Introduction
Point de départ
La notion de pulsion a retenu notre attention à l’occasion du cours-séminaire
interdisciplinaire « Was heisst Leben », donné au cours du premier semestre de l’année
académique 2002-2003 de l’Université de Lausanne. Le séminaire avait pour but de
dégager, au travers d’analyses de textes philosophiques et littéraires, une notion du
vivant et de la vie.
Parmi les textes traités figurèrent plusieurs essais métapsychologiques de Freud, lors
de l’exposé desquels il nous sembla entendre d’étonnants échos à la philosophie de
Nietzsche, qui éveillèrent notre curiosité. Nous fûmes particulièrement intrigués par
la notion de pulsion, aveugle, indifférente, destructrice et créatrice à la fois, qui
s’inscrivait dans ce que nous connaissions de la Volonté de Puissance et des forces
profondes et indomptables qui animent, chez Nietzsche, l’âme et les actes humains.
Suivant un désir d’investiguer plus en profondeur la relation entre les deux auteurs
relativement à cette notion, nous avons entamé une recherche qui a abouti dans le
travail qui suit.
Avant de commencer sa présentation, remarquons encore qu’au cours de
l’avancement de notre recherche, nous avons été amenés à nous éloigner quelque peu
du questionnement premier du séminaire qui constitue son point de départ. Nous
avons cependant pris le soin consacrer un chapitre particulier de notre travail à une
réflexion sur le statut du vivant qui dérive de la notion de pulsion et de la vision du
monde qu’elle implique.
La nécessité d’un rapprochement
Il faut d’emblée admettre que comparer Nietzsche et Freud répond à un désir qui
dépasse toute intention académique. Ce désir peut, d’abord, être comparé à celui de
voir deux sommités de l’art dramatique se rejoindre dans l’interprétation d’une pièce.
Il est d’autant plus fort que les deux personnages en question apparaissent à première
vue diamétralement opposés. D’un côté Nietzsche, philologue, poète maudit, maître
de la langue allemande et philosophe au marteau, qui tente de renverser brutalement
la philosophie occidentale dans un mouvement extatique, faisant fi de toute
contradiction ou excès. De l’autre côté, Freud, médecin, scientifique consciencieux et
précis, qui, au travers d’un cheminement dialectique patient et attentif, esquisse la
structure de l’insaisissable humain.
Plus profondément encore, les deux personnages fascinent par une proximité qui
dépasse leur vie, leur époque et même la thématique de leurs écrits. En effet, Freud et
Nietzsche apparaissent ensemble tels de grands guérisseurs du rapport qu’entretient
l’homme et sa civilisation avec l’immanence du monde. Freud, qui restaure le rapport