort peut donc se fonder au cas par cas sur ces critères pour atteindre ce degré d’assurance dans le jugement éthique que la doctrine morale qualifie de « certitude morale ». Cette certitude morale est considérée comme la base nécessaire et suffisante pour agir de façon éthiquement correcte. Ce n’est que lorsque cette certitude existe, et que le donneur – ou son représentant légitime – a, en connaissance de cause, exprimé son accord, qu’il est moralement admissible d’initier les procédures techniques nécessaires au prélèvement d’organes destinés à la transplantation. 6. Une autre question très importante du point de vue éthique est celle de l’attribution des organes à travers des listes d’attente et l’assignation de priorités. Malgré les campagnes d’incitation au don d’organe, dans de nombreux pays, les ressources disponibles sont à l’heure actuelle insuffisantes et ne peuvent répondre aux besoins de la médecine. D’où la nécessité d’établir des listes d’attente pour des transplantations sur la base de critères clairement définis et bien fondés. Du point de vue moral, un principe évident de justice exige que les critères d’attribution des organes ne soient en aucun cas « discriminatoires » (c’est-à-dire basés sur l’âge, le sexe, la race, la religion, le statut social, etc.) ou « utilitaristes » (c’est-à-dire fondés sur les capacités professionnelles, l’utilité sociale, etc.). Au contraire, la priorité quant à l’attribution d’organes doit être déterminée en fonction de facteurs immunologiques et cliniques. Tout autre critère se révélerait totalement arbitraire et subjectif et ne parviendrait pas à reconnaître la valeur intrinsèque de chaque être humain en tant que tel, cette valeur étant indépendante de toute autre circonstance extérieure. Mars-Avril 2001 • 27 À DÉTACHER ET INSÉRER DANS VOTRE DOSSIER SUR LA SANTÉ Certaines pratiques sont moralement inacceptables P O U R A L L E R P L U S LO I N (•) Voir DC 1956, n° 1228, colonnes 782-786. (••) Sur la question du clonage, voir : « Réflexions sur le clonage », note de l’Académie pontificale des Sciences (DC 1997, n° 2168, p. 894-897) et « L’espoir que constituent les “cellules souches adultes” », déclaration de l’Académie pontificale pour la Vie (DC 2000, n° 2234, p. 866-870). 7. La dernière question concerne une éventuelle alternative permettant de trouver des organes humains destinés à la transplantation, solution qui reste en très grande partie au stade expérimental, que l’on appelle hétérogreffe et qui consiste à transplanter des organes provenant d’autres espèces animales. Il n’est pas dans mon intention d’explorer en détail les problèmes liés à cette forme d’intervention. Je rappellerai simplement que, déjà en 1956, le Pape Pie XII avait soulevé la question de leur légitimité. Il le fit en commentant la possibilité scientifique, alors envisagée, de transplanter sur l’être humain des cornées animales. Sa réponse continue aujourd’hui de nous éclairer : en principe, déclara-t-il, une hétérogreffe ne peut être licite que si l’organe transplanté ne porte pas atteinte à l’intégrité de l’identité psychologique ou génétique de la personne qui le reçoit. De même, la preuve doit avoir été établie qu’une telle transplantation est réalisable du point de vue biologique et que celle-ci ne présente pas de risques disproportionnés pour celui qui en bénéficie. (Cf. Allocution à l’Association italienne des donneurs de cornée, et aux cliniciens oculistes et membres de la médecine légale, le 13 mai 1956.) (•) Voici quelques documents ecclésiaux importants concernant la transplantation d’organes : • « Solidarité et respect des personnes dans les greffes de tissus et d’organes », déclaration du Conseil permanent de la Conférence des évêques de France (DC 1993, n° 2082, p. 967-973) ; • « Le don d’organes : une forme éloquente de fraternité », Appel de la Commission sociale de l’épiscopat français, accompagné d’une note d’information rédigée par le P. Patrick Verspieren sur les dons d’organes (DC 1996, n° 2134, p. 282-284) ; • « La transplantation d’organes de l’animal à l’homme : note pour aider la formation du jugement éthique », document du Secrétariat de la Conférence épiscopale allemande et de l’Office central de l’Église évangélique en Allemagne (DC 1999, n° 2202, p. 386-395). 28 • Questions actuelles 8. En conclusion, j’exprime l’espoir que, grâce au travail de tant de personnes généreuses et hautement qualifiées, la recherche scientifique et technologique dans le domaine de la transplantation continue de progresser et s’étende à l’expérimentation de nouvelles thérapies qui puissent remplacer les transplantations d’organes, comme semblent le promettre les récents progrès accomplis dans le domaine des prothèses. Dans tous les cas, les méthodes qui ne respectent pas la dignité et la valeur de la personne doivent toujours être évitées. Je pense en particulier aux tentatives de clonage humain (••) dans le but d’obtenir des organes destinés à la transplantation : ces techniques, dans la mesure où elles entraînent la manipulation et la destruction d’embryons humains, ne sont pas moralement acceptables, même quand le but assigné est en soi légitime. La science elle-même laisse entrevoir d’autres formes d’interventions thérapeutiques qui n’entraîneraient ni la pratique du clonage ni l’utilisation de cellules embryonnaires, mais se serviraient de cellules-souches prélevées sur des adultes. Telle est la voie que la recherche doit emprunter si elle souhaite respecter la dignité de chaque être humain, même au stade d’embryon. La contribution des philosophes et des théologiens en ce domaine est fondamentale. Leur réflexion attentive et compétente sur les problèmes éthiques liés à la thérapie des transplantations peut contribuer à définir les critères permettant de dire quels sont les types de transplantation moralement acceptables et sous quelles conditions, tout particulièrement au regard de la protection de l’identité personnelle de chaque individu. Je suis persuadé que les responsables sociaux, politiques et éducatifs renouvelleront leurs engagements permettant d’encourager une vraie culture de générosité et de solidarité. Il est nécessaire d’instiller dans le cœur des personnes, et tout particulièrement dans celui des jeunes, une reconnaissance authentique et profonde du besoin d’amour fraternel, un amour qui puisse trouver son expression dans la décision de devenir un donneur d’organe. Puisse le Seigneur soutenir chacun de vous dans son travail et vous aider à servir un progrès humain authentique. J’accompagne ce ■ souhait de ma bénédiction.