NOTE
DE
SYNTHÈSE
,
Etho-psychologie
des
communications
et
pédagogie
PRÉSENTATION
Sous le
terme"
étho-psychologie "nous désignons les aspects psycholo-
giques d'un courant transdisciplinaire, qui
s'est
créé autour
des
notions
de
communication et d'interaction.
Ce courant
se
définit pas son
objet
d'étude
et par sa méthode.
-
L'objet
d'étude.
Il
ne
porte plus sur un individu ou
un
groupe mais sur
les interactions des partenaires. Ces interactions sont observées dans des
situations naturelies, c'est-à-dire celies
de
la vie quotidienne (toute situation
sociale, telle une conversation, une classe etc...). L'observation ne concerne
pas seulement la production verbale mais également les moyens corporels
utilisés
pour
communiquer: styles vocaux, gestes, mimiques, marqueurs
culturels, entre autres.
-
La
méthode. Liée àl'objet d'étude, elie se définit comme une obser-
vation naturaliste des interactions de l'individu dans son milieu social quoti-
dien. Ii s'agit
de
recueiliir le plus
de
données possible sans apriori sur les
sujets communicants, de saisir les systèmes d'interactions, puis d'analyser
et
d'interpréter les données recueillies.
Ce courant communicationnel, qui apparaît vers 1920 pour se développer
après ia seconde guerre mondiale, renouvelie la psychologie à
partir
des
années 60-70 après s'être assez largement exprimé dans d'autres disciplines
(anthropologie, linguistique, sociologie).
En
psychologie,
il
se
démarque des orientations clinique, expérimentale
et
cognitiviste. Par rapport àla clinique, l'ètho-psychologie des communica-
tions impose l'idée d'une communication multicanale
et
plurifonctionnelie qui,
du coup, remet
en
question les interprétations fondées
sur
le système saus-
surien (signifiant -signifié) ou freudien (dit -non-dit). Par rapport àla
psychologie expérimentale, elle privilégie l'observation des comportements
sociaux «spontanés
)l
de
la vie quotidienne.
Par
rapport
au cognitiv;sme, elle
se situe sur le versant interindividuel
et
non intra-individuel ou intrapsychique.
Revue Française de Pédagogie,
100,
juillet~aoQt-septembre
1992,
81~103
81
Bien
qu'étant
une approche scientifique aux
multiples
entrées,
l'étho-
psychologie des communications est
constituée
d'un
ensemble de recherches
assez homogène quant l'esprit et la méthode,
En
France, les travaux de Jean
Le
Camus et de Jacques Cosnier,
en
Suisse ceux
de
Pierre Feyereisen et
Jacque~-Domlnique
de Lannoy, ont particulièrement
contribué
àclarifier la
situation, permettant àprésent de donner des repères solides,
Enfin, sur les pratiques pédagogiques, progressivement ont été réalisées
des études
d'orientation
communicologique, qui
adoptent
parfois résolument
la démarche étho-communicationnelle,
portant
un
regard nouveau sur les
situations d'enseignement.
Après un parcours parmi les
contextes
historico-sclentifiques
de
l'étho-
psychologie des communications, nous montrerons
en
sont actuellement
les recherches sur la communication non verbale,
et
enfin nous ferons le
point de
cette
approche dans le
champ
pédagogique.
1.
-LES CONTEXTES HISTORICO-SCIENTIFIQUES DE L'ÉTHO-PSYCHOLOGIE
DES COMMUNICATIONS
A - Linguistique
et
pragmatique
Depuis Ferdinand de Saussure
jusqu'aux
pragmaticlens
actuels, la lin-
guistique réalise un parcours qui
n'est
pas étranger à
notre
propos. Au départ
structurale et portant sur l'énoncé verbal étudié
comme
un échantillon
d'un
code
conventionnel et général, elle
s'orientera
pas la suite vers
l'étude
du
langage dans ses rapports avec
le
sujet parlant et le
contexte
social. Ainsi,
progressivement, à
l'étude
globale de la
structure
de la langue (partie sociale
du langage) succède une approche qui
porte
sur
l'acte
de
parole produit
par
un sujet précis dans un
contexte
déterminé. Le langage
n'est
plus étudié en
soi, mais dans ses
fonctions
sociales,
comme
l'acte
d'un
individu
en
situa-
tion. Cette évolution vers la
communication
constituera
un
apport
important
pour
l'étho-psychologie
:elle permettra
en
effet
d'étudier
les échanges langa-
giers non plus seulement comme des
productions
de
significations, mais
comme des
comportements
observable~
(dans leur
aspect
vocal et dans leurs
fonctions).
J.
Cosnier (1984) aainsi montré que
cette
évolution linguistique
rendait possible
l'accès
de l'analyse du langage parlé àl'éthologie,
dont
la
psychologie des communications tire
principalement
une méthode,
comme
nous le verrons plus loin.
La
linguistique saussurienne
se
fondait
sur la
distinction
langue-parole.
Seule la première, identifiée àun «
code
immanent théorique et
normatif"
(J.
Cosnier, op. ci!.), était
objet
d'étude. A. Berrendonner (1982) montre que la
parole chez Saussure est un résidu, un accident, et
que
cette
conception
ale
mérite
épistémologique
de dégager
pour
l'étude
un
objet
clairement défini
comme système de
signes:
la
langue. Nous sommes
donc
loin de la notion
de communication, et ni celle de «
circuit
de parole
",
dont
les partenaires
restent des abstractions, ni les avancées des
rédacteurs
du Cours de linguis-
tique
générale que sont
C.
Bally et
A.
Sechehaye
n'y
changeront rien
(C. Bachmann et coll., 1981,
p.
19).
Il
en
est de même pour la linguistique
chomskienne qui, avec
la
notion de performance (utilisation individuelle des
compétences
linguistiques) paraît
pourtant
plus
concrète.
Cependant, comme
le remarque
A.
Berrendonner (op. ci!.
),
l'hétérogénéité
des diverses perfor-
82
Rev4,l'l
Française
de
Pédagogie,
nO
100,
juillet~août·septembre
1992
mances
conduit
Chomsky àfabriquer un «
locuteur-auditeur
idéal
»,
étre
abs-
tr,alt,
dont
le langage refléterait un Consensus de
compétences
linguistiques,
dailleurs mythique, comme le montreront les sociolinguistes, tels
W.
Labov.
~a
notion de communication émergera cependant àtravers divers
modeles structuraux, qui proposeront une iinguistique qui tient
compte
du
sUjet et de son désir de communiquer. On peut
citer
en
France
A.
Martinet,
pour
qui le langage est
«un
instrument de la
communication»
donc
au
service des locuteurs concrets, mais surtout l'Ecole de
pra~ue,
avec
N.S. Troubetzkoy et
R.
Jakobson. Ce dernier ale mérite de souligner la
variété des fonctions langagières et
d'introduire
le
concept
d'énonciation
comme acte producteur d'énoncés.
Mais le renouvellement
le
plus
profond
viendra
en
fait de la
philosophie
analytique anglaise (B. Russell, G.E. Moore), qui se propose, selon une
expression
du
philosophe Francis Jacques, de réaliser une véritable «enquête
sur le iangage
».
Connue sous le nom
d'Ecole
d'Oxford, elle
s'appuie
sur
ies
travaux de Wittgenstein et de Strawson,
portant
sur l'analyse du «langage
ordinaire
».
Dans les Investigations
phiiosophiques
(1953), Wittgenstein
se
centre sur la notion «
d'usage»
(F.
Armengaud, 1985). Selon une expression
des Investigations (éd. de 1961
p.
121) le langage est considéré
comme
une
«forme de
vie
}>, c'est-à-dire comme une activité totale de communication.
11
n'est pas l'expression de
la
pensée, mais
il
est d'emblée «public
»,
il
n'existe
que dans l'exercice des règles de ia
communication.
Son
étude
portera
sur
la
mise
en
évidence des différents
«jeux
de
langage»
que nous utilisons
pour
différents usages.
Influencés par cette approche, certains analystes
d'Oxford
vont
dévelop-
per une théorie des actes de iangage, tels J.L. Austin, J.R. Searle, H.P. Grice,
et,
en
France,
O.
Ducrot. Pour eux, parler est moins
se
faire comprendre avec
des signifiants
qu'agir
sur autrui. J.L. Austin (1962) donne une liste de ces
actes:
affirmer, poser une question, donner un ordre, promettre, etc.
En
fait,
quand nous parions, nous réalisons trois sortes
d'actes:
un acte locutoire (le
fait de dire quelque chose). un acte il/ocutoire (l'acte que
l'on
fait
en
parlant;
par exemple donner un ordre si je
dis
«venez ici
»J,
et
enfin un
acte
perJocu-
toire (effet produit par les
paroles:
dans l'exemple précédent, la personne
viendra ou ne viendra pas). Searle (1976) atravaillé sur les actes illocutoires
et
en
aproposé une classification.
Il
distingue également des actes de
langage
indirects:
par exemple l'expression
«pouvez-vous
me passer le
sel?»
n'est
une question qu'en apparence, et
pourtant
les locuteurs
se
comprennent, comme s'il yavait une sorte
d'accord
tacite, une stratégie
d'Interprétation mutuelle.
Parallèlement à
cette
iinguistique des actes,
se
développe
une
linguisti-
que de l'énonciation. L'intérêt porte moins sur les énoncés que
sur
l'activité
de production des
énoncés:
«l'énonciation est
cette
mise en
fonctionnement
de la langue par un acte individuel
d'utilisation»
(C. Fuchs, cité in M. Kail,
1985,
p.25).
On recherchera ainsi dans l'énoncé des traces de
l'activité
énonciative des locuteurs. Cette orientation, développée en particulier par
C.
Kerbrat-Orecchioni (1970). prend
en
compte
l'activité
de
communication
des locuteurs.
C'est
plus le sens du
discours
pour
les partenaires que les
significations véhiculées qui importe.
Enfin citons, dans l'évolution de la linguistique un troisième courant,
dit
de l'analyse conversationnelJe. «On appelle conversation une catégorie fami-
lière d'échanges paroliers
au
cours desquels les
participants
prennent alter-
Étho-psychologie des communications
et
pédagogie 83
nativement et librement ia
parole"
(J.
Cosnier, 1988). Les conversations,
même
quand elles sont très libres, obéissent à
un
ensemble de règles
complexes
et
ont
une utilité certaine dans la cohésion sociale et dans les
performances des individus. Ces règles
font
C(
qu'on
se comprend »malgré
l'ambiguïté
du
discours
apparent. H.P. Grice (1975) aétudié
cet
implicite
avec
la notion
d'implication
(implicature) conversationnelle, qui
dépendrait
d'un
ensemble de règles ou
principe
de
coopération, se traduisant lui-même
par
quatre maximes
dites
maximes
d'implication
de
Grice:
maximes de qualité,
de quantité, de relation, et de modalité.
Concluons ce parcours vers la psychologie des communications
par
une
citation
de
A.
Berrendonner (op. cit.) :«Tous les travaux récents mènent (...)
la linguistique vers un
objet
nouveau qui est la
communication,
entendue àla
fois
comme
activité
et
comme
totalité de l'événement
langagier".
B-Sociologie et interactionnisme
L'étho-psychologie
des communications
s'origine
également dans deux
courants sociologiques, qui se développent, surtout dans les pays anglo-
saxons, àpartir des années vingt. Tous deux se démarquent du
structuro-
fonctionnalisme durkheimien et envisagent les faits sociaux
plutôt
sous forme
de
constructions
effectuées par des
acteurs
opérant dans des situations
concrètes.
Le premier courant remet
en
question la notion de langage
en
montrant
qu'il
est un véritable
comportement
social et
en
soulignant ses aspects non
verbaux.
Il
se retrouve àtravers
l'anthropologie
linguistique, la
sociolinguisti-
que,
l'ethnographie
de la communication.
Le
second courant se centre plus sur le rôle des interactions dans la
construction sociale
au
sein de situations données, en tenant
compte
du
contexte. On
Je
retrouve
en
ethnométhodologie, en sociologie interactionniste
et
en
microsociologie. Ces deux courants
ont
également traversé la sociologie
de
l'éducation,
d'abord
dans les pays anglo-saxons puis, plus récemment, en
France. Nous renvoyons sur ce
point
au
recueil regroupant les notes de
synthèse publiées dans la Revue Française de Pédagogie et intitulé
Sociolo-
gie
de
l'éducation,
dix
ans de recherches (1990). Dans cet ouvrage retenons
en particulier les articles de J.C. Forquin (1983) sur la Nouveile Sociologie de
l'Education
en
Grande-Bretagne, ceiui de
A.
Henriot, J.L. Derouet et
R.
Sirota
(1987)
concernant
l'approche
ethnographique
en
sociologie
de
l'éducation, et
enfin celui de
A.
Coulon (1988) sur
l'ethnométhodologie
et éducation.
Nous allons
tenter
de préciser la nature de ces courants ainsi que leurs
apports
à
l'étho-psychologie
des communications,
en
nous référant à
l'ou-
vrage de
C.
Bachmann et coll. (1981). Pour nous guider, nous prendrons deux
postuiats de
l'étho-psychologie
des
communications
comme
têtes de
chapi-
tres, ce qui nous permettra
d'en
saisir l'origine sociolinguistique.
1. Le langage ne
peut
s'étudier
de façon abstraite mais au contraire
doit
être abordé de manière naturelle comme acte de communication ayant une
finalité sociale, Bien avant les études de pragmatique linguistique citées plus
haut,
l'anthropologie
linguistique
fut
confrontée àla diversité des langages et
àleur dépendance des modes de vie. B. Maiinowsky, dès 1935, insiste sur le
rôle
pragmatique
du langage dans les
comportements:
«les mots
participent
de
['action
et
sont
autant
d'actions
)).
Remarquant que, dans notre vie
quoti-
84
Revue Française de Pédagogie,
100,
juillet-août~septembre
1992
djen~e
ou dans certains groupes indigènes, nombreuses sont les paroles
anodines,
il
définit avant
R.
Jakobson la fonction
phatique
du langage (fonc-
tio~
de
cohésion
sociale). Enfin, il met en évidence
l'importance
du contexte,
qu
Il
SOit
verbal, sltuatlonnel
ou
culturel. Pour
F.
Boas (1911), qui étudie les
langues amérindiennes, le langage est lié àcertains
types
de raisonnements
rendus possibles
par
le social (manque de signes
abstraits
de généralisation
dans certaines langues par exemple).
E.
Sapir dès 1931 met
en
évidence ia
notion de communication Comme
production
sociale
débordant
le langage et
précise même ses aspects non
verbaux:
gestes, intonations.
La
communica-
tion non verbale est d'ailleurs
l'objet
d'une
étude
scientifique et
pour
la
première fois àpartir de 1936 de la part de Grégory Bateson et Margaret
Mead, àl'occasion de leur étude ethnographique de la relation mère-enfant à
Bali.
Un
livre paraît
en
1942 àce sujet.
Il
comporte
759
photos
sur
les
interactions quotidiennes
(Y.
Winkin, 1981, p. 31).
les
auteurs
montrent
com-
ment,
en
observant les interactions mère-enfant, on
peut
comprendre
«
com-
ment
on devient balinais
Il,
L'ethnographie de la communication
se
donne
pour
but
«la
description
des pratiques iangagières de divers groupes
socio-culturels
"et
l'étude
«du
fonctionnement de la parole dans la vie
sociale"
(C. Bachmann et coll., op.
cit.,
p.
53).
la
notion de compétence en
communication
est mise en
relief:
pour
communiquer
il
ne suffit pas de connaître la langue mais aussi les
usages sociaux qui permettent de la pratiquer. Cette orientation apparaît
en
1964 avec un recueil
d'articles
publiés sous la direction de J. Gumperz et
D.
Hymes. c.a. Frake écrit un
texte
intitulé «
comment
demander àboire à
Subanun ", qui montre les
comportements
sociaux ritualisés liés àla prise
de
boisson, que
l'on
aintérêt àconnaître, si
l'on
ne
veut
pas mourir de
soif
chez
ces cultivateurs
philippins!
(op. cit.,
p.66).
Enfin, la sociolinguistique tente d'analyser
l'inscription
des déterminations
sociales dans le langage lui-même. M.A.K. Halliday,
en
1974,
étudie
le sys-
tème de réprimande àl'école.
Il
montre, àtravers
cet
exemple,
comment
on
passe d'une structure sociaie (école), qui détermine
un
réseau
de
comporte-
ments, telles les rêgles de conduite, àune
structure
sémantique se traduisant
par un réseau de significations (dans le cadre de la réprimande, seules
certaines significations comportementales
sont
retenues) et enfin àune struc-
ture lexico-grammaticale se réalisant dans un réseau
d'expressions
spécifi-
ques marquant la réprimande (op. cit., p. 98).
L'école
variationniste
et
W.
La-
bov
s'opposent
àla notion de
déficit
linguistique qui serait
l'apanage
des
classes défavorisées.
W.
Labov montre que, dans les
ghettos
noir-américains,
la langue parlée, sorte d'anglais «
impur
",
est
en
fait très riche, demande des
compétences et que les leaders de ces
ghettos
sont
ceux qui
sont
les plus
habiles àl'utiliser,
plutôt
que ceux qui parlent le mieux la langue standard.
2. Toute communication est une interaction entre plusieurs partenaires,
dont
les rêgles
sont
définies
par
la
situation
et
le
contexte. William. Thomas
dans les années vingt,
en
compagnie de Robert Park,
fonde
l'Ecole de
Chicago, appliquant les méthodes
d'enquêtes
ethnographiques àla sociologie
urbaine. Dês 1927,
W.
Thomas
introduit
la notion de
situation:
dans une
rencontre sociale, les partenaires doivent
définir
la situation,
c'est-à-dire
savoir communiquer
en
rapport avec le contexte, être capables de se mettre
d'accord
sur un style de communication, sur la durée, sur le rôle des
interactants. L'interactionnisme symbolique, souvent rattaché au nom de
G.H. Mead (1934), met
en
avant la notion
d'interaction
comme
construisant
la
vie sociale, les symboles et les représentations qui
l'accompagnent.
Dans
Étho-psychologie des communications
et
pédagogie
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