Les faits marquants en pharmacovigilance et pharmacodépendance Main topics in pharmacovigilance and pharmacodependence during the last 20 years ● ● Pascale Jolliet* RÉSUMÉ SUMMARY Les systèmes français d’évaluation des effets indésirables et de la pharmacodépendance sont définis dans le Code de la santé publique. The French systems of drug adverse effect and pharmacodependence assessment are defined in the French public health code. La création des premiers centres hospitaliers de pharmacovigilance remonte à 1973, et le terme de pharmacovigilance est apparu pour la première fois en 1980 dans un texte de loi. Ces dernières années, l’évolution du système de pharmacovigilance s’est concrétisée par l’adoption du nouveau décret daté du 29 janvier 2004. Les missions de la pharmacovigilance regroupent l’identification, l’évaluation, l’information et la prévention du risque d’effets indésirables. The French pharmacovigilance system has been set up in 1973; in 1980 the name of pharmacovigilance appeared for the first time in a law, and in 2004 a decree added precisions in pharmacovigilance system definitions. Pharmacovigilance represents all methods of detection, assessment, information and prevention of adverse drug reactions. Le système français d’évaluation de la pharmacodépendance créé en 1990 a été défini dans le Code de la santé publique en mars 1999. Ce dispositif a pour mission d’évaluer la pharmacodépendance aux médicaments et aux drogues. Cet article décrit l’installation et l’officialisation des systèmes d’évaluation en France, et dresse la liste des principaux faits marquants des 20 dernières années. Ces faits soulignent le rôle primordial des autorités sanitaires dans la détection et la prévention du risque. Mots-clés : Pharmacovigilance – Pharmacodépendance – Évaluation du risque. L a pharmacovigilance, qui représente l’ensemble des techniques d’identification, d’évaluation et de prévention du risque d’effet indésirable des médicaments, assure une surveillance active tout au long de la vie du médicament, afin d’en garantir le bon usage et le maintien d’un rapport bénéfice/ risque positif. Elle est apparue il y a presque 35 ans, motivée par des drames de santé publique largement médiatisés, dont le plus marquant est certainement celui de la thalidomide. Sous l’impulsion de l’OMS, les premiers centres français hospitaliers * Laboratoire de pharmacologie, faculté de médecine, 44035 Nantes Cedex 1. La Lettre du Pharmacologue - vol. 21 - nos 1-2 - janvier-juin 2007 Mise au point M ise au point The French system of evaluation of dependence, created in 1990, has been defined in the French public health code by decree in March 1999. Its missions now include assessment of drug dependence and abuse which were previously just submitted to control under the designation of non-conforming use and misuse. This article describes French evaluation establishment in a legal system and lists some of the most important facts of the last 20 years which illustrate the missions of the french drug agency (AFSSAPS). Keywords: Pharmacovigilance – Pharmacodependence – Risk assessment. de pharmacovigilance ont été créés en 1973, puis officialisés en 1976, alors qu’était désignée une Commission technique de pharmacovigilance. Ses composantes actuelles : comité technique, commission nationale de pharmacovigilance, recueil décentralisé via les centres régionaux de pharmacovigilance, ont été créées en 1982. Il y a 20 ans, en 1986, 29 centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV) étaient fonctionnels (contre 31 en 2006), et la déclaration des “effets inattendus ou toxiques” des médicaments aux centres de pharmacovigilance était obligatoire depuis deux ans seulement pour les professionnels de santé, médecins, chirurgiens dentistes et sages-femmes, ainsi que pour les entreprises pharmaceutiques. Cette déclaration s’étendra aux pharmaciens officinaux en 1995. Un nouveau 23 Mise au point M ise au point 24 décret, en 2004, renforce les pouvoirs de police sanitaire du directeur général de l’AFSSAPS, élargit la composition de la Commission nationale, harmonise les obligations de déclaration des laboratoires, et précise les définitions clés : effet indésirable, effet indésirable grave, effet indésirable inattendu, mésusage, abus de médicaments. Nous allons dresser la liste des événements les plus marquants des 20 dernières années, remarquant qu’ils touchent des médicaments de classes thérapeutiques variées (certains sont considérés comme “de médecine douce”), surviennent dans des délais divers après la commercialisation, et concernent des populations de patients traités de tailles très différentes. Plusieurs enquêtes ont été conduites sous l’impulsion des médias (cérivastatine, Viagra®, Zyban®, THS, coxibs, etc.), souvent au moment du lancement, compliquant l’expertise scientifique par leur aspect événementiel, mais orientant la pharmacovigilance de demain dans une exigence toujours accrue de transparence, de mise à jour de l’information et de prévention. Entre autres, le développement des plans de gestion des risques pour les médicaments à haut potentiel de prescription a pour but de mieux connaître le profil de sécurité de ceux-ci, délivrés en situation réelle sur de larges groupes de malades. Il implique une surveillance proactive des risques, qui représente l’avancée majeure de la pharmacovigilance depuis 20 ans : ✓ dix ans d’enquête aboutissent au retrait du Survector®, du fait des abus et de la pharmacodépendance créés par cet antidépresseur dopaminergique ; ✓ amnésies et troubles du comportement sous benzodiazépines, notamment à demi-vie courte, conduisant aux modifications de durée de prescription de l’Halcion® et au retrait des formes fortement dosées ; retrait de l’Ananxyl®, compte tenu de ses effets hépatiques ; ✓ phytothérapie : hépatotoxicité de la germandrée-petit-chêne, de l’Exolise® (“amaigrissantes”) et du kawa (sédatif), effets rénaux graves des plantes chinoises (“amaigrissantes”) et de l’aristoloche conduisant à leur retrait, mise en évidence des nombreuses interactions du millepertuis ; ✓ tératogénicité des rétinoïdes utilisés dans le traitement de l’acné et mise en place de protocoles de suivi et de délivrance ; ✓ retrait de la glafénine (chocs anaphylactiques), retrait de la ticlopidine, de la noramidopyrine (agranulocytoses), description du syndrome de Reye lié à la prise d’aspirine, complications infectieuses cutanées lors de varicelle : évaluation des rapports B/R des antipyrétiques chez l’enfant, et information très large des praticiens ; ✓ “scandale” de l’hormone de croissance ; ✓ thrombopénies à l’héparine, risque hémorragique des HBPM chez les sujets âgés insuffisants rénaux ; ✓ valvulopathies et HTAP chez des patients sous anorexigènes, retrait de l’Isoméride® et du Pondéral® ; ✓ vigilance sur les effets arythmogènes des médicaments : retrait du Teldane®, enquête sur les antihistaminiques H1 de seconde génération, neuroleptiques, restriction d’indication du Prepulsid® ; ✓ fluoroquinolones et tendinopathies ; ✓ effets indésirables musculaires des statines, des fibrates, retrait de la cérivastatine ; ✓ étude des effets indésirables des antirétroviraux, entre autres les cytopathies mitochondriales des adultes et des enfants exposés in utero ; ✓ chocs sous fluorescéine lors d’angiographies rétiniennes, entraînant le retrait de la plus forte concentration et des recommandations d’emploi restrictif ; ✓ présence d’anticorps anti-érythropoïétine, érythroblastopénie sous Eprex® ; ✓ longue saga (1994-2006) des cas d’atteintes démyélinisantes centrales et périphériques observées après une vaccination anti-hépatite B ; ✓ retrait du Vioxx®, bilan sur les effets digestifs et cardiovasculaires des coxibs, puis bilan étendu à tous les AINS, se terminant par un tout récent communiqué de presse recadrant le bon usage de l’ensemble de la classe ; ✓ polémique du THS et de son risque cancérigène mammaire, diffusion d’une recommandation très complète modifiant les pratiques médicales. Les prises de décision ne concernent pas toujours un médicament ou une classe thérapeutique. Ainsi, des mesures plus globales sont entreprises à la suite d’enquêtes larges de pharmacovigilance, telle l’apposition sur les conditionnements médicamenteux de pictogrammes précisant l’altération de l’aptitude à la conduite automobile qu’ils peuvent entraîner. Enfin, une des grandes lignes récentes de l’action de l’AFSSAPS en matière de médicaments génériques est l’étude de la problématique générale spécifique de la pharmacovigilance de ces médicaments. Le système d’évaluation français de la pharmacodépendance a été défini dans le Code de la santé publique en mars 1999. Les expressions “mauvais usage”, “usage abusif” ou “détourné”, qui avaient été introduits dans les textes relatifs à la pharmacovigilance, ont été remplacés par les termes “pharmacodépendance” et d’“abus”. Un système propre dont les missions sont de recueillir et d’évaluer les informations sur l’abus et la pharmacodépendance liés aux substances psychoactives (plantes, produits et médicaments) a alors été mis en place à l’AFSSAPS. À cette date, l’évaluation de la pharmacodépendance se sépare donc de celle réalisée en pharmacovigilance des constatations d’usage détourné ou abusif. Les Centres d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance (CEIP) sont alors créés, rattachés à un service de pharmacologie afin de fonctionner en réseau. Dix travaillent au sein de l’AFSSAPS selon une procédure proche de celle des CRPV : travail en comité technique et élaboration de rapports discutés par la Commission nationale des stupéfiants et psychotropes, qui regroupe diverses institutions gérant les dépendances : MILDT (Mission interministérielle de lutte contre la drogue et les toxicomanies) et OFDT (Observatoire français des drogues et toxicomanies). Cette nouvelle expertise s’est dotée d’outils spécifiques d’évaluation : Nots (notification spontanée de pharmacodépendances ou d’abus), OSIAP (ordonnances suspectes, indicateurs d’abus possibles), OPPIDUM (observation des produits psychotropes La Lettre du Pharmacologue - vol. 21 - nos 1-2 - janvier-juin 2007 illicites ou détournés de leur utilisation médicamenteuse), DRAMES (décès en rapport avec des médicaments ou des stupéfiants), SINTES (système d’identification national des toxiques et substances géré par l’OFDT). C’est en 1999 que les carnets à souches pour la prescription de stupéfiants ont été remplacés par les ordonnances sécurisées. Les principales actions nationales menées en pharmacodépendance, notamment les nombreuses enquêtes réalisées par le réseau des CEIP, ont conduit : ✓ au classement de substances psychoactives sur la liste des stupéfiants, assorti de mesures de contrôle : 4-MTA , tilétamine, TMA-2, DOI et DOC, ayahuasca et plantes apparentées (liane géante hallucinogène), buprénorphine (pour les dosages unitaires supérieurs à 0,3 mg), inscription d’une durée maximale de prescription du Rohypnol® (14 jours), et fractionnement de la délivrance (7 jours) ; ✓ à la demande de surveillance des précurseurs du GHB ; ✓ à l’émission d’avis dans le cadre de demandes d’AMM : allongement de la durée de prescription de la méthadone et fractionnement de sa délivrance, autorisation de la Suboxone®, du Xyrem® (modification galénique et ajout d’un colorant), de la méthadone AP-HP® gélules assortie à un plan de gestion des risques, retrait du Tranxène® 50 mg, rectificatif d’AMM du zolpidem précisant son potentiel de pharmacodépendance, discussion de mesures galéniques, etc. ; ✓ à des mesures favorisant le bon usage des médicaments : maintien en réserve hospitalière de spécialités à base de fentanyl et dérivés, choix de bouchons sécuritaires, de systèmes de récupération spécifique (sucettes d’Actiq®), demande de modification de l’information de médicaments dont le potentiel d’abus a été évalué important (zolpidem, zopiclone, néfopam, tianeptine, trimébutine injectable, etc.), modifications de conditionnement, évaluation de plans de gestion des risques ; ✓ à une enquête sur les vols de kétamine et de protoxyde d’azote, rendant obligatoire leur déclaration ; ✓ à l’évaluation des modifications de prescription et de délivrance du Rohypnol® (cf. ci-dessus) ; ✓ à l’étude des traitements de substitution chez la femme enceinte ; ✓ à la mise en place en 2003 d’une enquête prospective exhaustive sur les cas de soumission chimique (usage criminel de produits psychoactifs), en lien avec les services d’urgences, les laboratoires de toxicologie hospitalière et les CAP (centres anti-poison) ; ✓ enfin, un index de gravité de la pharmacodépendance est actuellement en cours de validation par le réseau des Centres d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance (CEIP) ; il permettra une évaluation homogène et précise des Nots. L’expertise française est reconnue à un niveau européen (rapports transmis à l’OEDT – Observatoire européen des drogues et toxicomanies – sur de nouvelles drogues de synthèse : TMA-2, 2CT2, 2CT7, 2CI) et au niveau international (participation aux travaux de l’OMS). En 2006, une évolution certaine montre la prise de conscience des problèmes de pharmacodépendance par les institutions, qui la positionnent comme un problème de santé publique majeur, et cherchent à en mesurer les conséquences sur le plan sociétal et économique. La mise en place par le gouvernement du plan de prise en charge des addictions confirme l’intérêt politique de la démarche pharmacologique dans ce domaine.■ Mise au point M ise au point 6WdccZo"kdjhZiWc[^X^Zo YZhXgY^ihYZ;dgbVi^dcBY^XVaZ YZhXgY^ihYZ ;dgbVi^dc BY^XVaZ 88dci^cjZ dci^cjZ :Y^bVg`HVcikdjhegdedhZYZhG:KJ:HYZ;DGB6I>DC $JcXdb^iYZgYVXi^dchX^Zci^ÒfjZZijcXdb^iYZaZXijgZfj^egdedhZciYZhVgi^XaZhh^\cheVgaZhVjiZjgh\VgVcih YZaÉ^cYZmVi^dc!ZiVXXdbeV\chYZaZjghXddgYdccZh $9Zhg[gZcXZhW^Wa^d\gVe]^fjZhhnhibVi^fjZbZciVeeZaZhYVchaZiZmiZ $AVcdi^dcYZÆXdcÓ^iYÉ^cigiÆXaV^gZbZci^cY^fjZVÒcYZ\VgVci^gaÉdW_ZXi^k^i!aVfjVa^iZiaÉ^cYeZcYVcXZhX^Zci^ÒfjZYZh Vgi^XaZhejWa^h $JcZejWa^X^ik^hjZaaZZi$djgYVXi^dccZaaZYjbY^XVbZciZiYjbVig^ZabY^XVaeVg[V^iZbZci^YZci^ÒZ! hVch^ciZggdbegZaVXdci^cj^iYÉjcVgi^XaZ $AZhVgi^XaZhYÉdgYgZhX^Zci^ÒfjZZiY^YVXi^fjZXdchi^ijZciaÉZhhZci^ZaYjXdciZcjgYVXi^dccZa <V\cZo)ed^cihYZXgY^ieVgVcZckdjhVWdccVciYhbV^ciZcVci|jcZYZcdhejWa^XVi^dch kd^gcdigZWjaaZi^cYÉVWdccZbZcieV\Z)* AV[VXijgZdjjcZViiZhiVi^dckVa^YZgdcikdigZ;B8 C#7#AZWVgbZYZhXgY^ihYZ;B8ejWa^eVgaZb^c^higZYZaVHVci YXgZiYj&(_j^aaZi'%%+!eVgjVj?djgcVad[ÒX^ZaaZ.Vdi'%%+egdedhZfjVigZ XVi\dg^ZhYÉVXi^dcYZ;B8ZiYÉkVajVi^dcYZhegVi^fjZhegd[Zhh^dccZaaZhYdciaVXVi\dg^Z'!XdbegZcVciaZh[dgbVi^dch^cY^k^YjZaaZhZi|Y^hiVcXZji^a^hVci idjihjeedgibVig^ZadjaZXigdc^fjZ!cdiVbbZciaZhVWdccZbZcih|YZheg^dY^fjZhdjaÉVXfj^h^i^dcYÉdjkgV\ZhbY^XVjm# 25