Une morale post-métaphysique introduction à la - E

Une morale post-métaphysique introduction à
la théorie morale de Jürgen Habermas
Autor(en): Hunyadi, Mark
Objekttyp: Article
Zeitschrift: Revue de théologie et de philosophie
Band (Jahr): 40 (1990)
Heft 4
Persistenter Link: http://doi.org/10.5169/seals-381425
PDF erstellt am: 16.04.2017
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REVUE DE THÉOLOGIE ET DE PHILOSOPHIE, 122 (1990), P. 467-483
UNE MORALE POST-MÉTAPHYSIQUE*
INTRODUCTION ÀLA THÉORIE MORALE
DE JÜRGEN HABERMAS
Mark Hunyadi
Résumé
Après avoir rappelé le cadre historico-systématique àpartir duquel
s'élabore la philosophie de Habermas (notamment la différenciation des
sphères de valeur selon Max Weber, et le thème de la «guerre des dieux»
qui en résulte), on montrera quelle stratégie il déploie contre ce qui semble
aboutir àun scepticisme des valeurs. Ala raison qui n'est traditionnelle¬
ment considérée que comme instrumentale, il oppose la raison communica-
tionnelle, seule garante de Tuniversalisme (notamment en matière morale),
et fondée sur les «prétentions àla validité» que nous élevons dans chaque
acte de langage.
En guise d'introduction àla pensée morale de Jürgen Habermas,
j'aimerais aborder une question d'ordre plus général qui nous permettra
de mieux situer et comprende le cadre et les enjeux de la Diskursethik,
l'éthique du discours. Plutôt que d'aborder de front ce texte capital que
sont les «Notes programmatiques pour fonder en raison une éthique de la
discussion» je vais essayer de montrer en quoi et pourquoi la pensée de
Habermas peut se désigner -et se désigne elle-même -comme post-méta¬
physique. En abordant le problème sous cet angle, j'espère dégager la cohé¬
rence systématique de la construction habermasienne qui conduit, en
*Ce texte est celui d'un exposé mtroductif fait dans le cadre des «Colloques
sur l'œuvre éthique de Jürgen Habermas» organisé par les Facultés de Théologie des
Universités de Genève (Prof. Eric Fuchs), Lausanne (Prof. Denis Müller) et
Neuchâtel (Prof. Pierre Biihler): L'auteur est doctorant en philosophie, et atravaillé
deux ans auprès de Jürgen Habermas àFrancfort.
Le texte aété légèrement corrigé, mais agardé la «forme orale» qu'appelait sa
destination première. Il n'a d'autre but que de situer le cadre systématique àpartir
duquel se comprend la pensée morale de Habermas. C'est donc volontairement qu'il
renonce àune évaluation critique, se contentant de familiariser le lecteur avec
quelques grandes thèses de la théorie de l'agir communicationnel.
In: Jürgen Habermas, Morale et Communication, éd. du Cerf, Paris, 1986.
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matière de morale comme dans les autres champs de l'activité humaine, à
la défense d'une rationalité dite procédurale. Par là, il s'agit de mettre en
évidence la nécessité qu'il ya, pour Habermas, de constituer la théorie
morale àpartir d'une théorie de l'argumentation. Avant de savoir si celle-ci
réussit ou non àhonorer ses prétentions àl'universalité, si elle réussit ou
non às'acquitter de sa tentative de fonder en raison la morale, je vais
tenter de présenter les quelques éléments essentiels qui sous-tendent l'édi¬
fice d'ensemble de la pensée de l'auteur de la Théorie de l'agir communi¬
cationnel.
Pensée post-métaphysique et procédure
Sous la plume de Habermas, «post-métaphysique» veut simplement
dire: strictement argumentatif. Une pensée post-métaphysique est une
pensée dont le critère ultime n'est ni une vérité extra-mondaine (de type
religieux), ni une donnée tenue pour certaine (p.ex. anthropologique:
«l'homme est bon», ou «l'homme tend naturellement vers une fin», etc.),
ni un quelconque apriori d'ordre matériel qui serait soustrait àtoute
discussion; une pensée post-métaphysique ne s'en remet, selon le mot qui
est devenu comme le slogan de la pensée habermasienne, qu'à «la force
sans contrainte de l'argument meilleur» -der zwanglose Zwang des
besseren Arguments. Une telle pensée est donc strictement argumentative.
Ainsi formulée, cette thèse se comprend aisément. Mais si nous
essayons de la reconstruire pas àpas, elle révèle toute son ampleur et sa
complexité. Ce qui est en jeu, c'est une théorie de la rationalité, qui elle-
même sert une théorie de la société et une théorie de la modernité -la
théorie morale se comprenant comme un prolongement et un développe¬
ment de ces thèses fondamentales. Contre les relativistes, contre les contex-
tualistes, contre tous les détracteurs de la raison qui depuis Nietzsche cher¬
chent àfaire valoir tout ce qui subvertit la raison -une certaine raison,
précise Habermas, et tout l'enjeu du débat est dans cette nuance -, comme
la volonté de pouvoir, l'inconscient, les structures économiques, les struc¬
tures symboliques, etc, contre tous ceux donc qui abandonnent la raison
pour un autre qu'elle, Habermas défend un concept certes sceptique, mais
non défaitiste de la raison: ce qui veut dire simplement que les critiques
justifiées qu'on adresse àla rationalité n'impliquent pas qu'on doive l'aban¬
donner tout entière. Il yaune raison post-métaphysique, et ce n'est pas
trop dire que Habermas consacre l'essentiel de son œuvre àla défense de
celle-ci. Dégageons de façon aussi synthétique que possible les grandes
lignes argumentatives qui guident sa théorie de la rationalité, en axant d'en¬
trée de jeu notre point de vue sur la problématique morale, essentielle dans
son œuvre.
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Défendre une rationalité post-métaphysique telle que je viens de la
caractériser par un mot clé (où «pensée post-métaphysique« désigne une
pensée livrée àla seule force de ses arguments), c'est défendre un type de
rationalité procédurale, par opposition àune rationalité matérielle. C'est
cette dernière qui acaractérisé la pensée métaphysique, en ce sens que, et
quelles que soient évidemment les immenses différences qui séparent les
différents systèmes élaborés sous cette bannière, c'est toujours, dans ce type
de pensée, une totalité rationnelle qui assure un ordre des choses dont
chaque élément reçoit une place en fonction de cette totalité qui lui assure,
par même et en retour, sa rationalité. Que ce soit un principe cosmique,
comme chez les Grecs anciens, un ordre transcendantal, comme chez Kant,
une subjectivité fondatrice, comme chez Husserl ou Descartes, la rationalité
est toujours un quelque chose qui assure la cohérence des choses -en ce
sens, elle est matérielle, au sens il yaun principe unique qui gouverne
l'ordre des choses. C'est le principe même de l'existence d'un tel principe
qui aété mis en question par les critiques successifs de la rationalité;
Habermas partage leur méfiance, mais plutôt que d'en prendre prétexte
pour abandonner toute prétention àla rationalité, il lui oppose un autre
concept de rationalité, non plus matériel, mais procédural. Avant de
montrer ce que cela veut dire concrètement, il faut mettre en évidence la
nécessité systématique qu'il yapour Habermas àdéfendre un tel concept
de rationalité.
La différenciation des sphères de valeur: le droit et la morale
Habermas prend très au sérieux la thèse de Max Weber sur la différen¬
ciation des sphères de valeur. Il lui consacre notamment de nombreuses
pages dans sa Théorie de l'agir communicationnel Bien qu'elle soit très
connue, rappelons-en les linéaments, ceux en tous cas qui sont déterminants
pour la pensée de Habermas.
Max Weber décrit le processus de rationalisation de l'Occident en
termes d'«Entzauberung», de désenchantement: ce qui veut dire que diffé¬
rentes sphères d'activité et de pensée de l'homme se dégagent peu àpeu
des visions du monde globalisante (mythiques ou religieuses) dont elles
étaient dépendantes. Ces visions du monde (ces super-discours qui fondent
la légitimité de tous les autres: qu'on pense àla religion pour le Moyen
Age) fondaient l'unité et la légitimité de tous les discours produits; mais
dès qu'ils sont remis en question et perdent par leur puissance unifiante
2Jürgen Habermas, Theorie des kommunikativen Handelns, 2Bände, Frankfurt
am Main, 1981. Traduction française: Théorie de l'agir communicationnel, 2vol.,
Fayard, Paris, 1987. Dorénavant: TkH.
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-c'est précisément YEntzauberung -, on assiste pour Max Weber àune
différenciation des sphères de valeur, plus précisément de trois sphères de
valeur, qui ainsi deviennent autonomes par rapport àces visions du monde
globalisantes: il s'agit de la sphère cognitive (sciences), de la sphère esthé¬
tique (art) et de la sphère juridico-morale (normes). Cette autonomisation
des sphères de valeur, qui pour Max Weber est la marque même de la
modernité, obligera chacune de ces sphères àsuivre sa logique propre,
c'est-à-dire àobéir àdes critères de rationalité àchaque fois spécifiques.
Ces thèses sont bien connues, et je n'aimerais m'arrêter que sur l'une
d'elles, àsavoir celle de l'autonomisation du droit et de la morale (donc de
la sphère normative), phénomène qui libère toutes les pratiques juridiques
et éthiques de l'emprise des images du monde dans lesquelles elles étaient
enchâssées, ce qui avait pour conséquence d'empêcher la différenciation
entre raison théorique et raison pratique. Car dans un monde d'avant
YEntzauberung, donc dans un monde dont l'image est unifiée, il suffit de
connaître (on est donc dans l'ordre de la raison théorique) l'ordre
cosmologique, les récits mythiques, les vérités religieuses, etc.. pour savoir
ce qui est valide dans l'ordre normatif des maximes, règles ou lois (donc
dans l'ordre de la raison pratique). Connaître l'ordre du monde, c'est-à-dire
connaître ce qui est, implique connaître ce qui doit être, puisque c'est
l'ordre du monde qui est garant et modèle de l'ordre juste des choses. Mais
que s'opère YEntzauberung, qu'apparaisse la différenciation entre ces deux
types de raison (la théorique et la pratique), que la sphère cognitive se
sépare donc de la sphère juridico-morale, et celle-ci se voit livrée àses
propres critères de rationalité. La sphère juridico-morale ou normative ne
puisera plus sa légitimité dans de grands discours fondateurs, mais dans une
rationalité spécifique et autonome.
Quelles en sont les implications pour le droit et la morale? Historique¬
ment, je veux dire du point de vue de l'histoire des idées, cette autonomisa¬
tion du droit et de la morale aconduit au droit formel et aux éthiques
profanes de conviction ou de responsabilité -respectivement institutionna¬
lisés dans le droit naturel rationnel et l'éthique formelle. Mais d'un point de
vue non plus historique mais systématique -et c'est bien sûr celui-ci qui
est déterminant pour Habermas -, cette autonomisation permet la formation
de nouvelles structures de conscience des individus, qui s'orientent non
plus en fonction de traditions acceptées, non plus en fonction de normes
transmises, mais en fonction de prises de position critiques àl'égard d'un
savoir traditionnel. En d'autres termes, ce qui était admis comme non
problématique devient hypothétique. C'est donc la voie qui mène àce que
Habermas, après Piaget et Kohlberg, appelle une structure de conscience
post-conventionnelle -«post-conventionnelle» voulant dire: qui ne se
nourrit plus du simple poids accepté des conventions en vigueur, mais qui
élabore ses propres critères d'appréciation.
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