Le « jeu de la constance » et le plus « apparent vice de nostre nature » :
Constance et inconstance dans les Essais de Michel de Montaigne.
par
Sébastien Prat
Thèse de doctorat effectuée en cotutelle au
Département de philosophie
Faculté des arts et des sciences
de
l’Université de Montréal
et
au département de philosophie
école doctorale V
de
l’Université de la Sorbonne – Paris IV
Thèse présentée à la faculté des études supérieures de l’Université de Montréal
en vue de l’obtention du grade de Philosophiae doctor (Ph.D.)
en Philosophie
et à
l’Université de la Sorbonne – Paris IV en vue de l’obtention du grade de docteur
en philosophie
Novembre 2009
Sébastien Prat 2009
Identification du jury
Université de Montréal, Faculté des arts et sciences,
Université de la Sorbonne Paris IV, département de philosophie, école
doctorale V,
Cette thèse intitulée : Le « jeu de la constance » et le plus « apparent vice de
nostre nature » : Constance et inconstance dans les Essais de Michel de
Montaigne,
Présentée par : Sébastien Prat
A été évaluée par un jury composé des personnes suivantes :
Éric Méchoulan
……………………………..
Président rapporteur
Christian Nadeau
………………………………
Directeur de recherche Université de Montréal
Pierre-François Moreau
………………………….
Directeur de recherche Université de la Sorbonne (Paris IV)
Frédéric Brahami
…………………………
Membre du jury
iii
Résumé de la thèse :
Cette thèse vise à mettre en lumière, dans les Essais de Montaigne, un
aspect peu connu du débat sur la constance à la fin du seizième siècle. Alors que
la vertu de constance devient à cette époque un enjeu philosophique et moral de
première importance, servant à la fois des idéaux stoïciens, chrétiens et civils,
nous constatons une insistance des Essais à souligner le phénomène contraire,
l’inconstance. Il s’agit dans un premier temps de montrer le dialogue que
construit l’ouvrage de Montaigne face à la vertu de constance, puis d’établir le
statut argumentatif de l’inconstance dans les Essais.
Afin de mettre en valeur ce dialogue dissimulé sous les bigarrures des
Essais, nous nous proposons de combiner lecture internaliste et intertextualité,
afin d’évaluer au mieux les actes d’écrire de cet ouvrage.
Dans le but de situer ce débat sur la constance et l’inconstance, nous nous
rapportons d’abord à certaines écoles de philosophie hellénistique que pillent
les Essais. Nous présentons d’une part l’origine, d’autre part et les
déplacements de ce débat. Le scepticisme de Montaigne s’en trouve déstabilisé,
le stoïcisme à la fois débattu et repoussé, l’épicurisme instrumentalisé.
L’inconstance prend un visage universel qui rend présomptueuse, vaine et
même dangereuse toute aspiration à la constance.
La deuxième section de la thèse montre la prise en charge méthodologique
de l’inconstance dans les Essais, notamment à travers le Distingo, et son effet
sur la connaissance historique comme sur les activités prudentielles (politique,
jurisprudence, action militaire). Après avoir montré que l’ouvrage de
Montaigne présente une critique radicale de la méthode et des objectifs des
moralistes, nous posons que la nature de l’essai est de corriger cette erreur et de
donner sa juste place à l’inconstance humaine. Nous constatons alors que
l’inconstance a le statut d’une condition pré éthique poussant les Essais à
déconsidérer toute entreprise humaine dans la sphère publique.
Mais ce désaveu jeté sur la sphère publique ne conduit pas à renier toute
réflexion éthique. Les Essais n’encouragent pas simplement à se laisser porter
par la fortune ou la coutume. Dans la sphère privée, le troisième livre des Essais
construit plusieurs règles éthiques étonnantes et hétérodoxes : non repentir,
diversion, vanité, expérience…qui toutes prennent pour pierre d’assise le
possible (selon qu’on peut) et contribuent à redéfinir la grandeur d’âme
(magnitudo animi, megalopsychè), en présentant un nouvel ordre ou une
nouvelle conformité de l’action. Par delà l’analyse morale et la peinture du moi,
se déploient dans les Essais une éthique qui s’approprie le mouvement imparfait
de l’existence, qui s’édifie non plus contre l’inconstance, mais avec elle. Cette
« éthique de l’inconstance » ou « éthique de l’indirection » se construit en
opposition avec les morales doctrinales avec lesquelles elle discute toutefois
sans interruption.
Mots clés : Constance, Inconstance, Scepticisme, Stoïcisme, Distingo,
Historiographie, Sorcellerie, Repentir, Vanité, Grandeur d’âme.
iv
v
English abstract :
This thesis aims to emphasize in Montaigne’s Essays a little known aspect
concerning the debate of constancy towards the end of the 16th. Century. While
the virtue of constancy becomes a philosophical and moral issue of great
importance, favouring at the same time the stoic, Christian and civil ideals, we
observe in Montaigne’s Essays, an insistence to underline a contradictory
phenomenon; inconstancy. First, it is essential to demonstrate the dialogue that
builds Montaigne’s work concerning the virtue of constancy, to finally establish
the proper argumentation on inconstancy in his Essays.
In order to highlight this dialogue concealed in the patchwork of the
Essays, we are proposing to combine internal and external reading, in order to
evaluate thoroughly the act of writing they implicitly propose.
With the intent to situate this debate concerning the virtue of constancy
and the problem of inconstancy, we will refer primarily to the Hellenistic
philosophies plundered by the Essays. We will present in the first part the
origin and in the second part, the transfer of the debate. Montaigne’s scepticism
happens to be destabilized, his stoicism is at the same time debated and
rejected, his Epicureanism becoming a tool determining their truth. The
inconstancy as mentioned takes a universal appearance making all references to
the virtue of constancy as presumptuous, vain and even dangerous.
The second section of the thesis demonstrates that methodology of the
Essays takes over the notion of inconstancy, notably through the “Distingo”,
and its effects on the historical knowledge relating to prudential activities such
as: jurisprudence, political and military life. Now that we have demonstrated
that the work of Montaigne presents a radical critic of the method and the
objectives of the moralists, we claim that the nature of the essay is to correct
this error and thus give the right place to human inconstancy. We acknowledge
the fact that inconstancy has a status of a pre-ethic condition which pushes the
Essays to disrepute any human enterprise in the public sphere.
However, this denial cast upon the public sphere does not lead us to reject
any kind of ethical reflection. Therefore, the Essays do not exclusively
encourage letting faith or fortune carry us. In the private sphere, the third book
of the Essays constructs many ethical regulations that are astonishing and
heterodox: non repentance, diversion, vanity, experience...These aspects are all
grounded in the ethical mode of the possible, (« Selon qu’on peut ») and at the
same time contribute in redefining the magnitude of the soul (magntiudo animi,
mégalopsychè) by presenting a new order or a new conformity of action.
Beyond the moral analysis and the description of oneself, an ethical process
seizes the imperfect movement of existence in the Essays, which erects itself
not against inconstancy but in harmony with it. This ethic of inconstancy or
ethic of indirection is built in opposition with the moral doctrines even though a
constant debate seems to unite them.
Key words: Constancy, inconstancy, scepticism, neostoicism, distingo, history,
sorcery, repentance, vanity, magnitude of the soul.
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