© Jean-Baptiste Noé – Histoire du Vin et de l’Eglise, 2010, www.jbnoe.fr
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justice, oubliant leur foi et le nom qu’ils portaient. Tels étaient les responsables
de l’Etat, braillards, gorgés de nourriture, imbibés de vin, étourdis par l’orgie
(…). Pas moins de quatre fois la plus riche cité des gaules fut prise d’assaut et
les magistrats de la cité n’interrompaient pas leurs festins alors même que
l’ennemi franchissait ses portes (…) l’ensemble de la population s’entraînait à
la débauche. Ils buvaient, jouaient, commettaient l’adultère. A ces fêtes, des
hommes honorés se transformaient en vieillards libidineux ; d’autres, presque
mourants de faiblesse, retrouvaient la force au fond de leurs coupes. Ceux
que les ennemis n’avaient pas massacrés lors du pillage de la cité furent
accablés de calamités après sa mise à sac (…). Certains mirent très
longtemps à mourir de blessures profondes, d’autres furent brûlés par les feux
allumés par l’ennemi et endurèrent des tortures même après que les flammes
se fussent éteintes (…). Des corps nus et déchirés des deux sexes gisaient
partout. J’ai enduré moi-même cette vision. Ces cadavres étaient une pollution
jetée aux yeux de la cité, abandonnés lacérés par les oiseaux et les chiens. La
puanteur des morts apportait la peste aux vivants : la mort exhalait la mort
(…). Qu’advient-il après ces calamités ? Les quelques hommes de qualité qui
avaient survécu aux destructions demandèrent à l’empereur des cirques
comme remède souverain pour une cité en ruine7.
Ce que nous montre Salvien c’est que la romanité, détruite par les barbares,
n’est même plus défendue par les Romains eux-mêmes. Ainsi peut disparaître leur
culture et leur savoir, après tant de siècle de domination du bassin méditerranéen.
Allons-nous alors assister à la liquidation de tout le savoir accumulé par la
Grèce et par Rome ? Non, car une institution demeure, une institution née au début
de l’Empire, sous Auguste, et qui s’est développée jusqu’à englober tout l’Empire,
cette institution c’est l’Eglise, et avec elle le christianisme. Les historiens récents ont
très bien mis en exergue le fait que le christianisme est le fruit même de Rome, et
que les chrétiens ne sont pas des corps étrangers à l’Empire, mais qu’ils sont des
Romains complets, des Romains qui, après la disparition politique de l’Urbs,
maintiennent, conservent et diffusent l’essence et les valeurs de la romanité8. Avec
les invasions, une des rares institutions romaines qui reste debout c’est l’Eglise. Ce
sont les hommes d’Eglise -qu’ils soient prêtres, moines ou évêques- qui savent lire,
écrire, qui ont l’intelligence des situations et l’autorité morale pour gouverner. C’est
ainsi que les évêques deviennent les chefs de leur cité : ce sont les seuls à demeurer
quand toute autorité impériale a disparu. C’est à eux alors qu’il appartient de
s’occuper du ravitaillement en blé et en vivres, de parlementer avec les chefs
barbares, de mener les combats de résistance, de gérer les affaires judiciaires. C’est
à eux qu’il appartient de le faire, parce qu’eux seuls en sont capables. Qu’on se
souvienne ainsi de saint Nicaise, évêque de Reims et seule autorité à être restée
7 Salvien, Du gouvernement de Dieu, Paris, Le Cerf, collection Sources chrétiennes,
1971
8 Le Glay, Marcel, et alii., Histoire romaine, Paris, PUF, 1991