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Note de l’auteur
Par Marion Aubert
J’ai rencontré Kheireddine
Lardjam à la Comédie de
Saint-Etienne, à l’occasion de la
création de mon dernier texte,
Tumultes, (« une pièce française
1 »). La pièce parle, entre autres
sujets, de la prise de conscience
politique de jeunes gens face
à la montée du fascisme dans
leur pays.
Kheireddine, à l’issue d’une
représentation, m’a dit :
« J’aimerais que tu continues à
travailler cette question de la
jeunesse et de l’actualité. » C’était
en juin 2015. Aujourd’hui, la
jeunesse est devenue, de façon
tragique, l’Actualité.
Mais c’est qui, la jeunesse ? ça
veut dire quoi, avoir 20 ans
aujourd’hui en France ? Et en
Algérie ? Et en Bourgogne ? Et à
Vitry-sur-Seine ? Et lorsqu’on ne
partage pas les mêmes
convictions ? Et lorsqu’on ne vit
pas dans les mêmes conditions ?
Et c’est quoi l’espoir ? Y a-t-il un
espoir ? Que pouvons-nous
construire ensemble
aujourd’hui ? Et nous, qui avons
deux fois vingt ans aujourd’hui,
que lègue-t-on ?
Autant de questions brûlantes,
sensibles, auxquelles nous
tenterons d’apporter d’autres
questions, et, peut-être, des
bribes de réponses, partielles,
tronquées, à côté de la plaque,
des réponses venues du réel
et trempées dans la fiction,
mais destinées à être des pistes
pour nos vies actuelles
(le terme viendrait d’une
expression latine de la seconde
moitié du XIV e siècle, cauteres
auctuaus ce qui littéralement
signifie: « cautère qui agit
immédiatement »).
Aussi, la perspective de
rencontrer des jeunes gens de
part et d’autres de frontières,
de rencontrer Kheireddine,
d’aller, physiquement, aux côtés
de ceux-là qui me sont
aujourd’hui encore étrangers
me semble être un enjeu
d’intérêt collectif. n
C’est Alexandre Dumas qui publie en 1850 La Vie à vingt
ans – qui suit d’ailleurs de cinq années Vingt ans après.
C’est Paul Nizan, revenant, et dans Aden Arabie, et dans La
Conspiration, sur ses haïssables vingt ans. C’est René Vautier
qui lme en 1972 Avoir vingt ans dans les Aurès. Vingt ans,
âge mythique, donc – âge des possibles, âge-seuil, suspendu
entre l’enfance heureuse dont il n’y aurait rien à dire,
l’adolescence dont l’inquiétude dée la mise en mots, et
l’âge adulte, celui des compromissions, forcément
regrettable.
À y regarder de plus près pourtant, on n’a jamais
vraiment vingt ans. Certes, vingt ans, c’est une des marches
de la pyramide des âges – mais au même titre que tous les
autres. C’est l’âge de la conscription, précisément, un âge
idéal, dont la réalité est variable. Un cap mathématique, sans
enjeu majeur, entre les 18 ans du baccalauréat et du permis
de conduire, et ce qui fut, longtemps, les 21 ans de la
majorité et du droit de vote. Il n’est en rien un jubilé dont
le décompte est xé à 50. Par ailleurs, « les vingt ans »,
comme « la vingtaine », désignent souvent la période entre
20 et 29 ans. Comme si ces années formaient un seul bloc.
D’ailleurs, les héros de ction, littéraire ou
cinématographique – ce sont souvent les mêmes –, ont
rarement « 20 ans » pile. Lamartine écrit Raphaël, pages de
la vingtième année, et son héros a 24 ans. Félix de
Vandenesse a « vingt ans passés » lorsque Balzac lui fait
rencontrer Madame de Mortsauf... Bref, nos héros des
romans d’apprentissage ont 20 ans en passant.
Nizan ne déroge pas à la règle : ses héros ont entre 20 et
24 ans. « 20 ans » serait donc de l’ordre de la mythologie,
de la construction sociale. Pour parler de la jeunesse, on
xe le curseur à 20 ans, arbitrairement.
« J’avais 20 ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le
plus bel âge de la vie » écrivait Paul Nizan en 1931. Qu’en
est-il aujourd’hui ? Que signie avoir entre 20 et 29 ans et
devenir adulte en temps de crise ?
n
Note du metteur en scène
Par Kheireddine Lardjam
Janvier 2016
Octobre 2014