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multiplication des objets sur lesquels portent les messages préventifs. On trouve aujourd’hui
dans la littérature épidémiologique quantité de conduites à risque et de facteurs de risque,
pour telle ou telle pathologie. A titre d’exemple, on compte ainsi aujourd’hui plusieurs
centaines de facteurs de risque avérés pour les maladies cardiovasculaires. Ne faut-il pas alors
limiter et soigneusement sélectionner les conduites à risque sur lesquels communiquer, pour
éviter d’une part de susciter la lassitude, la saturation du public, et d’autre part de nourrir une
relativisation des risques ?
Cette relativisation peut aboutir à un arbitrage apparemment sous-optimal entre deux
risques (au niveau individuel : refuser de faire vacciner son enfant par crainte d’un effet
secondaire très hypothétique ; au niveau collectif : renoncement d’un pays en développement
à importer du lait, bon marché et riche en nutriments, à cause d’un lien statistique très
controversé entre troubles cardiovasculaires et consommation de lait), ou alors nourrir un
discours de déni fondé sur la comparaison entre risques. On se souvient que dans les années
1990, face à la montée des préoccupations sanitaires concernant le tabagisme passif, Philip
Morris avait réalisé une contre-campagne médiatique s’appuyant sur une littérature
épidémiologique de première main, pour montrer que le risque induit par le tabagisme passif
était en fait plus faible que celui déjà estimé pour de nombreux comportements quotidiens
que nous croyons anodins : boire du lait, boire l’eau du robinet, poivrer son steak, cuisiner à
l’huile de colza, etc. On voit ici que la profusion des facteurs de risque peut devenir un
handicap pour la prévention…
Par ailleurs, pour en revenir aux risques associés, outre les risques concurrents, il importe
de prendre en compte les « risques substituables ». Avant de s’attaquer à une conduite à
risque, il importe de savoir quels besoins elle satisfait, et quels autres moyens l’individu est
susceptible d’utiliser pour y parvenir. Par exemple, si certaines personnes renoncent à utiliser
le tabac pour gérer leur stress et leur anxiété ou pour garder la ligne, alors pour se prémunir
face aux risques concurrents (craquer nerveusement, prendre du poids) ces personnes
pourraient substituer de nouvelles conduites à risque aux précédentes, pourquoi pas en
prenant des médicaments psychotropes sans suivi médical, ou en développant des carences
alimentaires. Bien prévenir une conduite à risque, c’est donc aussi se demander comment
éviter qu’une autre conduite à risque ne s’y substitue pour remplir le même besoin. Bien sûr,
cette question se pose avec une acuité particulière lorsque la conduite à risque en question
constitue en fait une prise de risque délibérée, pratiquée pour les sensations, l’estime de soi ou
encore les ressources identitaires qu’elle procure : il importe donc bien de comprendre la
signification que revêt une telle conduite pour l’individu qui s’y adonne.