« Projet de Communiqué relatif à la méthode de détermination des

vendredi 11 mars 2011
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« Projet de Communiqué relatif à la méthode de
détermination des sanctions pécuniaires »
Marc Deschamps1
A l’invitation de l’Autorité de la concurrence, nous nous permettons de faire ici
quelques brèves observations sur son projet de « Communiqué relatif à la méthode de
détermination des sanctions pécuniaires », en espérant que celles-ci pourront avoir
quelque utilité pour cette dernière.
A titre liminaire, nous souhaitons cependant indiquer que si l’on peut louer
l’Autorité de la concurrence2 pour l’existence et la qualité de ce document, ainsi que
pour son choix d’ouvrir durant deux mois une consultation publique sur ce dernier, il
nous faut néanmoins souligner notre désapprobation quant aux influences que semble
avoir eu à subir l’Adlc pour établir ce document et en assurer rapidement sa diffusion.
En effet, alors que le choix politique du Gouvernement comme du Parlement a
clairement été d’établir en France une autorité administrative indépendante chargée de
l’ordre publique concurrentiel et de lui confier de plus en plus de pouvoirs comme en
atteste notamment la loi de modernisation de l’économie, il nous semble que les
initiatives prises par Madame le ministre en charge de l’économie ne respectent ni
l’esprit ni la lettre du droit positif. Ainsi, à notre connaissance, aucune disposition ne
contraint l’Adlc à avoir une méthode de détermination des sanctions pécuniaires et, le
cas échéant, à la publier, et aucune n’accorde au ministre en charge de l’économie une
quelconque influence sur cette méthode ou sur sa publication. Dans le respect de la loi,
il revient à l’Adlc de prendre des décisions et le cas échéant, sur recours, à la Cour
d’appel de Paris, puis, sur pourvoi, à la Cour de cassation, de valider (totalement ou
partiellement) ou d’invalider les décisions prises par l’Adlc. Dès lors, le fait que la
Cour d’appel de Paris ait, dans le cadre d’une affaire spécifique, réformé très
largement les sanctions pécuniaires prononcées par l’Adlc ne peut s’analyser comme
un camouflet ou la preuve d’un problème sur la façon dont l’Adlc a prononcé et
prononce des sanctions pécuniaires. Notons d’ailleurs que, depuis lors, il n’est pas
apparu que toutes ou même la majorité des décisions rendues prononçant des sanctions
pécuniaires aient été réformées, renforçant ainsi le constat selon lequel il n’y avait pas
de problème urgent et grave concernant les décisions prises par l’Adlc où des
sanctions pécuniaires sont infligées.
Pour faciliter la lisibilité de nos observations sur le projet de document proposé
par l’Adlc, nous présenterons successivement nos observations générales (I) puis nos
observations portant sur des points spécifiques du document (II).
1 Citoyen français et européen.
Nous nous exprimons ici à titre strictement personnel et ne saurions engager d’une quelconque manière les
institutions auxquelles, par ailleurs, nous pouvons appartenir.
2 Nous écrirons par la suite « Adlc » pour la désigner.
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I] Observations générales
Sur la forme
¾ En dépit des nombreux efforts entrepris par l’Adlc pour diffuser son
document (communiqué de presse, éditorial de la Lettre n°10 de
l’Autorité de la concurrence, communication au réseau européen de
concurrence –ECN 01/2011–), on peut regretter que celle-ci n’ait pas été
en mesure de publier au moins une version en langue anglaise de ce
projet, ce qui aurait sûrement permis de recueillir des observations plus
nombreuses et surtout d’horizons plus divers ;
¾ L’origine du document n’étant pas précisément indiquée, on ne sait pas
si celui-ci résulte du travail de l’ensemble du collège, d’une partie du
collège, du président et des vice-présidents, du seul président ou si tous
les services de l’Autorité et notamment le service économique ont
participé à la rédaction de ce dernier3 ;
¾ Si le document a pour vocation de s’adresser à tous les acteurs
économiques, il nous paraîtrait intéressant que l’Adlc propose dans une
annexe différents exemples (y compris numériques)4 ainsi qu’un schéma
général reprenant les divers éléments et étapes contenus dans ce
document ;
Sur le fond
¾ Il nous semble dommage et, d’une certaine façon, trop partiel que le
document ne porte que sur les sanctions pécuniaires. En effet, cela risque
de faire croire aux lecteurs non spécialistes qu’il n’est de risque que
monétaire, alors que plusieurs types de sanctions sont possibles et qu’au
final c’est leur articulation qui assure l’ordre public concurrentiel et
importe aux entreprises condamnées ;
¾ Le statut de ce document peut apparaître à certains égards ambigu. En
effet, à la lecture on ne comprend pas bien s’il s’agit d’une méthode que
l’Adlc utilise déjà et qu’elle souhaite aujourd’hui diffuser, s’il s’agit
d’une méthode que l’Adlc utilise déjà et qu’elle souhaite améliorer, ou
encore s’il s’agit d’une méthode qu’elle compte utiliser à l’avenir, en
ayant éventuellement tenu compte de certaines des observations qu’elle
aura reçues à l’occasion de cette consultation publique, sans que l’on
sache non plus précisément à partir de quelle date elle s’appliquera5. Par
3 Dans l’éventualité où le service économique y a participé, il serait très intéressant et important dans un esprit de
transparence que l’Adlc rende public les éléments fournis.
4 Afin de ne pas utiliser les éléments d’affaires déjà traitées, ce qui donnerait une publicité accrue à la sanction
de certaines firmes et ferait ainsi courir à l’Adlc le risque de se voir reprocher d’avoir choisi telle ou telle affaire
(le sous-entendu étant que l’Adlc aurait “une dent” contre tel ou tel), il nous semble qu’il serait opportun dans ce
cadre que l’Adlc présente des exemples fictifs (entreprise A, entreprise B, etc.).
5 Dans son audition du mardi 15 février 2011 devant la Commission des affaires économiques de l’Assemblée
nationale, le président de l’Adlc explique que ce document concerne la « future méthode de calcul du montant
des sanctions » (Compte rendu n°45, p. 14), alors que le communiqué de presse de l’Adlc du 17 janvier 2011
évoque le fait que le document « explique les différentes étapes de la méthode suivie par l’Autorité pour
appliquer les critères prévus par le code de commerce » et que le document expose que « Le présent
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ailleurs, s’agit-il d’une base de négociation entre les entreprises et l’Adlc
sur laquelle il faudrait, pour chaque affaire, discuter de chaque point, ou
d’une méthode que l’Adlc appliquera toujours, sauf cas exceptionnel
dûment motivé ?
¾ Il n’y a pas d’élément précis relatif à l’actualisation de cette méthode
clause de revoyure »). Or, puisque au final chaque élément de la
méthode devra être validé notamment par les juridictions de contrôle,
quelle sécurité juridique supérieure cette méthode donne-t-elle par
rapport à la connaissance de la jurisprudence avant ce contrôle ?
II] Observations spécifiques
¾ §6
Si le document « synthétise également les principaux aspects de la pratique
décisionnelle de l’Autorité, telle que celle-ci s’est développée sous le contrôle
juridictionnel de la cour d’appel de Paris, elle-même placée sous celui de la
Cour de cassation », il nous semble que ni l’Autorité, ni aucun des participants à
cette consultation publique n’est en mesure de les modifier. Il conviendrait dès
lors de bien distinguer au sein du document tous les points qui ont déjà été
validés par les juridictions de contrôle et ceux pour lesquels la discussion reste
réellement ouverte ;
¾ §11
Plutôt que de renvoyer à un document de l’ECA, qui n’est qu’ « un forum de
discussion » des autorités de concurrence de l’Espace Economique Européen,
peut-être que l’Adlc pourrait être inspirée d’enclencher une réflexion sur cette
question au niveau du Réseau Européen de Concurrence, lequel fait partie du
système institutionnel européen ;
¾ §16
Il nous semble que l’expression du troisième critère de détermination de la
proportionnalité de la sanction pécuniaire présent à l’article L. 464-2 du Code
de commerce, à savoir « à la situation de l’organisme ou de l’entreprise
sanctionnée ou du groupe auquel l’entreprise appartient », est ambiguë. En effet
à la lecture on ne sait pas s’il s’agit de la situation au moment où l’entreprise
commet une infraction ou s’il s’agit de la situation au moment où l’Adlc a à
déterminer le montant de la sanction pécuniaire ;
¾ §22
Au vu de l’importance du critère de la « gravité des faits », il pourrait paraître
opportun dans un objectif de transparence et de pédagogie que l’Adlc fasse
figurer dans le document une liste hiérarchisée des différentes infractions ou, au
moins, établisse des groupes hiérarchisés d’infractions, car il nous semble bien
difficile d’établir de façon certaine et constante une telle hiérarchie sur la seule
base de la théorie économique. Par ailleurs, l’Adlc pourrait préciser plus avant
ce qu’elle entend lorsqu’elle évoque « la nature des personnes susceptibles
communiqué explique l’approche pratique suivie par l’Autorité lorsqu’elle détermine le montant des sanctions
pécuniaires au cas par cas » (§6).
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d’être directement ou indirectement affectées », car ce critère pourrait être
redondant avec celui portant sur « la nature des activités, des secteurs ou des
marchés en cause » ou laisser supposer que tous les consommateurs ne
bénéficient pas de la même protection, sans qu’elle précise alors sur quels
critères elle établit ces distinctions ;
¾ §23
Pour nous, ce paragraphe mériterait que le service économique de l’Adlc fasse
des propositions pour en modifier la rédaction afin, notamment, de très
clairement définir la notion de dommage à l’économie, et que celle-ci soit à
nouveau proposée à débat. En effet, alors qu’il est très clairement affirmé que
les sanctions pécuniaires imposées n’ont aucune nature réparatrice, on peut
s’interroger sur le fait de prendre en compte le transfert des consommateurs vers
les producteurs qui du point de vue d’une analyse de bien-être est neutre et ne
crée donc aucun dommage à l’économie. Dans le cadre d’une analyse classique
de bien-être on pourrait en effet considérer comme logique que l’Adlc ne
s’intéresse qu’à la perte sèche de bien-être, la question du transfert des
consommateurs vers les producteurs relevant des juridictions, en particulier
dans l’optique où une procédure d’action de groupe serait introduite dans le
droit français ou européen. Par ailleurs, la récente analyse de A. Edlin et J.
Farrell [2011]6 qui soutient que le concept de cœur est une meilleure norme que
celle de l’équilibre de concurrence parfaite dans le cadre de l’analyse des
pratiques anticoncurrentielles mériterait toute l’attention de l’Adlc.
Ce paragraphe nous semble d’ailleurs tellement crucial que nous suggérons que
l’Adlc, à l’issue de la phase de consultation publique, interroge les associations
française, européenne et américaine de Sciences Economiques, au sujet de la
notion de dommage à l’économie dans le cadre de pratiques
anticoncurrentielles, afin de parfaire le document7 ;
¾ §24
Si le dommage causé à l’économie n’est pas quantifié précisément ni même
évalué à partir de plusieurs scénarii crédibles au vu des éléments recueillis
durant la phase d’instruction, démarche qui nécessite obligatoirement une
reconstitution de la situation qui aurait existé en l’absence de toute infraction, il
paraît extrêmement difficile de se prononcer sur son importance ;
¾ §27 et §31
Le fait de prendre de manière générale la valeur des ventes « durant la dernière
année complète de participation » à (aux) infraction(s) risque de conduire à des
distorsions, il nous semblerait dès lors préférable, pour renforcer l’aspect
dissuasif et avoir une règle simple, que l’Adlc choisisse systématiquement
l’année où cette valeur a été la plus forte ;
¾ §28
Lorsqu’il s’agit d’une infraction répondant aux seuils où le droit européen
s’applique, nous ne comprenons pas pourquoi l’Adlc se limiterait à ne prendre
6 A. Edlin, et J. Farrell., [2011], « Freedom to trade and the competitive process », Working Paper NBER,
n°16818, February, 10 p.
7 On pourrait également envisager que l’Adlc propose un projet de recherche pluridisciplinaire (droit et
économie) à l’Agence Nationale de la Recherche sur ce thème.
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en compte que les ventes réalisées en France. Le principe, modulo les
exceptions prévues notamment au §33, pourrait être le suivant : lorsque seules
les dispositions françaises s’appliquent, les ventes concernées sont celles
réalisées en France, dans tout autre cas ce sont celles réalisées au niveau de
l’Union européenne ;
¾ §30
Afin d’encourager les entreprises ou organismes concernés à être parfaitement
coopératifs avec l’Adlc et de simplifier la question, l’Adlc devrait prendre pour
règle d’utiliser systématiquement le chiffre d’affaires total lorsque l’intéressé ne
lui transmet pas, de façon incomplète voire inexactes la valeur de ses ventes,
une exception à cette règle devrait toutefois être prévue pour traiter certains cas
très particuliers8 ;
¾ §34
Deux points sont ici à noter. D’une part, il ne paraît pas particulièrement
transparent de n’utiliser qu’un seul coefficient pour traiter à la fois de la gravité
et de l’importance du dommage à l’économie, mieux vaudrait utiliser un
coefficient pour chaque critère. D’autre part, aucune justification n’est donnée
pour retenir le seuil maximal de 30% de la valeur des ventes. Or ce seuil ne
nous paraît pas a priori correspondre à la volonté du législateur qui a fixé à
« 10% du montant du chiffre d’affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé
au cours d’un des exercices clos depuis l’exercice précédant celui au cours
duquel les pratiques ont été mises en œuvre » le seuil maximal des sanctions
pécuniaires pour une entreprise. En effet, la limitation du coefficient à 30 %
tend à introduire un plafond implicite de sanction plus favorable aux entreprises
que le 10 % appliqué au CA mondial. Ainsi, sauf erreur de notre part, dans le
cas d'une infraction limitée à un an, et si l'on retient ce seul coefficient comme
élément de la sanction, seule une entreprise dont plus de 30 % des ventes sont
affectées par la pratique pourra effectivement atteindre le plafond légal de 10 %
du CA9. Cette part de 30 % des ventes affectées semblant avoir peu de chances
d'être atteinte, compte tenu de la précision avec laquelle la notion de marché
pertinent est appliquée et du fait que les grandes entreprises sont souvent très
diversifiées. La limitation du coefficient à 30 % pourrait de ce fait
implicitement conduire à un plafond de sanction plus favorable que le plafond
en pourcentage du chiffre d'affaires fixé par le législateur. En conséquence,
nous considérons à ce niveau qu’il existe un risque que les sanctions pécuniaires
ne soient que peu dissuasives ;
¾ §36
Aucune justification n’est fournie quant à la façon dont l’Adlc prend en compte
la durée des infractions et notamment le fait que seule la moitié de la valeur des
ventes soit considérée pour toute autre année que l’année de référence. D’une
certaine façon il s’agit même d’une sorte d’incitation à poursuivre une
infraction au-delà d’un an ;
8 Nous songeons ici, par exemple, à la question des chèques pour les banques. Dans de tels cas, il reviendrait
alors à l’Adlc de choisir un critère ad hoc, en exposant très clairement les différents choix possibles et les raisons
qui l’ont conduite à choisir le critère qu’elle a retenu en l’espèce.
9 (Part des ventes affectées * Total des ventes)*Coefficient = Sanction en % du CA total. Pour le cas où 30 % des
ventes sont affectées : (0,3*Ventes)*0,3=0,09.
1 / 7 100%

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