« Le théâtre politique de Maïakovski d`après l`étude de ses deux

UNIVERSITE DE LA SORBONNE NOUVELLE
PARIS 3
« Le théâtre politique de Maïakovski
d’après l’étude de ses deux versions de
Mystère-Bouffe (1918-1921) »
MARJORIE GAUDEMER
Directeurs de recherche :
MME BEATRICE PICON-VALLIN
MR JEAN-FRANCOIS PEYRET
MEMOIRE DE MAITRISE
DEPARTEMENT DES ETUDES THEATRALES
(Sciences Humaines)
Année universitaire 1999-2000
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A défaut d’une maîtrise suffisante de la langue russe, je n’ai travaillé qu’à
partir d’une documentation restreinte en langue exclusivement française, ce qui,
du point de vue scientifique, représente une lacune certaine, puisque je n’ai pu
découvrir l’ensemble des écrits de Maïakovski et profiter de la majorité des études
faites sur ce dernier ou concernant, tout particulièrement, des formes
traditionnelles de théâtre spécifiquement russes ayant pu influencer ses créations.
J’ai travaillé en tentant de préserver la conscience de ces limites. Cela dit, cette
carence m’a été en un sens bénéfique : elle m’a obligé à penser essentiellement à
partir de l’objet étudié, à découvrir donc beaucoup par moi-même, à laisser libre
cours aux hypothèses, ce qui, peut-être, m’a permis de poser un regard différent –
juste ou biaisé - sur l’œuvre, sur son auteur. C’était le défi de leur jeter un regard
naïf, presque vierge, puisque je garde tout de même là encore conscience des
influences cette fois des ouvrages écrits ou traduits en français.
3
« Parmi les tumulus des livres
où ils seront enfouis
découvrant par hasard le métal de mes poèmes
vous les palperez avec déférence
comme une arme ancienne
mais terrible. »
V. MAIAKOVSKI, A Pleine Voix (1930)
4
INTRODUCTION
LE CHOIX DU SUJET
A porter son attention sur le théâtre militant d’obédience
communiste, court est le chemin qui mène aux lendemains de la révolution russe
de 1917, l’établissement du régime soviétique coïncidant avec « le début d’une
grande fièvre théâtrale »1, « une sorte de théâtromanie »2. A cet état de fait,
plusieurs raisons3 s’imposent. D’abord, le théâtre, appartenant avec force à la
tradition populaire russe, se déploie spontanément après les événements de 1917
par l’action même du peuple vainqueur qui, baignant le pays dans une
atmosphère de fête, éprouve une soudaine soif de spectacles, comme pour
célébrer sa propre victoire, se représenter collectivement, comme pour aussi
rapidement, par effet compensatoire, substituer au pays ravagé par la guerre civile
la représentation d’une vie fabuleuse tâchant de préserver les espoirs. Mais cet
engouement pour le théâtre est aussi celui du nouveau gouvernement qui voit en
ce dernier, faute de ressources économique et culturelle suffisantes4, un moyen
approprié pour la diffusion des idées politiques et l’éducation des masses
illettrées, un outil privilégié de persuasion et de fortification des convictions. C’est
ainsi qu’à la croisée d’une mobilisation gouvernementale et d’un désir populaire
spontané, les effets de la révolution bolchevique vont se répercuter sur le théâtre
dont l’adjonction avec l’idéologie communiste va constituer une « libération »5
artistique. En effet, ces années suivant les évènements d’octobre 1917
correspondent à une période très florissante du théâtre populaire de masse, un
1 B. PICON-VALLIN, Le théâtre juif soviétique pendant les années vingt, La Cité – L’Age d’Homme, 1973,
p. 9
2 A. M. RIPELLINO, Maïakovski et le théâtre russe d’avant-garde, L’Arche, 1965, p. 102
3 Les arguments développés dans ce paragraphe s’inspirent largement de : B. PICON-VALLIN, Le théâtre
juif soviétique pendant les années vingt, op. cit., p. 9-14 ; A. M. RIPELLINO, Maïakovski et le théâtre russe
d’avant-garde, op. cit., p. 102 ; J.-P. MOREL, « Les phases historiques de l’agit-prop soviétique », in Equipe
« Théâtre Moderne » du GR 27 du CNRS, Le théâtre d’agit-prop de 1917 à 1932, La Cité – L’Age
d’Homme, 1977, p. 31-32.
4 Pendant la période révolutionnaire, la radio et le cinéma – dont la production ne reprendra vraiment qu’en
1924 – sont, faute d’électrification et à cause du blocus, peu développés ; la presse elle-même est gênée par le
manque de papier et l’analphabétisme des masses, les illettrés représentant alors 70% de l’ensemble de la
population.
5 B. PICON-VALLIN, « Le théâtre de rue dans les premières années de la révolution russe », Travail théâtral,
oct. – déc. 1970, n° 1, p. 92
5
théâtre d’agitation, de propagande, aux formes variées, opérant un
bouleversement artistique apparent à la mesure du renversement social qu’il
accompagne.
Dans ce décor explosif, jaillit Maïakovski, figure emblématique de cette
rencontre du théâtre et de la révolution russe. Poète futuriste, il est, à compter de
1918, le « bolchevik de l’art », dont l’engagement idéologique et le travail créatif
s’y rapportant seront sans interruption jusqu’à sa mort en 1930. Sa production
artistique, de type propagandiste, est abondante et concerne divers domaines : le
dessin par l’élaboration d’affiches, les poèmes – entre autres 150 000 000 en
1920, Aux ouvriers de Koursk qui ont extrait le premier minerai en 1923 et Le
prolétaire volant en 1925 -, le théâtre. Quatre œuvres marquent essentiellement
ce dernier : Vladimir Maïakovski, tragédie futuriste de 1913, Mystère-Bouffe dont il
existe deux versions, l’une de 1918 et l’autre de 1921, La Punaise en 1929 et
enfin Les Bains en 19306. Il ne faut pas oublier pour autant ses courtes pièces de
propagande, dont Petite pièce sur les popes qui ne comprennent pas ce qu’est
une fête, Et quoi ? Si ?… et Qui comment passe le temps les fêtes fêtant, toutes
les trois écrites en 1920 à l’occasion des célébrations du 1er mai7. L’activité
dramatique militante de Maïakovski est pluridisciplinaire8 : auteur surtout, il est
également acteur, et participe activement à la mise en scène de ses pièces. A
noter particulièrement sa coopération dynamique à la réalisation scénique de
Meyerhold, dont il est l’auteur fétiche, de trois de ses pièces. Cette implication
dramatique plurielle se ressent dans l’ensemble de ses pièces engagées portant
en elles la perspective de la scène. La lecture de celles-ci permet alors de
percevoir toute une conception du théâtre, et c’est là un intérêt non moindre qui
explique en partie l’attachement de ce mémoire au travail théâtral de Maïakovski,
dont l’engagement et la radicalité de la vision furent à l’origine de nombreuses
batailles. En abordant le travail dramatique du poète, il s’agit donc de découvrir et
de tenter une définition générale d’une forme de théâtre partisan ayant eu des
répercussions concrètes. Toutefois, il serait trop vaste et interminable d’étudier
l’ensemble de ces oeuvres pour répondre à ce projet, d’autant plus qu’une pièce
6 Cette pièce est aussi éditée sous le titre : La Grande Lessive.
7 Ces pièces ont été traduites en français dans : Equipe « Théâtre Moderne » du GR 27 du CNRS, Le théâtre
d’agit-prop de 1917 à 1932, op. cit..
8 Pour exemple probant, en 1913, il est l’acteur principal – jouant son propre rôle, celui du poète – et le
metteur en scène de sa propre pièce Vladimir Maïakovski.
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