Antigone-enligne Feydeau, Un fil à la patte
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Piste pédagogique 6
Georges Feydeau, Un fil à la patte
Exemple d’analyse ciblée :
Acte I, scènes
IV
et
V
1. Avant de visionner ces extraits
Le début de la pièce
À partir d’une situation à la fois égrillarde et comique, Feydeau a l’art de rendre l’exposition
divertissante. Une galerie de portraits piquants et vite tracés prend vie. Quelque peu influencé
par son contemporain Antoine, le vaudevilliste fait naître sous nos yeux un milieu et une
tranche de vie : le lever de Lucette, à midi passé, tandis qu’attendent les habitués de la maison
dans le salon jouxtant la chambre. L’objectif est atteint : commencer ce qui sera une comédie
d’intrigue et de mœurs en même temps qu’un vaudeville pimenté de quiproquos et de
préparations.
Les scènes d’ouverture une à trois amorcent l’exposition en plongeant le spectateur dans
l’intérieur et les habitudes de vie d’une demi-mondaine. Tentation naturaliste de Feydeau dans
cette façon de procéder, mais la couleur vaudevillesque reste présente : la grivoiserie et la
trivialité ne sont jamais loin, de façon allusive. Elles offrent au spectateur le plaisir de
s’encanailler. La porte de la chambre à coucher de Lucette est l’objet des regards de
Marceline : elle vit par l’imagination les aventures de sa sœur, et ses allusions à la sexualité
sont nombreuses. Chenneviette est annoncé comiquement « d’une traite » par Firmin comme
« monsieur le père de l’enfant de madame » ce qui renvoie trivialement au corps, au lieu de
renvoyer à un patronyme. Lucette entretient manifestement Marceline comme Chenneviette,
et peut-être Bois-d’Enghien : l’argent de la demi-mondaine arrose son entourage.
Tout au long de l’acte I, les entrées des personnages pittoresques s’inspirent pour une part des
parades de la foire. En effet, Firmin, le majordome, annonce les arrivants comme des artistes
en même temps qu’il prépare le déjeuner, ce qui rend la présentation dynamique : tous
attendent le déjeuner, c’est-à-dire la fin des ébats de leur hôtesse.
a. Sensibiliser l’œil et l’oreille
La scène
IV
s’avère particulièrement intéressante puisqu’elle poursuit l’exposition et
commence l’action. Trois mouvements la constituent : le premier mouvement voit l’arrivée de
Nini Galant puis de Bois-d’Enghien, et se termine au premier aparté de la pièce, l’on
apprend que l’amant est venu pour rompre. Henry Gidel parle « d’aparté d’exposition » : ce
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dernier permet de donner le point de vue de celui qui passera sans cesse de l’angoisse à la
détente tout au long des deux premiers actes. Le deuxième mouvement comprend l’annonce
du mariage de Nini, et les commentaires qu’il suscite. Enfin, le dernier mouvement
commence lorsque Bois-d’Enghien surprend l’annonce de son propre mariage dans le Figaro,
et va se mettre à dérober tous les exemplaires qui pourraient apprendre la nouvelle à sa
maîtresse. L’action est lancée puisque, jusqu’à la fin du deuxième acte, il s’agira
paradoxalement pour Bois-d’Enghien, alors qu’il veut décrocher son fil à la patte, d’éviter que
Lucette apprenne son mariage prochain.
Le personnage de Nini Galant, dont c’est l’unique apparition, est une trouvaille de Feydeau
qui satisfait deux fonctions : son nom explicite de cocotte en fait un double caricatural de
Lucette, à la parlure pleine de gouaille. Elle salue tout le monde à la cantonade, assume ses
amants, interpelle sous ce titre Fernand, se confie sans retenue à tous. Mais son destin, se
marier « comme une héritière du Marais », contraste avec le triste abandon qui attend
Lucette : La meilleure fin de la cocotte est un mariage douteux avec un duc de la Courtille
dont le nom sent quelque peu son faubourg. C’est ce mariage qui permet à Bois-d’Enghien de
faire part au spectateur du sien. Le mariage est surtout affaire sociale et financière à cette
époque, pour les cocottes comme pour les hommes de la noblesse d’Empire désargentée.
Les entrées des premières scènes ont préparé l’attente de celle de Bois-d’Enghien : mais alors
que les personnages viennent tous de l’extérieur, par la porte qui donne sur l’antichambre,
Bois-d’Enghien vient de la pièce la plus intime de la maison, la chambre de la maîtresse de
maison. Feydeau, avare de didascalies concernant les costumes, prend soin de décrire le sien :
« Enveloppé dans un grand peignoir rayé, serpar une cordelière à la taille. Il tient à la main
une brosse et achève de se coiffer. » Le dramaturge soigne le contraste entre la haie de
personnages haute en couleurs qui l’accueille et l’amant encore dans « les rinçures de sa vie
de garçon ». Henry Gidel fait remarquer que la porte de la chambre se transforme en « arc de
triomphe ». Il qualifie « d’entrée-spectacle » ce moment empreint d’un cérémonial comique
auquel l’amant ne répond que par des bribes peu compréhensibles. C’est une parodie d’un
lever royal, dont la chute est constituée par son dessein dévoilé au public : rompre.
Ce premier aparté, suivi de deux autres, établit une convention entre le public et la scène :
c’est le protagoniste qui a quelque chose à cacher, son mariage prochain, donc l’hypocrite, qui
annoncera le ressort de l’action au public tout en lui faisant connaître ses pensées. L’aparté
marque un contraste entre la pensée et le dit. De ce contraste naîtront les quiproquos,
imbroglios qui feront le sel des situations à venir. Le spectateur, en position de surplomb,
attend la chute de Bois-d’Enghien sans savoir à quel moment elle surviendra.
Enfin, une autre convention est donnée avec le sort dévolu aux exemplaires du Figaro : cet
accessoire qui joue le rôle d’opposant à Bois-d’Enghien, rend présentes par métonymie la
fiancée et sa famille. Il oblige l’amant de Lucette à observer un comportement absurde
paradoxalement accepté avec facilité par tous. Le ton est donné : les situations et les
comportements les plus loufoques seront acceptés s’ils permettent de reculer le moment de
vérité. L’angoisse pousse Bois-d’Enghien à tenir des conduites absurdes et mensongères pour
le plus grand plaisir du public : il s’agit bien de « mécanique plaquée sur du vivant ».
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b. Le contexte des spectacles
Un fil à la patte (1894) de Georges Feydeau entre au répertoire de la Comédie-Française en
1961 dans une mise en scène de Jacques Charon. Cette mise en scène sera ensuite reprise et
captée au théâtre Marigny en 1970. Jacques Charon, entré au Français à 21 ans, a effectué sa
carrière parallèlement dans la Maison et sur les boulevards. Sa mise en scène se ressent de
cette double filiation : elle garde les codes (décors, costumes, jeu) du vaudeville à sa création :
apartés adressés au public mais sans clin d’œil appuyé, silhouettes des personnages
secondaires vite tracées mais vivantes, et surtout un sens du rythme et du comique mémorable
porté par des comédiens très complices parvenus au sommet de leur art : Jean Piat en Bois-
d’Enghien se présente comme aussi bel homme que faible ; Micheline Boudet campe une
Lucette gracieuse et élégante qui joue de toutes les armes de la divette, du chant, de la danse,
du jeu ; Robert Hirsch en Bouzin construit une figure inoubliable, burlesque et ridicule, allant
souvent jusqu’à la pantomime. Micheline Boudet et Robert Hirsch ont d’ailleurs une
formation de danseurs.
L’objectif de cette mise en scène est de divertir le public du Français sans appuyer sur le
caractère grivois ni sur la satire de la bourgeoisie. André Levasseur recherche un parfum de la
Belle Époque. Les décors parodient le style « nouille » en même temps qu’ils rappellent les
décors d’origine : salon au premier acte, chambre aménagée en loge au deuxième acte, avec
portes et armoires, comme il se devait pour la plupart des vaudevilles. Rappelons qu’à
l’époque de la création les décors appartenant au théâtre servaient pour de nombreuses pièces.
L’escalier de l’acte III, par contre, renvoie à la mode des décors spectaculaires de la fin du
XIX
e
siècle. Les costumes du même André Levasseur – qui s’était illustré en créant les décors
des grandes fêtes organisées en l’honneur du mariage de prince gnier et de Grace Kelly à
Monaco en 1956, et avait travaillé avec Christian Dior avant d’arriver au théâtre – mettent en
valeur chaque personnage : Lucette devient une très belle femme élégante, plus fantaisiste que
facile ; Bois-d’Enghien un bel homme fat et Bouzin un ridicule petit-bourgeois à cause, entre
autres, des gants dont il n’arrive pas à se débarrasser.
Tout en étant historisante, la mise en scène se veut légère : la critique des mœurs n’est pas
l’enjeu, on se situe davantage du côté vaudeville divertissant que de la grande comédie.
La mise en scène d’Alain Sachs est un exemple de vaudeville tel que le théâtre privé a encore,
particulièrement en province, coutume d’en monter. Le décor respecte les didascalies et se
met en place à vue. Il est donc assez léger et peut tourner facilement dans de petites salles ; les
costumes tendent à caricaturer les personnages, ainsi de Marceline déguisée en petite
marinière ou de Nini Galant affublée d’un boa rouge qui sent la rue davantage que le salon.
Le jeu est très chargé, les clins d’œil au public sont constants : tout dans cette mise en scène
est dirigé non par les enjeux du texte, mais par l’effet à produire, le rire. Nous sommes en
présence d’un vaudeville qui se souvient de ce qu’il doit au théâtre de foire et à la tradition du
théâtre dit de boulevard.
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Jérôme Deschamps montre les travers de la société avec légèreté et cruauté, car la drôlerie
n’exclut pas le cynisme. Le metteur en scène fait confiance à sa troupe qu’il connaît bien,
sachant que chacun y ajoute ses inventions intérieures, pour entrer au mieux dans la
mécanique de Feydeau. Il évite le jeu psychologique et mise sur la connivence avec les
spectateurs en position de « surplomb » : ils peuvent anticiper péripéties et quiproquos et se
laisser aller à un rire cathartique jubilatoire.
Le registre burlesque est parfaitement maîtrisé dé par Jérôme Deschamps. Il sait aussi
trouver le rythme juste avec les accélérations et les enchaînements des différentes vitesses
exigées par le texte.
2. Regarder ces extraits dans les trois mises en scène
3. Analyse comparée de chacune des mises en scène selon les deux thèmes suivants :
a. L’univers scénique
Toute dramaturgie est le fruit de choix singuliers des metteurs en scène. Cependant, certaines
mises en scène se ressemblent plus que d’autres. Cela est particulièrement vrai pour Un fil à
la patte. En effet, soit le metteur en scène respecte les didascalies, ce qui le conduit à
reproduire avec plus ou moins d’exactitude le décor des premières représentations dont nous
gardons trace grâce à quelques photographies de Nadar, soit le metteur en scène choisit de se
détacher de ces mêmes didascalies et de créer un univers scénique tout différent. Ainsi,
Jacques Charon en 1961, Alain Sachs en 1999 et Jérôme Deschamps en 2012 proposent des
univers scéniques proches. Le salon de Lucette est fabriqué dans les trois cas de pans
découpés et assemblés pour représenter les murs du salon de Lucette. Nous sommes dans la
convention d’un décor qui tout en se voulant reproduction d’une réalité avoue le théâtre : les
murs s’arrêtent net à une certaine hauteur qui n’est pas forcément cachée par des pendrillons,
et tremblent parfois lorsque les portes claquent. Les portes respectent la configuration voulue
par Feydeau. Les meubles jouent sur un certain naturalisme propre à l’époque de la création,
comme encore à toutes les pièces dites de boulevard. Seuls varient les couleurs et les
imprimés utilisés. Si la direction d’acteurs présente des partis pris parfois similaires, elle
permet toutefois de départager les metteurs en scène selon le point de vue choisi sur la scène,
les répliques, et selon que l’effet comique est recherché avec plus ou moins de finesse.
Chez Jérôme Deschamps, un respect des didascalies marque la volonté de représenter un
salon de la Belle Époque. Le plateau devient un espace mimétique. La multiplication des
détails donne chaleur et vie au salon de Lucette. Pour autant, la circulation des personnages
n’est pas gênée par un plateau encombré. La scénographie conçue par Laurent Peduzzi
constitue « une boîte à jouer » qui correspond avec précision à l’intérieur cossu de l’époque.
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Le metteur en scène déclare : « J’ai attaché beaucoup d’importance aux décors et aux
costumes. »
Une impression de légèreté est donnée par la couleur à dominante blanche du papier mural
aux délicats motifs orange et jaune. Au-dessus de la cheminée de marbre noir, est accroché un
tableau monumental représentant une déesse nue, symbole des débordements sexuels : le ton
est donné ! L’ensemble chaleureux et raffiné correspond à l’esprit voulu par l’auteur : le noir
et le rouge dominent l’ameublement de style Napoléon III, le canapé de velours confortable
avec ses larges accoudoirs, les chaises à l’assise aussi en velours rouge, ainsi qu’une table
patinée noire avec incrustation de motifs dorés, le piano droit et noir et son tabouret, les
guéridons, les bibelots et les tableaux aux murs. D’autre part, on peut apercevoir, par une
porte laissée ouverte, encadrée de lourdes tentures de velours rouge retenues par des
embrases, la salle à manger et la table dressée pour le déjeuner. Enfin, le parquet cidésigne
que nous sommes dans un salon « élégant » dans lequel vit un monde aisé.
Les costumes hauts en couleurs et chargés de tails raffinés dénotent la richesse et parfois
même une note de folie.
Ainsi Marceline, beaucoup plus âgée que Lucette, campe une vieille fille, sacrifiée pour
l’éternité, à l’allure incongrue avec sa coiffe bretonne, sorte de double inversé de Lucette qui
peut faire songer au personnage de Bécassine. Sa tenue apprêtée composée d’un ensemble
jaune à passementeries noires ne passe pas inaperçue ! Son large col blanc galonné de noir ne
laisse rien dévoiler de son physique : elle apparaît corsetée et enrubannée, prisonnière de ses
principes à l’égard de la gente masculine.
On note aussi l’extravagance dans le costume de M. de Chenneviette : la multiplicité des
couleurs vives, jaquette verte et fleur blanche à la boutonnière, cravate à motifs, gilet gris à
double boutonnage et pantalon rouge, en font une sorte d’oiseau rare avec sa moustache
étroite fine et courte qui montre la volonté de présenter une apparence soignée. Lui le
désargenté met en avant des accessoires qui se veulent aristocratiques : une canne et un
cigare.
Bois-d’Enghien, à la moustache fournie sans aucun raffinement, porte par-dessus une chemise
blanche et un pantalon gris, un peignoir parme en tissu précieux. Ses accessoires sont d’abord
une brosse à cheveux qu’il laissera pour s’emparer du journal compromettant : le Figaro !
Firmin le domestique, à l’allure compassée due à son emploi, soigne son apparence physique
avec ses moustaches terminées en pointes montantes. Il est vêtu avec l’élégance qui convient
à une telle maison : chemise blanche avec boutons de manchettes, cravate noire, gilet gris
assorti à son pantalon et gants blancs.
Trois personnages masculins aux moustaches taillées différemment renseignent sur les codes
de l’époque.
La tenue de Lucette toute vaporeuse et féminine affiche sa sensualité de femme amoureuse.
Sa coiffure, un chignon aux reflets roux, est savamment négligée. Elle porte une tenue
d’intérieur raffinée et soyeuse vert d’eau : peignoir cintré dans le dos par deux boutons verts,
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