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PROJET MARION AUBERT – KHEIREDDINE LARDJAM
« AVOIR 20 ANS AujOuRdhuI,
ICI ET LA-BAS »
Un projet sUr deUx saisons
2016-2017 l 2017-2018
partenaires (en coUrs)
La Comédie de Saint-Etienne l Théâtre Jean Vilar
de Vitry-sur-Seine l Compagnie El Ajouad
2
Note de l’auteur
Par Marion Aubert
Jai rencontré Kheireddine
Lardjam à la Comédie de
Saint-Etienne, à l’occasion de la
création de mon dernier texte,
Tumultes, (« une pièce française 
1 »). La pièce parle, entre autres
sujets, de la prise de conscience
politique de jeunes gens face
à la montée du fascisme dans
leur pays.
Kheireddine, à l’issue d’une
représentation, ma dit :
« Jaimerais que tu continues à
travailler cette question de la
jeunesse et de l’actualité. » Cétait
en juin 2015. Aujourdhui, la
jeunesse est devenue, de façon
tragique, l’Actualité.
Mais cest qui, la jeunesse ? ça
veut dire quoi, avoir 20 ans
aujourd’hui en France ? Et en
Algérie ? Et en Bourgogne ? Et à
Vitry-sur-Seine ? Et lorsquon ne
partage pas les mêmes
convictions ? Et lorsqu’on ne vit
pas dans les mêmes conditions ?
Et c’est quoi l’espoir ? Y a-t-il un
espoir ? Que pouvons-nous
construire ensemble
aujourd’hui ? Et nous, qui avons
deux fois vingt ans aujourd’hui,
que lègue-t-on ?
Autant de questions brûlantes,
sensibles, auxquelles nous
tenterons dapporter dautres
questions, et, peut-être, des
bribes de réponses, partielles,
tronquées, à côté de la plaque,
des réponses venues du réel
et trempées dans la fiction,
mais destinées à être des pistes
pour nos vies actuelles
(le terme viendrait d’une
expression latine de la seconde
moitié du XIV e siècle, cauteres 
auctuaus ce qui littéralement
signifie: « cautère qui agit
immédiatement »).
Aussi, la perspective de
rencontrer des jeunes gens de
part et d’autres de frontières,
de rencontrer Kheireddine,
d’aller, physiquement, aux côtés
de ceux-là qui me sont
aujourd’hui encore étrangers
me semble être un enjeu
d’intérêt collectif. n
C’est Alexandre Dumas qui publie en 1850 La Vie à vingt
ans – qui suit d’ailleurs de cinq années Vingt ans après.
C’est Paul Nizan, revenant, et dans Aden Arabie, et dans La
Conspiration, sur ses haïssables vingt ans. C’est René Vautier
qui lme en 1972 Avoir vingt ans dans les Aurès. Vingt ans,
âge mythique, donc – âge des possibles, âge-seuil, suspendu
entre l’enfance heureuse dont il n’y aurait rien à dire,
l’adolescence dont l’inquiétude dée la mise en mots, et
l’âge adulte, celui des compromissions, forcément
regrettable.
À y regarder de plus près pourtant, on n’a jamais
vraiment vingt ans. Certes, vingt ans, c’est une des marches
de la pyramide des âges – mais au même titre que tous les
autres. C’est l’âge de la conscription, précisément, un âge
idéal, dont la réalité est variable. Un cap mathématique, sans
enjeu majeur, entre les 18 ans du baccalauréat et du permis
de conduire, et ce qui fut, longtemps, les 21 ans de la
majorité et du droit de vote. Il n’est en rien un jubilé dont
le décompte est xé à 50. Par ailleurs, « les vingt ans »,
comme « la vingtaine », désignent souvent la période entre
20 et 29 ans. Comme si ces années formaient un seul bloc.
D’ailleurs, les héros de ction, littéraire ou
cinématographique – ce sont souvent les mêmes –, ont
rarement « 20 ans » pile. Lamartine écrit Raphaël, pages de
la vingtième année, et son héros a 24 ans. Félix de
Vandenesse a « vingt ans passés » lorsque Balzac lui fait
rencontrer Madame de Mortsauf... Bref, nos héros des
romans d’apprentissage ont 20 ans en passant.
Nizan ne déroge pas à la règle : ses héros ont entre 20 et
24 ans. « 20 ans » serait donc de l’ordre de la mythologie,
de la construction sociale. Pour parler de la jeunesse, on
xe le curseur à 20 ans, arbitrairement.
« J’avais 20 ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le
plus bel âge de la vie » écrivait Paul Nizan en 1931. Qu’en
est-il aujourd’hui ? Que signie avoir entre 20 et 29 ans et
devenir adulte en temps de crise ?
n
Note du metteur en scène
Par Kheireddine Lardjam
Janvier 2016
Octobre 2014
3
Interview
avec Kheireddine Lardjam, metteur en scène
Propos recueillis par Mathilde Aubague, janvier 2016.
M. A. : Pourriez-vous
nous parler de l’origine
de ce projet ?
K. L. : Entre 2010 et 2011,
j’ai créé De La Salive comme
oxygène, une commande
d’écriture à Pauline Sales, autour
de la mythomanie. Pour créer
ce spectacle, nous étions en
résidence dans trois collèges :
le premier en région parisienne,
le second à Vire et le troisième
à Oran. Nous avons travaillé
au plus près d’adolescents qui
avaient entre onze et quinze ans.
Sans aucun lien avec le premier
projet, entre 2013 et 2015
j’ai fait une commande d’écriture
à Fabrice Melquiot autour
de la question de la guerre
d’Algérie, et pour créer ce
spectacle nous avons été en
résidence dans deux lycées,
le premier au Creusot en
Bourgogne, le second à Oran
en Algérie.
Travailler sur la question
des jeunes qui ont entre 20
et 29 ans est aujourd’hui comme
la continuité naturelle des
rencontres successives avec
des adolescents, même si j’insiste
sur le fait que ces projets
n’avaient pas de lien entre eux.
C’est comme ça que j’explique
cette envie forte, depuis
deux ans, de travailler sur
la question « avoir vingt ans
aujourd’hui. »
Et la rencontre avec Marion
Aubert a été la dernière pièce
manquante pour démarrer
ce projet.
Pourquoi Marion Aubert ?
Je suis le travail de cet auteur
de loin, depuis plusieurs années.
Je pourrais dire que j’ai presque
tout lu de ce qu’elle a écrit.
J’ai toujours été surpris
par sa faculté à transposer
le réel en ction et en fable.
J’ai beaucoup lu ses interviews,
mais c’est un débat autour
des héros au théâtre auquel
nous avons participé tous
les deux qui va nous faire
nous rencontrer.
Nos échanges, nos questions
autour de la jeunesse,
les conversations que nous avons
eues ne pouvaient que donner
naissance à une collaboration
artistique.
Avoir vingt ans
aujourd’hui, c’est un vaste
programme. Comment
comptez-vous aborder
cela au théâtre ?
D’abord, je tiens à rappeler
qu’il s’agit là d’un projet de
création d’une pièce de théâtre.
Tout le travail imaginé a un but
artistique qui est celui de faire
œuvre théâtrale. Comme
les deux précédents projets dont
je vous ai parlé, je souhaite
travailler au plus près de jeunes
qui ont entre 20 et 29 ans.
Gilles Deleuze afrme qu’«
on
enseigne bien ce que l’on
cherche, non ce que l’on sait ».
Je suis également convaincu
de ce principe.
Dès lors, l’idée de nous
confronter aux publics lors
du processus même de création
autour du thème des jeunes
ayant la vingtaine me paraît
indispensable.
Je désire convier et intégrer
aux différentes étapes de
ce travail le public concerné
par ce sujet, qui vit concrètement
ce thème au quotidien. Pour
ce faire, je serai entouré
d’une équipe artistique qui
participera à cette aventure
en plus de l’auteur Marion
Aubert, je pense à la plasticienne
algérienne Amina Menia, au
comédien Cédric Veschambres
et du professeur d’histoire
et d’esthétique du théâtre
Olivier Neveu. Ce dialogue ne
pourra qu’enrichir le travail de
création.
Je pense que le sujet de la pièce
naîtra des échanges, des
discussions qu’on aura ensemble.
Je souhaite inviter ces jeunes qui
sont pour la plupart actifs dans la
société ou qui vont l’être très
prochainement à FAIRE
ENSEMBLE. A travers des ateliers
de théâtre, des ateliers d’écriture,
Faire ensemble
s
4
s
je souhaite inviter nos imaginaires
à se rencontrer. Il s’agira
donc d’organiser, tout au long
des deux prochaines saisons,
dans chaque lieu de résidence,
un Atelier Ouvert.
Ces différents moments de
rencontre et de partage
permettront de développer et
d’ancrer le travail en faisant vivre,
chaque saison, la réexion et les
étapes de création.
Mais la première difculté
à laquelle je me confronte
aujourd’hui est : où les
rencontrer ?
Car, aujourd’hui dans la société
française, rien n’est rééchi pour
cette catégorie de jeunes.
En ce moment, nous préparons
ce projet, nous allons
à la rencontre de maisons
de quartier, de centres de loisir,
de centres sociaux, et
nous constatons que les jeunes
ont déserté ces lieux.
Restent alors ou les universités
ou les grandes écoles.
Actuellement, je pense beaucoup
aux écoles d’art, car ce type de
jeunes qui malheureusement
côtoient rarement nos lieux sont
dans leur pratique quotidienne
très proches de nos métiers.
Je vous avoue qu’on parle
aujourd’hui beaucoup de crise
économique, crise identitaire,
crise sociale ou sociétale, au
détriment de ce que j’appelle la
crise des imaginaires.
« Crise des imaginaires » ?
Mais vous l’avez,
votre sujet.
Ce qui est sûr, c’est que j’ai
le point de départ. Je reste
persuadé que c’est sur les
imaginaires qu’il faut agir. Car,
plus que la pénurie réelle,
c’est la croyance à la pénurie
qui mène beaucoup de jeunes
à la résignation. Le combat contre
les mirages de la préférence
nationale doit aussi investir
le terrain des imaginaires.
Est-ce que, comme
pour les précédents
projets, vous souhaitez
ouvrir celui-ci à un
échange entre l’Algérie
et la France ?
Bien sûr, car la question est
« avoir vingt ans aujourd’hui ».
Et je peux vous afrmer que
ces jeunes, des deux côtés
de la Méditerranée, traversent
les mêmes interrogations.
Pour le moment, nous imaginons
des résidences en région
parisienne, à Vitry-sur-Seine,
à Saint-Etienne et à Oran
en Algérie.
Ces échanges entre ces différents
lieux ne peuvent qu’être une
richesse. Et comme le dit Molière
dans Le misanthrope : « La solitude
effraie une âme de vingt ans ».
n
Marion aUbert ............ auteur
Kheireddine Lardjam ..... metteur en scène
Cedric Veschambre ....... comédien
Estelle GaUtier . . . . . . . . . . . scénographe
Amina menia ............. artiste plasticienne
Equipe artistique
(en cours)
5
Le 13 novembre à 22h15, je
quitte la scène du théâtre
Jean Vilar à Vitry-sur-Seine.
Dans les couloirs des coulisses,
japprends que Paris vit
l’effroyable et me voilà projeté
presque vingt ans en arrière,
lorsque j’exerçais cet art en
Algérie, et que tous les soirs
nous vivions lhorreur.
Comédien et metteur en scène
algérien, jai commencé d’exercer
ce métier en 1996, en plein
milieu de la décennie noire qu’a
traversée l’Algérie. Durant cette
période, je nai jamais cessé de
vivre ma passion, pas dans une
posture dopposition ou de
révolte, mais parce que cétait
mon métier. Comme le plombier,
l’enseignant, le policier, la femme
de ménage, jallais tous les jours
travailler.
Depuis plus de dix ans, je
travaille entre lAlgérie et la
France. Metteur en scène
algérien, directeur artistique
dune compagnie de théâtre
creusotine et citoyen franco-
algérien, jai choisi de parler,
car ce que nous traversons
aujourdhui en France,
je l’ai déjà vécu. Et je refuse de
le revivre. Redonner du sens,
voilà la priorité du théâtre
aujourdhui.
En tant que metteur en scène,
jai choisi un métier qui repose
sur la pluralité d’interprétation
des œuvres ; en tant que
musulman, jai choisi une
religion fondée sur des textes.
Alors oui, le Coran comme
tous les autres textes religieux
porte en lui des passages qui
peuvent apparaître, à la première
lecture, comme violents.
Ils sont le miroir de leur temps
et témoignent du contexte
de leur révélation.
Le calife Ali, cousin et gendre
du Prophète, avait cette formule
très clairvoyante : « Le Coran, 
cest deux lignes écrites dans un 
livre. Ce sont les hommes qui  
les interprètent. » Un regard
critique, l’usage de la raison
Tribune
Kheireddine Lardjam : “Ce sont nos enfants
qui se sont fait exploser. Où avons-nous échoué ?”
par Emmanuelle Bouchez
Publiée le 26/11/2015
Les attentats du 13 novembre ont fait revivre à Kheireddine Lardjam,  
metteur en scène et comédien, l’horreur de lAlgérie des années 90, plongée dans  
la guerre civile. Kheireddine Lardjam, né à Oran, avait 16 ans quand  
le grand dramaturge Alloula fut assassiné en 1994, comme dautres artistes  
et intellectuels le furent pendant ces années noires. Deux ans plus tard, après sa sortie  
du Conservatoire, il se lançait dans le théâtre en baptisant  
sa compagnie El Ajouad (les généreux), en référence au titre d’une formidable pièce 
d’Alloula... Aujourd’hui, il travaille en France comme en Algérie.  
Comme comédien (dans Le Retour au Désert de Koltès, récemment monté  
par Arnaud Meunier) ou comme metteur en scène de pièces coups de poings signées 
Mustapha Benfodil, poète et journaliste algérois, ou Fabrice Melquiot,  
auteur contemporain français. Il se définit souvent lui-même comme « l’artiste algérien
spécialiste des provinces françaises », tant il y a mené d’ateliers  
avec les jeunes collégiens ou lycéens. Après les attentats du 13 novembre,  
il vient de nous adresser cette tribune. 
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