PROJET MARION AUBERT – KHEIREDDINE LARDJAM « AVOIR 20 ANS Aujourd’hui, ICI ET LA-BAS » Un projet sur deux saisons 2016-2017 l 2017-2018 Partenaires (en cours) La Comédie de Saint-Etienne l Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine l Compagnie El Ajouad r u e t u a ’ l e d Note Janvier 2016 J ’ai rencontré Kheireddine Lardjam à la Comédie de Saint-Etienne, à l’occasion de la création de mon dernier texte, Tumultes, (« une pièce française 1 »). La pièce parle, entre autres sujets, de la prise de conscience politique de jeunes gens face à la montée du fascisme dans leur pays. Kheireddine, à l’issue d’une représentation, m’a dit : « J’aimerais que tu continues à travailler cette question de la jeunesse et de l’actualité. » C’était en juin 2015. Aujourd’hui, la jeunesse est devenue, de façon tragique, l’Actualité. Mais c’est qui, la jeunesse ? ça Par Marion Aubert veut dire quoi, avoir 20 ans aujourd’hui en France ? Et en Algérie ? Et en Bourgogne ? Et à Vitry-sur-Seine ? Et lorsqu’on ne partage pas les mêmes convictions ? Et lorsqu’on ne vit pas dans les mêmes conditions ? Et c’est quoi l’espoir ? Y a-t-il un espoir ? Que pouvons-nous construire ensemble aujourd’hui ? Et nous, qui avons deux fois vingt ans aujourd’hui, que lègue-t-on ? Autant de questions brûlantes, sensibles, auxquelles nous tenterons d’apporter d’autres questions, et, peut-être, des bribes de réponses, partielles, tronquées, à côté de la plaque, des réponses venues du réel et trempées dans la fiction, mais destinées à être des pistes pour nos vies actuelles (le terme viendrait d’une expression latine de la seconde moitié du XIV e siècle, cauteres auctuaus ce qui littéralement signifie: « cautère qui agit immédiatement »). Aussi, la perspective de rencontrer des jeunes gens de part et d’autres de frontières, de rencontrer Kheireddine, d’aller, physiquement, aux côtés de ceux-là qui me sont aujourd’hui encore étrangers me semble être un enjeu d’intérêt collectif. n e n è c s n e r u e t t e Note du m C Par Kheireddine Lardjam ’est Alexandre Dumas qui publie en 1850 La Vie à vingt ans – qui suit d’ailleurs de cinq années Vingt ans après. C’est Paul Nizan, revenant, et dans Aden Arabie, et dans La Conspiration, sur ses haïssables vingt ans. C’est René Vautier qui filme en 1972 Avoir vingt ans dans les Aurès. Vingt ans, âge mythique, donc – âge des possibles, âge-seuil, suspendu entre l’enfance heureuse dont il n’y aurait rien à dire, l’adolescence dont l’inquiétude défie la mise en mots, et l’âge adulte, celui des compromissions, forcément regrettable. À y regarder de plus près pourtant, on n’a jamais vraiment vingt ans. Certes, vingt ans, c’est une des marches de la pyramide des âges – mais au même titre que tous les autres. C’est l’âge de la conscription, précisément, un âge idéal, dont la réalité est variable. Un cap mathématique, sans enjeu majeur, entre les 18 ans du baccalauréat et du permis de conduire, et ce qui fut, longtemps, les 21 ans de la majorité et du droit de vote. Il n’est en rien un jubilé dont Octobre 2014 le décompte est fixé à 50. Par ailleurs, « les vingt ans », comme « la vingtaine », désignent souvent la période entre 20 et 29 ans. Comme si ces années formaient un seul bloc. D’ailleurs, les héros de fiction, littéraire ou cinématographique – ce sont souvent les mêmes –, ont rarement « 20 ans » pile. Lamartine écrit Raphaël, pages de la vingtième année, et son héros a 24 ans. Félix de Vandenesse a « vingt ans passés » lorsque Balzac lui fait rencontrer Madame de Mortsauf... Bref, nos héros des romans d’apprentissage ont 20 ans en passant. Nizan ne déroge pas à la règle : ses héros ont entre 20 et 24 ans. « 20 ans » serait donc de l’ordre de la mythologie, de la construction sociale. Pour parler de la jeunesse, on fixe le curseur à 20 ans, arbitrairement. « J’avais 20 ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie » écrivait Paul Nizan en 1931. Qu’en est-il aujourd’hui ? Que signifie avoir entre 20 et 29 ans et devenir adulte en temps de crise ? n Interview Faire ensemble avec Kheireddine Lardjam, metteur en scène Propos recueillis par Mathilde Aubague, janvier 2016. Et la rencontre avec Marion Aubert a été la dernière pièce manquante pour démarrer ce projet. Pourquoi Marion Aubert ? Je suis le travail de cet auteur de loin, depuis plusieurs années. Je pourrais dire que j’ai presque tout lu de ce qu’elle a écrit. J’ai toujours été surpris par sa faculté à transposer le réel en fiction et en fable. J’ai beaucoup lu ses interviews, mais c’est un débat autour des héros au théâtre auquel nous avons participé tous les deux qui va nous faire nous rencontrer. Nos échanges, nos questions autour de la jeunesse, les conversations que nous avons eues ne pouvaient que donner naissance à une collaboration artistique. Avoir vingt ans aujourd’hui, c’est un vaste programme. Comment comptez-vous aborder cela au théâtre ? D’abord, je tiens à rappeler qu’il s’agit là d’un projet de création d’une pièce de théâtre. Tout le travail imaginé a un but artistique qui est celui de faire œuvre théâtrale. Comme les deux précédents projets dont je vous ai parlé, je souhaite travailler au plus près de jeunes qui ont entre 20 et 29 ans. Gilles Deleuze affirme qu’« on enseigne bien ce que l’on cherche, non ce que l’on sait ». Je suis également convaincu de ce principe. Dès lors, l’idée de nous confronter aux publics lors du processus même de création autour du thème des jeunes ayant la vingtaine me paraît indispensable. Je désire convier et intégrer aux différentes étapes de ce travail le public concerné par ce sujet, qui vit concrètement ce thème au quotidien. Pour ce faire, je serai entouré d’une équipe artistique qui participera à cette aventure en plus de l’auteur Marion Aubert, je pense à la plasticienne algérienne Amina Menia, au comédien Cédric Veschambres et du professeur d’histoire et d’esthétique du théâtre Olivier Neveu. Ce dialogue ne pourra qu’enrichir le travail de création. Je pense que le sujet de la pièce naîtra des échanges, des discussions qu’on aura ensemble. Je souhaite inviter ces jeunes qui sont pour la plupart actifs dans la société ou qui vont l’être très prochainement à FAIRE ENSEMBLE. A travers des ateliers de théâtre, des ateliers d’écriture, s M. A. : Pourriez-vous nous parler de l’origine de ce projet ? K. L. : Entre 2010 et 2011, j’ai créé De La Salive comme oxygène, une commande d’écriture à Pauline Sales, autour de la mythomanie. Pour créer ce spectacle, nous étions en résidence dans trois collèges : le premier en région parisienne, le second à Vire et le troisième à Oran. Nous avons travaillé au plus près d’adolescents qui avaient entre onze et quinze ans. Sans aucun lien avec le premier projet, entre 2013 et 2015 j’ai fait une commande d’écriture à Fabrice Melquiot autour de la question de la guerre d’Algérie, et pour créer ce spectacle nous avons été en résidence dans deux lycées, le premier au Creusot en Bourgogne, le second à Oran en Algérie. Travailler sur la question des jeunes qui ont entre 20 et 29 ans est aujourd’hui comme la continuité naturelle des rencontres successives avec des adolescents, même si j’insiste sur le fait que ces projets n’avaient pas de lien entre eux. C’est comme ça que j’explique cette envie forte, depuis deux ans, de travailler sur la question « avoir vingt ans aujourd’hui. » s je souhaite inviter nos imaginaires à se rencontrer. Il s’agira donc d’organiser, tout au long des deux prochaines saisons, dans chaque lieu de résidence, un Atelier Ouvert. Ces différents moments de rencontre et de partage permettront de développer et d’ancrer le travail en faisant vivre, chaque saison, la réflexion et les étapes de création. Mais la première difficulté à laquelle je me confronte aujourd’hui est : où les rencontrer ? Car, aujourd’hui dans la société française, rien n’est réfléchi pour cette catégorie de jeunes. En ce moment, nous préparons ce projet, nous allons à la rencontre de maisons de quartier, de centres de loisir, de centres sociaux, et nous constatons que les jeunes ont déserté ces lieux. Restent alors ou les universités ou les grandes écoles. Actuellement, je pense beaucoup aux écoles d’art, car ce type de jeunes qui malheureusement côtoient rarement nos lieux sont dans leur pratique quotidienne très proches de nos métiers. Je vous avoue qu’on parle aujourd’hui beaucoup de crise économique, crise identitaire, crise sociale ou sociétale, au détriment de ce que j’appelle la crise des imaginaires. « Crise des imaginaires » ? Mais vous l’avez, votre sujet. Ce qui est sûr, c’est que j’ai le point de départ. Je reste persuadé que c’est sur les imaginaires qu’il faut agir. Car, plus que la pénurie réelle, c’est la croyance à la pénurie qui mène beaucoup de jeunes à la résignation. Le combat contre les mirages de la préférence nationale doit aussi investir le terrain des imaginaires. Est-ce que, comme pour les précédents projets, vous souhaitez ouvrir celui-ci à un échange entre l’Algérie et la France ? Bien sûr, car la question est « avoir vingt ans aujourd’hui ». Et je peux vous affirmer que ces jeunes, des deux côtés de la Méditerranée, traversent les mêmes interrogations. Pour le moment, nous imaginons des résidences en région parisienne, à Vitry-sur-Seine, à Saint-Etienne et à Oran en Algérie. Ces échanges entre ces différents lieux ne peuvent qu’être une richesse. Et comme le dit Molière dans Le misanthrope : « La solitude effraie une âme de vingt ans ». n e u q i t s i t r a Equipe (en cours) Marion Aubert . . . . . . . . . . . . auteur Kheireddine Lardjam . . . . . metteur en scène Cedric Veschambre .. . . . . . . comédien Estelle Gautier .. . . . . . . . . . . scénographe Amina Menia .. . . . . . . . . . . . . artiste plasticienne Tribune /2015 Publiée le 26/11 par Emmanuelle Bouchez Kheireddine Lardjam : “Ce sont nos enfants qui se sont fait exploser. Où avons-nous échoué ?” Les attentats du 13 novembre ont fait revivre à Kheireddine Lardjam, metteur en scène et comédien, l’horreur de l’Algérie des années 90, plongée dans la guerre civile. Kheireddine Lardjam, né à Oran, avait 16 ans quand le grand dramaturge Alloula fut assassiné en 1994, comme d’autres artistes et intellectuels le furent pendant ces années noires. Deux ans plus tard, après sa sortie du Conservatoire, il se lançait dans le théâtre en baptisant sa compagnie El Ajouad (les généreux), en référence au titre d’une formidable pièce d’Alloula... Aujourd’hui, il travaille en France comme en Algérie. Comme comédien (dans Le Retour au Désert de Koltès, récemment monté par Arnaud Meunier) ou comme metteur en scène de pièces coups de poings signées Mustapha Benfodil, poète et journaliste algérois, ou Fabrice Melquiot, auteur contemporain français. Il se définit souvent lui-même comme « l’artiste algérien spécialiste des provinces françaises », tant il y a mené d’ateliers avec les jeunes collégiens ou lycéens. Après les attentats du 13 novembre, il vient de nous adresser cette tribune. L mon métier. Comme le plombier, l’enseignant, le policier, la femme de ménage, j’allais tous les jours travailler. Depuis plus de dix ans, je travaille entre l’Algérie et la France. Metteur en scène algérien, directeur artistique d’une compagnie de théâtre creusotine et citoyen francoalgérien, j’ai choisi de parler, car ce que nous traversons aujourd’hui en France, je l’ai déjà vécu. Et je refuse de le revivre. Redonner du sens, voilà la priorité du théâtre aujourd’hui. En tant que metteur en scène, j’ai choisi un métier qui repose sur la pluralité d’interprétation des œuvres ; en tant que musulman, j’ai choisi une religion fondée sur des textes. Alors oui, le Coran comme tous les autres textes religieux porte en lui des passages qui peuvent apparaître, à la première lecture, comme violents. Ils sont le miroir de leur temps et témoignent du contexte de leur révélation. Le calife Ali, cousin et gendre du Prophète, avait cette formule très clairvoyante : « Le Coran, c’est deux lignes écrites dans un livre. Ce sont les hommes qui les interprètent. » Un regard critique, l’usage de la raison s e 13 novembre à 22h15, je quitte la scène du théâtre Jean Vilar à Vitry-sur-Seine. Dans les couloirs des coulisses, j’apprends que Paris vit l’effroyable et me voilà projeté presque vingt ans en arrière, lorsque j’exerçais cet art en Algérie, et que tous les soirs nous vivions l’horreur. Comédien et metteur en scène algérien, j’ai commencé d’exercer ce métier en 1996, en plein milieu de la décennie noire qu’a traversée l’Algérie. Durant cette période, je n’ai jamais cessé de vivre ma passion, pas dans une posture d’opposition ou de révolte, mais parce que c’était s et l’adaptation à notre monde doivent répondre à cette lecture mortifère du Coran par les islamistes. “Les mots ‘laïcité’ et ‘république’ sont en danger : l’extrêmedroite les vide chaque jour de leur substance.” Khereiddine Lardjam dans le rôle principal de la pièce qu’il a mise en scène, Page en construction, écrite par Fabrice Melquiot. Malheureusement, aujourd’hui on continue dans cette voie. On essaye de trouver une raison aux gestes monstrueux de personnes incultes. Non, ils n’attaquent pas le mode de vie des Français. Ils nous attaquent, nous Français, tout simplement. Parce qu’ils nous haïssent. Parce que l’être humain porte en lui une part sombre qui le pousse ainsi, sans logique, à haïr l’Autre quand il le considère comme ennemi. Ils veulent nous tuer, non pour ce que nous faisons, mais pour ce que nous sommes. La devise républicaine « Liberté, égalité, fraternité », même si malheureusement elle n’est pas toujours respectée, reste une provocation pour ces monstres. Et c’est cela qu’ils veulent anéantir. Ils veulent nous terroriser. Pourquoi aujourd’hui un jeune de 25 ans voit-il dans la mort un espoir ? Ce sont nos enfants qui se sont fait exploser, ce sont les enfants de la République qui sont aujourd’hui récupérés par des idéologies de l’horreur. Où avons-nous échoué ? Le terrorisme n’est pas seulement un problème sécuritaire. Parce que les extrémistes de tous bords se nourrissent de la misère, qu’elle soit économique, morale ou sociale. “Qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui nos théâtres sont en partie désertés par une frange de la société ?” Aujourd’hui, on parle d’éducation artistique et d’action artistique et culturelle dans les quartiers ou zones prioritaire en direction des jeunes. Mais cela fait déjà partie de l’ADN de nos théâtres, de nos lieux culturels alors qu’on nous en parle comme d’une nouveauté. Depuis dix ans, j’ai eu la chance de sillonner une bonne partie de la France, de ses scènes nationales, de ses CDN, de ses scènes conventionnées... Et depuis dix ans, je rencontre des artistes et des équipes qui n’ont jamais cessé d’aller à la s Dans la guerre des interprétations, un autre danger nous guette. Les politiciens, les médias de masse... ont vidé les mots de leur sens. L’art théâtral doit redonner du sens aux mots. Car si, aujourd’hui, on manipule de jeunes Français par le biais de textes religieux, demain on le fera via nos valeurs et notre devise qui peuvent, elles aussi, être prises en otage par de pseudo- interprétations. D’ores-et-déjà, le sens des mots « laïcité » et « république » sont en danger : l’extrême-droite les vide chaque jour de leur substance. « Il n’y a pas d’autre poésie que l’action réelle », Pasolini. Pendant la décennie noire des années 90, les médias français aimaient chanter ce refrain : « Qui tue qui ? » pour raconter la situation algérienne. En Algérie, cette question paraissait absurde, car l’ennemi, pour nous, avait un visage, et il nous ressemblait. C’étaient bel et bien des Algériens qui tuaient des Algériens, tout comme aujourd’hui, ce sont des Français qui tuent des Français. Durant des mois, la société française s’est divisée sur cette question : « Pour ou contre Charlie ? ». Les attentats du 13 novembre sont la preuve de son absurdité. s rencontre de ces publics. Qu’estce qui n’a pas marché ? Qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui nos théâtres sont en partie désertés par une frange de la société ? Remettons-nous en question, réinventons notre manière d’exercer ce métier à partir de ce qui a déjà été fait mais faisons de ce drame national une occasion pour réfléchir... Ce qui était efficace il y a trente ans ne l’est peut-être plus maintenant. Ayons le courage de reconstruire un autre projet culturel et artistique pour la France. Je crois énormément à la force de la fiction pour montrer ce qu’on ne voit pas, pour apporter un autre regard sur nos sociétés. En Algérie, le théâtre a toujours été pour moi cet art qui me raconte et me révèle un autre point de l’ADN de la société française, vue sur mon quotidien, un art de mais le réduire à une question l’urgence aussi donnant des de couleur ou de relation outils pour soigner colonisateur/colonisé, Je crois les maux de la société énormément à la c’est se tromper de contemporaine. force de la fiction cause. Aujourd’hui en pour montrer ce La vraie question France, nos scènes qu’on ne voit pas, est celle de ce que l’on doivent permettre pour apporter un a à raconter ensemble, plus que jamais le autre regard sur de ce qui nous lie et dialogue avec la délie. nos sociétés. population. Nous En tant que avons des auteurs capables de Français, nous portons en nous résonner avec le quotidien de toutes les histoires qu’a nos contemporains. Après les traversées ce pays. Je suis attentats de Charlie Hebdo, une français, je porte en moi réflexion sur la diversité des le colonisateur et le colonisé, origines a surgi dans nos lieux l’histoire de toutes les culturels, et c’est tant mieux. immigrations, de tous les échecs Remettre en question le visage et de toutes les victoires. de nos scènes est légitime, car le Je ne fais pas le tri. multiculturalisme fait partie de Kheireddine Lardjam n Article par Marion Aubert paru sur la revue 8 janvier 2016 « Et puis, la vie m’a prise... » L ongtemps je me suis dit le théâtre m’a sauvée du monde. Il m’a arrachée à des vies possibles, tracées, sans aucun doute dignes d’être vécues mais pas pour moi, non merci, pensais-je, hors de question de devenir ministre ou secrétaire d’État, et lorsque je suis entrée au conservatoire, j’ai eu le sentiment d’être sauvée. Et je crois que je ne pensais qu’à ça. À ma fuite hors d’un monde qui me semblait si ce n’est monolithique, du moins ankylosé. Et je fuyais vers d’autres mondes, ceux des comiques et des poètes, je fuyais dans le Captif amoureux de Genet sans y rien comprendre, je fuyais dans des langues qui étaient comme des pays, mais je fuyais aussi, et surtout, par mes camarades, et nos vies étaient habitées, puissantes, et le monde nous concernait peu. Je ne savais d’ailleurs que très confusément d’où je venais. Je ne savais pas encore que j’étais femme. Et blanche. Et française. Et jeune. Et hétérosexuelle. J’étais tout. On était tout. Le monde, c’était nous. Et l’art nous avait bien frappés. Et puis, la vie m’a prise. Quand je dis la vie, c’est quoi ? Sans doute je pense à la vie pratique, de la naissance des enfants à la mise en place de l’emploi du temps (qui travaille ? à qui/à quoi dédions-nous notre temps ?), de la gestion d’une compagnie à la découverte du milieu (n’est-il pas ankylosé, lui aussi ???), je pense aussi à la vie percutée par les événements (du 11 Septembre à la crise des réfugiés, en passant par Charlie Hebdo, Le Pen au second tour, et maintenant Ménard à Béziers, et quoi demain ?), mais au fond, je pense surtout à des rencontres – avec des hommes qui m’ont bien fait comprendre que je n’étais qu’une femme (ou un cul), des Anglais qui m’ont fait comprendre combien j’étais so Frenchy, des institutions combien je n’étais rien –, rencontre avec la honte – et la surprise – d’être si rien, rencontres avec ma propre sottise, l’ignorance à perte de vue, mais aussi – l’espoir est sauf ! – avec des êtres d’exception, parfois artistes, d’autres fois non, lumineux et inquiets, agissant davantage sur le monde que je ne le fais. Et toutes ces rencontres m’ont rendue au monde, et à moimême – c’est ça, l’étonnement. J’ai saisi à peu près qui j’étais, où j’étais, et je tente depuis, bon an mal an, de dealer avec les injonctions de l’époque, et toute forme d’assignation. J’essaie, sans cesse, de déborder. Alors qu’est-ce que je fais, dans les faits ? La même chose qu’avant. Sensiblement. J’écris, et je monte des spectacles avec la Compagnie. On va dans les écoles, les parcs, les marchés. À New York, à Niort, à la Réunion bientôt. Cool. Je vais sur des aires d’autoroutes, à la boucherie, à mon bureau (c’est pas très spectaculaire). Je zone. Je tombe dans des livres de science-fiction. J’essaie d’aller là où je ne m’attends pas. Souvent, y’a personne qui m’attend. Je vais chez moi, et je n’y reconnais rien. Et je me sens étrangère partout, à ne me plus rien comprendre. Et j’ai parfois la sensation d’être une artiste lorsque je suis là où rien ne me prédestinait à être. Comme un cheveu dans la soupe. Est-ce que ça agit sur le monde, un cheveu ? Bof. Mais c’est là. Ça flotte. Ça rappelle des trucs qu’on voudrait pas trop voir. Ou pas trop se rappeler. Ou qu’on n’avait pas vus. Et alors, peut-être, une action est possible. Quelque chose va se mouvoir. Et nos vies n’auront pas été de pauvres vies. Et ça ira mieux. n s e i h p a r g o i B KHEIREDDINE LARDJAM Metteur en scène &directeur artistique de la Compagnie El Ajouad w Kheireddine Lardjam obtient w Kheireddine Lardjam est un des rares metteurs en scène algériens dont les spectacles tournent de façon régulière en Algérie et en France. MARION AUBERT Auteur w Marion Aubert est diplômée de l’Ensad de Montpellier. En 1996, elle écrit son premier texte pour le théâtre : Petite pièce médicament. Cette pièce est créée l’année suivante, date à laquelle elle fonde la compagnie Tire pas la Nappe (www. tirepaslanappe.com) avec Marion Guerrero et Capucine Ducastelle. Depuis, toutes ses pièces ont été créées dans des mises en scène de Marion Guerrero. w Marion Aubert répond aussi aux commandes de différents théâtres, metteurs en scène ou chorégraphes, parmi lesquels le Théâtre du Rond-Point, la Comédie-Française, la Comédie de Valence, le CDR de Vire, le Théâtre Am Stram Gram de Genève, le Théâtre du Peuple de Bussang, Philippe Goudard, Guillaume Delaveau, Babette Masson, Matthieu Cruciani, Marion Lévy, Kheireddine Lardjam, Hélène Arnaud... s une licence de musique, se forme au théâtre au Conservatoire National d’Oran en Algérie et au cours de stages dans le monde arabe, en Afrique de l’Ouest et France. w Il crée en 1998 à Oran la compagnie El Ajouad (Les Généreux), titre d’une pièce d’Abdelkader Alloula, dramaturge assassiné en Algérie en 1994 par les islamistes, auteur déterminant dans le trajet de Kheireddine Lardjam qui s’engage à défendre son œuvre et dont il met en scène cinq textes. La compagnie se consacre à la découverte et à la diffusion d’œuvres d’auteurs contemporains arabes Noureddine Ana, Mohamed Bakhti, Rachid Boudjedra, Kateb Yacine, Tawfiq al-Hakim, Naguib Mafouz - et occidentaux, du répertoire ou contemporains. w Depuis 1999, Kheireddine Lardjam multiplie les collaborations en Algérie, dans plusieurs pays arabes et en France. Récemment, il crée : - De la Salive comme oxygène de Pauline Sales au Théâtre de Sartrouville - 2012, Le Poète comme boxeur de Kateb Yacine au théâtre de Béjaia, Algérie - 2012, Les Borgnes de Mustapha Benfodil à L’Arc, Scène nationale du Creusot - 2012, End/Igné de Mustapha Benfodil au Caire et présenté à la Manufacture lors du festival d’Avignon - 2013. Il crée Page en construction de Fabrice Melquiot à La Filature - scène nationale de Mulhouse dans le cadre du festival Les Vagamondes en janvier 2015. - 2015/2016 : il intégrera l’ensemble artistique de la Comédie de Saint Etienne. s Ses pièces sont éditées chez Actes Sud-Papiers, et certaines sont traduites en allemand, anglais, tchèque, italien et catalan. w Elle a reçu le prix Nouveau Talent Théâtre en 2013. Elle est aussi marraine de la promotion 26 de la Comédie de SaintÉtienne, intervenante au département d’écriture de l’Ensatt et membre fondatrice de la Coopérative d’écriture initiée par Fabrice Melquiot. w Son travail d’auteure se réalise le plus souvent dans le cadre de résidences d’écriture : à la Chartreuse de Villeneuve-lèsAvignon, au Festival des Théâtres francophones en Limousin, au Théâtre de la Tête Noire à Saran (Orléans), à la Bibliothèque de Saint-Herblain (Nantes), au Royal Court à Londres, au Lark Play Development Centre à New-York, à l’American Conservatory Theatre à San Francisco... Amina Ménia Artiste plasticienne w Amina Menia est une artiste qui vit et travaille à Alger, Algérie. Son travail interroge notre rapport à l’architecture et à l’Histoire. Par ses installations, sculptures ou photographies, fondées sur une esthétique relationnelle, son œuvre favorise l’échange, l’interaction et sonde nos rapports quotidiens à travers ce qu’elle nomme les « nouvelles pratiques urbaines ». w Avec une préférence certaine pour les installations in situ, son travail s’appréhende comme une invitation à réévaluer notre compréhension du patrimoine, et à déconstruire notre conception de la beauté en défiant les notions conventionnelles de l’espace d’exposition. w Extra Muros est une série d’installations urbaines dans la ville d’Alger. Une invitation à revisiter la ville pour se la réapproprier. w Chrysanthèmes, est une installation photographique en relation frontale avec le spectateur où elle documente des monuments abandonnés chargés d’histoire. w Enclosed (2013) revisite l’histoire extraordinaire de l’ancien monument aux Morts d’Alger, sculpté par Paul Landowski. Il montre comment l’artiste Algérien M’hamed Issiakhem a détourné son obligation de « cacher » le monument en l’enfermant dans un coffrage de ciment pour le protéger. L’artiste a été fascinée par le dialogue impossible entre les deux artistes. Un écorché est un projet basé sur une longue recherche où elle explore le patrimoine archi10 tectural, historique et social commun aux villes d’Alger et Marseille. w Elle a exposé localement et internationalement, notamment au Musée d’Art Moderne d’Alger (MAMA), Musée d’Art Contemporain de Marseille (MAC), Musée National de Carthage (Tunisie), le Royal Hibernian Academy (Dublin) et le Museum of African Design de Johannesburg, Afrique du Sud. w Elle prit part à la Biennale de Sharjah 11, la Biennale de Dakar 2014 ainsi qu’aux Triennales de Folkestone 2014 et Brugges 2015. Cédric Veschambre Responsable artistique, metteur en scène, comédien et dramaturge w Formé au Conservatoire National de Région de ClermontFerrand puis à l’École de la Comédie de Saint-Étienne auprès de Christian Colin, Daniel Girard, Eric Vignier, Anatoli Vassiliev... w En 1999, pendant sa formation à l’école d’acteur il trouve son w Jusqu’en 2010, il participe à attachement à l’écriture contemporaine et désire faire de la mise en scène, sa première : Histoire Idiote avec un début et un début de Pierre-François Pommier. Suivront La Pluie d’été de Marguerite Duras et Jaz de Koffi Kwahulé, La danse rouge de la libellule de Julien Rocha et Des mots des mots des mots pour La Comédie de SaintEtienne – CDN. w Co-fondateur avec Julien Rocha de la compagnie Le Souffleur de Verre en 2003, il met en place les principes des créations de cette période : un travail de création et de laboratoire avec Derniers remords (.) de Jean-Luc Lagarce et P.P.P projet mené avec Fabrice Gaillard d’après le texte inachevé Pétrole de Pier Paolo Pasolini. Un travail de création pour le jeune public dont Gulliver de Jonathan Swift et Jules, le petit garçon et l’allumette de Sabine Revillet et Julien Rocha (pièces co-mises en scène avec Julien Rocha). w Le Centre Lyrique d’Auvergne lui commande la mise en scène de l’opéra de Gounot Le Médecin malgré lui. différents comités de lectures dont celui de la Comédie de Saint-Etienne, lui permettant de découvrir de nouveaux auteurs. w Il met en espace de nombreuses lecture-spectacles et works in progress dont des œuvres de Howard Barker, Anton Tchekhov et Frank Wedekind. Il lie mise en scène et jeu de comédien dans des co-mises en scène avec Julien Rocha : Les gens que j’aime de Sabine Revillet (création 2014), Le Roi Nu d’après Evguéni Schwartz et met seul en scène Prior’s Band – Cabaret d’après Angels in America de Tony Kushner. Il est dirigé par Julien Rocha dans Candide ou le nigaud dans le jardin d’après Voltaire, Dewaere – La philosophie du premier pas d’Emilie Beauvais. w Il est membre de l’Ensemble artistique de La Comédie de Saint-Etienne – Centre dramatique national, dont la compagnie Le Souffleur de Verre est associée. ESTELLE GAUTIER Scénographe w Scénographe formée à l’ENSATT, Estelle Gautier travaille entre 2009 et 2010 auprès de Bernard Sobel (Cymbeline de Shakespeare à la MC93) et Claudia Stavisky (Lorenzaccio de Musset sous chapiteau). w Elle participe à tous les projets de La Nouvelle Fabrique (Lyon) jusqu’en 2014. w Elle collabore avec Kheireddine Lardjam (Twam, End/igné de Mustapha Benfodil, Le monde dort dans une femme arabe) et avec Philippe Baronnet (Bobby Fischer vit à Pasadena de Lars Noren créé au CDN de Sartrouville et Le monstre du couloir de David Graig au Préau-CDR à Vire). w Cette saison, elle retrouve Patricia Allio et Éléonore Weber (Premier monde en 2011) à l’occasion du festival d’Automne au centre Pompidou avec Natural Beauty Museum et Kheireddine Lardjam pour la création Page en construction de Fabrice Melquiot. 11