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INTRODUCTION
LE CHOIX DU SUJET
A porter son attention sur le théâtre militant d’obédience
communiste, court est le chemin qui mène aux lendemains de la révolution russe
de 1917, l’établissement du régime soviétique coïncidant avec « le début d’une
grande fièvre théâtrale »1, « une sorte de théâtromanie »2. A cet état de fait,
plusieurs raisons3 s’imposent. D’abord, le théâtre, appartenant avec force à la
tradition populaire russe, se déploie spontanément après les événements de 1917
par l’action même du peuple vainqueur qui, baignant le pays dans une
atmosphère de fête, éprouve une soudaine soif de spectacles, comme pour
célébrer sa propre victoire, se représenter collectivement, comme pour aussi
rapidement, par effet compensatoire, substituer au pays ravagé par la guerre civile
la représentation d’une vie fabuleuse tâchant de préserver les espoirs. Mais cet
engouement pour le théâtre est aussi celui du nouveau gouvernement qui voit en
ce dernier, faute de ressources économique et culturelle suffisantes4, un moyen
approprié pour la diffusion des idées politiques et l’éducation des masses
illettrées, un outil privilégié de persuasion et de fortification des convictions. C’est
ainsi qu’à la croisée d’une mobilisation gouvernementale et d’un désir populaire
spontané, les effets de la révolution bolchevique vont se répercuter sur le théâtre
dont l’adjonction avec l’idéologie communiste va constituer une « libération »5
artistique. En effet, ces années suivant les évènements d’octobre 1917
correspondent à une période très florissante du théâtre populaire de masse, un
1 B. PICON-VALLIN, Le théâtre juif soviétique pendant les années vingt, La Cité – L’Age d’Homme, 1973,
p. 9
2 A. M. RIPELLINO, Maïakovski et le théâtre russe d’avant-garde, L’Arche, 1965, p. 102
3 Les arguments développés dans ce paragraphe s’inspirent largement de : B. PICON-VALLIN, Le théâtre
juif soviétique pendant les années vingt, op. cit., p. 9-14 ; A. M. RIPELLINO, Maïakovski et le théâtre russe
d’avant-garde, op. cit., p. 102 ; J.-P. MOREL, « Les phases historiques de l’agit-prop soviétique », in Equipe
« Théâtre Moderne » du GR 27 du CNRS, Le théâtre d’agit-prop de 1917 à 1932, La Cité – L’Age
d’Homme, 1977, p. 31-32.
4 Pendant la période révolutionnaire, la radio et le cinéma – dont la production ne reprendra vraiment qu’en
1924 – sont, faute d’électrification et à cause du blocus, peu développés ; la presse elle-même est gênée par le
manque de papier et l’analphabétisme des masses, les illettrés représentant alors 70% de l’ensemble de la
population.
5 B. PICON-VALLIN, « Le théâtre de rue dans les premières années de la révolution russe », Travail théâtral,
oct. – déc. 1970, n° 1, p. 92