le marché comme institution sociale

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LE MARCHÉ COMME
INSTITUTION SOCIALE
Depuis le XVIIIe siècle, le marché est le sujet principal des discussions économiques. Les libéraux le considèrent comme un ordre naturel favorisant l’efficacité économique. Pour les anthropologues il est une construction sociale tardive
dont l’inconvénient est de remettre en cause les liens sociaux traditionnels.
LE MARCHÉ, UNE INSTITUTION EN APPARENCE NATURELLE
q Du marché aux marchés
Définir le marché n’est pas un exercice
Relations marchandes
simple. En effet, il existe une multitude de
et confiance
marchés : marchés agricoles, marché de
biens industriels, marché financier, marLes réseaux de relations jouent un rôle
ché du travail. Même pour un bien, il existe
essentiel dans les rapports marchands.
des micromarchés avec des règles de
Or, ces réseaux sont fondés sur la
confiance. Ainsi, les opérations bourfonctionnement différents. Cependant, on
sières se font par téléphone, ce qui népeut dégager un certain nombre de caraccessite la confiance entre les opératéristiques communes à l’ensemble des
teurs, car chacun doit « tenir parole ».
marchés.
À l’origine du commerce se trouvent
Chacun d’entre eux met en relation
des relations familiales et ethniques où
les gens se connaissent et nouent entre
des agents économiques poursuivant des
eux des relations de fidélité.
buts spécifiques. Les offreurs, ou vendeurs, cherchent à maximiser leur profit,
ce qui suppose un calcul économique. Les demandeurs, ou acheteurs, désirent, pour un
bien ou un service, le meilleur rapport qualité-prix, ce que la théorie économique
nomme – d’une manière un peu pompeuse – la « maximisation de l’utilité sous
contrainte du budget ».
Si les intérêts des offreurs et des demandeurs semblent contradictoires, le conflit est
dénoué par l’échange, qui fait apparaître un prix exprimant le compromis, à l’issue
d’ajustements, entre les intérêts divergents des acteurs économiques.
q Le marché pourvoyeur de liens marchands
La définition du marché comme lieu abstrait de rencontre entre l’offre et la demande
est empirique. Les économistes vont chercher à donner une consistance théorique à ce
marché en créant un modèle qui permet de penser son fonctionnement.
Cet idéaltype, dit de concurrence pure et parfaite (voir Les Grandes Questions de
l’économie contemporaine, éditions l’Etudiant) favorise la formation d’un équilibre de
marché qui maximise les intérêts de tous les agents économiques. Cependant, la réalité
est très éloignée de ce modèle, car les marchés sont dominés par quelques grandes
entreprises (les oligopoles) qui influencent la formation des prix. Ce prix, appelé prix
d’équilibre par la théorie économique, constitue, selon les économistes libéraux, une situation idéale aussi bien d’un point de vue économique que social.
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LE MARCHÉ, UNE INSTITUTION CONSTRUITE
q Le marché, produit de l’intervention de l’État
Le marché en tant qu’institution centrale de l’économie est un phénomène relativement nouveau. En effet, il suppose l’intervention de l’État qui fixe le cadre de l’économie de marché en remettant en cause les relations sociales existantes. Cette action,
souvent violente, permet de définir un cadre indispensable pour le bon fonctionnement du marché.
La première de ces institutions est de type juridique. La Révolution française est un bon
exemple de la constitution d’un droit favorisant l’extension des rapports marchands.
L’inviolabilité de la propriété individuelle et l’interdiction de toute forme de coalition rendent possible l’extension du marché comme forme dominante des relations économiques.
A contrario, l’absence de règles dans les anciennes républiques socialistes freine le passage
à l’économie de marché.
La seconde institution est la monnaie. La création, à partir du XVIIe siècle, des banques
centrales détenant le monopole de création de la monnaie a été une étape indispensable
pour le bon fonctionnement du marché. Si le rôle de l’État se renforce après la crise de
1929, puis après la Seconde Guerre mondiale, malgré les critiques des libéraux, c’est pour
permettre au marché de compenser ses dysfonctionnements.
q De l’économie de marché à la société de marché
Le débat autour du marché semble tourner court depuis l’effondrement des économies socialistes. Le marché a, historiquement, démontré sa supériorité. Malgré tout, une
question reste en suspens.
Doit-on étendre les rapports marchands
à l’ensemble de la société?
La sociologie économique
Les libéraux répondent par l’affirmative
car, pour Adam Smith, l’équilibre de marLa sociologie économique étudie les phénomènes économiques selon les instruché favorise l’harmonie sociale.
ments offerts par la méthode socioloD’autres, comme Karl Polanyi, montrent
gique (enquêtes, typologie, analyse
que le marché détruit les anciens rapports
comparative, analyse de réseau). La sosociaux, ce qui logiquement entraîne l’apciologie économique apparaît à la fin du
parition de nouveaux liens fondés sur le
XIXe siècle ; elle s’intéresse aux relations
marchandes en considérant qu’elles
marché.
sont socialement construites. Par
Cette société de marché est donc le
exemple, on montrera comment cercorollaire de la primauté du marché dans
tains réseaux sociaux (ethniques notaml’économie. Mais il existe certains
ment) sont plus efficaces pour créer
domaines échappant en partie ou totaledes entreprises.
ment au marché, car l’individu social est
d’une nature plus complexe que l’Homo
œconomicus. La solidarité des organismes caritatifs ou le don dans la sphère domestique échappent encore à la logique du marché. Cependant, l’internationalisation des
rapports marchands et la montée de l’individualisme menacent de faire céder les digues
empêchant la généralisation des relations marchandes dans l’ensemble des sphères de
la vie sociale.
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