1 L`AVOCAT ET LA PUBLICITE L`article 13 de la loi n°2014

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L’AVOCAT ET LA PUBLICITE
L’article 13 de la loi n°2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, autorise
l’avocat à recourir à la publicité ainsi qu’à la sollicitation personnalisée.
Selon l’article 5 quinquies du projet de loi adopté par le Sénat le 13 septembre 2013,
« L’article 3 bis de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines
professions judiciaires et juridiques est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Dans les conditions fixées par décret en Conseil d’Etat, l’avocat est autorisé à recourir
à la publicité ainsi qu’à la sollicitation personnalisée.
« Toute prestation réalisée à la suite d’une sollicitation personnalisée fait l’objet d’une
convention d’honoraires. »
Il n’existe pas à ce jour de décret d’application de la loi Hamon qui entrera en vigueur à
l’automne.
Cette disposition est prise à la suite d’un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne
(CJUE) du 5 avril 2011, affaire C-119/09) qui a estimé que l’interdiction faite aux experts
comptables de recourir au démarchage était incompatible avec l’article 24 de la directive
services 2006/113, dite « Bolkestein » du 12 décembre 2006.
Historique :
La publicité par l’avocat était régie par l’article 66-4 de la loi n°71-1130 du 31 décembre
1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, selon lequel « Sera
puni des peines prévues à l'article L. 121-23 du code de la consommation quiconque se
sera livré au démarchage en vue de donner des consultations ou de rédiger des actes en
matière juridique. Toute publicité aux mêmes fins est subordonnée au respect de conditions
fixées par le décret visé à l'article 66-6.
Toutefois, le premier alinéa du présent article n'est pas applicable aux avocats qui, en toutes
matières, restent soumis aux dispositions de l'article 3 bis. »
Le décret n°72-785 du 25 août 1972 relatif au démarchage et à la publicité en matière de
consultation et de rédaction d'actes juridiques définit l’acte de démarchage « comme le fait
d'offrir ses services, en vue de donner des consultations ou de rédiger des actes en matière
juridique ou de provoquer à la souscription d'un contrat aux mêmes fins, notamment en se
rendant personnellement ou en envoyant un mandataire soit au domicile ou à la résidence
d'une personne, soit sur les lieux de travail, de repos, de traitement ou dans un lieu public. »
(Article 1)
Selon l’article 2 de ce même décret, « la publicité en vue de donner des consultations, de
rédiger des actes ou de proposer son assistance en matière juridique ne peut être faite par voie
de tracts, affiches, films cinématographiques, émissions radiophoniques ou télévisées »
La publicité n’était jusqu’à présent pas interdite aux avocats mais était très strictement
encadrée par l’ordre des avocats. L’article 10.1 du Règlement Intérieur National des
avocats indique que la publicité fonctionnelle « est destinée à faire connaître la profession
d’avocat. La publicité est permise à l’avocat si elle procure une information au public et si sa
mise en œuvre respecte les principes essentiels de la profession. La publicité inclut la
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diffusion d’informations sur la nature des prestations de services proposées, dès lors qu’elle
est exclusive de toute forme de démarchage ».
Selon l’alinéa 3 de l’article 10.2 du RIN, « la publicité personnelle de l’avocat ne peut être
faite par voie de tracts, affiches, films cinématographiques, émissions radiophoniques ou
télévisées ».
L’article 10.3 du RIN indique que sont autorisés :
- « l’envoi, par voie postale ou électronique, de lettres d’informations générales sur le
cabinet, les activités de celui-ci, le droit et la jurisprudence ;
- la publication de faire-part ou annonces, destinés à la diffusion d’informations
ponctuelles et techniques, telles que l’installation de l’avocat dans de nouveaux locaux, la
venue d’un nouvel associé, la participation à un groupement autorisé, l’ouverture d’un
bureau secondaire ;
- la publication, dans les annuaires ou dans la presse, d’encarts publicitaires, sous réserve
que leur présentation, leur emplacement ou leur contenu ne soit pas de nature à induire le
public en erreur ou à constituer un acte de concurrence déloyal ;
- la diffusion de plaquettes de présentation du cabinet ;
- l’apposition d’une plaque ou autre support, de dimensions raisonnables, signalant, à
l’entrée de l’immeuble, l’implantation du cabinet »
En ce qui concerne les sites internet, par deux délibérations d'Assemblée Générale en date
des 5 avril et 28 juin 2003, le CNB a révisé le Règlement Intérieur Harmonisé et consacré
une évolution essentielle dans la manière dont les instances ordinales considèrent désormais
le site Internet.
Internet étant par principe un espace de liberté, l'avocat peut parfaitement :

recevoir des demandes de consultation en ligne ;

donner des consultations en ligne ;

proposer des commentaires de décisions ;

proposer des informations sur des évolutions législatives et jurisprudentielles.
L’article 10.6 du RIN dispose que « l’avocat qui ouvre ou modifie un site internet doit en
informer le Conseil de l’ordre sans délai et lui communiquer les noms de domaine qui lui
permettent d’y accéder. Le site de l’avocat ne peut comporter aucun encart ou bannière
publicitaire, autres que ceux de la profession, pour quelque produit ou service que ce soit ».
Selon l’article 21.2.6.2, « La publicité personnelle par un avocat quel que soit le média utilisé
tel que la presse, la radio, la télévision, par communication commerciale électronique ou autre
est autorisée dans la mesure où elle respecte les conditions de l’article 21.62.6.1 qui dispose
que « l’avocat est autorisé à informer le public des services qu’il offre à condition que
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l’information soit fidèle, véridique et respectueuse du secret professionnel et d’autres
principes essentiels de la profession ».
En application de l’article 24 de la Directive 2006/123/CE relative aux services dans le
marché intérieur communautaire, les Etats membres devaient supprimer toutes les
interdictions totales visant les communications commerciales des professions réglementées.
Les Etats devaient veiller à ce que les communications commerciales des mêmes professions
respectent les règles professionnelles, conformes au droit communautaire, qui visaient
l’indépendance, la dignité et l’intégrité de la profession ainsi que le secret professionnel …
La loi HAMON de 2014 fait donc suite à l’arrêt de la CJUE du 5 avril 2011, affaire
C-119/09, Sté fiduciaire nationale d’expertise comptable c/ Ministre du Budget, Comptes
publics et Fonction publique.
Selon la CJUE, l’article 24 de la directive services de 2006 avait pour objectif d’éliminer
les interdictions de recourir à une ou plusieurs formes de la communication
commerciale notamment à la publicité, au marketing direct ou au parrainage.
Cela n’empêche pas les Etats d’établir des dispositions particulières restreignant cette
communication commerciale pour cette profession, compte tenu de l’indépendance, de la
dignité ou de l’intégrité de la profession et du secret professionnel auquel sont soumis ses
membres.
Cette directive favorise le marché concurrentiel et la croissance économique en Europe en
développant la communication commerciale des professionnels.
La publicité est désormais régie par l’article 13 de la loi du 17 mars 2014 :
« Dans les conditions fixées par décret en Conseil d’Etat, l’avocat est autorisé à recourir à la
publicité ainsi qu’à la sollicitation personnalisée.
Toute prestation réalisée à la suite d’une sollicitation personnalisée fait l’objet d’une
convention d’honoraires ».
La notion de démarchage ayant toujours été refusée par la profession, il est maintenant
employé le terme de sollicitation personnalisée.
La publicité personnelle est donc permise grâce à cette loi. Celle-ci, qui est mode de publicité
personnelle, s’entend de toute forme de communication directe ou indirecte dépassant la
simple information destinée à promouvoir les services d’un avocat à l’intention d’une
personne. Toute publicité doit toujours être communiquée au Conseil de l’Ordre. Un avocat
pourra utiliser la télévision, la radio, ou affiches pour se faire connaître et rechercher des
clients.
Cette nouvelle règlementation est conforme à la jurisprudence du Conseil d’Etat qui
considérait qu’une réglementation ne pouvait interdire totalement aux membres d’une
profession réglementée de recourir au démarchage ou de proposer à leurs clients une offre
personnalisée de services, quels que soient leur forme, leur contenu et les moyens employés,
ou prohiber de manière générale de recourir à la publicité dans les médias.
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La France connaît donc avec cette loi une avancée importante par rapport aux Etats Unis qui
ont fait disparaître l’interdiction de pratiquer la publicité depuis la décision de la Cour
Suprême dans l’affaire Bates c/ State Bar of Arizona de 1977 (433 US 350) en s’appuyant sur
le 1er amendement qui porte sur la liberté d’expression. La Cour a déclaré que les restrictions
de la publicité étaient illégales et que le 1er amendement protège la publicité de bonne foi
publiée dans les journaux ; elle a néanmoins autorisé les Etats à prescrire des limites
raisonnables quant à la durée, à l’emplacement et à la forme des annonces publicitaires et a
interdit la publicité mensongère ou trompeuse.
La publicité de l’avocat favorise la liberté d’expression et la concurrence mais doit-elle avoir
des limites ?
Si oui, lesquelles ?
Une révolution culturelle ?
La publicité a le mérite de favoriser la concurrence entre les cabinets. Elle permet aussi de
lutter contre la concurrence des professions parallèles telles que les sites internet juridiques
tenus par des sociétés commerciales qui chassent sur les terres des avocats.
C’est ainsi que le Président de la Commission déontologique du CONSEIL NATIONAL DES
BARREAUX a pu dire : « Si le droit n’est pas une marchandise, il existe un marché du
droit ».
L’exemple américain montre que ce ne sont pas les grands cabinets qui utilisent la liberté de
la publicité, ni les petits qui ne peuvent pas financer les modes performants de la publicité,
mais plutôt des firmes moyennes qui essaient de se faire connaître du grand public. Certains
considèrent que la publicité et la communication commerciale sont nécessaires à la
modernisation de la profession.
Vu l’explosion de la communication, vu la constatation que les clients attendent une
information immédiate, ce n’est pas le démarchage qui va correspondre à l’attente du public.
Les cabinets vont plutôt se lancer dans la sollicitation personnalisée. Ils viendront en quelque
sorte ajouter à la publicité fonctionnelle en permettant aux justiciables une information sur la
nature des services juridiques, la spécialité et la disponibilité des avocats.
Le démarchage peut aussi être considéré comme une bonne innovation pour les jeunes avocats
qui doivent se créer une clientèle, mais seront-ils crédibles ? Arriveront-ils effectivement à
constituer une clientèle par le démarchage ? J’avoue un certain scepticisme à ce sujet. Seul
l’avenir permettra de répondre à la question.
Le changement concerne aussi l’exclusion des avocats de l’incrimination pénale de démarche
juridique qui existait auparavant.
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Une réforme indispensable ?
Cette nouveauté ne sera pas utile aux plus grands cabinets qui ont des outils pour attirer les
clients : invitations, participation pro bono… et s’appuient déjà sur une sorte de sollicitation
individualisée.
De nombreux cabinets ont par ailleurs mis en place des outils de CRM (Customer
Relationship Management) qui sont des logiciels de gestion de la relation clients afin de
centraliser leurs informations.
La plupart des cabinets disposent d’un site web, destiné à afficher une ou plusieurs expertises.
Les réseaux sociaux (LinkedIn, Viadeo…) permettent de démarcher dans un univers
dématérialisé.
Certains mettent en exergue le danger de la liberté de la publicité et du démarchage qui
risquent de permettre aux grands cabinets, avec les moyens qui sont les leurs, de capter des
clientèles aux dépens de ceux qui n’ont pas les ressources suffisantes pour se lancer dans la
démarche publicitaire.
La publicité par Internet
L’avocat qui ouvre un site internet doit en informer le Conseil de l’Ordre et lui communiquer
les noms de domaine qui permettent d’y accéder.
Le nom de domaine doit comporter le nom de l’avocat ou la dénomination du cabinet en
totalité ou en abrégé.
Lorsque l’utilisation du nom de domaine évoque de façon générique le titre d’avocat ou un
titre pouvant prêter à confusion, un domaine du droit ou une activité relevant de celles de
l’avocat, elle est interdite.
Le site de l’avocat ne peut comporter aucun encart ou bannière publicitaire, autres que ceux
de la profession.
Il ne peut comporter de lien hypertexte permettant d’accéder directement ou indirectement à
des sites ou à des pages de sites dont le contenu serait contraire aux principes essentiels de
l’avocat. Il appartient à l’avocat de s’en assurer en visitant régulièrement les sites et les pages
auxquelles permettent d’accéder les liens hypertextes que comporte son site, et de prendre
sans délai toutes dispositions pour les supprimer si ce site devait se révéler contraire aux
principes essentiels de la profession.
L’avocat participant à un blog ou à un réseau social en ligne doit respecter les principes
essentiels de la profession.
Des abus à craindre
La réforme risque de favoriser les comportements déviants avec le possible usage de
« slogans racoleurs » ou de promesses abusives (garantie de victoire, règlement de
contentieux low-cost….)
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La publicité ne doit pas être omniprésente comme aux Etats-Unis. Internet, télévision,
journaux, aucun support n’est écarté. Les avocats ne doivent pas pousser à la consommation
de procès.
Des limites nécessaires
Xavier AUTAIN, membre de la Commission du Conseil de l’ordre du barreau de Paris,
chargée de contrôler l’usage de la publicité chez les avocats explique la distinction entre les
deux concepts : « la publicité se veut générale, alors que la sollicitation personnelle porte sur
une communication directe à une personne ciblée. Il s’agit nécessairement dans le second cas
d’un message personnalisé ».
Le Conseil de l’ordre tient toutefois à rappeler que les règles déontologiques et les procédures
de contrôle restent d’actualité. « Si un avocat vient à réaliser une publicité télévisée, il devra
alors, comme les textes le prévoient, procurer une information sincère. Il ne pourra en aucun
cas délivrer un message trompeur ou mensonger, ni se mettre abusivement en valeur. Il aura
par ailleurs interdiction de dénigrer ses confrères ».
En ce qui concerne la sollicitation personnelle, le démarchage physique ou téléphonique
devrait être prohibé. Les avocats devraient alors se tourner vers d’autres formats, tels que le
courrier ou les courriels mais la commission des lois au sénat s’est vu refuser son
amendement proposant l’écrit comme condition.
Le but était d’éviter de forcer le client à conclure un contrat avec l’avocat.
Il faut imposer des contrôles visant à interdire toute publicité mensongère, comparative ou qui
fait référence à une activité sans lien avec la profession d’avocat.
On peut s’inspirer des restrictions des Etats-Unis :1
- l’avocat doit conserver des copies des annonces et textes publicitaires durant deux ans
- l’avocat n’est pas autorisé à payer une commission à quiconque qui recommande ses
services (sauf le coût raisonnable de l’annonce).
- toute sollicitation faite en personne ou par téléphone est interdite. La sollicitation par écrit
est autorisée, sauf dans les cas où le client potentiel ne souhaite pas être sollicité par l’avocat
ou en cas de coercition, de menace ou de harcèlement (Ohralik c/ Ohio Bar Association (436
US 447 (1978)))
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Le rôle et les responsabilités de l'avocat dans une société en transition
Council of Europe, 1999
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Conclusion :
Le décret posant les conditions d’application de la loi se fait attendre.
La publicité et la sollicitation personnalisée sont cruciales pour le respect du jeu de la
concurrence.
La publicité fonctionnelle existait déjà sous certaines conditions mais la publicité personnelle
était inéluctable car elle fait partie de l’ère du temps.
Avec Internet et les sites juridiques, celle-ci aurait dû être mise en œuvre depuis longtemps.
De plus, les jeunes diplômés, les petites structures en ont besoin pour trouver des clients et se
développer.
Pour les gros cabinets connus, cela ne changera rien car ils ont de nombreux outils, les clients
et la réputation.
Il faudra tout de même éviter avec la sollicitation personnalisée, une dérive à l’américaine,
avec une abondance de publicité à la télévision, radio ou internet.
La profession d’avocat doit refuser de devenir une profession commerciale, d’où le choix fait
par la France du terme de « sollicitation personnalisée » et non de démarchage.
Le Barreau aura à contrôler l’application de ces nouvelles règles afin d’éviter les possibles
dérives de cette réforme.
Bernard CAHEN
CAYOL CAHEN & ASSOCIES
Avocat au Barreau de Paris
Président d’Honneur de l’UNION INTERNATIONALE DES AVOCATS
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