Antigone-enligne Feydeau, Un fil à la patte
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dernier permet de donner le point de vue de celui qui passera sans cesse de l’angoisse à la
détente tout au long des deux premiers actes. Le deuxième mouvement comprend l’annonce
du mariage de Nini, et les commentaires qu’il suscite. Enfin, le dernier mouvement
commence lorsque Bois-d’Enghien surprend l’annonce de son propre mariage dans le Figaro,
et va se mettre à dérober tous les exemplaires qui pourraient apprendre la nouvelle à sa
maîtresse. L’action est lancée puisque, jusqu’à la fin du deuxième acte, il s’agira
paradoxalement pour Bois-d’Enghien, alors qu’il veut décrocher son fil à la patte, d’éviter que
Lucette apprenne son mariage prochain.
Le personnage de Nini Galant, dont c’est l’unique apparition, est une trouvaille de Feydeau
qui satisfait deux fonctions : son nom explicite de cocotte en fait un double caricatural de
Lucette, à la parlure pleine de gouaille. Elle salue tout le monde à la cantonade, assume ses
amants, interpelle sous ce titre Fernand, se confie sans retenue à tous. Mais son destin, se
marier « comme une héritière du Marais », contraste avec le triste abandon qui attend
Lucette : La meilleure fin de la cocotte est un mariage douteux avec un duc de la Courtille
dont le nom sent quelque peu son faubourg. C’est ce mariage qui permet à Bois-d’Enghien de
faire part au spectateur du sien. Le mariage est surtout affaire sociale et financière à cette
époque, pour les cocottes comme pour les hommes de la noblesse d’Empire désargentée.
Les entrées des premières scènes ont préparé l’attente de celle de Bois-d’Enghien : mais alors
que les personnages viennent tous de l’extérieur, par la porte qui donne sur l’antichambre,
Bois-d’Enghien vient de la pièce la plus intime de la maison, la chambre de la maîtresse de
maison. Feydeau, avare de didascalies concernant les costumes, prend soin de décrire le sien :
« Enveloppé dans un grand peignoir rayé, serré par une cordelière à la taille. Il tient à la main
une brosse et achève de se coiffer. » Le dramaturge soigne le contraste entre la haie de
personnages haute en couleurs qui l’accueille et l’amant encore dans « les rinçures de sa vie
de garçon ». Henry Gidel fait remarquer que la porte de la chambre se transforme en « arc de
triomphe ». Il qualifie « d’entrée-spectacle » ce moment empreint d’un cérémonial comique
auquel l’amant ne répond que par des bribes peu compréhensibles. C’est une parodie d’un
lever royal, dont la chute est constituée par son dessein dévoilé au public : rompre.
Ce premier aparté, suivi de deux autres, établit une convention entre le public et la scène :
c’est le protagoniste qui a quelque chose à cacher, son mariage prochain, donc l’hypocrite, qui
annoncera le ressort de l’action au public tout en lui faisant connaître ses pensées. L’aparté
marque un contraste entre la pensée et le dit. De ce contraste naîtront les quiproquos,
imbroglios qui feront le sel des situations à venir. Le spectateur, en position de surplomb,
attend la chute de Bois-d’Enghien sans savoir à quel moment elle surviendra.
Enfin, une autre convention est donnée avec le sort dévolu aux exemplaires du Figaro : cet
accessoire qui joue le rôle d’opposant à Bois-d’Enghien, rend présentes par métonymie la
fiancée et sa famille. Il oblige l’amant de Lucette à observer un comportement absurde
paradoxalement accepté avec facilité par tous. Le ton est donné : les situations et les
comportements les plus loufoques seront acceptés s’ils permettent de reculer le moment de
vérité. L’angoisse pousse Bois-d’Enghien à tenir des conduites absurdes et mensongères pour
le plus grand plaisir du public : il s’agit bien de « mécanique plaquée sur du vivant ».