I. Questionnaire « jusqu’à » 1. Pourquoi ce questionnaire ? - dans le cadre de l’étude de la distribution des informations ‘trajectoire’ sur la zone verbale et la zone nominale (distribution sur laquelle se fonde la distinction typologique verb-framed/ satellite-framed), évaluer la contribution des adpositions et cas; - élaborer un schéma de la “granularité” de la trajectoire: combien de “morceaux” de la trajectoire peuvent être isolés? Le présent questionnaire analysait les diverses distinctions au niveau de l’expression du but: but non atteint (vers), but atteint (à, dans), but atteint à la suite d’une trajectoire (jusqu’à); - une première vérification de l’hypothèse selon laquelle les langues privilégient l’expression du but par rapport à celle de la source et du medium. Des questionnaires portant sur l’expression de la source et du lieu traversé feront donc suite à ce premier questionnaire sur le but. 2. Points de départ a. sujet : - spécificité du système adpositionnel des langues romanes - hypothèse de la saillance du but (voir articles distribués le 7 avril). b. théorique : - découpage de la notion de trajectoire en vecteur et points (Papahagi 2005) : Le concept de trajectoire se laisse décrire selon un Vecteur et des Points. Le Vecteur est composé d’un élément Continuité (i.e. les éléments qui le composent se suivent sans interruption) et d’un élément Orientation/polarité (i.e. le vecteur a une source et un but, il n’est pas reversible). Les Points d’une trajectoire sont des sites et en tant que tels, ils se laissent décrire selon deux critères (cf. Vandeloise, Borillo, etc.) : la Configuration (i.e. la forme du site : bi- ou tri-dimensionnel, limite, point, zone, etc) et la Relation à la Cible (p. ex. inclusion, contact, etc.). - rôle généralement attribué à une adposition (Vandeloise, etc.) : une adposition spatiale est du point de vue syntaxique un complémenteur (à choisir un terme et le mettre dans le Lexique) et du point de vue sémantique un constructeur de site, i.e. elle note la Configuration et la Relation à la Cible, en transformant un objet ou une personne en un site : sur la table est un site, ce que table n’est pas. 3. Buts généraux a. affiner, voire modifier la typologie de Talmy (2000) concernant la répartition des éléments de la trajectoire sur la zone verbale et sur les adpositions. A la clé, une redéfinition du rôle de l’adposition et partant, une nouvelle typologie de la trajectoire. b. modifier cette typologie en incluant, ou au moins en prenant en compte la dimension ‘paradigmatique’ en ce qui concerne les adpositions et les directionnels : p.ex. organisation sémantique de l’inventaire (dynamiques/statiques, ou non marquées, etc.) Voir 4.5. c. donner une définition opérationnelle à adposition. d. prendre en compte, là où c’est possible, la dimension diachronique (par exemple pour les langues romanes, et langues germaniques). e. offrir une typologie du découpage sémantique de la trajectoire (la ‘granularité’). Granularité idéale (projection à priori !) : (exemple du français moderne, prépositions) él. simple él. complexe en direction de initial vers pour - médian - - initial de - final (à, en, dans, sur...) (au-dessus de...) médian (par) à travers initial depuis à partir de final - jusque+à, en... médian - - final par rapport à un repère non atteint Traj. par rapport à un site atteint parcours et site atteint 4. Premiers résultats du questionnaire 4.1. distinction à-jusqu’à : - la grande majorité des questionnaires faisaient effectivement état d’une telle distinction. - moyens : a. jeu sur le TAM (wallisien) ou sur le préfixe verbal (polonais) : Wallisien (C.M.F.) : Polonais (A.K.) : (3) on (1) 'e lele ki inacc courir prep Il court à l’école. te art fale'ako école (=maison+apprendre) (2) ne'e lele ki te passé courir prep art Il a couru jusqu’à l’école. fale'ako école (=maison+apprendre) biegnie do il courir[pres.3sg] Il court à l’école. szkoly à école[gen] (4) on do-biegł do il à-courir[passé.3sg.m] Il a couru jusqu’à l’école. szkoly à école[gen] b. possibilité de renforcement lexical de à : - Polonais : az do à la place de do simple ; Bulgare (doc. CP) : yak do à la place de do simple : - (5) Toi ya pridruji yak do doma. Il la accompagner[passé3sg] toujours à maison[G] Bahasa (doc. CP) : sampai ke à la place de ke simple : (6) Ia bersepeda dari Berlin sampai ke Hamburg. Alla à-bicyclette de Berlin juste vers/à Hambourg. de la direction de - Persan (doc. CP) : tâ be à la place de tâ simple ; Norvégien (doc. CP) : inntil à la place de til simple. c. - adposition spécifique : de niveau primaire (rare) : Hongrois (7) Az iskolá-ig la/le(s) école-TERM - secondaire (le reste des langues ?). szaladt. courir[passé 3sg] 4.2. élément jusqu’à Du point de vue morpho-sémantique peut être : a. ± primaire et de sens plus large ; on y mentionne parfois des possibilités de renforcement (auquel cas, sens précis spatio-temporel). : Japonais (M.I.) made fait partie des adpositions primaires de la langue et son sens est celui de limite d’un processus, en général. N. Germ. til(l), espagnol hasta, hongrois –ig et lituanien iki, amhare ∂skä (doc. CP) font partie du noyau central des adpositions dans ces langues, mais leur sens est plutôt restreint : limite extrême spatio-temporelle et argumentale. b. - dérivée et/ou récente et de sens précis : Français jusque, roumain pânã, italien fino (a), catalan cap (a), fins (a) (doc. CP) Tagalog (J.M.F.) hanggang (sa) Mantchou isitala, mongolien kürtele (doc. CP) Allemand moderne bis Birman ?∂thi’ (A.V.) Albanais aderi, deri, gjeri (doc. CP) Tamil varai (doc. CP) Si l’adposition (simple) peut être renforcée, moyens : - adverbe signifiant ‘toujours, continuellement’ (bulgare yak, bahasa sampai) - une autre adposition/particule (polonais ?, persan, norvégien, anglais) Nature adpositionnelle : a. dans plusieurs langues, l’élément signifiant jusque ne détermine pas directement un nom, mais un nom accompagné d’un autre élément qui est : ‘configurant’ et ‘complementizer’ : (8) Tagalog (J.M.F.): Tumakbo siya hangga-ng sa eskwela. VAS.PERF-courir 3SG.NOM limite-LIG PREP école Il a couru jusqu’à l’école. (9) Allemand (E.T.) : Er ist bis zu der Schule gelaufen. Il est jusque vers/à la[D] école couru. Il a couru jusqu’à l’école. (10) Roumain (C.P.) : A alergat pânã la scoalã. A couru jusque à ø école. Il a couru jusqu’à l’école. - uniquement ‘complementizer’ : (11) Swahili (M.D.) : Gari yangu iliharibika, ilinibidi kutembea mpake mjini. voitureà moi elle était cassée j’ai dû marcher jusqu’à ville-loc Ma voiture s’est cassée, j’ai dû marcher jusqu’en ville. (12) Tamil (doc. CP) : Kumaar viitu varai-yil oott-in-aan Kumar maison jusque-loc drive-passé-3sg.m Kumar drove up tu the house. (13) Mongolien (doc. CP) : qota-dur kürtele ville-D jusque jusqu’en ville b. dans les langues où jusque détermine directement un nom, cette adposition apparaît comme un ‘complementizer’, mais non comme un élément ‘configurant’ (la langue dans ce cas donne-t-elle la prééminence à la signification dynamique sur la signification statique ? Peut-on les hiérarchiser, i.e. dire qu’il y a des langues où trajectoire et configuration sont concurrentes, comme en hongrois, et des langues où trajectoire et configuration sont toutes les deux présentes et hiérarchisées, comme dans les langues romanes : fr. jusque+à/en…) ? On peut considérer ces situations comme des étapes dans une grammaticalisation qui conduirait d’un nom/verbe/adverbe à une adposition ? (sachant que nom, verbe et adverbe ne sont ni complementizers ni configurants spatiaux). Organiser une ‘cline of grammaticalization’ (cf. Heine 1993, Svorou 1993) : Modèle de grammaticalisation : a. origine : jusqu’ici, trois origines possibles pour le lexème qui signifie ‘jusque’ : 1. Nom ‘limite, bout, contact’ : italien fino (bout) et catalan cap et fins (bout) ; birman ?∂thi’ (contact à la fin ?) ; tagalog hanggang (limite) ; tamil varai (limite) ; 2. Verbe ‘toucher à, atteindre’ : birman thi’ (atteindre un but) ; mantchou isitala (converbe isi ‘arriver’ + converbe tala ‘finir’) et mongolien kürtele (converbe kür ‘atteindre, arriver’ + converbe tele ‘finir’). 3. adverbe de renforcement ‘même, juste’ : latin usque et paene ; hindi tak. b. proposition de cline of grammaticalization (X représente l’élément ‘jusque’) : 1. X + adpos. en choix libre + N Exemple : Latin usque : 1. usque a rubro mari (Nep. Hann. 2.1) right from red[Abl] sea[Abl] usque ex ultima Syria (Cic. Verr. 2.5.157) right out of last[Abl] Syria[Abl] trans Alpes usque (Cic. Quint. 12) beyond Alps[Ac] right/up to ab Attica ad Thessaliam usque (Plin. 4.12.21) from Attica[Abl] to Thessalia[Ac] right/up to usque ad castra (Cés. Gall. 1.51.1) right/up to to camp[Ac] 2. X + cas + N X + adpos. figée + N 3. X + N ascendunt usque ad caelos (jusqu’à) (Eus. Gall. Hom 58.11) (qu’ils) montent jusque à cieux[Ac] (En latin classique, phase 1 : usque fonctionne encore comme adverbe de renforcement : il détermine toute préposition et il est placé soit avant, soit après le Gprép. Phase 2, latin populaire/tardif : usque se combine avec les prépositions finales seulement, et de plus en plus avec le seul ad : cf. Papahagi (2005 : 233) dans la base Cetedoc I : usque ad 8746, usque in 2325 contre usque de 23 et usque ab 10. La phase 3 concerne le passage au français, où ad est intégré dans usque, mais l’évolution vers une adposition pure est bloquée à ce stade. Cf. Traugott/Heine 1991, Lamiroy 1999, en fonction de diverses caractéristiques de la langue, la grammaticalisation s’arrête à une certaine phase. Dans les langues romanes, ceci peut être lié à la nécessité de configuration du site : une adposition terminative simple comme hong. –ig, esp. hasta, etc. n’est pas configurante). On peut également organiser les cas présentés dans les questionnaires selon l’étape de grammaticalisation dans laquelle ils se trouvent : 1. X + adpos. en choix libre + N - all. bis zur Schule fr. jusqu’en ville roum. pânã în oras haïtien jouk nan LSF proforme dans locus 2. X + cas + N 3. X + N X + adpos. figée + N - swahili mpake mjini - hongrois -ig - tagalog hanggang sa - japonais -made - italien fino a - birman ?∂thi’ - mong. kürtele+ D. - cavinena tupu - alb. gjeri mbë - langi mpaka - hindi tak - tamil varai Reste à savoir si les renforcements (comme en polonais, bulgare, persan, bahasa, etc.) constituent un état qui précède la phase 1 (la grammaticalisation consistera alors en une fixation de l’élément de renforcement) ou au contraire, ils ont lieu après que la dernière phase ait été atteinte (élément trop réduit, trop affaibli, d’où renforcement). 4.3. distinction vers – à (direction vs. atteinte) Elle n’est pas partout réalisée. Dans certaines langues (LSF, wallisien, somali, etc.) elle paraît tenir à la configuration du site : site imprécis, de type ‘zone’ pour vers, vs. site bien configuré et limité pour à, en... : (14) Wallisien (C.M.F.) : 'e olo te kau tau inac aller.pl art collectif armée Les armées marchent vers Hihifo 'e 'alu ki inacc aller.sg prep Il va à l’école. te art faka-hihifo aux environs de-Hihifo fale'ako école (=maison+apprendre) (15) Somali (P.C.H.) : Wuxuu u orday-aa xag-ga buunta-da. Focus+3ms vers/à court+3ms lieu-DETm pont-DETf Il court en direction du pont. (16) LSF (A.R.) : « Trajectoire vers un but, sans intention de l’atteindre : pas de locus atteint ou regardé, rien n’est localisé au bout de la trajectoire, mimique vague. » Dans d’autres langues (germ, romanes, slaves, etc) la direction possède une adposition de même niveau primaire que la fin de trajectoire, mais la remarque ci-dessus paraît également valable pour ces langues : (17) Alsacien (R.W.) : Er rænnt nåh d’r Bréck. Il court vers le pont. (18) Roumain (C.P.) : Aleargã spre/ înspre/ cãtre pod. Court vers/ en+vers / vers ø pont. (En comparant avec les autres prépositions, on voit que vers ne ‘configure’ pas spécialement un lieu, ce qui est assez logique, vu que la configuration est liée à la relation à la cible, or, dans le cas de vers, il n’y a pas de relation (contact, support, localisation, etc) entre la cible et site, les deux resteront distinctes. Aucune configuration n’est nécessaire.) Un peu partout on observe des possibilités de construction complexe, explicite de la direction (mais c’est peut-être un effet « négatif » du questionnaire ?) : - polonais (A.K.) : w kierunku mostu dans direction[Ac] pont[G] - tagalog (J.M.F.) : pa-tungo sa tulay INCH-direction PREP pont - japonais (M.I.) : hasi-no hoo-e/-ni pont-G direction-DIR/-BUT - allemand saxon (E.T.) : in Richtung Brücke/ Richtung Norden. dans direction pont/ direction nord. (construction en voie de grammaticalisation en allemand, je crois. La construction aurait dû être : in die Richtung der Brücke ‘dans la direction le[G] pont’ : dans les deux exemples ci-dessus, les articles et même la préposition n’apparaissent pas.) - roumain (C.P.) : în directia podului. (possibilité) dans direction[art] pont[art.G] A creuser : en parallèle avec l’inégalité but-source, vérifier sur la direction s’il y a égalité ou inégalité direction prospective/retrospective : cf. en français moderne vers prospectif vs. de la direction de retrospectif, alors que l’ancien français avait vers vs devers. De même le roumain a spre, înspre ou cãtre pour ‘vers’ et dinspre < de + înspre pour ‘devers’. A l’inverse, l’allemand n’a pas de préposition pour dire ‘devers’. 4.4. détermination adverbiale : (à continuer dans les questionnaires suivants) Elle concernait : a. les adverbes interrogatifs (où ?) et substituts (là, ici), dans leur qualité de termes qui indiquent un site construit, en tant que substituts de Gprép. b. les Nli/Nle (noms de localisation interne/externe, cf. Aurnague, Borillo, etc.) en tant qu’éléments à moitié spatiaux. (je n’ai pas eu bcp d’exemples là-dessus) a. statut des adverbes spatiaux : - absents, emploi de démonstratif/interrogatif : birman (A.V.) : ?’edi ka’ne DEM. ANAPH. ABL+’endroit’ : d’où allemand (C.P.) : wo ‘où’ accepte toute préposition et les directionnels ; il fonctionne plutôt comme une marque générale d’interrogation sur les compléments de tout type : Worüber sprichst du ? ‘de quoi tu parles ?’ - déclinables dpdv spatial : hongrois : statique hol ‘où ?’ vs. source honnan ‘d’où’, ancienne forme ablative norvégien et suédois (doc. CP) : statique hem ‘à la maison’, but hemma, ancienne forme casuelle (idem pour là, ici, en haut/en bas et où). polonais (A.K.) : source skad ‘d’où’, direction/but dokad ‘vers où, où’ - invariables : les autres langues b. l’élément qui signifie jusque (primaire ou dérivé) paraît pouvoir partout accompagner des adverbes du type où, làbas, ici, tout comme l’adposition du point de départ (là où elle existe : en tagalog, haïtien, langi et swahili, l’origine est exprimée par un verbe) : BUT + adverbe : (19) Langi (M.D.) : mpaka aha. Swahili (M.D.) : mpaka hapa. jusque ici jusque ici (20) haïtien (P.M.) : jous isit la jusque ici DET. (21) tagalog (J.M.F.) : hanggang saan jusque où BUT, SOURCE (autres ?) + adverbe : (22) japonais (M.I.) : koko-made et asoko-kara ici-jusque là-bas-SOURCE (23) wallisien (C.M.F.) : ki hen mai fea i fea à/vers ici de où à[stat] où (24) somali (P.C.H.) : illaa xag-gee xag-gee... ka jusque lieu-INTERROG lieu-INTERROG ... de (25) roumain (C.P.) : pânã unde de unde pe unde jusque où de où par où - Quid des adpositions de direction (vers) et médianes, si elles existent ? Projection : il apparaît un peu partout que seules quelques adpositions peuvent déterminer de tels adverbes (et parfois aussi des Gprép). Ceci signifie-t-il que les adpositions qui expriment la trajectoire se situent à un autre niveau que les adpositions statiques ou neutres ? (cf. question sous 4.2.b) I.e. ces adpositions (et marques casuelles pour les langues à flexion adverbiale : hongrois et N germ) fonctionnent comme des sortes d’ « opérateurs » (Flageul ?). Du coup, on peut organiser l’inventaire adpositionnel en : a. adpositions (ou éléments) basiques qui construisent un référent spatial : fr. à, dans, sur... b. adpositions secondaires/opérateurs qui s’appliquent sur un référent spatial : fr. de, jusque. 4.5. début de systématique des adpositions : distinction entre état et déplacement sur les adpositions : - encore à creuser (voir après questionnaire depuis), mais déjà : - aussi restreint que soit le système des adpositions, il y a : a. une adposition statique/neutre (cf. Ruwet, peut-on réduire les statiques à à ?) b. une ou deux adpositions « dynamiques » exprimant le but et/ou la source. début de typologie ?: - langues à système adpositionnel réduit - à 1 seul élément simple (tagalog) - à 3-5 éléments simples, dont 1 statique et des repères de la trajectoire (birman, somali ?, wallisien, bahasa, amhare) - langues à système adpositionnel vaste (romanes, hongrois, etc.) : elles possèdent des adpositions neutres ‘configurantes’ (en, sur...), des adpositions pour tous les aspects de la trajectoire et aussi des constructions complexes (locutions). - langues à système complexe, combinant adpositions, directionnels et/ou cas et/ou préfixes verbaux (allemand, polonais, ancien français, latin, anglais, tamil)