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Note du metteur en scène
Si on m’évoquait l’année 2006, je dirai que c’est l’année où j’ai découvert Fabrice
Melquiot. Non! Il ne s’agit pas de découvrir l’homme mais plutôt l’œuvre. Un texte aussi fort
que la mort. Son titre ? « Salât al-Janâza » ou la prière du mort. N’est ce pas là le sens même
du texte : une prière, mais non à la mort mais à la vie ? Qu’est ce qu’un titre à part quelques
mots agencés pour dire une histoire, une Histoire ?
Trois jeunes, nés en Algérie, me ramènent à ma ville natale. C’était aussi la leur: Oran el
bahia, Oran la merveilleuse. Cette ville aux Histoires multiples, a marqué les personnages
comme elle m’a marqué moi. Je n’ai pu que m’émerveiller devant cette force de transcrire
MA ville sans y mettre les pieds. Je vivais à Oran à cette époque-là et ce qui est encore plus
fascinant c’est que l’auteur a réussi, chose qui n’est guère facile, de voyager chez moi par les
mots et à travers les maux de simples « êtres en papier ». Moi, l’Oranais du centre ville, des
quartiers dits populaires, je me suis retrouvé dans son texte, dans les ruelles qu’il décrivait,
dans les coins et les recoins des bas fonds des cités. J’étais bien présent dans ce texte qui était
présent en moi. Il me provoquait, me titiller, me forcer à sourire et à pleurer. Bref, je m’y
trouvais comme si c’était moi qui l’avais crée.
Après tant d’années passés à errer en Algérie puis en France, et par la suite entre les deux
pays, je me suis retrouvé au croisé des chemins. Face à un public qui change aux changements
des villes et des pays, je me suis trouvé à me poser une question persistante : pourquoi tant de
clichés circulant entre les deux pays ? Je voyais dans le regard de chaque spectateur venu voir
mes spectacles une soif de savoir, une curiosité inouïe à découvrir cet Autre diabolisé dans la
presse et dans le discours politique. Ma position était délicate. Je me situais dans l’entre-deux
et j’avais une meilleure vision du fossé qui se creusait au fil des années entre deux peuples
liés par une Histoire commune, qu’on le veuille ou pas. C’est un fait !
C’est à ce moment-là que j’ai pensé à mener mon projet artistique autour de ce lien qui unit
plus qu’il ne sépare. Le premier nom qui m’est venu à l’esprit était celui de Fabrice Melquiot.
C’est l’auteur français le mieux placé à prendre part à cette aventure. Et le hasard a fait que
nos chemins se re-croise au moment même où je songeais à ce projet.
Ma première rencontre, « réelle » cette fois-ci, avec Fabrice fut autour de l’écriture, quand
j’ai participé à un atelier d’écriture. C’était lui l’animateur de cet atelier. N’est-ce pas le destin
qui fait bien les choses ? J’en ai profité alors pour lui faire part de mon dessein suscité par un
désir, voire un besoin de créer un spectacle ayant pour décor cette période douloureuse de
l’Histoire de la France : la guerre d’Algérie.
Il faut souligner une chose. Passionné d’Histoire que je suis, et depuis 10 ans, je travaille sans
relâche entre les deux pays, à créer des spectacles et les faisant voyager entre les deux rives de
la méditerranée. C’était comme si je cherchais à faire le médiateur efficace d’un travail de
mémoire. Et ceci, je le précise, non pas pour le seul plaisir d’invoquer l’Histoire mais afin de
servir le présent, sans désir de polémique ni de mise en accusation. Je ne mène pas un
discours culpabilisateur ou accusateur. Loin de moi cette idée !
Qu’en est-il de la réponse de Fabrice Melquiot ?
L’auteur convoité répondra favorablement à mon invitation, mais à une seule condition. Il
souhaiterait écrire un texte que je porterai moi-même sur scène. Ce n’est pas tout ! Il exige
aussi autre chose. Non seulement que je sois porteur de texte mais que le texte-même me
porte. Quelle idée ! Faire face à un public en racontant mon parcours, mon histoire à travers
l’Histoire des deux pays, un va et vient qui ne ferait que traduire ma quête d’un terrain