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«Mais le positivisme logique introduisit une optique entièrement
neuve. En accordant un sens aux seuls énoncés que l'observateur
pouvait vérifier scientifiquement, il faisait peser sur tout le connaître
un danger de solipsisme. Si, en effet, chacun doit vérifier pour soi,
il n'est en aucune manière assuré que ce qui aun sens pour l'un
ait aussi un sens pour un autre. Acette difficulté particulière s'ajou¬
taient celles qui sont au cœur de tout empirisme :comment rendre
compte de la connaissance du passé, de l'avenir, d'autrui Dans les
trois cas, l'objet échappe àla saisie immédiate par voie d'expérience ;
et pourtant nul ne saurait nier qu'il ne soit connu d'une certaine
manière »(p. 7-8). Dans son fameux livre de 1936, Language, Truth
and Logic, Ayer résout la difficulté en adoptant le point de vue
behaviouriste :«Tout autant que les choses matérielles et mon moi,
je dois définir autrui selon ses manifestations empiriques, c'est-à-dire
selon le comportement de son corps, et, en dernière analyse, selon
les données sensorielles. La supposition qu'il yades entités derrière
ces données est dénuée de sens »(p. 43).
Le problème rebondit ensuite en dehors de l'école positiviste,
chez le second Wittgenstein et son disciple Wisdom, chez Ryle et
dans les écrits d'Ayer postérieurs àla guerre.
La méthode d'examen linguistique pratiquée dans les dernières
œuvres de Wittgenstein ne se propose pas de résoudre les problèmes
philosophiques, mais de les dissoudre en analysant les confusions
multiples que recèlent les expressions du langage. Par conséquent, on
ne trouve pas dans ces œuvres de solution au problème de la connais¬
sance d'autrui, mais des discussions conduisant àsa dissolution pro¬
gressive. Une de ces discussions montre par exemple que le mal aux
dents d'autrui n'est pas un mal de dents au même sens que le mien :
«Les critères vérifiant l'énoncé J'ai mal aux dents sont tout àfait
différents de ceux vérifiant l'énoncé II amal aux dents. Par suite,
le sens de ces deux énoncés doit être différent »(p. 130).
Dans une série d'articles très singuliers (Other Minds, 1940-1943) »,
qui représentent aux yeux de M. Dubois «le meilleur de la réflexion
anglaise sur le problème de la connaissance d'autrui »(p. 72), Wisdom
cherche, comme Wittgenstein, non pas àrésoudre le problème, mais
àsupprimer le besoin d'y répondre. Sa méthode, essentiellement
descriptive, est la suivante :«Mettre en relief, de façon exhaustive,
les raisonnements conduisant aux théories les plus connues sur ce
sujet. Ce faisant, il dégage tout àla fois les arguments qui militent
en faveur des unes, et les difficultés que présentent les autres. Wisdom
ne prend finalement parti pour aucune d'elles. Selon lui, il suffit de
1Ces articles sont reproduits dans le volume portant le même titre (Oxford,
1952).