3.3.1 Une opposition entre l’apparence extérieure et intérieure.
Sénèque relie l’apparence extérieure et intérieure à l’aide d’une asyndète, qui
exprime une opposition forte entre ces deux termes : « Intus omnia dissimilia
sint, frons populo nostra conueniat ». L’opposition symétrique des deux termes
«intus » (à l’intérieur) et « frons » (à l’extérieur) accentue encore ce phénomène.
De plus, le « omnia » insiste sur le fait qu’il est possible d’être radicalement
différent de la foule, sans pour autant se couper du monde, « conueniat populo ».
Autre phénomène d’insistance, la longue énumération de choses à pros-
crires : « asperum cultum (...) peruersa uia sequitur », qui se termine de manière
violente par un « euita »sans appel, qui frappe par sa brièveté (en opposition
avec la longueur de l’énumération).
Dans la longue énumération de choses à ne surtout pas faire, on peut distin-
guer deux grandes catégories : celles ayant pour sujet l’apparence physique,
«asperum cultum et intonsum caput et neglegentiorem barbam », avec lesquelles
Sénèque condamne avec virulence une apparence volontairement négligée,
dans le but de ressembler à un animal, et celles ayant trait au comporte-
ment, à la vie sociale, « et indictum argento odium et cubile humi positum
et quidquid aliud ambitionem peruersa uia sequitur », avec lesquelles Sénèque
condamne cette fois-ci un comportement volontairement asocial, cynique au
sens Romain du terme : refuser la civilisation et retourner à l’état animal est
antithétique avec la fonction même du philosophe qui se doit d’appartenir à
cette civilisation.
Ainsi, selon Sénèque, d’une certaine façon, l’apparence extérieure révèle l’ap-
parence intérieure, ce qui est paradoxal 6.
3.3.2 Le refus d’un certain luxe.
Mais si Sénèque condamne le dénuement volontaire dans lequel vivent scie-
ment certains philosophes, il ne fait néanmoins pas l’apologie de l’oppulence la
plus totale. En effet, le « non habeamus argentum », du domaine de l’ordre, ne
laisse planer aucun doute : il faut refuser l’excès de luxe. Car c’est bien l’excès
qui est ici dénoncé, avec notament avec « solidi auri » (or massif) et comme si
cela ne suffisait pas, « caelatura descenderit » (incrusté de ciselures) (ou encore
avec le « auro argentoque » où la fusion de ces deux métaux précieux apparait
comme le summum du luxe).
Enfin, « frugalitatis indicium » nous montre que selon Sénèque, l’apparence
extérieure ne peut servir de référent pour juger quelqu’un.
3.4 Le philosophe dans la cité.
À Rome, les philosophes ont très mauvaise presse, et ce depuis toujours. Ils
sont en effet perçus comme des individus dangeureux, inquiétants 7. Certains
furent même chassés par Claude (le prédécesseur de Néron). C’est cela que
Sénèque sous-entend en disant « Satis ipsum nomen philosophiae, inuidiosum
est ». Il faut selon lui parvenir à dépasser l’a priori négatif qu’ont les Romains
vis à vis des philosophes, et cela est impossible en se comportant comme un être
animal, et en refusant la civilisation. C’est pourquoi « sensum communem »,
6. Avec le fait que la majorité de cette lettre philosophique soit consacrée à l’apparence.
7. Au sens premier : capable de briser la quiétude.
4