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Le talon d’Achille des Trumponomics, Stephen S. Roach. Roach, former Chairman of
Morgan Stanley Asia and… Project Syndicate
Stephen S. Roach. Roach, former Chairman of Morgan Stanley Asia and the firm's chief
economist, is a senior fellow at Yale University's Jackson Institute of Global Affairs and a senior
lecturer at Yale's School of Management. He is the author of Unbalanced: The Codependency of
America and China. Traduit de l’anglais par Martin Morel. Project Syndicate
NEW HAVEN – La stratégie économique de Donald Trump est profondément défaillante. Le
président élu des États-Unis entend rétablir la croissance via le déficit budgétaire, dans un pays
caractérisé par une pénurie chronique d’épargne. Cette démarche laisse présager une nouvelle
compression de l’épargne, presque inévitablement vouée à creuser encore davantage un déficit
commercial d’ores et déjà considérable.
Cette dynamique dévoile le talon d’Achille des Trumponomics : un penchant évident pour le
protectionnisme vient se heurter de front à la nécessité inextricable pour l’Amérique de recourir à
de l’épargne étrangère ainsi qu’aux déficits commerciaux pour soutenir sa croissance économique.
L’économie américaine dont l’administration Trump s’apprête à prendre les commandes n’est ni
une économie solide, ni une économie saine. Le rythme de la reprise observée depuis la Grande
récession est deux fois plus lent que celui d’un cycle normal de rebond, ce qui est d’autant plus
troublant que la contraction de 2008-2009 s’est révélée massive. Quant à l’épargne, qui
conditionne la prospérité future, elle demeure dramatiquement insuffisante. Ce chiffre que l’on
appelle le taux d’épargne nette nationale – à savoir la somme (ajustée à l’inflation) de l’épargne des
entreprises, des ménages et de l’État – s’élevait à seulement 2,4 % du revenu national au milieu de
l’année 2016. Bien qu’il s’agisse d’une amélioration par rapport à une situation sans précédent
d’épargne négative en 2008-2011, ce taux reste bien inférieur à la moyenne de 6,3 % observée au
cours des trente dernières années du XXe siècle.
Ces chiffres ont leur importance dans la mesure où ils expliquent ces déficits commerciaux
pernicieux que Donald Trump ne cesse de déplorer. Manquant d’épargne et aspirant à plus de
croissance, les États-Unis sont contraints d’importer un surplus d’épargne présent à l’étranger. Or,
le seul moyen d’y parvenir consiste à enregistrer d’immenses déficits commerciaux et de balance
courante. Les chiffres le prouvent : depuis l’an 2000, époque à laquelle l’épargne nationale a chuté
bien en dessous de sa tendance habituelle, le déficit de la balance courante s’est creusé jusqu’à
atteindre en moyenne 3,8 % du PIB – près de quatre fois supérieur au déficit de 1 % observé entre
1970 et 1999. De même, le déficit des exportations nettes – la plus large mesure du déséquilibre
commercial d’un pays – atteint 4 % du PIB depuis 2000, contre une moyenne de 1,1 % sur les
trente dernières années du siècle précédent.
Face au phénomène de cause à effet qui fonde cette tendance, les Trumponomics raisonnent à
l’envers. Ces mesures se focalisent en effet sur des sources de déficit commercial spécifiques à tel
ou tel pays, comme la Chine et le Mexique, et passent à la trappe cette réalité pourtant
fondamentale qui veut que ces déficits bilatéraux soient les symptômes d’un problème américain
beaucoup plus profond, celui de l’épargne. Imaginons un instant que les États-Unis cessent de
commercer avec la Chine et le Mexique – première et quatrième plus importantes composantes du
déficit commercial global du pays – au travers d’une combinaison de mesures alliant tarifs
douaniers et autres démarches protectionnistes (parmi lesquelles une proposition de renégociation
de l’ALÉNA, ou encore la construction d’un mur marquant la frontière, financé par les Mexicains).
Sans remédier à la pénurie chronique d’épargne aux États-Unis, les composantes chinoise et
mexicaine du déficit commercial seraient simplement redistribuées à d’autres États – sans doute
des pays producteurs à coûts élevés. Il en résulterait l’équivalent fonctionnel d’une hausse d’impôts
pour les ménages américains de la classe moyenne, déjà éprouvés.
En somme, il n’existe pas de remède bilatéral à un problème multilatéral. En 2015, les États-Unis
enregistraient un déficit commercial auprès de 101 pays du monde – problématique multilatérale
liée à une pénurie d’épargne, et qui ne saurait être résolue efficacement au moyen de « correctifs »
appliqués pays par pays. Il ne s’agit pas d’affirmer que les partenaires commerciaux de l’Amérique
devraient pouvoir se livrer librement à des pratiques déloyales. Il s’agit de souligner le peu d’espoir
de résolution d’un problème semble-t-il chronique de déficits – ainsi que de l’érosion de
l’embauche nationale, qui découle de ces déséquilibres – si les États-Unis ne se remettent pas à
épargner.
Le phénomène s’apprête malheureusement à s’accentuer. Au cours des prochaines années, il faut
s’attendre à ce que les Trumponomics aggravent la pénurie d’épargne dont souffre l’Amérique.
Comme l’indiquent les analyses publiées par le Tax Policy Center, la Tax Foundation, et Moody’s
Analytics, les déficits budgétaires fédéraux, eu égard au programme économique de Trump,
devraient renouer avec un niveau d’au moins 7 % du PIB pour les dix prochaines années. Peter
Navarro et Wilbur Ross, hauts conseillers de Trump en matière de politique économique, ont fait
valoir au mois de septembre dans une déclaration de principes que ces estimations étaient
erronées, aux motifs qu’elles ne prendraient pas en compte les « retombées génératrices de
croissance » liées aux réformes réglementaires et énergétiques, ni la dynamique favorable
susceptible de découler d’une réduction significative du déficit commercial de l’Amérique.
En effet, l’analyse formulée par Navarro et Ross attribue pas moins de 73 % des retombées
favorables permises par les Trumponomics, en termes de croissance et de revenus, à une
amélioration considérable de la balance commerciale globale au cours des dix prochaines années.
Or, comme souligné précédemment, sauf augmentation miraculeuse de l’épargne nationale, ces
prévisions sont extrêmement douteuses. La comptabilité créative, qui fonde depuis longtemps
l’économie de l’offre, n’a jamais été aussi imaginative.
Intervient ici l’une des plus flagrantes distorsions caractéristiques des Trumponomics. Durcir le ton
en matière d’échanges commerciaux, alors même que l’épargne nationale est vouée à subir une
pression croissante, ne revêt tout simplement aucune logique. Les estimations même les plus
optimistes quant au déficit du budget fédéral indiquent que le taux d’épargne nette nationale,
d’ores et déjà en berne, pourrait pénétrer à nouveau en territoire négatif au cours de la période
2018-2019. Une telle évolution viendrait accentuer la pression sur les déficits commerciaux et de
balance courante, rendant extrêmement difficile la possibilité d’inverser ce phénomène de perte
d’emplois et de revenus que les dirigeants politiques, par un raccourci hasardeux, ne cessent de
reprocher aux partenaires commerciaux de l’Amérique.
Ironiquement, au cours d’une période prochaine d’épargne négative, les États-Unis vont se
retrouver de plus en plus dépendants des surplus d’épargne présents l’étranger. Si l’administration
Trump venait à cibler les grands prêteurs étrangers – et plus précisément la Chine – sa stratégie
pourraient rapidement se retourner l’Amérique. À tout le moins, il faudrait alors s’attendre à un
impact défavorable sur les modalités en vertu desquelles le pays emprunte à l’étranger, ce qui
pourrait être synonyme de taux d’intérêt plus élevés – que plusieurs signaux évidents annoncent
d’ores et déjà – et en fin de compte synonyme d’une pression baissière sur le dollar. Et bien
entendu, le scénario du pire, celui de l’escalade d’une guerre commerciale mondiale, est également
possible.
Protectionnisme, épargne anémique et déficit budgétaire constituent un cocktail particulièrement
toxique. Au travers des Trumponomics, il sera extrêmement difficile de rendre à l’Amérique sa
grandeur.
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