de pensée le plus certain ; un modèle plus souple que la foi. Une loi comme ‘un triangle
possède trois côtes’ est universelle et transhistorique. Pour eux, il était possible de trouver des
lois politiques et sociales aussi exactes : leurs débats étaient un effort collectif pour trouver
ces lois.
Notre siècle a proposé un autre modèle pour la pensée : la langue. Et sur cette pointe, la
philosophie a souvent marqué une distinction nette entre ‘la langue’ et ‘la parole’. Cette
dernière est constituée par les mots quotidiens, les causeries des gens : mots de patois, sans
grammaire précise, sans règles exactes. Selon les penseurs comme Ferdinand Saussure, le vrai
modèle n'est pas cette parole molle, mais la dure rigueur de la langue, avec sa grammaire et
ses règles. La langue, c'est la base, la vraie essence ; la parole n'est rien qu'un reflet
approximatif. La langue construit les ‘structures de base’ des règles.
Mais la langue est devenue plus qu'un modèle d'organisation de la pensée : pour les penseurs
structuralistes, par exemple Claude Lévi-Strauss ou Roland Barthes, la différence structurelle
entre la langue et la parole, la grammaire et le discours, donne aussi la clé pour comprendre
toute la vie humaine. La vie, la culture, est comme une langue, selon ce modèle de la langue :
elle contient une règle interne qu'il faut découvrir pour la comprendre. L'espèce humaine est
même organisée par les capacités et les structures de la langue.
Pour la première génération de structuralistes le problème-clé était d'identifier ces structures
de la vie. Cette nouvelle école reste dans la tradition de la pensée rationaliste : il y a encore un
sens du progrès de la vie intellectuelle vers une compréhension plus souple et plus profonde,
qu'on peut atteindre grâce aux rituels du débat et du contre-débat. La langue est encore vue
comme un outil de la raison. Mais la deuxième génération des post-structuralistes pose des
questions nouvelles. Selon elle, la langue est arbitraire : son pouvoir de représenter ou
d'évoquer le monde matériel est limité : elle est un piège pour les naïfs. La raison est formée
par la langue ; elle ne peut échapper aux limites et aux formes de la langue ; surtout, elle ne
peut découvrir une signification qui soit au-dehors de la langue. Il n'y a ni signification ni
réalité au-delà du texte. Le prétention libératrice de la pensée post-structuraliste est
d'émanciper le lecteur du devoir de chercher une logique dans un monde qui est sans logique.
C'est ici que nous revenons à l'échange entre Habermas et Lyotard. On peut dire que ces idées
sont un défi au monde régulé par des textes et des lois, et un rejet – enfin – de l'âge des
lumières.
Revenons à l'anarchisme. Est-ce que l'anarchisme, lui aussi, est enraciné dans un rejet des
lumières? L’État moderne est né dans l'âge des lumières, et cette tradition de rationalité
masque, sous le tolérance, un style de politique autoritaire. Avant les analyses de Foucault, il
y avait déjà beaucoup d'écrivains anarchistes qui, eux aussi, avaient dénoncé la science et la
tradition des lumières. Néanmoins, quelques-uns avaient accepté le rapport nécessaire entre la
tradition rationaliste et l'anarchisme. En vérité, la tradition des lumières est une tradition
plurielle, qui n'a pas une signification politique unique, mais plusieurs, qui englobent le
libéralisme, le socialisme, le marxisme et l'anarchisme. Dans la pensée d'Habermas, on trouve
une interprétation de la tradition des lumières qui est proche d'une interprétation anarchiste.
L'oeuvre de Habermas représente une volonté de repenser les lumières, avec toutes les
considérations et les besoins de la pensée politique et philosophique de notre fin-de-siècle.
Pour Habermas, les penseurs post-structuralistes ne sont que des ‘néo-conservateurs’. Au lieu
d'un rejet du pouvoir de la raison, Habermas propose une analyse approfondie de la nature de
la raison et de la rationalité. Habermas était étudiant d'Adorno, qui - dans sa Dialectique de la