« AVOIR 20 ANS AujOuRd`huI, ICI ET LA

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PROJET MARION AUBERT – KHEIREDDINE LARDJAM
« AVOIR 20 ANS Aujourd’hui,
ICI ET LA-BAS »
Un projet sur deux saisons
2016-2017 l 2017-2018
Partenaires (en cours)
La Comédie de Saint-Etienne l Théâtre Jean Vilar
de Vitry-sur-Seine l Compagnie El Ajouad
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Note
Janvier 2016
J
’ai rencontré Kheireddine
Lardjam à la Comédie de
Saint-Etienne, à l’occasion de la
création de mon dernier texte,
Tumultes, (« une pièce française
1 »). La pièce parle, entre autres
sujets, de la prise de conscience
politique de jeunes gens face
à la montée du fascisme dans
leur pays.
Kheireddine, à l’issue d’une
représentation, m’a dit :
« J’aimerais que tu continues à
travailler cette question de la
jeunesse et de l’actualité. » C’était
en juin 2015. Aujourd’hui, la
jeunesse est devenue, de façon
tragique, l’Actualité.
Mais c’est qui, la jeunesse ? ça
Par Marion Aubert
veut dire quoi, avoir 20 ans
aujourd’hui en France ? Et en
Algérie ? Et en Bourgogne ? Et à
Vitry-sur-Seine ? Et lorsqu’on ne
partage pas les mêmes
convictions ? Et lorsqu’on ne vit
pas dans les mêmes conditions ?
Et c’est quoi l’espoir ? Y a-t-il un
espoir ? Que pouvons-nous
construire ensemble
aujourd’hui ? Et nous, qui avons
deux fois vingt ans aujourd’hui,
que lègue-t-on ?
Autant de questions brûlantes,
sensibles, auxquelles nous
tenterons d’apporter d’autres
questions, et, peut-être, des
bribes de réponses, partielles,
tronquées, à côté de la plaque,
des réponses venues du réel
et trempées dans la fiction,
mais destinées à être des pistes
pour nos vies actuelles
(le terme viendrait d’une
expression latine de la seconde
moitié du XIV e siècle, cauteres
auctuaus ce qui littéralement
signifie: « cautère qui agit
immédiatement »).
Aussi, la perspective de
rencontrer des jeunes gens de
part et d’autres de frontières,
de rencontrer Kheireddine,
d’aller, physiquement, aux côtés
de ceux-là qui me sont
aujourd’hui encore étrangers
me semble être un enjeu
d’intérêt collectif. n
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Note du m
C
Par Kheireddine Lardjam
’est Alexandre Dumas qui publie en 1850 La Vie à vingt
ans – qui suit d’ailleurs de cinq années Vingt ans après.
C’est Paul Nizan, revenant, et dans Aden Arabie, et dans La
Conspiration, sur ses haïssables vingt ans. C’est René Vautier
qui filme en 1972 Avoir vingt ans dans les Aurès. Vingt ans,
âge mythique, donc – âge des possibles, âge-seuil, suspendu
entre l’enfance heureuse dont il n’y aurait rien à dire,
l’adolescence dont l’inquiétude défie la mise en mots, et
l’âge adulte, celui des compromissions, forcément
regrettable.
À y regarder de plus près pourtant, on n’a jamais
vraiment vingt ans. Certes, vingt ans, c’est une des marches
de la pyramide des âges – mais au même titre que tous les
autres. C’est l’âge de la conscription, précisément, un âge
idéal, dont la réalité est variable. Un cap mathématique, sans
enjeu majeur, entre les 18 ans du baccalauréat et du permis
de conduire, et ce qui fut, longtemps, les 21 ans de la
majorité et du droit de vote. Il n’est en rien un jubilé dont
Octobre 2014
le décompte est fixé à 50. Par ailleurs, « les vingt ans »,
comme « la vingtaine », désignent souvent la période entre
20 et 29 ans. Comme si ces années formaient un seul bloc.
D’ailleurs, les héros de fiction, littéraire ou
cinématographique – ce sont souvent les mêmes –, ont
rarement « 20 ans » pile. Lamartine écrit Raphaël, pages de
la vingtième année, et son héros a 24 ans. Félix de
Vandenesse a « vingt ans passés » lorsque Balzac lui fait
rencontrer Madame de Mortsauf... Bref, nos héros des
romans d’apprentissage ont 20 ans en passant.
Nizan ne déroge pas à la règle : ses héros ont entre 20 et
24 ans. « 20 ans » serait donc de l’ordre de la mythologie,
de la construction sociale. Pour parler de la jeunesse, on
fixe le curseur à 20 ans, arbitrairement.
« J’avais 20 ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le
plus bel âge de la vie » écrivait Paul Nizan en 1931. Qu’en
est-il aujourd’hui ? Que signifie avoir entre 20 et 29 ans et
devenir adulte en temps de crise ? n
Interview
Faire ensemble
avec Kheireddine Lardjam, metteur en scène
Propos recueillis par Mathilde Aubague, janvier 2016.
Et la rencontre avec Marion
Aubert a été la dernière pièce
manquante pour démarrer
ce projet.
Pourquoi Marion Aubert ?
Je suis le travail de cet auteur
de loin, depuis plusieurs années.
Je pourrais dire que j’ai presque
tout lu de ce qu’elle a écrit.
J’ai toujours été surpris
par sa faculté à transposer
le réel en fiction et en fable.
J’ai beaucoup lu ses interviews,
mais c’est un débat autour
des héros au théâtre auquel
nous avons participé tous
les deux qui va nous faire
nous rencontrer.
Nos échanges, nos questions
autour de la jeunesse,
les conversations que nous avons
eues ne pouvaient que donner
naissance à une collaboration
artistique.
Avoir vingt ans
aujourd’hui, c’est un vaste
programme. Comment
comptez-vous aborder
cela au théâtre ?
D’abord, je tiens à rappeler
qu’il s’agit là d’un projet de
création d’une pièce de théâtre.
Tout le travail imaginé a un but
artistique qui est celui de faire
œuvre théâtrale. Comme
les deux précédents projets dont
je vous ai parlé, je souhaite
travailler au plus près de jeunes
qui ont entre 20 et 29 ans.
Gilles Deleuze affirme qu’« on
enseigne bien ce que l’on
cherche, non ce que l’on sait ».
Je suis également convaincu
de ce principe.
Dès lors, l’idée de nous
confronter aux publics lors
du processus même de création
autour du thème des jeunes
ayant la vingtaine me paraît
indispensable.
Je désire convier et intégrer
aux différentes étapes de
ce travail le public concerné
par ce sujet, qui vit concrètement
ce thème au quotidien. Pour
ce faire, je serai entouré
d’une équipe artistique qui
participera à cette aventure
en plus de l’auteur Marion
Aubert, je pense à la plasticienne
algérienne Amina Menia, au
comédien Cédric Veschambres
et du professeur d’histoire
et d’esthétique du théâtre
Olivier Neveu. Ce dialogue ne
pourra qu’enrichir le travail de
création.
Je pense que le sujet de la pièce
naîtra des échanges, des
discussions qu’on aura ensemble.
Je souhaite inviter ces jeunes qui
sont pour la plupart actifs dans la
société ou qui vont l’être très
prochainement à FAIRE
ENSEMBLE. A travers des ateliers
de théâtre, des ateliers d’écriture,
s
M. A. : Pourriez-vous
nous parler de l’origine
de ce projet ?
K. L. : Entre 2010 et 2011,
j’ai créé De La Salive comme
oxygène, une commande
d’écriture à Pauline Sales, autour
de la mythomanie. Pour créer
ce spectacle, nous étions en
résidence dans trois collèges :
le premier en région parisienne,
le second à Vire et le troisième
à Oran. Nous avons travaillé
au plus près d’adolescents qui
avaient entre onze et quinze ans.
Sans aucun lien avec le premier
projet, entre 2013 et 2015
j’ai fait une commande d’écriture
à Fabrice Melquiot autour
de la question de la guerre
d’Algérie, et pour créer ce
spectacle nous avons été en
résidence dans deux lycées,
le premier au Creusot en
Bourgogne, le second à Oran
en Algérie.
Travailler sur la question
des jeunes qui ont entre 20
et 29 ans est aujourd’hui comme
la continuité naturelle des
rencontres successives avec
des adolescents, même si j’insiste
sur le fait que ces projets
n’avaient pas de lien entre eux.
C’est comme ça que j’explique
cette envie forte, depuis
deux ans, de travailler sur
la question « avoir vingt ans
aujourd’hui. »
s
je souhaite inviter nos imaginaires
à se rencontrer. Il s’agira
donc d’organiser, tout au long
des deux prochaines saisons,
dans chaque lieu de résidence,
un Atelier Ouvert.
Ces différents moments de
rencontre et de partage
permettront de développer et
d’ancrer le travail en faisant vivre,
chaque saison, la réflexion et les
étapes de création.
Mais la première difficulté
à laquelle je me confronte
aujourd’hui est : où les
rencontrer ?
Car, aujourd’hui dans la société
française, rien n’est réfléchi pour
cette catégorie de jeunes.
En ce moment, nous préparons
ce projet, nous allons
à la rencontre de maisons
de quartier, de centres de loisir,
de centres sociaux, et
nous constatons que les jeunes
ont déserté ces lieux.
Restent alors ou les universités
ou les grandes écoles.
Actuellement, je pense beaucoup
aux écoles d’art, car ce type de
jeunes qui malheureusement
côtoient rarement nos lieux sont
dans leur pratique quotidienne
très proches de nos métiers.
Je vous avoue qu’on parle
aujourd’hui beaucoup de crise
économique, crise identitaire,
crise sociale ou sociétale, au
détriment de ce que j’appelle la
crise des imaginaires.
« Crise des imaginaires » ?
Mais vous l’avez,
votre sujet.
Ce qui est sûr, c’est que j’ai
le point de départ. Je reste
persuadé que c’est sur les
imaginaires qu’il faut agir. Car,
plus que la pénurie réelle,
c’est la croyance à la pénurie
qui mène beaucoup de jeunes
à la résignation. Le combat contre
les mirages de la préférence
nationale doit aussi investir
le terrain des imaginaires.
Est-ce que, comme
pour les précédents
projets, vous souhaitez
ouvrir celui-ci à un
échange entre l’Algérie
et la France ?
Bien sûr, car la question est
« avoir vingt ans aujourd’hui ».
Et je peux vous affirmer que
ces jeunes, des deux côtés
de la Méditerranée, traversent
les mêmes interrogations.
Pour le moment, nous imaginons
des résidences en région
parisienne, à Vitry-sur-Seine,
à Saint-Etienne et à Oran
en Algérie.
Ces échanges entre ces différents
lieux ne peuvent qu’être une
richesse. Et comme le dit Molière
dans Le misanthrope : « La solitude
effraie une âme de vingt ans ». n
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Equipe
(en cours)
Marion Aubert . . . . . . . . . . . . auteur
Kheireddine Lardjam . . . . . metteur en scène
Cedric Veschambre .. . . . . . . comédien
Estelle Gautier .. . . . . . . . . . . scénographe
Amina Menia .. . . . . . . . . . . . . artiste plasticienne
Tribune
/2015
Publiée le 26/11
par Emmanuelle Bouchez
Kheireddine Lardjam : “Ce sont nos enfants
qui se sont fait exploser. Où avons-nous échoué ?”
Les attentats du 13 novembre ont fait revivre à Kheireddine Lardjam, metteur en scène et comédien, l’horreur de l’Algérie des années 90, plongée dans la guerre civile. Kheireddine Lardjam, né à Oran, avait 16 ans quand le grand dramaturge Alloula fut assassiné en 1994, comme d’autres artistes et intellectuels le furent pendant ces années noires. Deux ans plus tard, après sa sortie du Conservatoire, il se lançait dans le théâtre en baptisant sa compagnie El Ajouad (les généreux), en référence au titre d’une formidable pièce
d’Alloula... Aujourd’hui, il travaille en France comme en Algérie. Comme comédien (dans Le Retour au Désert de Koltès, récemment monté par Arnaud Meunier) ou comme metteur en scène de pièces coups de poings signées
Mustapha Benfodil, poète et journaliste algérois, ou Fabrice Melquiot, auteur contemporain français. Il se définit souvent lui-même comme « l’artiste algérien
spécialiste des provinces françaises », tant il y a mené d’ateliers avec les jeunes collégiens ou lycéens. Après les attentats du 13 novembre, il vient de nous adresser cette tribune.
L
mon métier. Comme le plombier,
l’enseignant, le policier, la femme
de ménage, j’allais tous les jours
travailler.
Depuis plus de dix ans, je
travaille entre l’Algérie et la
France. Metteur en scène
algérien, directeur artistique
d’une compagnie de théâtre
creusotine et citoyen francoalgérien, j’ai choisi de parler,
car ce que nous traversons
aujourd’hui en France,
je l’ai déjà vécu. Et je refuse de
le revivre. Redonner du sens,
voilà la priorité du théâtre
aujourd’hui.
En tant que metteur en scène,
j’ai choisi un métier qui repose
sur la pluralité d’interprétation
des œuvres ; en tant que
musulman, j’ai choisi une
religion fondée sur des textes.
Alors oui, le Coran comme
tous les autres textes religieux
porte en lui des passages qui
peuvent apparaître, à la première
lecture, comme violents.
Ils sont le miroir de leur temps
et témoignent du contexte
de leur révélation.
Le calife Ali, cousin et gendre
du Prophète, avait cette formule
très clairvoyante : « Le Coran,
c’est deux lignes écrites dans un
livre. Ce sont les hommes qui les interprètent. » Un regard
critique, l’usage de la raison
s
e 13 novembre à 22h15, je
quitte la scène du théâtre
Jean Vilar à Vitry-sur-Seine.
Dans les couloirs des coulisses,
j’apprends que Paris vit
l’effroyable et me voilà projeté
presque vingt ans en arrière,
lorsque j’exerçais cet art en
Algérie, et que tous les soirs
nous vivions l’horreur.
Comédien et metteur en scène
algérien, j’ai commencé d’exercer
ce métier en 1996, en plein
milieu de la décennie noire qu’a
traversée l’Algérie. Durant cette
période, je n’ai jamais cessé de
vivre ma passion, pas dans une
posture d’opposition ou de
révolte, mais parce que c’était
s
et l’adaptation à notre monde
doivent répondre à cette lecture
mortifère du Coran par les
islamistes.
“Les mots ‘laïcité’ et ‘république’
sont en danger : l’extrêmedroite les vide chaque jour de
leur substance.”
Khereiddine Lardjam dans le rôle principal de la pièce qu’il a mise en
scène, Page en construction, écrite par Fabrice Melquiot.
Malheureusement, aujourd’hui
on continue dans cette voie. On
essaye de trouver une raison aux
gestes monstrueux de personnes
incultes. Non, ils n’attaquent pas
le mode de vie des Français. Ils
nous attaquent, nous Français,
tout simplement. Parce qu’ils
nous haïssent. Parce que l’être
humain porte en lui une part
sombre qui le pousse ainsi, sans
logique, à haïr l’Autre quand il le
considère comme ennemi. Ils
veulent nous tuer, non pour ce
que nous faisons, mais pour ce
que nous sommes. La devise
républicaine « Liberté, égalité,
fraternité », même si
malheureusement elle n’est pas
toujours respectée, reste une
provocation pour ces monstres.
Et c’est cela qu’ils veulent
anéantir. Ils veulent nous
terroriser.
Pourquoi aujourd’hui un jeune
de 25 ans voit-il dans la mort un
espoir ? Ce sont nos enfants qui
se sont fait exploser, ce sont les
enfants de la République qui
sont aujourd’hui récupérés par
des idéologies de l’horreur. Où
avons-nous échoué ?
Le terrorisme n’est pas
seulement un problème
sécuritaire. Parce que les
extrémistes de tous bords se
nourrissent de la misère, qu’elle
soit économique, morale ou
sociale.
“Qu’est-ce qui fait
qu’aujourd’hui nos théâtres sont
en partie désertés par une
frange de la société ?”
Aujourd’hui, on parle
d’éducation artistique et d’action
artistique et culturelle dans les
quartiers ou zones prioritaire en
direction des jeunes. Mais cela
fait déjà partie de l’ADN de nos
théâtres, de nos lieux culturels
alors qu’on nous en parle comme
d’une nouveauté. Depuis dix ans,
j’ai eu la chance de sillonner une
bonne partie de la France, de ses
scènes nationales, de ses CDN,
de ses scènes conventionnées...
Et depuis dix ans, je rencontre
des artistes et des équipes qui
n’ont jamais cessé d’aller à la
s
Dans la guerre des
interprétations, un autre danger
nous guette. Les politiciens, les
médias de masse... ont vidé les
mots de leur sens. L’art théâtral
doit redonner du sens aux mots.
Car si, aujourd’hui, on manipule
de jeunes Français par le biais de
textes religieux, demain on le
fera via nos valeurs et notre
devise qui peuvent, elles aussi,
être prises en otage par de
pseudo- interprétations.
D’ores-et-déjà, le sens des mots
« laïcité » et « république » sont
en danger : l’extrême-droite les
vide chaque jour de leur
substance.
« Il n’y a pas d’autre poésie que
l’action réelle », Pasolini. Pendant
la décennie noire des années 90,
les médias français aimaient
chanter ce refrain : « Qui tue
qui ? » pour raconter la situation
algérienne. En Algérie, cette
question paraissait absurde, car
l’ennemi, pour nous, avait un
visage, et il nous ressemblait.
C’étaient bel et bien des
Algériens qui tuaient des
Algériens, tout comme
aujourd’hui, ce sont des Français
qui tuent des Français. Durant
des mois, la société française s’est
divisée sur cette question : « Pour
ou contre Charlie ? ».
Les attentats du 13 novembre
sont la preuve de son absurdité.
s
rencontre de ces publics. Qu’estce qui n’a pas marché ? Qu’est-ce
qui fait qu’aujourd’hui nos
théâtres sont en partie désertés
par une frange de la société ?
Remettons-nous en question,
réinventons notre manière
d’exercer ce métier à partir de ce
qui a déjà été fait mais faisons de
ce drame national une occasion
pour réfléchir... Ce qui était
efficace il y a trente ans ne l’est
peut-être plus maintenant.
Ayons le courage de reconstruire
un autre projet culturel et
artistique pour la France. Je crois
énormément à la force de la
fiction pour montrer ce qu’on ne
voit pas, pour apporter un autre
regard sur nos sociétés. En
Algérie, le théâtre a toujours été
pour moi cet art qui me raconte
et me révèle un autre point de
l’ADN de la société française,
vue sur mon quotidien, un art de mais le réduire à une question
l’urgence aussi donnant des
de couleur ou de relation
outils pour soigner
colonisateur/colonisé,
Je crois
les maux de la société énormément à la c’est se tromper de
contemporaine.
force de la fiction cause.
Aujourd’hui en
pour montrer ce La vraie question
France, nos scènes
qu’on ne voit pas, est celle de ce que l’on
doivent permettre
pour apporter un a à raconter ensemble,
plus que jamais le
autre regard sur de ce qui nous lie et
dialogue avec la
délie.
nos sociétés.
population. Nous
En tant que
avons des auteurs capables de
Français, nous portons en nous
résonner avec le quotidien de
toutes les histoires qu’a
nos contemporains. Après les
traversées ce pays. Je suis
attentats de Charlie Hebdo, une
français, je porte en moi
réflexion sur la diversité des
le colonisateur et le colonisé,
origines a surgi dans nos lieux
l’histoire de toutes les
culturels, et c’est tant mieux.
immigrations, de tous les échecs
Remettre en question le visage
et de toutes les victoires.
de nos scènes est légitime, car le
Je ne fais pas le tri.
multiculturalisme fait partie de
Kheireddine Lardjam n
Article
par Marion Aubert
paru sur la revue
8 janvier 2016
« Et puis, la vie m’a prise... »
L
ongtemps je me suis dit le
théâtre m’a sauvée du monde.
Il m’a arrachée à des vies
possibles, tracées, sans aucun
doute dignes d’être vécues
mais pas pour moi, non merci,
pensais-je, hors de question de
devenir ministre ou secrétaire
d’État, et lorsque je suis entrée
au conservatoire, j’ai eu le
sentiment d’être sauvée. Et je
crois que je ne pensais qu’à ça. À
ma fuite hors d’un monde qui
me semblait si ce n’est
monolithique, du moins
ankylosé. Et je fuyais vers
d’autres mondes, ceux des
comiques et des poètes, je fuyais
dans le Captif amoureux de
Genet sans y rien comprendre, je
fuyais dans des langues qui
étaient comme des pays, mais je
fuyais aussi, et surtout, par mes
camarades, et nos vies étaient
habitées, puissantes, et le monde
nous concernait peu. Je ne savais
d’ailleurs que très confusément
d’où je venais. Je ne savais pas
encore que j’étais femme. Et
blanche. Et française. Et jeune.
Et hétérosexuelle. J’étais tout.
On était tout. Le monde, c’était
nous. Et l’art nous avait bien
frappés. Et puis, la vie m’a prise.
Quand je dis la vie, c’est quoi ?
Sans doute je pense à la vie
pratique, de la naissance des
enfants à la mise en place de
l’emploi du temps (qui travaille ?
à qui/à quoi dédions-nous notre
temps ?), de la gestion d’une
compagnie à la découverte du
milieu (n’est-il pas ankylosé, lui
aussi ???), je pense aussi à la vie
percutée par les événements (du
11 Septembre à la crise des
réfugiés, en passant par Charlie
Hebdo, Le Pen au second tour, et
maintenant Ménard à Béziers, et
quoi demain ?), mais au fond, je
pense surtout à des rencontres –
avec des hommes qui m’ont bien
fait comprendre que je n’étais
qu’une femme (ou un cul), des
Anglais qui m’ont fait
comprendre combien j’étais so
Frenchy, des institutions
combien je n’étais rien –,
rencontre avec la honte – et la
surprise – d’être si rien,
rencontres avec ma propre
sottise, l’ignorance à perte de
vue, mais aussi – l’espoir est
sauf ! – avec des êtres
d’exception, parfois artistes,
d’autres fois non, lumineux et
inquiets, agissant davantage sur
le monde que je ne le fais. Et
toutes ces rencontres m’ont
rendue au monde, et à moimême – c’est ça, l’étonnement.
J’ai saisi à peu près qui j’étais, où
j’étais, et je tente depuis, bon an
mal an, de dealer avec les
injonctions de l’époque, et toute
forme d’assignation. J’essaie, sans
cesse, de déborder. Alors qu’est-ce
que je fais, dans les faits ? La
même chose qu’avant.
Sensiblement. J’écris, et je monte
des spectacles avec la
Compagnie.
On va dans les écoles, les parcs,
les marchés. À New York, à
Niort, à la Réunion bientôt.
Cool. Je vais sur des aires
d’autoroutes, à la boucherie, à
mon bureau (c’est pas très
spectaculaire). Je zone. Je tombe
dans des livres de science-fiction.
J’essaie d’aller là où je ne
m’attends pas. Souvent, y’a
personne qui m’attend. Je vais
chez moi, et je n’y reconnais rien.
Et je me sens étrangère partout,
à ne me plus rien comprendre.
Et j’ai parfois la sensation d’être
une artiste lorsque je suis là où
rien ne me prédestinait à être.
Comme un cheveu dans la
soupe. Est-ce que ça agit sur le
monde, un cheveu ? Bof.
Mais c’est là. Ça flotte. Ça
rappelle des trucs qu’on voudrait
pas trop voir. Ou pas trop se
rappeler. Ou qu’on n’avait pas
vus. Et alors, peut-être, une
action est possible. Quelque
chose va se mouvoir. Et nos vies
n’auront pas été de pauvres vies.
Et ça ira mieux. n
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B
KHEIREDDINE LARDJAM
Metteur en scène
&directeur artistique
de la Compagnie
El Ajouad
w Kheireddine Lardjam obtient
w Kheireddine Lardjam est
un des rares metteurs en scène
algériens dont les spectacles
tournent de façon régulière
en Algérie et en France.
MARION AUBERT
Auteur
w Marion Aubert est diplômée de
l’Ensad de Montpellier. En 1996,
elle écrit son premier texte pour
le théâtre : Petite pièce
médicament. Cette pièce est
créée l’année suivante, date à
laquelle elle fonde la compagnie
Tire pas la Nappe (www.
tirepaslanappe.com) avec Marion
Guerrero et Capucine Ducastelle.
Depuis, toutes ses pièces ont été
créées dans des mises en scène
de Marion Guerrero.
w Marion Aubert répond aussi
aux commandes de différents
théâtres, metteurs en scène
ou chorégraphes, parmi lesquels
le Théâtre du Rond-Point,
la Comédie-Française,
la Comédie de Valence, le CDR
de Vire, le Théâtre Am Stram
Gram de Genève, le Théâtre
du Peuple de Bussang,
Philippe Goudard, Guillaume
Delaveau, Babette Masson,
Matthieu Cruciani,
Marion Lévy, Kheireddine Lardjam,
Hélène Arnaud...
s
une licence de musique, se forme
au théâtre au Conservatoire
National d’Oran en Algérie et au
cours de stages dans le monde
arabe, en Afrique de l’Ouest et
France.
w Il crée en 1998 à Oran la
compagnie El Ajouad (Les
Généreux), titre d’une pièce
d’Abdelkader Alloula, dramaturge
assassiné en Algérie en 1994
par les islamistes, auteur
déterminant dans le trajet de
Kheireddine Lardjam qui s’engage
à défendre son œuvre et dont il
met en scène cinq textes.
La compagnie se consacre
à la découverte et à la
diffusion d’œuvres d’auteurs
contemporains arabes Noureddine Ana, Mohamed
Bakhti, Rachid Boudjedra, Kateb
Yacine, Tawfiq al-Hakim, Naguib
Mafouz - et occidentaux,
du répertoire ou contemporains.
w Depuis 1999, Kheireddine
Lardjam multiplie
les collaborations en Algérie,
dans plusieurs pays arabes
et en France.
Récemment, il crée :
- De la Salive comme oxygène
de Pauline Sales au Théâtre de
Sartrouville
- 2012, Le Poète comme boxeur de
Kateb Yacine au théâtre de Béjaia,
Algérie
- 2012, Les Borgnes de Mustapha
Benfodil à L’Arc, Scène nationale
du Creusot
- 2012, End/Igné de Mustapha
Benfodil au Caire et présenté à
la Manufacture lors du festival
d’Avignon
- 2013. Il crée Page en
construction de Fabrice Melquiot
à La Filature - scène nationale
de Mulhouse dans le cadre du
festival Les Vagamondes en janvier
2015.
- 2015/2016 : il intégrera
l’ensemble artistique de la
Comédie de Saint Etienne.
s
Ses pièces sont éditées chez
Actes Sud-Papiers, et certaines
sont traduites en allemand,
anglais, tchèque, italien et catalan.
w Elle a reçu le prix Nouveau
Talent Théâtre en 2013. Elle est
aussi marraine de la promotion
26 de la Comédie de SaintÉtienne, intervenante au
département d’écriture de
l’Ensatt et membre fondatrice de
la Coopérative d’écriture initiée
par Fabrice Melquiot.
w Son travail d’auteure se réalise
le plus souvent dans le cadre de
résidences d’écriture : à la
Chartreuse de Villeneuve-lèsAvignon, au Festival des Théâtres
francophones en Limousin, au
Théâtre de la Tête Noire à Saran
(Orléans), à la Bibliothèque de
Saint-Herblain (Nantes), au
Royal Court à Londres, au Lark
Play Development Centre à
New-York, à l’American
Conservatory Theatre à San
Francisco...
Amina Ménia
Artiste plasticienne
w Amina Menia est une artiste qui
vit et travaille à Alger, Algérie. Son
travail interroge notre rapport à
l’architecture et à l’Histoire. Par
ses installations, sculptures ou
photographies, fondées sur une
esthétique relationnelle, son
œuvre favorise l’échange,
l’interaction et sonde nos
rapports quotidiens à travers ce
qu’elle nomme les « nouvelles
pratiques urbaines ».
w Avec une préférence certaine
pour les installations in situ, son
travail s’appréhende comme une
invitation à réévaluer notre
compréhension du patrimoine, et
à déconstruire notre conception
de la beauté en défiant les
notions conventionnelles de
l’espace d’exposition.
w Extra Muros est une série
d’installations urbaines dans la
ville d’Alger.
Une invitation à revisiter la ville
pour se la réapproprier.
w Chrysanthèmes, est une
installation photographique
en relation frontale avec le
spectateur où elle documente
des monuments abandonnés
chargés d’histoire.
w Enclosed (2013) revisite
l’histoire extraordinaire de
l’ancien monument aux Morts
d’Alger, sculpté par Paul
Landowski. Il montre comment
l’artiste Algérien M’hamed
Issiakhem a détourné son
obligation de « cacher » le
monument en l’enfermant dans
un coffrage de ciment pour le
protéger. L’artiste a été fascinée
par le dialogue impossible entre
les deux artistes.
Un écorché est un projet basé sur
une longue recherche où elle
explore le patrimoine archi10
tectural, historique et social
commun aux villes d’Alger et
Marseille.
w Elle a exposé localement et
internationalement, notamment
au Musée d’Art Moderne d’Alger
(MAMA), Musée d’Art
Contemporain de Marseille
(MAC), Musée National
de Carthage (Tunisie), le Royal
Hibernian Academy (Dublin)
et le Museum of African Design
de Johannesburg, Afrique du Sud.
w Elle prit part à la Biennale de
Sharjah 11, la Biennale de Dakar
2014 ainsi qu’aux Triennales de
Folkestone 2014 et Brugges 2015.
Cédric Veschambre
Responsable
artistique, metteur
en scène, comédien
et dramaturge
w Formé au Conservatoire
National de Région de ClermontFerrand puis à l’École de la
Comédie de Saint-Étienne auprès
de Christian Colin, Daniel Girard,
Eric Vignier, Anatoli Vassiliev...
w En 1999, pendant sa formation
à l’école d’acteur il trouve son
w Jusqu’en 2010, il participe à
attachement à l’écriture
contemporaine et désire faire de
la mise en scène, sa première :
Histoire Idiote avec un début et un
début de Pierre-François
Pommier. Suivront La Pluie d’été
de Marguerite Duras et Jaz de
Koffi Kwahulé, La danse rouge de
la libellule de Julien Rocha
et Des mots des mots des mots
pour La Comédie de SaintEtienne – CDN.
w Co-fondateur avec Julien Rocha
de la compagnie Le Souffleur de
Verre en 2003, il met en place les
principes des créations de cette
période : un travail de création
et de laboratoire avec Derniers
remords (.) de Jean-Luc Lagarce et
P.P.P projet mené avec Fabrice
Gaillard d’après le texte inachevé
Pétrole de Pier Paolo Pasolini. Un
travail de création pour le jeune
public dont Gulliver de Jonathan
Swift et Jules, le petit garçon et
l’allumette de Sabine Revillet et
Julien Rocha (pièces co-mises en
scène avec Julien Rocha).
w Le Centre Lyrique d’Auvergne
lui commande la mise en scène
de l’opéra de Gounot Le Médecin
malgré lui.
différents comités de lectures
dont celui de la Comédie de
Saint-Etienne, lui permettant de
découvrir de nouveaux auteurs.
w Il met en espace de
nombreuses lecture-spectacles et
works in progress dont des
œuvres de Howard Barker, Anton
Tchekhov et Frank Wedekind. Il
lie mise en scène et jeu de
comédien dans des co-mises en
scène avec Julien Rocha : Les gens
que j’aime de Sabine Revillet
(création 2014), Le Roi Nu d’après
Evguéni Schwartz et met seul en
scène Prior’s Band – Cabaret
d’après Angels in America de Tony
Kushner. Il est dirigé par Julien
Rocha dans Candide ou le nigaud
dans le jardin d’après Voltaire,
Dewaere – La philosophie du
premier pas d’Emilie Beauvais.
w Il est membre de l’Ensemble
artistique de La Comédie de
Saint-Etienne – Centre
dramatique national, dont la
compagnie Le Souffleur de
Verre est associée.
ESTELLE GAUTIER
Scénographe
w Scénographe formée à
l’ENSATT, Estelle Gautier
travaille entre 2009 et 2010
auprès de Bernard Sobel
(Cymbeline de Shakespeare à la
MC93) et Claudia Stavisky
(Lorenzaccio de Musset sous
chapiteau).
w Elle participe à tous les projets
de La Nouvelle Fabrique (Lyon)
jusqu’en 2014.
w Elle collabore avec Kheireddine
Lardjam (Twam, End/igné de
Mustapha Benfodil, Le monde dort
dans une femme arabe) et avec
Philippe Baronnet (Bobby Fischer
vit à Pasadena de Lars Noren
créé au CDN de Sartrouville et
Le monstre du couloir de David
Graig au Préau-CDR à Vire).
w Cette saison, elle retrouve
Patricia Allio et Éléonore Weber
(Premier monde en 2011)
à l’occasion du festival d’Automne
au centre Pompidou avec
Natural Beauty Museum
et Kheireddine Lardjam pour
la création Page en construction
de Fabrice Melquiot.
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