DOSSIER I 111
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°30
politique et leur conception jugée faussée de la religion. En
établissant une correspondance entre la loyauté religieuse
et la loyauté politique, ces mouvements ont assurément
1997, p. 80].
religieuses qui accordent une place croissante à l’individu
émergent. Elles insistent sur la nécessité de libérer
l’individu du joug des pratiques culturelles et ancestrales
qui auraient altéré l’essence libératrice du message
religieux. Cette recomposition individualiste des religions
touche également l’islam : ainsi, au milieu des années
1990, des discours musulmans se construisent autour des
croire musulman entraîne aussi le déclin de courants plus
soucieux de la transmission des rites tels que le Tabligh,
très présent dans la socialisation religieuse des premières
générations d’immigrés [Dassetto, 1988]. C’est cette toile
de fond socio-religieuse, posant l’individu comme central
dans la religion et la transmission par la communauté
Inuences transnationales
structurés autour d’institutions, de réseaux et d’acteurs
divers, étatiques ou non. En effet, l’État saoudien,
dans un contexte de compétition régionale avec l’Iran
post-révolutionnaire, se dote dans les années 1980
des instruments d’une nouvelle politique étrangère de
rayonnement dans laquelle la composante religieuse est
partie prenante (création de la Ligue islamique mondiale
en 1962 et de l’Organisation de la Conférence islamique
en 1969, bourses d’études élargies aux Européens à la
des leaders « transplantés » [Dassetto, 1984] formés
religieuse locale à Bruxelles et à Namur, premiers lieux
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à une idée largement répandue, l’État saoudien n’est pas
non publics – mécènes privés, organisations caritatives,
entreprises – ont participé de façon notable à la diffusion
des activités religieuses ou profanes. Ainsi en est-il de
l’association caritative saoudienne « al-Harameyn » qui,
avant sa mise au ban politique consécutive à la publication
par les États-Unis après les attentats du 11 septembre
2001, soutient matériellement et financièrement la
construction de mosquées et de centres de formation à
l’islam à Bruxelles, dont le Centre d’éducation et culturel
de la jeunesse (CECJ 9). D’autres acteurs privés, tels que
les entreprises et les individus, jouent un rôle majeur
dans la diffusion d’un imaginaire religieux et l’orientation
des pratiques religieuses et sociales, notamment par
la traduction d’ouvrages, l’importation et la mise en
circulation de biens vestimentaires dont le niqab est un
exemple probant, etc. En outre, le rapport au politique
grandement les moyens mis à disposition par l’État
saoudien pour leur diffusion. Ainsi, seules les versions
jugées apolitiques et loyales envers le régime politique
dit « djihadiste », très critique envers l’État saoudien, table
principalement sur les médias, et en l’occurrence Internet
la dernière décennie en propageant une interprétation
résumé, si l’Arabie saoudite est bien le berceau idéologique
de cette doctrine en Europe et en Belgique est à relativiser.
Trajectoires individuelles
L’évolution des structures (sociales, religieuses, politiques
et internationales) décrite précédemment n’aurait guère
avec les intérêts et les trajectoires des individus qui se sont
l’idée de Buxant et Saroglou [Buxant, Saroglou, 2009, p. 75]
selon laquelle la conversion à une religion répond à un
besoin, qu’il soit affectif, social ou cognitif 10. Interrogés sur
d’abord des motifs d’ordre cognitif et linguistique qui ont
(8) Cette variante du salafisme se situe dans le prolongement du wahhabisme institutionnel saoudien.
(9) Entretien avec les fondateurs du centre le 3/10 /2013.
(10) Dans un article sur les conversions à l’islam en Belgique, Aïcha Haddou appuie l’idée de Buxant et Saroglou sur le lien entre les besoins et
la conversion. Voir Haddou (A.), 2013, « La conversion à l’épreuve de l’Islam », in Maréchal (B.), El Asri (F.), Islam belge au pluriel, Presses
universitaires de Louvain.