Comment aider nos enfants à devenir des êtres enracinés ? S’il dure toute la vie, l’apprentissage de l’autonomie se révèle particulièrement intense pour les 0-6 ans, période au cours de laquelle les principaux automatismes s’acquièrent. S’il est bon d’encourager son enfant à accomplir les gestes du quotidien, rappelons que chaque enfant progresse à son rythme et qu’il existe des variations importantes d’un individu à l’autre. On confond souvent être autonome et «faire tout seul», l'autonomie englobe bien davantage: c'est avoir du plaisir à faire par soi- même et pouvoir décider de ce que l'on veut faire, donc savoir ce que l'on veut faire. Cela nécessite de se connaître suffisamment soimême. Combien d'adultes ne savent pas choisir, ne savent pas ce qu’ils veulent ni ce qu'ils aiment et donc sont dépendants, soumis aux décisions d'autrui au risque de perdre leur identité dans cette dépendance! Cependant le concept d’autonomie va au-delà. Etymologiquement, auto (soi) et nomos (loi) , nous indique que l'autonomie est la capacité à se donner à soi-même une loi , une règle, et de la respecter de façon indépendante. L'autonomie est donc la capacité pour un individu de prendre la pleine responsabilité de ses actes. Il serait cependant faux de croire que l’autonomie se limite uniquement à l’aspect moteur puisque l’autonomie, dans les faits, fait intervenir différentes sphères chez l’enfant et elle intervient aussi bien dans son développement moteur, cognitif, social, affectif que moral. L’adulte joue un rôle à chacun de ces niveaux. • Le développement moteur. L’enfant devient de plus en plus habile en explorant son corps et son environnement et cela lui permet de découvrir son potentiel. • Le développement cognitif. L’autonomie cognitive s’acquiert par le biais de la découverte, en alimentant connaissance de l’enfant. la soif de • Le développement social. L’enfant se socialise au contact des autres et doit être capable de résoudre les situations de conflit par lui-même. • Le développement affectif. L’enfant bâtit son estime de soi et peut manifester diverses émotions (tristesse, joie, colère, etc.) qu’il apprend peu à peu à maîtriser. • Le développement moral. L’enfant apprend les règles auxquelles il doit se conformer et comprend mieux ce qu’on attend de lui. Emmi Pikler, pédiatre Hongroise du siècle dernier, a pu mettre en évidence que le bébé est doté dès la naissance d’une activité spontanée qui est constructive, élaborative et joue un rôle essentiel dans la connaissance de soi, des autres et du monde. Ses travaux de recherche sur le développement moteur démontrent qu’il n’est pas nécessaire d’enseigner à un tout jeune enfant les différentes étapes de ce développement, mais qu’il a la capacité de les réaliser de lui-même, à travers l’exercice des différentes potentialités mises progressivement à sa disposition par la maturation de son système neuro-sensori- moteur. C’est ainsi que Emmi Pikler va montrer que le bébé est capable d’une «activité autonome», qu’il sait initier et conduire selon ses intérêts et les potentialités dont il dispose. A travers cette activité, l’enfant découvre, explore, enregistre et traite des informations: il construit ses connaissances et développe progressivement sa pensée. Son activité est aussi un espace d’expression et d’élaboration de ses émotions. Le petit enfant exprime sa capacité et son plaisir à être actif, dans sa motricité, mais pas seulement: il déploie son activité dans tout son environnement, dans ses interactions avec son entourage, dans sa découverte des objets, dans les temps de soins corporels... Le respect de l'activité libre de l'enfant demande un suivi attentif des adultes, fondé sur des connaissances et des observations. Par ce suivi, on apporte à chaque moment des 1 réponses aussi adaptées que possible au besoin d'activité de l'enfant. Ces réponses, à leur tour, suscitent chez lui le désir d'avancer. Cela implique de développer avec lui, dès le plus jeune âge, une communication par le regard, le toucher, les gestes et la parole où l'adulte n'est pas le seul initiateur de l'interaction. L'adulte se laisse guider par les signaux et manifestations du jeune enfant. I l y répond, les renforce et leur donne un sens. Cela assoit non seulement la sécurité affective de l'enfant mais aussi la prise de conscience de lui-même en tant que personne à part entière. Se sentir en sécurité est indispensable à l'enfant pour être actif. Cette relation à l’adulte chaleureuse et bienveillante empreinte de confiance est un des éléments fondateurs de son goût pour l'activité libre et autonome, source de plaisir et d'expériences favorisant un développement harmonieux soutenu par un sentiment d'efficacité et d’estime de soi. Le goût de l'activité s'épuise vite s'il n'est pas alimenté par une telle relation affective. L'aider à se situer dans le monde environnant signifie aussi l'aider à connaître les limites, réalités, intérêts des autres. Autrement, le «laisser faire», suscite en fait un réel sentiment d'abandon. Les conflits d'opposition deviennent temps de négociation si l'adulte aide et soutient l'élaboration d'une véritable autonomie chez l'enfant et son i ntégration sociale en lui donnant un espace de liberté, la possibilité de prendre des décisions, d'exercer ses ca pacités tout en lui indiquant avec précision les limites à ne pas transgresser. L'autonomie du jeune enfant est d'un grand intérêt pour sa relation à lui-même, au monde environnant, aux autres. Elle est structurante si l'on ne tombe pas dans les trois grands « pièges» de la fausse autonomie que sont : le conditionnement; une exigence de précocité dont peut découler une attitude d'indifférence et d'abandon; une attitude de « laisser faire ». Il n'existe pas un "apprentissage de l'autonomie»: on ne «rend pas l’enfant autonome, il le devient accompagné dans son évolution par des adultes attentifs et bienveillants. Vigilance discrète et écoute attentive sont la règle : témoigner de l’empathie à l’enfant l’amène à renforcer sa sécurité intérieure. Lorsque l’enfant grandit, que ses parents ne sont plus ses seuls repères, qu’il est confronté à de nouvelles règles, de nouveaux enjeux à l’école, auprès de ces camarades, plus que jamais le rôle de l’adulte est de le soutenir en lui laissant un espace suffisant pour pouvoir dire « je ». En revanche, lui donner des modes d’emploi relationnels ou le laisser gérer seul sa vie risquent de le faire douter de lui et l’angoisser. Un enfant en confiance, ne se sentant pas jugé par ses parents parlera de ce qui ne va pas, de ce qu'il ressent. L’objectif est de toujours maintenir l’écoute, le lien, la communication. Lorsque les doutes sur ses compétences chahutent particulièrement l’enfant, les parents peuvent l’aider en l’encourageant à poursuivre des activités sportives, ludiques ou culturelles où il pourra éprouver d’autres aptitudes. Une mauvaise note devrait toujours donner aux parents l’occasion de comprendre l’origine de l’erreur dans le comportement ou la compréhension de l’enfant. Un parent convaincu que c’est grâce aux erreurs que l’on progresse ne fera pas douter l’enfant de ses capacités et le rendra plus responsable à l’égard de son travail. L’autonomie, c’est bien plus que devenir grand. C’est aussi avoir assez confiance en soi pour oser poser certains gestes et devenir indépendant, capable d’agir et de réfléchir par soi-même. De plus, en devenant autonome, donc plus détaché de ses parents, l’enfant développe son estime de lui-même tout en se créant une vie intérieure stable et riche qui l’aide à éviter l’ennui et à se défaire de sa dépendance aux autres. Mieux s’attacher pour mieux se détacher et prendre son envol, avoir le goût et l’envie de la découverte… sont les clés de conditions favorables à l’entrée dans les apprentissages Dr Véronique SAINT-BLANCAT Médecin référent de la Maison de l’Enfant 2