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La poésie Le théâtre
Convaincre… Le roman
Sujets d’oral Les réécritures
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Attention ! Les indications en couleurs ne sont qu’une aide à la lecture et ne
doivent pas figurer dans votre rédaction.
Introduction
Néron, Don Salluste, Lucrèce Borgia, Caligula, Ubu1… Le théâtre offre une
galerie de monstres, de traîtres, de personnages diaboliques qui incarnent
la noirceur des hommes et du monde et l’on se presse de venir frémir aux
pièges insidieux de ces êtres du mal. Dès l’Antiquité, et plus encore au
XVIIe siècle, la querelle sur la moralité du théâtre pose le problème de ses
fonctions. Certes le théâtre est un divertissement où l’on vient se distraire
en groupe : c’est que le théâtre est avant tout un spectacle. Mais Aristote lui
assignait aussi une portée morale et, corollairement, le théâtre a souvent été
mis au service de l’engagement.
Est-ce simplement un divertissement, un spectacle esthétique et gratuit ?
ou est-ce un miroir que le dramaturge tend à ses semblables pour leur
dévoiler leur noirceur, la leur et celle de l’humanité, avec pour but corollaire
de mettre en garde le public, de le rendre meilleur par le spectacle des per-
versités dont il doit se garder ? Certes, le théâtre comporte de nombreux
atouts pour dénoncer vices et turpitudes humains. Mais cette alternative a-
t-elle un sens ? S’il est vrai que la visée morale peut tuer le plaisir du spec-
tacle, que l’idée peut tuer l’art, n’y a-t-il pas un équilibre possible qui
permettrait au théâtre, comme le voulait l’esthétique classique, tout à la fois
de plaire et d’instruire ? N’est-ce pas là la fonction principale du théâtre ?
I. Le théâtre peut et doit divertir
Le théâtre est d’abord un divertissement, un loisir.
1. Divertir comme un spectacle
Dans la Grèce antique, les spectacles dramatiques faisaient partie des fêtes
et étaient l’objet de concours où l’on se divertit, c’est-à-dire où l’on se dis-
trait en groupe. C’est en effet un véritable plaisir que de se rendre au
théâtre, au même titre que de visiter un musée ou d’assister à un concert.
On vient y apprécier la beauté d’un spectacle : les décors somptueux des
drames romantiques de Hugo, avec leur reconstitution historique, cos-
tumes, jeux d’éclairage, musique… tout y flatte l’œil et l’oreille. Les
spectateurs viennent y voir, mais aussi y « entendre (…) de belles choses »
(Cournot) : les vers lyriques et poétiques de Bérénice de Racine, les mono-
logues romantiques de Ruy Blas, la fantaisie des pièces de Giraudoux –
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comme Ondine… Le spectateur est transporté dans un autre monde. « Il y a
des arbres de carton, des palais de toile, un ciel de haillons, des diamants
de verre, de l’or de clinquant, du fard sur la pêche, du rouge sur la joue, un
soleil qui sort de dessous terre », dit Hugo, qui suggère que ce « pays de
l’irréel » qu’est le théâtre procure avant tout un plaisir esthétique.
2. Divertir par le jeu
Lieu de l’illusion, le théâtre se présente parfois comme un pur jeu. Jeu sur
scène, jeu du spectateur aussi : les pièces de Marivaux, avec leur double
déguisement des maîtres en valets et des valets en maîtres – comme dans
Le Jeu de l’amour et du hasard – entraînent le spectateur dans un imbroglio
étourdissant, dont il doit démêler les fils et prévoir les développements. Il
est divertissant de voir Silvia et Dorante pris à leur propre piège, construit
sur leur changement volontaire d’identité, et bien embarrassés dans cette
intrigue compliquée à loisir.
3. Divertir en créant l’émotion : « Il pleure et il rit »
Il s’agit aussi d’émouvoir… Renoir, un personnage d’acteur dans L’impromptu
de Paris de Giraudoux, parle de ces « salles (…) qui frémissent aux horreurs,
qui éclatent aux plaisanteries » ; l’actrice Lechy Elbernon de Claudel dit son
plaisir à entendre les réactions de son public : « Il pleure et il rit »…
Et la palette d’émotions que suscite le théâtre est très large, parce qu’il pré-
sente une infinité de registres. Être ému, c’est être arraché à son état
habituel, tout comme se « divertir » ou se « distraire », c’est « se détourner
loin de »… la vie et de la réalité quotidiennes.
La gamme d’émotions que suscite le théâtre ne manque pas de variété :
c’est le rire franc que font naître aussi bien les comédies d’Aristophane,
avec leurs plaisanteries souvent grivoises, que les farces de Molière comme
Le Médecin malgré lui ou la fameuse scène du sac dans Les Fourberies de
Scapin. Le théâtre, plus que d’autres modes d’expression, est propre à faire
rire par son « incarnation » : les gestes, les mimiques, mais aussi les quipro-
quos, les rencontres inattendues, les retournements de situations, les…
portes qui claquent ! Le théâtre de Molière n’en manque pas, tout comme le
vaudeville de Feydeau, qui regorge de malentendus et de coups de théâtre
divertissants qui suscitent un rire franc, sans arrière-pensée. Devant la tra-
gédie aussi, le public éprouve du plaisir à s’émouvoir pour des personnages
perdus, impuissants ; le spectateur est tout entier pris par le jeu des pas-
sions – jalousie et pouvoir – dans Britannicus.
4. Distraire de l’ennui de la vie, de la réalité
Mais le divertissement peut prendre une dimension plus profonde. Claudel,
dans L’Échange, prête à un de ses personnages cette constatation terrible :
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« L’homme s’ennuie »… Or, au théâtre, le spectateur oublie les tracas de la
vie, il se divertit, au sens pascalien du terme : le spectacle d’une destinée
qui s’éloigne de la banalité divertit. Ainsi, le théâtre présente des situations
et des personnages hors du commun, qui distraient au sens propre.
Parfois même, le théâtre fait vivre sous les yeux du spectateur des person-
nages fantastiques qui l’emmènent dans un monde qui n’existe pas : a-t-on
jamais rencontré un spectre qui parle ou une statue qui vit – comme celle du
Commandeur qui précipite Dom Juan aux Enfers – ? a-t-on jamais vu des
hommes se transformer en rhinocéros ? ou encore une jeune femme morte
qui ressuscite et étrangle son père, comme dans L’Horrible expérience d’A.
de Lorde et A. Binet (1909) ? Le théâtre permet ainsi au public de vivre une
autre vie, de réaliser des rêves que le quotidien lui refuse.
II. Le théâtre pour dénoncer la noirceur des hommes ?
Mais, en dépit de la boutade de Ionesco qui prétend qu’une pièce de
théâtre est comme « un match », une pièce n’est pas vraiment un spectacle
de sport… et dépasse le simple divertissement. Bien des dramaturges lui
ont assigné une mission plus ambitieuse : celle de dénoncer la noirceur des
hommes et du monde, ce qui implique un engagement de l’écrivain de
théâtre. On peut alors légitimement se demander de quels atouts spécifi-
ques dispose le théâtre pour remplir la tâche morale qui lui reviendrait.
1. La représentation de la noirceur des hommes
a. Un long cortège de vices et de turpitudes
Que ce soit dans la comédie ou dans la tragédie, le théâtre présente un long
cortège de personnages monstrueux, diaboliques et maléfiques.
Traîtres comme le Lago de Shakespeare, empoisonneuses comme la
Lucrèce Borgia de Hugo, tyrans comme le Caligula de Camus… On s’atten-
dait bien à trouver dans la tragédie ces monstres. Mais la comédie aussi
offre ses personnages noirs, dont au fond parfois seul le dénouement –
heureux – de la pièce ou le traitement burlesque et bouffon allège l’influence
maléfique et angoissante : ce sont Dom Juan l’infidèle, Le Comte du
Mariage, l’Ubu de Jarry…
b. La peinture de la noirceur comme révélateur : un repoussoir…
Dans la tragédie comme dans la comédie, la peinture de la noirceur de
l’homme et du monde sert de révélateur : le dramaturge tend au public un
miroir qui lui renvoie l’image du vice et lui représente les conséquences
néfastes du mal qui l’entoure : il peut s’agir d’un vice particulier – l’avarice,
par exemple –, mais aussi d’un vice social – comme la médisance, celle
d’Arsinoé dans le Misanthrope –, ou d’une ambition ridicule – celle des Pré-
cieuses, de Monsieur Jourdain2 ou de Georges Dandin –, de la fausse
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dévotion d’un Tartuffe ou encore d’un vice moral, comme l’hypocrisie de
Dom Juan… Et, selon l’adage connu, un homme averti en vaut deux…
Cette peinture sert ainsi le projet moralisateur du dramaturge : Molière,
lorsqu’il affirme que « l’emploi de la comédie est de corriger les vices des
hommes », indique clairement qu’il entend enseigner la vertu par le vice. Il
ne s’agit donc pas seulement d’éclairer l’individu sur ses défauts, il faut en
plus le rendre meilleur. Le contraste entre ces monstres du théâtre et leurs
victimes ou le reste de l’humanité « raisonnable » engage le spectateur à
opter pour les valeurs morales : Don Louis, Elvire et le Commandeur empor-
tent l’adhésion du public qui, au fond, comprend que la mort de Dom Juan
confirme la victoire de l’honneur, de la fidélité, du mérite et de la vertu, celle
de « l’honnête homme » sur le « grand seigneur méchant homme ».
c. Pour s’engager, la noirceur est plus stimulante que les bons sentiments
La représentation de la noirceur donne de la force à l’engagement, qu’il soit
social ou politique. Pour Hugo, « le théâtre est une tribune ». Depuis l’Anti-
quité, les dramaturges mêlent le conflit politique – qui met en scène la
notion de pouvoir – et le conflit personnel – à travers le thème de l’amour :
Sophocle dans Antigone, Racine dans Britannicus, Musset dans Loren-
zaccio, Jarry dans Ubu roi, Camus dans Caligula, tous dénoncent les
dérives du pouvoir despotique… Plus récemment, Brecht, avec son Arturo
Ui – image d’Hitler et de tous les dictateurs modernes – s’en prend à la
tyrannie et aux ravages du totalitarisme. Le spectateur est impressionné –
au sens propre – par ces atrocités qui le marquent violemment.
Au-delà, Brecht, en présentant Arturo Ui en personne, entend bien inciter
son spectateur à l’action.
« Et voici, curiosité unique, / Le gangster des gangsters, le tristement
célèbre / Arturo Ui, fléau que le ciel en colère / Envoya pour nous punir de
nos iniquités, / Nos crimes, nos erreurs et notre lâcheté. »
Sans doute, la représentation de la vertu n’a pas la force de cette peinture
du mal. Les bons sentiments enlisent la pièce dans une atmosphère « eau
tiède » qui atténue la réaction du public. On se souvient du Mariage de
Figaro – avec son Comte perfide ; mais qui se souvient de La Mère
coupable ? qui se passionne pour les drames larmoyants de Diderot ?
d. La « catharsis »
Enfin, la dénonciation des travers humains au théâtre aurait, selon Aristote,
une vertu libératrice : cette « imitation, par l’entremise de la pitié et de la
crainte, accomplit la purgation des émotions » en libérant des sentiments et
émotions refoulés. Le dramaturge représente pour guérir. Peut-on, si l’on
dispose des moyens et de l’art de guérir ses semblables, se dispenser de
cette action bénéfique ?
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2. Les atouts du théâtre pour dénoncer
Le mal semble ainsi trouver au théâtre un domaine d’expression privilégié –
plus encore que dans les œuvres romanesques. Mais pourquoi le théâtre
serait-il particulièrement efficace dans cette dénonciation ? Quels sont ses
atouts – spécifiques par rapport aux autres genres – pour dénoncer ?
a. Le théâtre-miroir, une forme vivante : un spectacle
C’est tout d’abord un spectacle, une forme vivante : décor, costumes
donnent à la noirceur humaine une présence qui s’impose. Ubu, habillé
d’une toge et couronné, pourvu des insignes du pouvoir, est entouré du
« crochet à Nobles » et du « couteau à Nobles » qui concrétisent sa cruauté
et la dénoncent ainsi plus fortement.
C’est aussi une forme vivante, incarnée : les personnages s’imposent aux
sens du spectateur et ont la force et l’immédiateté contre lesquelles le
public ne peut prendre de recul. L’essai nomme les idées, le théâtre leur
donne la forme d’un être : le mal prend corps et voix, il a une épaisseur.
L’hypocrisie s’appelle Dom Juan, la traîtrise Don Salluste, l’arbitraire Ubu…
Le mal se concrétise dans des gestes, des attitudes que le jeu des acteurs
s’emploie à rendre frappants : Ubu « prend avec le crochet » le Noble et « le
passe dans le trou ». Caligula, dans sa perversité, passe d’un ton « rude » à
un « calme » étonnant qui signale son désordre mental…
b. La parole, le dialogue à plusieurs voix et les ressources de la double
énonciation pour dénoncer
Le théâtre est aussi dialogue. La noirceur s’exprime par les paroles et le
langage agit comme un révélateur : les insultes d’Ubu, même grotesques –
« bouffre, stupide bougre ! » –, celles de Caligula – « imbécile » –, l’emploi
de l’impératif dans presque toutes leurs répliques, le tutoiement méprisant,
tout cela donne une voix à la noirceur humaine.
Le dialogue théâtral permet de confronter plusieurs points de vue et, par
exemple, d’opposer le mal au bien ; ainsi les interventions des personnages
peuvent adopter une forme argumentative et susciter la confrontation ou
même le débat d’idées.
Mais la spécificité la plus remarquable du théâtre réside dans la double
énonciation : les personnages s’adressent aux autres présents sur scène
mais, à travers eux, le dramaturge s’adresse au public et peut ainsi, de
façon détournée, faire le procès d’un groupe social ou d’un vice. La forme
du monologue est à cet égard particulièrement efficace. Don Carlos dans
Hernani, après avoir, au cours du drame, donné l’exemple d’un monarque
sans scrupules, s’est amendé et réfléchit devant le tombeau de Charle-
magne avant de devenir empereur : dans un long monologue, il confronte
les régimes politiques, en analyse les travers et se fait le porte-parole des
conceptions de Hugo qui, indirectement, condamne le pouvoir tyrannique…
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