La connaissance d'autrui selon les philosophes anglais contemporains Autor(en): Voelke, André-Jean Objekttyp: Article Zeitschrift: Revue de théologie et de philosophie Band (Jahr): 20 (1970) Heft 5 PDF erstellt am: 16.04.2017 Persistenter Link: http://doi.org/10.5169/seals-380954 Nutzungsbedingungen Die ETH-Bibliothek ist Anbieterin der digitalisierten Zeitschriften. Sie besitzt keine Urheberrechte an den Inhalten der Zeitschriften. Die Rechte liegen in der Regel bei den Herausgebern. Die auf der Plattform e-periodica veröffentlichten Dokumente stehen für nicht-kommerzielle Zwecke in Lehre und Forschung sowie für die private Nutzung frei zur Verfügung. Einzelne Dateien oder Ausdrucke aus diesem Angebot können zusammen mit diesen Nutzungsbedingungen und den korrekten Herkunftsbezeichnungen weitergegeben werden. Das Veröffentlichen von Bildern in Print- und Online-Publikationen ist nur mit vorheriger Genehmigung der Rechteinhaber erlaubt. 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Ein Dienst der ETH-Bibliothek ETH Zürich, Rämistrasse 101, 8092 Zürich, Schweiz, www.library.ethz.ch http://www.e-periodica.ch LA CONNAISSANCE DAUTRUI SELON LES PHILOSOPHES ANGLAIS CONTEMPORAINS Comment ai-je connaissance de l'esprit d'autrui S'agit-il d'une connaissance directe, par intuition ou télépathie S'agit-il au con¬ traire d'une connaissance indirecte, par inference de signe à signifié ou par analogie Mais s'interroger de cette façon, n'est-ce pas assi¬ miler l'esprit d'autrui à un fantôme dans une machine et ne convient-il pas d'admettre simplement qu'autrui est saisi immédiatement dans son comportement Ces questions tiennent une place de premier plan dans la philo¬ sophie anglaise contemporaine, à la suite des travaux de John Wis¬ dom. Grâce à l'ouvrage très informé de M. Pierre Dubois », les lecteurs français peuvent maintenant suivre les discussions extrêmement riches et subtiles qu'elles ont suscitées. Après avoir rapidement noté que le problème de la connaissance d'autrui se pose déjà chez Locke, Berkeley, Hume et Reid, puis cesse pour longtemps de retenir l'attention des philosophes anglais, M. Dubois montre comment il reprend progressivement de l'impor¬ tance à partir de la fin du XIXe siècle. Les idéalistes, en particulier Bradley, s'y intéressent. Mais c'est surtout le néo-réalisme, avec G. E. Moore, Russell et Price, qui lui confère une actualité nouvelle depuis 1925. L'existence d'autres êtres humains éprouvant des états de conscience semblables aux nôtres est pour Moore une vérité de sens commun que nous devons accepter sans le moindre scepticisme. Price soutient que le caractère intentionnel du comportement d'autrui suffit à nous assurer de l'existence d'autres esprits ; puis, reprenant la question quelques années plus tard, il admet que cette existence est indiquée avant tout par le langage et la compréhension que nous en avons. Pierre Dubois Ee problème de la connaissance d'autrui dans la philo¬ sophie anglaise contemporaine. Paris, Vrin, 1969, 155 p. 1 : ANDRE-JEAN VOELKE 320 Mais le positivisme logique introduisit une optique entièrement neuve. En accordant un sens aux seuls énoncés que l'observateur pouvait vérifier scientifiquement, il faisait peser sur tout le connaître un danger de solipsisme. Si, en effet, chacun doit vérifier pour soi, il n'est en aucune manière assuré que ce qui a un sens pour l'un ait aussi un sens pour un autre. A cette difficulté particulière s'ajou¬ taient celles qui sont au cœur de tout empirisme : comment rendre compte de la connaissance du passé, de l'avenir, d'autrui Dans les trois cas, l'objet échappe à la saisie immédiate par voie d'expérience ; et pourtant nul ne saurait nier qu'il ne soit connu d'une certaine manière » (p. 7-8). Dans son fameux livre de 1936, Language, Truth and Logic, Ayer résout la difficulté en adoptant le point de vue behaviouriste : « Tout autant que les choses matérielles et mon moi, je dois définir autrui selon ses manifestations empiriques, c'est-à-dire selon le comportement de son corps, et, en dernière analyse, selon les données sensorielles. La supposition qu'il y a des entités derrière ces données est dénuée de sens » (p. 43). Le problème rebondit ensuite en dehors de l'école positiviste, chez le second Wittgenstein et son disciple Wisdom, chez Ryle et dans les écrits d'Ayer postérieurs à la guerre. La méthode d'examen linguistique pratiquée dans les dernières œuvres de Wittgenstein ne se propose pas de résoudre les problèmes philosophiques, mais de les dissoudre en analysant les confusions multiples que recèlent les expressions du langage. Par conséquent, on ne trouve pas dans ces œuvres de solution au problème de la connais¬ sance d'autrui, mais des discussions conduisant à sa dissolution pro¬ gressive. Une de ces discussions montre par exemple que le mal aux dents d'autrui n'est pas un mal de dents au même sens que le mien : « Les critères vérifiant l'énoncé J'ai mal aux dents sont tout à fait différents de ceux vérifiant l'énoncé II a mal aux dents. Par suite, le sens de ces deux énoncés doit être différent » (p. 130). Dans une série d'articles très singuliers (Other Minds, 1940-1943) », qui représentent aux yeux de M. Dubois « le meilleur de la réflexion anglaise sur le problème de la connaissance d'autrui » (p. 72), Wisdom cherche, comme Wittgenstein, non pas à résoudre le problème, mais à supprimer le besoin d'y répondre. Sa méthode, essentiellement descriptive, est la suivante : « Mettre en relief, de façon exhaustive, les raisonnements conduisant aux théories les plus connues sur ce sujet. Ce faisant, il dégage tout à la fois les arguments qui militent en faveur des unes, et les difficultés que présentent les autres. Wisdom ne prend finalement parti pour aucune d'elles. Selon lui, il suffit de « 1 1952). Ces articles sont reproduits dans le volume portant le même titre (Oxford, LA CONNAISSANCE D AUTRUI SELON LES PHILOSOPHES ANGLAIS 321 faire voir clairement pourquoi on peut désirer soutenir ces théories paradoxales : on est alors en mesure de comprendre les mérites et les défauts de chacune. On aboutit non pas à une théorie, mais seulement à une meilleure compréhension du sujet débattu » (p. 68). Ces articles mettent en scène divers interlocuteurs symbolisant cha¬ cun une attitude typique : le scepticisme, le réalisme, l'idéalisme. Au départ, Noir soutient qu'on « ne peut jamais savoir ce qui se passe dans l'esprit d'autrui, car il n'existe pas de manière directe de saisir cet objet ». Pour Blanc, au contraire, « on peut connaître autrui de bien des façons et à bien des degrés ». Quant à Gris, il admet que le comportement permet de tirer des conclusions sinon certaines du moins probables touchant l'esprit d'autrui. Enfin, selon Brun, « la seule chose que nous semblions véritablement connaître, c'est le contenu immédiat de nos représentations à l'instant présent » (p. 69). La discussion, riche en péripéties étranges, amène diverses modifi¬ cations des positions respectives qu'il est impossible de résumer ici et n'aboutit à aucune conclusion : le dernier article se termine par la mention A suivre. M. Dubois considère que l'effort de Wisdom est « comme une transposition de la méthode psychanalytique » (p. 70) : le doute philosophique concernant l'existence d'autrui est assimilé à une maladie chronique dont les symptômes devront être mis au jour aussi complètement que possible par le malade luimême, le diagnostic et le traitement coïncideront avec cette descrip¬ tion. Au cours des années suivant la parution de ces articles, on assiste à des discussions mettant aux prises Wisdom, Ayer et Austin, puis Wisdom et Ryle. On y voit en particulier Ryle dénoncer le mythe dualiste du « fantôme dans la machine », hérité selon lui de Descartes, et défendre un behaviourisme subtil : « La connaissance de soi-même et d'autrui dépend de l'observation du comportement » (p. 109), qui est par lui-même conduite intelligente ou action volontaire, sans qu'il soit nécessaire de le doubler d'une « obscure causalité intérieure » (p. 105). Dans ses travaux les plus récents, Ayer revient à des positions beaucoup plus prudentes que celles défendues en 1936. Il distingue divers degrés de connaissance et s'attache à montrer que, si nous ne pouvons ni connaître autrui comme celui-ci se connaît lui-même ni démontrer scientifiquement l'existence de pensées et de sentiments chez autrui, le raisonnement par analogie conduit néanmoins à une connaissance d'autrui dont nous pouvons raisonnablement nous satis¬ faire. Ayer, suivant en cela Wisdom, établit un parallèle fort suggestif entre cette connaissance et celle du passé. Actuellement le débat sur la connaissance d'autrui n'est plus très animé. Toutefois M. Dubois souligne pour terminer l'importance des ANDRE-JEAN VOELKE 322 récentes recherches de Hampshire et Strawson, qui pourraient renou¬ veler le problème. M. Dubois s'interdit tout rapprochement entre les positions des auteurs qu'il étudie et celles des autres philosophes européens d'au¬ jourd'hui. Selon lui, « on pourrait seulement opposer deux visions étrangères l'une à l'autre » (p. 127) : alors que les différentes formes du personnalisme et de l'existentialisme cherchent à approfondir la relation du « moi » au « toi » et que s'instaure sur le continent une « psychologie en deuxième personne », les analyses des philosophes anglais considèrent le problème d'autrui sous un angle uniquement épistémologique. Pour M. Dubois, ce trait s'explique par l'empirisme commun à tous ces philosophes : la connaissance d'autrui, celle du passé et celle de l'avenir posent des problèmes qui sont « l'épine dans la chair de l'empirisme absolu» (p. 101). A notre avis, cependant, l'opposition des points de vue n'exclut pas tout rapprochement. Même si les philosophes continentaux qui traitent du problème d'autrui ne centrent pas leur réflexion sur les questions épistémologiques, ils leur accordent une certaine attention. Ils se demandent aussi comment nous connaissons autrui et quel est le rôle du raisonnement par analogie dans cette connaissance. On peut même signaler des influences directes et bien avérées : dans ses recherches sur l'existence d'autrui, Maxime Chastaing se réfère sou¬ vent aux auteurs anglais et aboutit à une philosophie du sens com¬ mun qui s'inspire en particulier de Moore ». D'une façon plus géné¬ rale, le goût du concret et le sens de la diversité du réel dont M. Dubois souligne la présence chez Wittgenstein et Wisdom se manifestent chez la plupart des philosophes qui aujourd'hui s'inquiètent du pro¬ blème d'autrui. Mais il faut surtout relever que Wisdom ressent pro¬ fondément l'isolement insurmontable des individus, dont il retrouve l'expression dans certaines pages de Proust et de Virginia Woolf. M. Dubois a sans doute raison de lier la prise de conscience du pro¬ blème de la connaissance d'autrui à ce sentiment d'incommunica¬ bilité (p. 97). Mais toute la réflexion contemporaine sur la relation entre le « moi » et le « toi » ne porte-t-elle pas aussi la marque de ce sentiment Au niveau des préoccupations profondes orientant la pensée, les deux mondes qu'oppose M. Dubois ne paraissent donc pas totalement étrangers l'un à l'autre. André-Jean Voelke. M. Chastaing : L'existence d'autrui. Paris, PUF, 1951. Cf. notre compte rendu de cet ouvrage in RThPh, 1953, 2, p. 152-154. 1