Présentation de M. Lionel Levac, journaliste à la radio de Radio

Présentation de M. Lionel Levac, journaliste à la radio de Radio-Canada
et spécialiste des questions liées à l’agroalimentaire
1er Sommet de l’alimentation de Portneuf
Le mardi, 6 novembre 2007, à Donnacona
LES TENDANCES LOURDES EN AGROALIMENTAIRE
Je vais vous parler des tendances lourdes en agroalimentaire et je ne crois pas que vous en serez
très contents. Dans un premier temps en tout cas.
Car je ne crois pas que ce soit ce que vous souhaitiez entendre.
Mais il est certainement essentiel de voir face à quoi vous vous retrouvez dans votre activité
quotidienne, dans votre production, votre transformation et la mise en marché de vos produits.
On dit souvent que la qualité est la base de tout. C’est vrai, mais on ne peut se limiter qu’à viser la
qualité… qu`à produire de la qualité… Il faut y ajouter quelque chose.
Ce qui fera vivre l’entreprise, la ferme, l’atelier, l’usine, le magasin… c’est la vente, c’est l’acceptation
des produits par les clients… des clients qui sont à la base des consommateurs… et que vous devez
globalement convaincre de devenir acheteurs de vos produits, de préférence à des milliers d’autres
qui leur passent sous les yeux ou dans les oreilles de façon constante.
Et le défi est énorme parce que justement, au-delà de la qualité, de la particularité de vos produits,
quels sont les moyens à votre disposition pour exposer vos produits, pour les mettre dans les mains
des consommateurs, les placer sous leurs yeux, ou en faire porter le message jusqu’à leurs oreilles?
Pour les convaincre de les acheter… une première fois… mais aussi et surtout les préférer
régulièrement aux milliers d`autres… qui souvent sont soutenus par de lourdes et efficaces
campagnes et plans de promotion et de marketing.
Même si vos produits ne sont conçus que pour consommation occasionnelle… il vous faut aller au-
delà de la qualité… sans la négliger bien au contraire.
La marque, le nom, l’aspect, la nouveauté… ne serait-ce que dans l’emballage et la commodité
d’emploi, de préparation, de service… sont des facteurs récurrents… lorsqu’il est question d’ajout au
produit, de complément à la qualité. Je ne suis pas un spécialiste en marketing mais je vois, je
constate et j’entend constamment les spécialistes et les gens des grandes entreprises
agroalimentaires dire que… et concentrer leur préoccupation d’affaires sur la multitude de petits
raffinements susceptibles d’accrocher le consommateur et d’en faire un acheteur.
Par exemple on donne davantage de chances de réussite sur le marché à des produits qui prendront
moins de 5 minutes entre le congélateur ou le réfrigérateur et l’assiette.
Les énergies mises à rejoindre le consommateur vont donc bien au-delà de la stricte qualité des
produits… même si encore une fois cela demeure l’élément de base essentiel.
Mais… encore une fois, au-delà de la qualité… il y a le traitement fait au produit pour le rendre facile
et rapide d’utilisation… de consommation, il y a l’emballage accrocheur… souvent sans considération
environnementale…
Pour nombre de produits et d’entreprises, l’environnement est important dans le « message à
transmettre » et donc dans le message que retiendront les consommateurs… mais il devient bien
secondaire quand il s’agit de trouver l’idée précise, innovatrice, accrocheuse qui sera facteur
déterminant dans le choix du consommateur. Il y a donc beaucoup de produits qui sont sur-emballés,
par exemple… mais qui, au moment crucial de faire un achat alimentaire, vont tout de même trouver
place dans le panier du client. On a passé un message au « consommateur-citoyen »… (dans ce cas-
ci, un message environnemental) mais on a vendu le produit à un « client » qui lui répond à des
critères, à des stimuli différents… le plus important de ces stimuli étant le prix…
On pourrait faire la comparaison aussi avec par exemple l’identification « équitable »… c’est
accrocheur mais cela ne dispense pas le fabricant ou le commerçant de l’utilisation de l’arsenal
marketing… le nom commercial, l’emballage, l’emplacement tablette du produit, l’utilisation d’îlot en
bout d’allée etc.
Je ne vais pas plus loin dans cette voie… Si ce n’est pour dire que malgré tout le battage sur
l’environnement, les gaz à effet de serre, la fraîcheur souhaitée, la traçabilité que les gens souhaitent,
les OGM qu’ils ne veulent pas... les consommateurs, lorsqu’on les interroge à ces sujets ont une
opinion pourtant nette… ils veulent tout cela… sauf les OGM qu’ils ne veulent pas… Malgré l’opinion
exprimée, le facteur premier et majeur pour la grande majorité des consommateurs demeure le prix…
Les gens cherchent les prix les plus bas… et les facteurs de provenance, de proximité, de qualité
intrinsèque et même de valeur nutritive, d’impact sur la santé sont carrément mis de côté… oubliés au
moment de placer les aliments dans le panier d’épicerie.
Bien sûr, il est difficile et risqué de généraliser… mais on peut tout de même constater que la
croissance du marché des produits biologiques, même si elle est fulgurante en terme de pourcentage,
ne représente toujours qu’environ 2 % de la consommation d’aliments… que l’absence ou la rareté de
produits locaux dans les magasins, en saison, ne préoccupe pas la grande majorité des
consommateurs… qui prendront sans poser de question les fruits qui viennent de l’étranger. De toute
façon, dans bien des cas, les consommateurs auraient probablement choisi les fruits de l’étranger
parce que moins chers que ceux d’ici.
Nous nous trouvons… dans le monde de la consommation et tout particulièrement dans le secteur de
l’alimentation,… devant des contradictions flagrantes.
Le taux de sympathie pour les agriculteurs est élevé…et on peut par association penser que les gens
aiment bien aussi les transformateurs et ceux qui leur vendent leurs aliments… Les gens veulent des
produits d’ici… mais ne les placent pas dans leur panier d’épicerie… ils veulent un environnement
meilleur mais ne se préoccupent à peu près pas de savoir si ce qu’ils achètent a voyagé
20 kilomètres plutôt que 3000 kilomètres.
Est-ce pour autant sans espoir? Non, absolument pas…
Cela confirme tout simplement que la mise en marché des produits n’est pas chose facile… que tous
ne se battent pas à armes égales sur le marché et qu’il faut donc malgré tout rivaliser d’adresse pour
atteindre le consommateur.
Les moyens doivent correspondre aux marchés que l’on vise. On en revient toujours aux éléments de
base. Cibler son marché… sa clientèle… et se rendre jusqu’au consommateur, jusqu’au moment où il
devient client, acheteur.
Et ne jamais oublier que le marché a horreur du vide… dès qu’un espace est libre, les plus rapides,
les plus outillés vont occuper ce vide et prendre la part de marché.
La stratégie de la part des grands de la fabrication alimentaire… est souvent celle de l’occupation de
tous les créneaux. On développe ou on adapte un ou quelques produits dans les secteurs où on croit
possible une croissance intéressante de la demande … de façon justement à ne pas laisser de vide
que d’autres pourraient combler.
Même si on a des doutes… on met le pied dans le domaine au cas où. Et cette stratégie-là a donné
des situations comme Pepsi et Coke qui vendent des boissons fruités, des jus et de l’eau
embouteillée. Si les consommateurs, pour toutes sortes de raisons ou de sensibilités ne boivent plus
de boissons gazeuses eh bien on leur vend du jus ou encore de l’eau. On a gardé un client et les
recettes qu’il rapporte.
Deux autres exemples… le marché de l’Inde… Là-bas, les grandes multinationales sont partout,
même si jusqu’à maintenant la grande majorité des gens n’ont pas les moyens d’acheter. On ne
trouvera pas sur l’ensemble du marché indien les produits de la grande agro-industrie mondiale.
Alors ce que l’on fait, en attendant que les revenus des gens s’améliorent et permettent des achats
plus importants… On a réduit les formats… par exemple de sacs de croustilles, tout petits, que l’on
vend à prix très très bas… Lorsque le niveau de vie va augmenter, dans telle ville, dans telle région
on pourra alors vendre des formats plus gros à prix plus important… les gens auront déjà l’habitude
de consommer … par exemple des Lays.
Aussi, les clients en développement, pourrait-on dire, auront assimilé le nom de l’entreprise, les
marques des produits et iront alors plus naturellement vers d’autres gammes de produits de
l’entreprise lorsqu’ils auront les moyens de se les payer.
Autre exemple… Les produits biologiques… Dans l’esprit de bien des gens… et même d’artisans de
la production biologique… on peut difficilement concevoir du bio produit à grande échelle. Il faut se
détromper … ce qui nous vient par exemple de la Californie est produit à grande échelle. Aussi on
voit une entreprise comme Kraft… faire la promotion de sa ligne de produits bio… très limitée pour
l’instant … quelques vinaigrettes, des biscuits Ritz, des biscuits fins au blé et du café Nabob.
Selon l’évolution du marché… la gamme de Kraft augmentera… D’ici là, la notoriété de Kraft s’établit
dans ce créneau biologique… et les retombées positives se font sentir sur l’ensemble des produits de
l’entreprise… du fait que sa renommée bénéficie de cette orientation même encore sobre dans le
biologique.
Les moyens dont dispose Kraft sont énormes et à la mesure de ses visées de marchés. … en fait
c’est la planète. Grosso modo.
Qu’est-ce que cela veut dire par exemple pour les producteurs bio d’ici…
Premièrement que pour une bonne gamme de produits transformés ou sur-transformés… on ne fait
pas le poids face à des multinationales qui commencent à occuper le terrain bio. Deuxièmement cela
veut dire qu’il faut donner au produit local ou régional, même produit à petite échelle, à petit ou moyen
volume… il faut lui donner, lui juxtaposer quelques-uns sinon plusieurs des éléments dont je parlais
tout à l’heure. Le bio sera de « Portneuf », on marque la provenance. On aura un nom d’entreprise,
une catégorie, une identification visuelle reconnaissable… susceptible d’aider à créer l’habitude…
comme je le disais tout à l’heure, au-delà de la qualité…
La France a Bonduelle, géant mondial du légume surgelé et en conserve… mais la France a aussi
ses marchés locaux pour les maraîchages… ses marchés locaux pour ses vins, ses fromages.
Ceux que l’on connaît ici ne sont que quelques-uns à-travers toute la production française dont une
bonne part est consommée localement.
On boit le vin du pays, du coin, on mange le fromage de la région.
Le Québec mange de plus en plus de ses propres fromages et la gamme disponible ici est de plus en
plus complète. Le marché qui s’est développé jusqu’à maintenant est celui … en gros, des
connaisseurs et des fines bouches… à-travers la province. Reste à développer un marché … une
clientèle plus populaire pour les fromages d’ici et aussi une clientèle locale pour les fromages locaux.
Très peu de gens s’identifient vraiment à leur région par l’intermédiaire des produits des environs.
Mais le filon est bon … le filon du marché régional pour les produits régionaux. Le professeur
Normand Bourgault de l’Université du Québec à Rouyn-Noranda, spécialiste du marketing s’est
penché sur le dossier de la commercialisation des produits régionaux.
Essentiellement il conclut deux choses. Premièrement, lorsque les gens savent qu’un produit est de la
région ou d’une région particulière, lorsqu’ils peuvent le voir, le constater sur l’emballage… la
réceptivité est bonne. Il a fait les tests en magasins, en Abitibi-Témiscamingue et dans les Cantons-
de-l’Est. Donc quand on sait que c’est un produit régional, on le choisira. Dans une majorité des cas
on le préférera aux autres dont on ne connaÎt pas ou dont on n’est pas certain de la provenance.
Région est synonyme de qualité et devient élément déclencheur du choix des consommateurs.
Deuxièmement, Normand Bourgault qui a travaillé et travaille encore avec des producteurs et des
transformateurs de l’Abitibi-Témiscamingue, même s’il a bien de reproches à faire à la grande
distribution alimentaire, estime qu’il faut obligatoirement passer par les épiceries, même les grandes
surfaces si on a des volumes suffisants bien sûr. Pourquoi? Parce que la majorité des
consommateurs se rendent dans ce type de commerce pour faire l’achat de leurs aliments.
Cela implique donc étroite collaboration… collaboration nécessaire, essentielle, entre producteurs,
transformateurs et commerçants.
Cela implique aussi des accommodements sur les formats, la présentation, la régularité des
livraisons… et les prix… car le prix est facteur de choix… Ça aussi Normand Bourgault l’a vérifié.
Et cela va impliquer pour que tout le monde y trouve son compte que la notion de provenance,
l’identification claire de provenance deviennent élément de repérage et déclencheur d’un réflexe
d’achat pour les consommateurs… Un achat éclairé.
Dans les régions, en milieu rural ou dans les centres urbains l’influence que subissent les
consommateurs est la même. On est attiré par les grandes marques, on cherche les noms connus et
on veut payer le moins cher possible.
Convaincre les gens de payer plus cher pour des produits régionaux n’est pas chose facile. Et la
poussée du dollar canadien n’a rien pour améliorer les choses…
Et si l’on se fie à ce qu’en disent des économistes de l’Institut Économique de Montréal… on perdrait
son temps à tenter de convaincre les consommateurs d’acheter localement.
D’autres économistes… du Groupe Ageco par exemple… sont beaucoup plus positifs quant à l’utilité
et l’impact de l’achat local. Et on peut se rassurer jusqu’à un certain point de voir qu’au gouvernement
du Québec on se préoccupe de cette question … le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de
l’Alimentation, Laurent Lessard, ayant déjà soutenu quelques initiatives et indiquant vouloir en faire
davantage. Il y a aussi Aliments du Québec qui au cours de l’été a soutenu et fait la promotion des
produits maraîchers québécois dans la grande distribution alimentaire.
Donc pas facile de se rendre jusqu’au consommateur et de le convaincre.
Mais qu’il s’agisse de produits de masse, de produits issus de très grandes entreprises ou de produits
locaux ou régionaux… il faut rendre à terme l’opération marketing. Laisser un produit au kiosque du
coin ou à l’épicerie ne suffit pas. Le produit doit y arriver avec tous ses outils de vente.
Lors de la Conférence québécoise du Conseil canadien des distributeurs en alimentation, à Montréal,
il y a une quinzaine de jours, deux présentations ont bien montré que les produits auxquels on
apporte la plus grande attention dans la présentation en magasin, dans le support à la vente… sont
les produits qui se vendent le mieux. Annick Gazaille, propriétaire d’épicerie sous bannière IGA, et
Stéphane Drouin, spécialiste marketing chez Solutions Ventes et Marketing, l’ont nettement
démontré.
Bien sûr, selon les moyens, les volumes, les types de produits on sera ou on ne sera pas au super-
marché ou à l’épicerie. On sera peut-être au marché public, au kiosque à la ferme mais chose
certaine on ne peut pas laisser le produit se vendre seul… Encore une fois, la qualité du produit ne
suffit pas à le vendre. C’est peut-être déplorable aux yeux de certains qui n’aiment pas se plier et
mettre des énergies dans l’activité commerciale… mais a-t-on vraiment le choix?
Il y a bien sûr des formules de vente directe, comme celle de l’Agriculture Soutenue par la
Communauté. On livre des paniers chaque semaine à des clients qui se sont engagés pour une
saison entière. Jusqu’à maintenant les vendeurs ont fait face à une demande plus importante que
l’offre qu’ils étaient capables de soutenir. Mais les choses vont peut-être changer. Par exemple, une
entreprise de l’Estrie est à « travailler » le marché de Québec actuellement. Elle livrerait à Québec
des paniers constitués de produits biologiques venant pour l’essentiel de fermes des Cantons-de-
l’Est.
Alors la concurrence s’installe peu à peu même dans ce créneau très pointu.
Au-delà de la qualité, il faudra pour des entreprises plus proches de Québec faire un certain
marketing pour conserver le marché acquis et profiter de l’expansion de celui-ci.
VERS LA CONCLUSION
Je ne l’ai pas encore dit… et j’ai peut-être l’air d’un grand sceptique face à Portneuf et ce que cette
belle région produit.
Détrompez-vous. Il y a ici des choses extraordinaires que font des gens extraordinaires.
Le potentiel de Portneuf n’est à mon point de vue absolument pas exploité à sa capacité. Il y a place
pour bien davantage en volume et en qualité encore… qualité comme élément numéro un.
Il y a encore aussi beaucoup de travail à faire pour installer à demeure la notoriété de Portneuf. Pour
faire connaître ce qu’elle fait et ce qu’elle pourra encore donner.
Une région comme Portneuf a besoin de compter sur toutes les forces vives du milieu, a besoin de
puiser à l’expertise de chacun et chacune, a besoin de solidarité. Et ce n’est pas que l’on sente que la
région souffre et soit pénalisée par quelque conflit ou tension. Il faut toutefois éviter de telles choses.
Je vous donne un exemple. Il y a sur le territoire de Portneuf d’excellents fromages artisanaux et
fermiers. Il y a aussi dans Portneuf d’excellents fromages industriels. Les uns et les autres sont ce
qu’ils sont, tous ayant de grandes qualités. Les uns et les autres, différents, se complètent et ne sont
pas véritablement en compétition les uns les autres.
Il est donc souhaitable… dans le secteur fromager à titre d’exemple, mais également dans l’ensemble
de l’agroalimentaire de Portneuf que tous travaillent dans le même sens. Certains vont viser des
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