Chapitre 17
Communautés
et marketing relationnel
Ganaël Bascoul et Andreas M. Kaplan
Objectifs
Mettre en évidence le phénomène des nouvelles tribus dans la société contemporaine et en
exposer les fondements
Donner une grille d’analyse permettant de caractériser la nouvelle tribu
Développer une approche marketing utilisable dans un contexte tribal sur la base d’exemples
significatifs
u sein d’une société de plus en plus individualiste, dans laquelle les groupes d’apparte-
nance se redessinent en permanence, est apparue une nouvelle catégorie de commu-
nautés : les communautés de marque. Organisées autour des usages d’une catégorie de
produits (clubs automobile) ou de services (communautés Internet), elles constituent
aujourd’hui une composante importante de la gestion de la relation client, parce qu’elles
donnent un nouveau moyen d’établir un dialogue avec le consommateur, d’obtenir des
informations sur lui et ses attentes, et de lui adresser un traitement particulier renforçant
son attachement à la marque. Après avoir défini les caractéristiques de ces communautés,
nous présenterons un aperçu des outils que l’on peut utiliser pour les animer et améliorer
l’offre proposée à leurs membres.
A
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432 Partie 4 • Développer une politique de marketing relationnel
Communauté, fidélité et marque : Prions en Église !
Quel est l’un des périodiques les plus vendus par abonnement en France ? S’agit-il d’un
magazine de sport, de mode, d’un titre professionnel ? Rien de tout cela. Il s’agit du mensuel
Prions en Église publié par Bayard, avec une moyenne de 450 000 abonnements par an sur ces
cinq dernières années. Son contenu ? Le contenu liturgique des messes de chaque jour du
mois, avec les lectures des messes catholiques (extraits de la Bible), suivant l’agenda fixé par le
calendrier de la liturgie. Ce contenu donne aux abonnés une version papier des textes qui
seront lus durant la messe et permet donc, d’après Bayard, « d’aider les chrétiens qui veulent
enraciner leur vie et leur prière dans la liturgie et spécialement dans l’Écriture Sainte qui y est
proclamée. » En plus des textes saints eux-mêmes, sont proposés plusieurs compléments :
des commentaires des textes par des membres officiels de l’Église française, des reportages
sur l’activité religieuse en France, une rubrique sur les sorties en librairie, un agenda sur les
émissions TV et radio, les partitions et paroles des principaux chants d’Église, mais aussi un
calendrier liturgique et une brève description des saints et saintes à célébrer ce mois. Sans
oublier, et ce afin de consolider la fidélité des lecteurs : un bulletin d’abonnement ! Le
site web propose lui aussi en accès libre les textes du jour, des informations et reportages,
ainsi qu’une description des offres d’abonnement, de numéros spéciaux, et de pèlerinage.
Le succès de cette marque, qui a fait ses preuves depuis 20 ans, d’après un modèle importé du
Canada, repose en partie sur sa proximité avec la communauté. Certes, plus de 80 % des
abonnements se fait par réabonnement, mais Prions en Église est aussi très présent au sein de
sa communauté de lecteurs. Les équipes commerciales sur le terrain connaissent très bien les
paroisses et leurs activités. Ceci permet aussi de remonter l’information au niveau de l’équipe
éditoriale sur les actualités et événements religieux de chaque région. De plus, le titre sponso-
rise un certain nombre d’événements locaux et nationaux à travers un service d’aide à la pro-
duction et à l’édition de documents spécifiques, par la communauté, à l’occasion de ces
rassemblements. Enfin, durant les moments clés de l’année, comme le carême, une distribu-
tion gratuite est organisée pour faire connaître le titre et accompagner les croyants dans leur
découverte ou redécouverte des textes sacrés. Un tel lien permet d’alimenter le recrutement,
tout en maintenant le contact avec les abonnés. En d'autres termes : convertir les plus impli-
qués dans la communauté, tout en satisfaisant les fidèles !
Questions
1. Sur quelles dimensions personnelles et collectives reposent d’après vous le succès de cette
marque ?
2. Quelle est la création de valeur proposée par la marque aux communautés à travers ce
mensuel ?
3. Comment cette offre pourrait s’enrichir à travers le mensuel (rubriques, suppléments,…) ?
4. Dans quelle direction feriez-vous évoluer l’activité du site www.prionseneglise.fr ainsi
que l’activité web de la marque en général ?
5. Quelles autres voies d’enrichissement de la relation entre marque et communauté sont
envisageables ?
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Chapitre 17 • Communautés et marketing relationnel 433
1 Les communautés, communautés en ligne
et communautés virtuelles
Dans cette section sont décrits les notions et concepts de base concernant les communautés.
Un intérêt particulier sera porté aux communautés en ligne et sur les manières de les prendre
en compte. Enfin, nous examinerons les mondes virtuels, qui sont une source potentielle de
communautés et permettent d’établir de nouvelles formes de relation avec les consommateurs.
1.1 La naissance et la construction des communautés
Le terme « communauté de marque » décrit un groupe organisé de fans d’une marque.
L’article fondateur de Muniz et O’Guinn, l’une des vingt références les plus citées dans le
champ de l’économie et de la gestion, définit le concept ainsi : « une communauté spécia-
lisée, sans attache géographique, et basée sur un ensemble structuré de relations sociales
entre les fans d’une marque ». Une communauté de marque possède trois caractéristiques
majeures :
Un sentiment d’appartenance. Il s’agit d’une connexion particulière entre les membres
du groupe, qui les distingue des personnes extérieures. Au-delà d’une série de points
communs ou d’attitudes partagées, ce sentiment d’appartenance se traduit aussi par un
mode de pensées commun.
Des rites et des traditions. Ils alimentent l’histoire et la culture de la communauté. Les
rites assurent une cohérence en interne et une visibilité en externe. Les traditions consti-
tuent un ensemble de pratiques sociales permettant de diffuser et d’entretenir au sein du
groupe des normes de socialisation et des codes de comportement.
Un sens de la responsabilité morale. Tout membre est responsable et redevable envers
la communauté, mais aussi envers chaque personne qui la constitue. Ce sens de la res-
ponsabili morale peut entraîner, lorsque la communauté se sent menacée, une ac-
tion collective.
Figure 17.1 - ????.
Modèle de communauté de marque centré sur
le consommateur (McAlexander, Schouten,
Koenig 2002)
Triade de la communauté de marque
Consommateur Marque
Consommateur
Modèle traditionnel du lien entre
le consommateur et la marque
Marque
Marque Produit
Marketeur
Consommateur
visé
Consommateur
Consommateur
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434 Partie 4 • Développer une politique de marketing relationnel
Les communautés de marque représentent une forme de groupe social lié à un contexte de
consommation. Cependant, il ne s’agit pas de segments homogènes en termes de styles de vie.
En effet, ces communautés sont formées autour d’un produit ou service en particulier, et
non d’un ensemble complet de pratiques de consommation. Elles se distinguent de deux
autres types de groupes sociaux aussi utilisés en marketing : les tribus et les sous-cultures.
Par rapport aux tribus définies par Cova en 1997, elles sont plus stables et leurs membres s’y
investissent davantage dans la durée. Les sous-cultures se différencient par le fait qu’elles
utilisent habituellement les symboles en les détournant de leur signification usuelle pour se
distinguer de la culture dominante. Par exemple, la culture punk emprunte différents codes
de la société anglaise et les recombine pour constituer un message d’autonomie et de contes-
tation. Les communautés de marque ne cherchent pas à rejeter l’idéologie culturelle environ-
nante, mais plutôt à en cultiver certains aspects.
Il existe actuellement deux manières d’envisager les communautés de marque, et par
conséquent deux manières de les créer (voir figure 17.1). On peut les voir comme une
relation triangulaire client-client-marque. Le modèle de communauté de marque centré
sur le consommateur élargit ce concept en le repositionnant du point de vue de l’individu
placé au centre d’un réseau de relations avec la marque, l’entreprise, le produit et les
autres consommateurs. Dans ce cadre, l’existence et la signification de la communauté de
marque dépendent entièrement de l’expérience du consommateur et la communauté ne
constitue plus simplement un des satellites de la marque. L’entreprise doit alors se diffé-
rencier en proposant des offres et des services permettant d’enrichir les expériences de
chaque membre au sein de la communauté.
Encadré 17.1
Le mythe américain Harley-Davidson bien implanté en France à travers
ses communautés de marque
La marque Harley-Davidson, née en 1903 sous le nom de Harley-Davidson Motor
Company, évoque un homme vêtu d’une combinaison et de bottes de cuir, parcourant
sur sa moto les États-Unis d’est en ouest par la mythique route 66, qui relie Chicago à
Los Angeles. Cette image a contribué à en faire l’une des marques les plus reconnais-
sables à travers le monde. Ce succès est partiellement au fait quHarley-Davidson
comprend très tôt l’importance de la communauté de marque. 1983 voit la naissance
du Harley-Davidson Owners Group (HOG, pour les initiés, en souvenir du cochon-
mascotte de l’équipe de compétition Harley-Davidson dans les années 1920 – « cochon »
se dit hog en argot anglo-américain), en réaction à la création d’un groupe de motards
répondant au nom de Hell’s Angels (littéralement, les Anges de l’Enfer !). Réputés pour
leurs comportements très rudes, aux frontières de la légalité, ces derniers ternissent
l’image de toute la catégorie de produits associée à la moto, des tenues de cuir jusqu’aux
engins eux-mêmes. C’est pourquoi Harley-Davidson établit un programme develop-
pement de clubs, appelés Chapters, pour aider les motards à s’organiser et favoriser
les échanges. Le succès phénoménal de ce programme s’étend sur 25 ans. Durant les
deux premières années, le HOG compte 49 clubs (dont le célèbre Boozefighters Motor-
cycle Club – BFMC –, fondé en 1946 à Los Angeles et qui sera caricaturé dans le film
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Chapitre 17 • Communautés et marketing relationnel 435
1.2 Les communautés en ligne
Les communautés en ligne ont des caractéristiques propres qui les distinguent des commu-
nautés traditionnelles. Par exemple, les membres peuvent diffuser des messages à des publics
beaucoup plus larges et variés. L’accès à la communauté est beaucoup plus aisé, alors qu’il
était auparavant limité par les contraintes géographiques. Les communautés en ligne autori-
sent souvent l’anonymat, sous couvert duquel il est possible d’ignorer certaines règles socia-
les qui les régissent. Cependant, d’un point de vue marketing, elles permettent d’observer et
d’enregistrer de manière non intrusive le comportement du groupe dans son environne-
ment naturel. D’après Williams et Cothrel (2000), trois types d’activités sont nécessaires à
leur viabilité :
Le recrutement. Les communautés en ligne ont besoin d’une masse critique pour rester
actives et retenir l’attention de leurs membres. Pour compenser les départs, un processus
de recrutement permanent doit être assuré. Les personnes en charge de la gestion de la com-
munaudoivent mener des études de marcpour identifier les membres potentiels et
rer les passerelles, mais aussi les ajustements de contenu, qui permettront de les attirer.
américain L’Équipée SauvageThe Wild One – réalisé par László Benedek en 1953), et
plus de 60 000 membres. Aujourd’hui, il existe plus de 1 100 clubs et 1 million
d’adhérents. Dès 2001, le réseau trouve sa place sur la Toile, sous l’égide du HOG.
La France participe à cet engouement en comptant 45 clubs rattachés au HOG, souvent
à l’initiative de concessionnaires locaux. Par exemple, l’Alpes Spirit Chapter, club officiel
numéro 9687, est créé en 1997 à l’initiative de la concession Spirit of Eagle d’Annecy.
Au programme : week-ends en groupes sur les belles routes de la région, réunion
mensuelle autour d’un repas pour se retrouver et échanger, mais aussi forums et albums
photo sur Internet pour prolonger l’expérience.
Le programme du HOG respecte les trois caractéristiques d’une communauté de
marque, décrites précédemment :
Un sentiment d’appartenance. En restreignant l’accès au club aux seuls possesseurs
de motos Harley-Davidson, le HOG assure que seuls des clients fidèles de la marque
font partie de la communauté.
Des rites et des traditions. En imposant la structure de Chapter, en organisant et
en sponsorisant des rallyes Harley-Davidson, et en permettant aux membres de
partager leurs expériences en ligne, le HOG assure le maintien au cours du temps
de la mythologie entourant la marque.
Un sens de la responsabilité morale. Des règles strictes régissant l’éligibilité des
membres, un code de conduite et une hiérarchie sociale au sein des clubs permettent
à la communauté de s’autoréguler et donnent un rôle clé aux membres les plus
investis.
Harley-Davidson a su ainsi rester une marque en phase avec les pratiques et les attentes
de ses consommateurs, comme en témoigne son succès commercial inégalé à travers
son taux de fidélité, sa notoriété et la croissance de son chiffre d’affaires.
Encadré 17.1 (suite)
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