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Banque africaine de développement
2
institutions politiques, manque de ri-
gueur dans les politiques économiques
(Iimi, 2007). Assurément, l’économie de
la Libye souffrait de tous ces symp-
tômes.
De nombreuses études ont montré de
façon probante que l’abondance des
ressources conduit à une croissance
faible ou inégalitaire et à une instabilité
politique, mais il existe quelques ex-
ceptions, et le Botswana en est une. Ce
pays, qui est l’un des plus grands pro-
ducteurs de diamants au monde, est
aussi l’un des rares qui ait su faire de
ses ressources une bénédiction. Au dé-
part, le Botswana était l’un des vingt-
cinq pays les plus pauvres au monde ;
en 1998, son économie se situait dans
la moitié supérieure, et, en 2004, son
PIB par habitant atteignait 9 200 USD
(Transparency International). La ques-
tion qui se pose est donc la suivante :
comment le Botswana a-t-il échappé
au piège de la malédiction des res-
sources ? Comment a-t-il assuré une
croissance stable et économisé ses ri-
chesses pour les générations futures ?
Et quelles leçons peut-on en tirer pour
une Libye en transition ?
Dans les sections qui suivent, nous
aborderons ces questions en expliquant
d’abord la dynamique de la malédiction
des ressources, en décrivant sa mani-
festation en Libye et en comparant l’ex-
périence de la Libye à celle du Bots-
wana. Nous montrerons que pour gérer
la richesse qu’il tire de ses ressources
naturelles, le Botswana a fait porter ses
efforts sur trois axes. D’abord, il a cher-
ché à poursuivre sa diversification éco-
nomique ; ensuite, il a découplé les dé-
penses et les recettes et mis en place
des mécanismes de lissage pour que
les dépenses soient moins liées aux
fluctuations du prix de ses ressources,
et donc de ses recettes ; enfin, il a in-
vesti ses excédents de recettes à
l’usage des générations futures. Nous
montrerons par ailleurs que si ces stra-
tégies politiques ont donné de bons ré-
sultats au Botswana mais échoué ail-
leurs, c’est grâce à des pratiques de
bonne gouvernance. En nous appuyant
sur les bonnes politiques de gestion des
richesses du Botswana, nous formule-
rons donc un certain nombre de re-
commandations à l’intention de la Libye.
2 Qu’est-ce que
la malédiction
des ressources
naturelles ?
Dans le monde en développement, la
performance des pays riches en res-
sources est inférieure, depuis les an-
nées 1970, à celle des pays pauvres en
ressources sur le triple plan de la crois-
sance économique, de l’égalité des re-
venus et de la bonne gouvernance. Se-
lon Wienthal (2006), c’est un fait établi
que – pour ce qui est des revenus –
plus un pays compte sur ses exporta-
tions minières (mesurées en pourcen-
tage du PIB), plus son économie se dé-
veloppe lentement. En fait, entre 1960
et 1990, le PIB par habitant des pays
riches en ressources minières a aug-
menté de 1,7 %, contre 2,5 à 3,5 %
pour les pays pauvres en ces mêmes
ressources.
Ces tendances, qui vont à l’encontre de
ce qu’on pourrait penser, sont toutefois
plus complexes que ne le laissent sup-
poser les chiffres. L’abondance en res-
sources n’est pas, après tout, la cause
d’une médiocre croissance, mais elle
encourage une mauvaise gestion des ri-
chesses qui, à son tour, explique les
mauvais résultats de la croissance.
Les gouvernements qui dépendent de
quelques produits de base sont parti-
culièrement vulnérables à certains pro-
blèmes macroéconomiques. Le premier
est la volatilité excessive du prix des
matières premières. Selon Asfaha, ce
paramètre a des conséquences graves
sur les pays qui dépendent de leurs
produits de base, c’est-à-dire dont les
recettes nationales proviennent essen-
tiellement de l’exportation d’une res-
source en particulier, car les cycles de
forte hausse et de forte baisse des prix
sont difficiles à gérer au niveau ma-
croéconomique. L’instabilité des re-
cettes à court terme crée un contexte
très difficile pour la planification ma-
croéconomique, notamment pour la
gestion des politiques budgétaires, car,
dans ces pays, la structure des dé-
penses suit généralement la structure
des recettes nationales en termes réels.
Autrement dit, les fluctuations des prix
des matières premières se traduisent
par des dépenses budgétaires en dents
de scie. « En conséquence, la politique
budgétaire devient procyclique, ce qui
veut dire que les dépenses augmen-
tent (et les impôts baissent) quand les
prix montent en flèche, et que les dé-
penses baissent (et les impôts mon-
tent) quand les prix chutent » (Asfaha,
2007).
En outre, dans une politique budgétaire
procyclique, les dépenses ne sont pas
nécessairement efficaces. Il a été
constaté que ce genre de politique en-
courageait souvent les dépenses
d’opérations courantes et entraînait un
faible retour sur les investissements pu-
blics. Ce type de gestion budgétaire
est un écueil fréquent, facile à com-
prendre si on l’envisage dans la pers-
pective de gouvernements qui opèrent
souvent sur des horizons à court terme.
Cherchant à prolonger leur mandat (par
le biais d’élections ou par des politiques
d’État rentier), les gouvernements ont
tendance à dépenser rapidement les
recettes exceptionnelles – et d’une ma-
nière inefficace –, par exemple en aug-
mentant les salaires et les aides, mais,
pour des raisons politiques, il leur est
difficile de revenir en arrière quand les
Bureau de l’économiste en chef
Octobre 2012
Le pétrole peut-il briller
comme un diamant ?