Note sur les polynˆ
omes `
a plusieurs ind´
etermin´
ees
Daniel Ferrand (Novembre 2005)
La correction de copies m’a fait penser qu’un r´esum´e, en forme de guide de lecture, serait peut-ˆetre
utile aux agr´egatifs sur ce sujet. Il est suivi par deux exemples qui mettent en oeuvre la plupart des
notions signal´ees.
Sigles pour les r´ef´erences
A IV = Bourbaki, Alg`ebre, ch IV
AF = Arnaudi`es - Fraysse, Alg`ebre,
G= Gourdon, Alg`ebre,
J= Jacobson, Basic Algebra I
LFA = Lelong-Ferrand et Arnaudies, Alg`ebre
1. - D´efinitions
1.1. Il y a deux points de vue pour aborder les polynˆomes : on peut commencer par d´efinir ce
qu’est un polynˆome, puis introduire les op´erations qui font de leur ensemble une alg`ebre. De ce point de
vue, rappelons que tout ´el´ement de A[X1, . . . , Xn] s’´ecrit de fa¸con unique comme combinaison lin´eaire,
`a coefficients dans A, des monˆomes Xm=Xm(1)
1· · · Xm(n)
n, o`u mparcourt l’ensemble des suites de n
entiers 0. Le produit des polynˆomes est d´efini en prolongeant par lin´earit´e le produit des monˆomes,
lequel est associ´e `a la somme des n-uples :
XmXm0=Xm(1)
1· · · Xm(n)
nXm0(1)
1· · · Xm0(n)
n=Xm(1)+m0(1)
1· · · Xm(n)+m0(n)
n=Xm+m0.
Certains manuels, dans le souci louable d’ˆetre imm´ediatement compr´ehensibles, introduisent d’abord l’an-
neau A[X] des polynˆomes `a une ind´etermin´ee, et d´efinissent ensuite l’anneau A[X1, . . . , Xn] de proche en
proche par la r`egle A[X1, . . . , Xn] = (A[X1, . . . , Xn1])[Xn].
Le second point de vue consiste `a d´efinir d’abord l’alg`ebre des polynˆomes par ses relations avec les
autres alg`ebres, et, si n´ecessaire, pr´eciser ensuite la forme de ses ´el´ements. Cela s’exprime par une propri´et´e
universelle, trop souvent n´eglig´ee.
Soit Aun anneau (commutatif et unitaire). Pour une ind´etermin´ee, la propri´et´e universelle de A[X]
s’´enonce ainsi : le couple (AA[X], X) est universel parmi les couples (ϕ:AB, b) form´es d’une
A-alg`ebre commutative et d’un ´el´ement bB; cela signifie que pour tout tel couple il existe un unique
morphisme de A-alg`ebres ϕXb:A[X]B, tel que ϕXb(X) = b.
Pour nind´etermin´ees, la propri´et´e est analogue : pour toute A-alg`ebre commutative ϕ:AB, et
toute suite b.= (b1, . . . , bn) de n´el´ements de B, il existe un unique morphisme de A-alg`ebres
ϕX.b.:A[X1, . . . , Xn]B,
qui envoie Xisur bi, pour 1 in.
R´ef : AF p.406 ; J p.120
1.2. Cette propri´et´e universelle facilite certaines v´erifications.
Consid´erons, par exemple, un groupe Gagissant sur un espace vectoriel Vsur un corps K; une telle
action est la donn´ee, pour tout gG, d’un isomorphisme K-lin´eaire gV:VV, de telle sorte que
1V= IdV, et que pour get hdans G, on ait (gh)V=gVhV.
Si Vest de dimension n, le choix d’une base permet d’identifier Vavec le sous-espace de S=
K[X1, . . . , Xn] form´e des polynˆomes homog`enes de degr´e 1, et on consid`ere dor´enavent les Xicomme
1
2
formant une base de V. On ´etend l’action de Gsur Ven une action de Gsur la K-alg`ebre S, de la fa¸con
suivante :
Pour gG,gS:S=K[X1, ..., Xn]Sest l’unique morphisme de K-alg`ebres tel que gS(Xi) =
gV(Xi) ; la restriction de ce morphisme au sous-espace des polynˆomes de degr´e 1 est pr´ecis´ement l’auto-
morphisme donn´e gV. Pour get hdans G, on a (gh)S=gShSpuisque ces deux morphismes ont mˆeme
restriction `a V=KX1· · ·KXn, et que l’extension `a Sest unique. Comme chaque ´el´ement de Gadmet
un inverse, chacun des morphismes gSadmet un morphisme r´eciproque, et est donc un automorphisme
de la K-alg`ebre S; de plus, l’application GAutKalg(S), g 7→ gSest un morphisme de groupes.
R´ef : LFA p.156
2. Degr´es
2.1. Il est souvent tr`es utile de d´ecomposer S=K[X1, ..., Xn] en une somme directe de sous-modules
(libres) de type fini. Pour cela, on introduit divers degr´es : une suite d’entiers 0, d1, . . . , dn´etant
choisie, on attribue `a Xile degr´e (ou poids) di. Attribuer le degr´e 0 `a une ind´etermin´ee revient `a la
consid´erer comme un scalaire, c’est-`a-dire `a l’adjoindre `a l’anneau de base.
Le degr´e d’un monˆome est alors d´efini par la formule
deg(Xm) = d1m(1) + d2m(2) + · · · +dnm(n).
Une combinaison lin´eaire de monˆomes de mˆeme degr´e dsera nomm´ee un polynˆome homog`ene de degr´e d.
Tout polynˆome Fs’´ecrit alors de fa¸con unique comme une somme finie
F=F0+F1+· · · +Fs,
o`u Fdest homog`ene de degr´e d: c’est la somme des monˆomes de degr´e dqui figurent dans F. Autrement
dit, l’attribution de degr´e aux ind´etermin´ees conduit `a une d´ecomposition de Sen la somme directe
S=S0S1⊕ · · · ⊕ Sd · · ·
o`u Sdesigne le module des polynˆomes homog`enes de degr´e d. La r`egle de multiplication des monˆomes
montre que le produit dans Sinduit des applications Sd×SeSd+e; en particulier, S0est un sous-
anneau de S.
Il faut bien comprendre qu’attribuer des degr´es aux Xine change pas l’anneau des polynˆomes ; c’est
seulement organiser un fa¸con de le voir (de mˆeme que choisir une base d’une espace vectoriel ne le modifie
pas). Rappelons un exemple familier : les polynˆomes s1=X+Yet s2=XY sont, dans l’anneau K[X, Y ],
de degr´e 1 et 2 respectivement ; on sait (voir 6.1) qu’ils sont alg´ebriquement ind´ependants et que, par
suite, le sous-anneau K[s1, s2]K[X, Y ] est isomorphe `a l’anneau des polynˆomes en 2 ind´etermin´ees ;
de ce point de vue on attribue, souvent le degr´e 1 `a s1et `a s2.
2.2. Crit`ere : Pour qu’un polynˆome Fsoit homog`ene de degr´e d, il faut et il suffit que, dans l’anneau
S[Z], l’on ait F(Zd1X1, . . . , ZdnXn) = ZdF(X1, . . . , Xn)
Lorsque on munit les ind´etermin´ees du degr´e 1, on retrouve ce qui sert de d´efinition de l’homog´en´eit´e
en analyse.
Application `a l’irr´eductibilit´e :
2.3. Soit Kun anneau factoriel, par exemple un corps, et Fd, Fd+1 K[X1, ..., Xn]deux polynˆomes
homog`enes de degr´e respectivement det d+ 1. Si ces polynˆomes sont premiers entre eux, alors Fd+Fd+1
est irr´eductible (donc premier).
Consid´erons en effet une factorisation
Fd+Fd+1 =G.H = (Gr+· · · +Gs)(Ht+· · · +Hu)
o`u les Gisont de degr´e iet les Hjde degr´e j; on suppose aussi que les composantes extrˆemes Gr, Gs, Ht
et Husont non nulles. On a donc Fd=GrHt, d’o`u d=r+t, ainsi que Fd+1 =GsHu, d’o`u d+ 1 = s+u;
3
on tire de ces ´egalit´es la relation
(sr)+(ut) = 1.
Comme les deux entiers ´ecrits entre parenth`eses sont 0, on a s=rou u=t, disons s=r; alors
G=Gr, et ce polynˆome divise Fdet Fd+1, donc Gest une constante inversible.
Cet ´enonc´e admet des variantes :
2.4. Soit Kun corps, soit F, G K[X3, . . . , Xn]deux polynˆomes premiers entre eux (pas n´ecessairement
homog`enes), et ret sdeux entiers premiers entre eux. Alors Xr
1F+Xs
2Gest irr´eductible dans K[X1, ..., Xn].
En particulier, X1F+G, et Xr
1+Xs
2sont irr´eductibles.
L’anneau A=K[X3, . . . , Xn] est factoriel et K[X1, ..., Xn] = A[X1, X2]. Soient tet udeux entiers 0
tels que su rt = 1 ; affectons le degr´e t`a X1, et le degr´e u`a X2, de sorte que Xr
1Fest de degr´e rt, et
Xs
2Gest de degr´e su =rt + 1. Le r´esultat pr´ecedent permet alors de conclure.
3. - ´
Ecritures
Un ´el´ement de A[X1, ..., Xn] peut ˆetre ´ecrit de plusieurs fa¸cons, et il faut toujours choisir la plus simple,
i.e. la moins explicite :
une seule lettre, uou F; il est le plus souvent inutile de s’encombrer de pr´ecisions qui ne serviront
qu’`a perdre le temps de les ´ecrire, et `a distraire l’esprit ;
u0+... +uslorsqu’on fait intervenir la d´ecomposition de uen somme de polynˆomes homog`enes ud;
u(X1, ..., Xn) lorsqu’on pense devoir utiliser la propri´et´e universelle, en particulier lorsqu’on consid`ere
la fonction polynˆome associ´ee ;
XamXm, lorsqu’on doit consid´erer explicitement les coefficients, par exemple pour certaines ques-
tions de divisibilit´e ;
Xam1,...,mnXm1
1Xm2
2...Xmn
n; cette p´enible ´ecriture est presque toujours ´evitable.
4.- Binˆomes
Dans la suite, le passage A[T]A[[T]] de l’anneau des polynˆomes `a celui des s´eries formelles permet
de consid´erer l’inverse d’un polynˆome F(T) tel que F(0) = 1, comme une s´erie formelle, sur le mod`ele de
la relation de base
(1 T)1= 1 + T+T2+· · ·
Plus g´en´eralement, pour tout entier n(mˆeme n´egatif !), on a
4.1 (1 + T)n=X
d0n
dTd,
o`u n
dd´esigne la valeur en ndu «polynˆome binomial »
X
d=X(X1) · · · (Xd+ 1)
d!
Ainsi, pour un entier n0, on a n
d= (1)dn+d1
d.
V´erifions la formule (4.1) pour les entiers n´egatifs, par r´ecurrence descendante sur n, `a partir du cas
n=1 suppos´e connu (ou admis !). En d´erivant les deux membres de la formule 4.1, on trouve
n(1 + T)n1=X
d1n
ddT d1.
Or, n
d.d
n=n1
d1.
4
R´ef : AF p.353 ; LFA p.229
5. - Dimensions
Proposition 5.1 Soient Kun corps et S=K[X1, ..., Xn]l’anneau des polynˆomes `a nind´etermin´ees.
Attribuons le degr´e di`a Xi, et soit Sdle sous-espace des polynˆomes homog`enes de degr´e d. Alors, dans
Q[[T]], on a la relation
X
d0
dim(Sd)Td=1
(1 Td1)· · · (1 Tdn).
En particulier, si chaque Xiest dot´e du degr´e 1, on a
dim(Sd) = n+d1
d
Posons S0=K[X1, . . . , Xn1] ; le noyau du morphisme surjectif SS0, d´efini par Xn7→ 0, est
engendr´e par les monˆomes multiples de Xn; en degr´e d, ce noyau est donc XnSSd=XnSddn. Cela
implique la relation
dim(Sd) = dim(Sddn) + dim(S0d).
Passant `a la s´erie formelle, on obtient
X
d0
dim(Sd)Td=Tdn.X
d0
dim(Sd)Td+X
d0
dim(S0d)Td,
soit
(1 Tdn)(X
d0
dim(Sd)Td) = X
d0
dim(S0d)Td.
On termine la d´emonstration par r´ecurrence sur le nombre d’ind´etermin´ees.
La derni`ere assertion provient de 4.1, qui s’´ecrit ici
1
(1 T)n=X
d0n+d1
dTd.
R´ef : G, p.82
6. -Polynˆomes sym´etriques ´el´ementaires
´
Etant donn´ees n+ 1 ind´etermin´ees T, X1, . . . , Xn, on d´efinit le polynˆome sym´etrique ´el´ementaire de
degr´e i, not´e (ce sont les notations de Bourbaki) si(X1, . . . , Xn), par la relation
n
Y
i=1
(1 + T Xi) = 1 + s1T+s2T2+· · · +snTn.
On a donc
si(X1, . . . , Xn) = X
HY
jH
Xj,
o`u Hparcourt l’ensemble des parties `a i´el´ements de {1,2, . . . , n}. Le th´eor`eme suivant est fondamental.
Th´eor`eme 6.1. Soit Kun anneau (commutatif et unitaire). Posons S=K[X1, ..., Xn], et d´esignons
par SSnle sous-anneau des polynˆomes sym´etriques.
a) La K-alg`ebre des polynˆomes sym´etriques est engendr´ee par s1, . . . , sn:SSn=K[s1, . . . , sn].
b) Les ´el´ements s1, . . . , snsont alg´ebriquement ind´ependants sur K.
5
c) La famille des monˆomes Xm=Xm(1)
1. . . Xm(n)
ntels que 0m(i)< i pour 1in, est une
base de Scomme module sur le sous-anneau SSn. En particulier, Sest un SSn-module libre de rang n!.
R´ef :
A IV p.58 particuli`erement clair.
AF p.424, mais avec l’hypoth`ese stupide que K=C.
G p.78 sans d´emonstration, mais avec un proc´ed´e de calcul compr´ehensible.
J p.133 court, efficace ; l’anneau de base est quelconque.
LFA p.160, tr`es d´etaill´e, mais Kest suppos´e ˆetre un corps alg´ebriquement clos de caract´eristique z´ero
7. - Comment v´erifier que des ´el´ements sont alg´ebriquement ind´ependants ?
Il n’y a pas de proc´ed´e g´en´eral, aussi un exemple simple suffira pour indiquer des m´ethodes possibles.
Deux ´el´ements aet bd’une C-alg`ebre Asont alg´ebriquement ind´ependants (sur C) s’il n’y a pas
de polynˆome non nul FC[X, Y ] tel que F(a, b) = 0, autrement dit si le morphisme de C-alg`ebres
C[S, T ]A, d´efini par S7→ aet T7→ best injectif. Dans ce paragraphe, je note : a
ble morphisme
C[S, T ]A, S 7→ a, T 7→ b.
La d´emarche propos´ee consiste `a factoriser ce morphisme en un compos´e de morphismes suffisamment
simples pour ˆetre visiblement injectifs.
Voici un exemple explicite qui sera utilis´e plus bas (§11).
7.1. Les polynˆomes X4+Y4et X2Y2de C[X, Y ]sont alg´ebriquement ind´ependants.
Commen¸cons par une remarque.
7.2. Si pet qsont des entiers 1, le morphisme C[X, Y ]C[X, Y ]efini par X7→ Xp, Y 7→ Yq,
c’est-`a-dire Xp
Yq, est injectif.
Car l’image de la base (XiYj)(i,j)est la partie libre (XpiYqj )(i,j).
Pour v´erifier 7.1, il suffit donc de v´erifier que X2+Y2et XY sont alg´ebriquement ind´ependants,
puisque le morphisme X4+Y4
X2Y2se factorise en
C[S, T ]{X2+Y2
XY }
C[X, Y ]{X2
Y2}
C[X, Y ].
Or, le morphisme X2+Y2
XY se d´ecompose en
C[S, T ]{U2V
V}
C[U, V ]{U2
V}
C[U, V ]{X+Y
XY }
C[X, Y ]
Le premier morphisme U2V
Vest un isomorphisme, le second est injectif d’apr`es 7.2, et X+Y
XY est
injectif puisque ses composantes sont les polynˆomes sym´etriques ´el´ementaires en Xet Y(voir 6.1).
8. - Relations de Newton et de Waring
Les sommes de puissances, parce que ce sont des polynˆomes sym´etriques, s’expriment en fonction
des si; on a pour elles des formules explicites dues `a Newton et Waring. Pla¸cons nous dans l’anneau
Z[T, X1, . . . , Xn]. Posons (notations de Bourbaki)
pd=Xd
1+. . . +Xd
n.
Consid´erons le polynˆome F(T) = Qn
i=1(1 T Xi) = 1 s1T+s2T2. . . + (1)nsnTn.On a
T F 0(T)
F(T)=T X1
1T X1
+· · · +T Xn
1T Xn
.
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