Charles Braverman Intro et études sur Duhem

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DUHEM - OBJECTIFS ET PRISES DE
NOTES RELATIVES À LA LITTÉRATURE
SECONDAIRE.
Charles Braverman
Version du 19 février 2013
Université de Bourgogne - UFR de philosophie
Sommaire
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
A Principaux objectifs à poursuivre pour l’oral d’agrégation sur Duhem :, 2
B Indications biographiques, 3
C Bibliographies., 3
1
C.1. Principaux ouvrages de Duhem :, 4 ; C.2. Principaux articles à portée épistémologique de Duhem :, 5 ; C.3. Réception des articles de Duhem :, 8 ; C.4. Etudes sur
Duhem :, 9 ; C.5. Conseils de lectures avant le cours du second semestre., 9.
Chapitre I Comptes rendus des commentaires sur l’œuvre de Duhem. . . . . . . . . . . . . . 11
A Paul Brouzeng, Duhem, Science et providence., 11
B A. Brenner, Duhem, science réalité et apparence, 12
B.1. Introduction, 12 ; B.2. Première partie – La recherche d’une méthodologie.,
13 ; B.3. Deuxième partie – L’enquête historique., 19 ; B.4. Troisième partie – La
philosophie holiste., 21 ; B.5. Conclusion., 23.
C A. Brenner, Les origines françaises de la philosophie des sciences, 23
C.1. Introduction, 23 ; C.2. Première partie, la position., 23 ; C.3. Deuxième partie :
La réception., 28 ; C.4. Troisième partie : L’héritage., 29.
D Martin, Pierre Duhem, Philosophy and History in the Work of a Believing Physicist,
30
D.1. Introduction, 30 ; D.2. A catholic in a hostile world., 31 ; D.3. Defending catholic
authority., 32 ; D.4. Inspiration from Pascal., 33 ; D.5. The appropriation of Pascal.,
34 ; D.6. The shape of a pascalian methodology., 35 ; D.7. Critical history and its
assumptions., 36 ; D.8. The discovery of medieval science., 38 ; D.9. Saving the
phenomena and the system of the world., 38.
E Elie Zahar, Essai d’épistémologie réaliste, 39
E.1. Le problème de la démarcation, 39 ; E.2. L’Ajustement des paramètres, 40 ;
E.3. Le problème Duhem-Quine, 40 ; E.4. La distinction entre l’analytique et le
synthétique, 41 ; E.5. Le problème de la base empirique, 41 ; E.6. La structure
de l’argument popérien, 42 ; E.7. En quel sens les énoncés observationnels sont-ils
théoriquement dépendants ?, 42 ; E.8. Conséquences de [B] - [E] pour la conception
objectiviste de la base empirique, 42 ; E.9. Réfutation de la thèse psychologiste, 43 ;
E.10. Thèse phénoménologique, réfutation et corroboration, 43 ; E.11. La critique de
John Watkins, 43 ; E.12. La méthodologie des programmes de recherche scientifique,
43 ; E.13. Appendice : le réalisme structurel de Poincaré et sa logique de la découverte
scientifique, 43 ; E.14. Appendice : intentionnalité ou platonisme, 44.
F Jean-François Stoffel, Le phénoménalisme problématique de Pierre Duhem., 44
F.1. Positionnement par rapport à la littérature secondaire., 45 ; F.2. Exposé :
émergence, permanence, paradoxes., 46 ; F.3. Interprétation : unité - engagement phénoménalisme., 52.
1
Introduction
A. Principaux objectifs à poursuivre pour l’oral d’agrégation sur Duhem :
– Le programme de l’oral est lourd et ce sont les oraux qui finalement sont souvent discriminants. Il est impératif de se mettre très rapidement dans la lecture de l’ouvrage lui-même
(ne pas attendre les résultats des écrits ni même la fin des écrits ; au contraire, avoir un
travail équilibré tout au long de l’année est important). C’est la régularité du travail qui
permet de se familiariser avec un auteur. Duhem a le mérite d’avoir une écriture claire
et précise. Cela ne signifie pas que le texte soit facile car il y a beaucoup de références
scientifiques et philosophiques. C’est un texte dense mais clair et il me semble important de
se familiariser très vite avec cet ouvrage puisque c’est celui sur lequel vous serez peut-être
interrogés à l’oral. Commencez donc par lui et rayonnez ensuite à partir du cours (qui
doit être un guide vous faisant gagner du temps) vers d’autres écrits de Duhem, quelques
éléments de littérature secondaire, de contexte. . .
– Identifier et maîtriser très précisément la structure de La théorie physique afin d’être
capable de replacer finement un extrait dans l’économie globale du texte.
– Se renseigner sur toutes les références scientifiques et philosophiques de La théorie physique
afin de ne pas se faire piéger si un extrait les mobilise.
– Identifier des extraits importants de La théorie physique et les maîtriser parfaitement.
– Il faut être capable de mobiliser des éléments issus des trois domaines de réflexion de
Duhem (physique théorique ; philosophie des sciences ; histoire des sciences) afin d’expliquer
un texte de La théorie physique. Un objectif important est donc d’identifier des éléments de
ces trois domaines facilement réutilisables et de les maîtriser très précisément dans le but
de donner une certaine profondeur aux explications (principe de la rentabilité maximum
pour le concours). Il est ici nécessaire de travailler à l’avance les exemples qui pourront
être utilisés (ça ne s’improvise pas. . .).
– Connaître les grandes thèses duhemiennes est nécessaire mais non suffisant. Il faut connaître
également le contexte historiographique dans lequel ces thèses se développent (les critiques
adressées à Duhem à l’époque, les débats dans lesquels il s’inscrit, les auteurs qu’il
mobilise. . .). Encore une fois, le but est de donner de la profondeur à la compréhension
d’un extrait et de faire la différence avec les autres candidats.
– Maîtriser une partie de la littérature secondaire et connaître quelques interprétations classiques des thèses duhemiennes (et éventuellement leurs désaccords ou leur complémentarité)
est également important.
– Enfin, il est indispensable de s’entraîner à l’oral (cela ne s’improvise pas non plus et fait
souvent la différence). . .
2
B. Indications biographiques
On trouve cela partout et ces indications restent donc très succinctes. . .
– Né le 10 juin 1861 et mort le 14 septembre 1916.
– Entré premier au concours de l’École normale supérieure en 1882
– Présente en 1884 une thèse sur le potentiel thermodynamique ; elle fut refusée par le
jury, sous l’influence de Berthelot, dont le principe du travail maximum y était vivement
attaqué. Il la publia peu après. Marcellin Berthelot devait être son adversaire universitaire
et idéologique toute sa vie.
– Soutient en 1888 une autre thèse, présentée en mathématiques, sur la théorie du magnétisme.
– Nommé en 1887 maître de conférences à l’université de Lille.
– Nommé en 1894 à l’université de Bordeaux, où il obtint l’année suivante la chaire de
physique théorique. Il demeura dans cette ville jusqu’à sa mort.
– Les positions politiques et idéologiques de Duhem (monarchiste, catholique, anti-dreyfusard,
antisémite 1 . . .) ont participé à renforcer l’opposition scientifique qui l’a empêché d’avoir
un poste à Paris.
C. Bibliographies.
Duhem est un auteur prolifique et la bibliographie qui suit passe sous silence de nombreux
articles et comptes rendus (notamment ceux qui sont purement scientifiques). Pour une bibliographie exhaustive de la littérature primaire et secondaire, il sera possible d’aller voir Pierre Duhem
et ses doctorants par Jean-François Stoffel - ouvrage qui représente un travail phénoménal de
récolte de données.
Cependant, dans le cadre de l’agrégation, il n’est pas possible de tout lire. Il faut aller à
l’essentiel et cerner ce qui sera véritablement utile. Le cours doit alors vous aider à être vraiment
efficaces et à avoir des lectures le plus rentable possible (cela peut sembler malheureux de dire
cela mais il y a une différence entre un travail de recherche et une préparation à l’agrégation).
Les bibliographies qui suivent permettent surtout de se familiariser avec les titres des études
duhemiennes, leur contexte et les ouvrages des principaux commentateurs. Il faut dès lors
remarquer que trois domaines principaux ne cessent de s’interpénétrer dans son œuvre :
1. Une réflexion théorique sur la physique et la chimie.
2. Des analyses de philosophie des sciences.
3. Des études précises et développées d’histoire des sciences.
Ces trois domaines sont indissociables dans la pratique intellectuelle de Duhem et il s’agira donc
d’être capable d’en mobiliser les différents aspects et de saisir leur cohérence.
Les titres en couleur ont pour but de souligner un aspect, somme toute assez commun
à l’époque, de la pratique éditoriale de Duhem : les ouvrages d’histoire des sciences et de
philosophie des sciences sont souvent la simple compilation d’articles précédemment parus dans
des revues philosophiques ou à portée philosophique. Cependant, contrairement à d’autres
auteurs (Poincaré par exemple), il y a très peu de variations entre les ouvrages de Duhem et les
articles dont il sont issus (Duhem montre ici une conscience précise du type de public auquel
il veut s’adresser à travers les revues qui publient ses articles et il anticipe la cohérence et la
1. Voilà autant de qualificatifs qui ont été attribués à Duhem et qui peuvent être plus ou moins exagérés.
L’antisémitisme de Duhem est notamment discutable car s’il a entretenu des relations avec des milieux antisémites
il a également eu des amis intimes qui étaient juifs.
3
progression de son propos 2 , ce qui manifeste bien un projet éditorial clair).
Cependant, il ne faut pas sous-estimer le fait que les ouvrages de Duhem résultent de la
compilation d’articles paraissant dans des revues. Cela révèle bien souvent une volonté de discuter
avec d’autres auteurs. Il y a une portée polémique liée au phénomène de la publication dans
des revues qui doit être intégrée à l’explication de la position de Duhem. Ainsi, une approche
historiographique (types de revue, réception, discussion. . .) est nécessaire pour déterminer
précisément le contexte intellectuel dans lequel s’inscrit la pensée duhemienne.
Pour l’agrégation, la priorité reste de lire La théorie physique. Le cours fournira ensuite un
guide plus précis de certaines lectures qui seront pertinentes et utiles (il est toutefois dors et
déjà possible de consulter la rubrique ci-dessous des conseils de lectures C.5). La plupart des
ouvrages de Duhem se trouvent en version numérique sur Gallica ou sur archive.org. Pour ses
articles qui ne participent pas à des compilations lors de publications d’ouvrages, cela demande
plus de recherche pour les obtenir (et davantage de précisions bibliographiques que celle que
j’ai données en dessous). . . Il en va de même pour les articles liés à la réception de la pensée
duhemienne à l’époque. Ceci dit, je les ai presque tous en version numérique ou en version
papier et il vous suffirait de me demander certains titres pour que je puisse vous les procurer.
C.1 Principaux ouvrages de Duhem :
– Le potentiel thermodynamique et ses applications à la mécanique chimique et à l’étude des
phénomènes électriques, Paris, A. Hermann, 1886.
– De l’aimantation par influence, Gauthier-Villars : Paris, 1888 (thèse pour l’obtention du
grade de Docteur ès sciences mathématiques).
– Des corps diamagnétiques, 1889.
– Cours de physique mathématique et de cristallographie de la Faculté des sciences de Lille.
Hydrodynamique, élasticité, acoustique : I. Théorèmes généraux, corps fluides ; II. Les Fils
et les membranes, les corps élastiques, l’acoustique, A. Hermann, 1891.
– Leçons sur l’électricité et le magnétisme : I. Les Corps conducteurs à l’état permanent ; II.
Les Aimants et les corps diélectriques ; III. Les Courants linéaires, Paris, Gauthier-Villars
et fils, 1892.
– Introduction à la mécanique chimique, Paris, G. Carré, 1893.
– Sur les déformations permanentes et l’hysteresis, Bruxelles, impr. de Hayez, 1896.
– Traité élémentaire de mécanique chimique fondée sur la thermodynamique. Tome 1 :
Introduction. Principes fondamentaux de la thermodynamique. Faux équilibres et explosion,
Paris, A. Hermann, 1897.
– Traité élémentaire de mécanique chimique fondée sur la thermodynamique. Tome 2 :
Vaporisation et modifications analogues. Continuité entre l’état liquide et l’état gazeux.
Dissociation des gaz parfaits, Paris, A. Hermann, 1898.
– Traité élémentaire de mécanique chimique fondée sur la thermodynamique. Tome 3 : Les
mélanges homogènes. Les dissolutions, Paris, A. Hermann, 1898.
– Traité élémentaire de mécanique chimique fondée sur la thermodynamique. Tome 4 : Les
mélanges doubles. Statique chimique générale des systèmes hétérogènes, Paris, A. Hermann,
1899.
– Le Mixte et la combinaison chimique. Essai sur l’évolution d’une idée, Paris : C. Naud,
1902.
– Les théories électriques de J. Clerk Maxwell : Etude historique et critique, Paris : A.
Hermann, 1902.
– Thermodynamique et chimie : leçons élémentaires à l’usage des chimistes, Paris : A.
Hermann, 1902.
2. Une telle affirmation peut être nuancée, car comme nous le verrons en cours, La Théorie physique pose
quelques problèmes d’interprétation liés à l’assemblage de matériaux qui peuvent parfois sembler hétérogènes.
4
– L’Évolution de la mécanique (« Les théories de la chaleur » et « Analyse de l’ouvrage de
Ernst Mach » en annexes), Paris : Maison d’éditions A. Joanin et Cie, 1903.
– Recherches sur l’hydrodynamique. Première série, Paris : Gauthier-Villars, 1903.
– Recherches sur l’hydrodynamique. Seconde série, Paris : Gauthier-Villars, 1904.
– Les Origines de la statique : Les sources des théories physiques tome 1, Paris : A. Hermann,
1905.
– Physique de croyant, Paris : Bloud, 1905.
– La Théorie physique. Son objet, sa structure, Paris : Chevalier et Rivière Editeurs, 1906.
– Les Origines de la statique : Les sources des théories physiques tome 2, Paris : A. Hermann,
1906.
– Recherches sur l’élasticité, Paris : Gauthier-Villars, 1906.
– Sauver les apparances. Essai sur la notion de théorie physique de Platon à Galilée. Sozein
ta phainomena, Paris : A. Hermann, 1908.
– Le mouvement absolu et le mouvement relatif, Montligean : Imprimerie-librairie de Montligeon, 1905.
– Études sur Léonard de Vinci, ceux qu’il a lus, ceux qui l’ont lu, 3 vol., Hermann, Paris
(1906-1913)
– Traité d’énergétique ou de thermodynamique générale tomes 1 et 2, paris :Gauthier-Villars,
1911.
– Le Système du Monde. Histoire des Doctrines cosmologiques de Platon à Copernic, 10 vol.,
(1913-1959).
1. volume I : La cosmologie hellénique (L’astronomie pythagoricienne, La cosmologie de
Platon, Les sphères homocentriques, La physique d’Aristote, Les théories du temps,
du lieu et du vide après Aristote ...)
2. volume II : La cosmologie hellénique, suite. L’astronomie latine au Moyen-Âge (Les
dimensions du monde, Physiciens et astronomes...)
3. volume III : L’astronomie latine au Moyen-Âge, suite
4. volume IV : L’astronomie latine au Moyen-Âge, suite
5. volume V : La crise de l’aristotélisme
6. volume VI : Le reflux de l’aristotélisme (Henri de Gand, Duns Scot, l’essentialisme,
les deux vérités...)
7. volume VII : La physique parisienne au XIV° siècle
8. volume VIII : La physique parisienne au XIV° siècle, suite (Le vide et le mouvement
dans le vide, L’horreur du vide, le mouvement des projectiles, La chute accélérée des
graves, L’astrologie chrétienne, Les adversaires de l’astrologie)
9. volume IX : La physique parisienne au XIV° siècle, suite (La théorie des marées,
L’équilibre de la terre et des mers, Les petits mouvements de la Terre et les origines
de la géologie, La rotation de la Terre, La pluralité des mondes
10. volume X : La cosmologie du XV° siècle. Ecoles et universités au XV° siècle, Les
Universités de l’Empire au XV° siècle (L’Université de Paris au XV° siècle, Nicolas
de Cues, L’école astronomique de Vienne, La pensée italienne au XIV° siècle, Paul
de Venise. Table générale des matières de l’ouvrage)
– La science allemande, Paris : A. Hermann et Fils, 1915.
– La chimie est-elle une science française ?, Paris : A. Hermann et Fils, 1916.
C.2 Principaux articles à portée épistémologique de Duhem :
– Quelques réflexions au sujet des théories physiques, Revue des questions scientifiques, 1892
– Notations atomiques et hypothèses atomistiques, Revue des questions scientifiques, 1892
5
– L’école Anglaise et les théories physique, à propos d’un livre récent de W. Thomson, Revue
des questions scientifiques, 1893
– Une nouvelle théorie du monde inorganique, Revue des questions scientifiques, 1893
– Physique et métaphysique, Revue des questions scientifiques, 1893
– Physique et métaphysique (b), Annales de Philosophie Chrétienne, 1893 [Article en partie
repris dans la Théorie physique]
– Les théories de l’optique, Revue des deux mondes, 1894
– M. P. Duhem et M. G. Lechalas, Annales de Philosophie Chrétienne, 1894
– Les théories de la chaleur. I. Les précurseurs de la thermodynamique, Revue des deux
mondes, 1895
– Les théories de la chaleur. II. Les créateurs de la thermodynamique, Revue des deux
mondes, 1895
– Les théories de la chaleur. III. Chaleurs et mouvements, Revue des deux mondes, 1895
– L’évolution des théories physiques, du XVII siècle jusqu’à nos jours, Revue des questions
scientifiques, 1896
– Thermochimie, à propos d’un livre récent de M. M. Berthelot, Revue des questions
scientifiques, 1897
– Quelques réflexions au sujet de la physique expérimentale, Revue des questions scientifiques,
1899
– L’œuvre de Van’t Hoff, Revue des questions scientifiques, 1900
– La notion de mixte : Essai historique et critique 1, Revue de Philosophie, 1900
– Les théories électriques de J. Clerk Maxwell 1, Annales de la Société Scientifique de
Bruxelles, 1900
– Les théories électriques de J. Clerk Maxwell 2, Annales de la Société Scientifique de
Bruxelles, 1901
– Les théories électriques de J. Clerk Maxwell 3, Annales de la Société Scientifique de
Bruxelles, 1901
– Isomérie et stéréochimie. Critique de la théorie atomique, premières tentatives de la
mécanique chimique, Revue de Philosophie, 1901
– La substitution chimique : La Valence et la formule chimique développée, Revue de
Philosophie, 1901
– Sur quelques extensions récentes de la statique et de la dynamique, Revue des questions
scientifiques, 1901
– La mécanique chimique fondée sur la thermodynamique, Revue de Philosophie, 1901
– Bonnefoi : Combinaisons des sels haloïdes du lithium avec l’ammoniac et les animes, Revue
de Philosophie, 1901
– La notion de mixte : Essai historique et critique 2, Revue de Philosophie, 1901
– La notion de mixte : Essai historique et critique 3, Revue de Philosophie, 1901
– La notion de mixte : Essai historique et critique 4, Revue de Philosophie, 1901
– La notion de mixte : Essai historique et critique 5, Revue de Philosophie, 1901
– L’évolution de la mécanique 1, Revue générale des sciences pures et appliquées, 1903
– L’évolution de la mécanique 2, Revue générale des sciences pures et appliquées, 1903
– L’évolution de la mécanique 3, Revue générale des sciences pures et appliquées, 1903
– L’évolution de la mécanique 4, Revue générale des sciences pures et appliquées, 1903
– L’évolution de la mécanique 5, Revue générale des sciences pures et appliquées, 1903
– L’évolution de la mécanique 6, Revue générale des sciences pures et appliquées, 1903
– L’évolution de la mécanique 7, Revue générale des sciences pures et appliquées, 1903
– La théorie physique : son objet, sa structure 1, Revue de Philosophie, 1904
– La théorie physique : son objet, sa structure 2, Revue de Philosophie, 1904
– La théorie physique : son objet, sa structure 3, Revue de Philosophie, 1904
6
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La théorie physique : son objet, sa structure 4, Revue de Philosophie, 1904
La théorie physique : son objet, sa structure 5, Revue de Philosophie, 1904
La théorie physique : son objet, sa structure 6, Revue de Philosophie, 1904
La théorie physique : son objet, sa structure 7, Revue de Philosophie, 1904
La théorie physique : son objet, sa structure 8, Revue de Philosophie, 1904
La Mécanique. E. Mach., Revue des questions scientifiques, 1904
Les origines de la statique 1, Revue des questions scientifiques, 1904
Les origines de la statique 2, Revue des questions scientifiques, 1904
Les origines de la Statique 3, Revue des questions scientifiques, 1904
La théorie physique : son objet, sa structure 9, Revue de Philosophie, 1905
La théorie physique : son objet, sa structure 10, Revue de Philosophie, 1905
La théorie physique : son objet, sa structure 11, Revue de Philosophie, 1905
La théorie physique : son objet, sa structure 12, Revue de Philosophie, 1905
La théorie physique : son objet, sa structure 13, Revue de Philosophie, 1905
Physique de Croyant, Annales de Philosophie Chrétienne, 1905
Le principe de Pascal. Essai historique, Revue générale des sciences pures et appliquées,
1905
Notice sur Paul Tannery, Revue de Philosophie, 1905
Les origines de la Statique 4, Revue des questions scientifiques, 1905
Les origines de la Statique 5, Revue des questions scientifiques, 1905
Les origines de la Statique 6, Revue des questions scientifiques, 1906
L’hystérésis magnétique 1, Revue générale des sciences pures et appliquées, 1907
L’hystérésis magnétique 2, Revue générale des sciences pures et appliquées, 1907
Le mouvement absolu et le mouvement relatif 1, Revue de Philosophie, 1907
Le mouvement absolu et le mouvement relatif 2, Revue de Philosophie, 1907
Le mouvement absolu et le mouvement relatif 3, Revue de Philosophie, 1907
Le P. marin mersenne et la pesanteur de l’air 1, Revue générale des sciences pures et
appliquées, 1907
Le P. marin mersenne et la pesanteur de l’air 2, Revue générale des sciences pures et
appliquées, 1907
Le mouvement absolu et le mouvement relatif 4, Revue de Philosophie, 1908
Le mouvement absolu et le mouvement relatif 5, Revue de Philosophie, 1908
Le mouvement absolu et le mouvement relatif 6, Revue de Philosophie, 1908
Le mouvement absolu et le mouvement relatif 7, Revue de Philosophie, 1908
Le mouvement absolu et le mouvement relatif 8, Revue de Philosophie, 1908
Le mouvement absolu et le mouvement relatif 9, Revue de Philosophie, 1908
Le mouvement absolu et le mouvement relatif 10, Revue de Philosophie, 1908
Le mouvement absolu et le mouvement relatif 11, Revue de Philosophie, 1908
Le mouvement absolu et le mouvement relatif 12, Revue de Philosophie, 1908
La valeur de la théorie physique, Revue générale des sciences pures et appliquées, 1908
Josiah Williard Gibbs, A propos de la publication de ses mémoires scientifiques, Revue
des questions scientifiques, 1908
Essai sur la notion de théorie physique de Platon à Galilée 1, Annales de Philosophie
Chrétienne, 1908
Essai sur la notion de théorie physique de Platon à Galilée 2, Annales de Philosophie
Chrétienne, 1908
Essai sur la notion de théorie physique de Platon à Galilée 3, Annales de Philosophie
Chrétienne, 1908
Essai sur la notion de théorie physique de Platon à Galilée 4, Annales de Philosophie
Chrétienne, 1908
7
– Essai sur la notion de théorie physique de Platon à Galilée 5, Annales de Philosophie
Chrétienne, 1908
– Du temps où la scolastique latine a connu la Physique d’Aristote, Revue de Philosophie,
1909
– Un précurseur français de Copernic, Revue générale des sciences pures et appliquées, 1909
– Le mouvement absolu et le mouvement relatif : Appendice 1, Revue de Philosophie, 1909
– Le mouvement absolu et le mouvement relatif : Appendice 2, Revue de Philosophie, 1909
– Le mouvement absolu et le mouvement relatif : Appendice 3, Revue de Philosophie, 1909
– Le mouvement absolu et le mouvement relatif : Appendice 4, Revue de Philosophie, 1909
– La physique néo-platonicienne 1, Revue des questions scientifiques, 1910
– La physique néo-platonicienne 2, Revue des questions scientifiques, 1910
– La mécanique expérimentale d’après un livre récent, Revue générale des sciences pures et
appliquées, 1910
– Le temps selon les philosophes hellènes 1, Revue de Philosophie, 1911
– Le temps selon les philosophes hellènes 2, Revue de Philosophie, 1911
– La précession des équinoxes selon les astronomes grecs et arabes 1, Revue des questions
scientifiques, 1912
– La précession des équinoxes selon les astronomes grecs et arabes 2, Revue des questions
scientifiques, 1912
– La précession des équinoxes selon les astronomes grecs et arabes 3, Revue des questions
scientifiques, 1912
– Nature du raisonnement mathématique, Revue de Philosophie, 1912
– Les précurseurs parisiens de Galilée, Revue Rose, 1913
– Examen logique de la théorie physique, Revue Rose, 1913
– Le temps et le mouvement selon les Scolastiques 1, Revue de Philosophie, 1914
– Le temps et le mouvement selon les Scolastiques 2, Revue de Philosophie, 1914
– Le temps et le Mouvement selon les Scolastiques 3, Revue de Philosophie, 1914
– Le temps et le mouvement selon les Scolastiques 4, Revue de Philosophie, 1914
– Le temps et le mouvement selon les Scolastiques 5, Revue de Philosophie, 1914
– L’astrologie au Moyen Age, Revue des questions scientifiques, 1914
– Les précruseurs parisiens de Galilée, Revue des questions scientifiques, 1914
– Quelques réflexions sur la science allemande, Revue des deux mondes, 1915
– Le système du monde. Histoire des doctrines cosmologiques de Platon à Copernic, Revue
Rose, 1915
– L’Optique de Malebranche, Revue de Métaphysique et de Morale, 1916
– De Maxwell et de la manière allemande de l’exposer, Revue du mois, 1919
C.3 Réception des articles de Duhem : Vous trouverez ici une liste non exhaustive
d’articles liés à la réception des écrits de Duhem à l’époque.
– Dans les Annales de Philosophie Chrétienne de 1893 :
1. Domet de Vorges, « Les hypothèses physiques sont-elles des explications métaphysiques ? », pp. 137-151
2. E. Vicaire, « De la valeur objective des hypothèses physiques », pp. 50-81 et 113-138
3. G. Léchalas, « Quelques réflexions sur les hypothèses scientifiques », pp. 278-282.
4. G. Léchalas, « M. Duhem est-il positiviste ? », pp. 312-314.
– Domet de Vorges, Bulletin philosophique, Revue des sciences ecclésiastiques, 1893/06/15,
pp. 660-672.
– Domet de Vorges, Bulletin philosophique, Revue des sciences ecclésiastiques, 1893/10/15,
pp. 1034-1042.
8
– Lacome « Théories physiques, à propos d’une discussion entre savants », Revue thomiste :
questions du temps présent, t. I, 1893, pp. 676-692 et t. II, 1894, pp. 94-105.
– G. Léchalas et P. Duhem, Correspondance adressée à la rédaction, in Annales de Philosophie
Chrétienne, 1894, pp. 91-93.
– Regnabel, Thermodynamique et mécanique, à propos d’un ouvrage de M. Duhem, Compagnie de Jésus. Études de théologie, de philosophie et d’histoire, 1897, pp. 515-532.
– Le Roy, E., Science et philosophie, in Revue de Métaphysique et de Morale, t. VII, 1899,
pp. 375-425, pp. 503-562, pp. 708-731 et 1900, t. VIII, pp. 37-72.
– Le Roy, E., Un positivisme nouveau, in Revue de Métaphysique et de Morale, t. IX, 1901,
pp. 138-153.
– Compte rendu de la Théorie physique dans la Revue des sciences ecclésiastiques, décembre
1904, pp. 85-87.
– Rey, A., La Philosophie scientifique de M. Duhem, in Revue de Métaphysique et de Morale,
T. XII, juillet 1904, pp. 699-744.
– De Vregille, Pierre, La valeur des théories physiques, Compagnie de Jésus. Études de
théologie, de philosophie et d’histoire, 1906, pp. 349-373.
– Rey, A., La physique de M. Duhem, in Annales de Philosophie Chrétienne, 1906, pp.
535-537.
– Rey, A., La structure de la théorie physique dans la physique conceptuelle : les idées de
Duhem, dans La théorie physique chez les physiciens contemporains, Paris : Alcan, 1907,
pp. 128-167.
– Rey, A., L’énergétique et le mécanisme au point de vue des conditions de la connaissance,
in Revue philosophique de la France et de l’étranger, 1907, t. LXIV, pp. 495-517.
– Boutroux, P. La théorie physique de M. Duhem et les mathématiques, in Revue de
Métaphysique et de Morale, t.XV, 1907, n°3, pp. 363-376.
– De La Barre, Formules scientifiques et réalités concrètes, à propos de quelques livres
récents et anciens, Compagnie de Jésus. Études de théologie, de philosophie et d’histoire,
1907, pp. 507-520.
– Lechalas, M. Duhem et la théorie physique, in Année Philosophique, t. XXI, 1910, pp.
125-157.
– Nys, D., L’énergétique et la théorie scolastique, In Revue néo-scolastique de philosophie.
18° année, N°71, 1911. pp. 341-365.
C.4 Etudes sur Duhem : Voici une bibliographie non exhaustive de commentaires analysant au moins en partie la pensée de Duhem (pour une bibliographie presque exhaustive il est
possible de se référer à l’ouvrage de Stoffel, Pierre Duhem et ses doctorants).
– Brenner, A., Les origines françaises de la philosophie des sciences, Paris : PUF, 2003.
– Brenner, A., Science, Réalité et Apparence, Paris : Vrin, 1990.
– Brenner, A., dir., Pierre Duhem, Revue Internationale de Philosophie, 46, 1992
– Brouzeng, P., Duhem, Science et Providence, Paris : Belin, 1987
– Martin, Russell Niall Dickson, Pierre Duhem : philosophy and history in the work of a
believing physicist, Open Court, 1991.
– Soler, L., Introduction à l’épistémologie, Ellipses, 2002.
– Stoffel, Jean-François, Le phénoménalisme problématique de Pierre Duhem. Bruxelles,
Académie royale de Belgique, 2002.
– Zahar, E., Essai d’épistémologie réaliste, Paris : Vrin, 2000.
Il y a également de nombreux articles relatifs à la thèse Duhem-Quine mais je ne les recense
pas ici (je pourrai vous en donner les références si certains sont intéressés).
C.5
Conseils de lectures avant le cours du second semestre.
9
1. Il est impératif de lire tôt dans l’année de préparation l’ouvrage au programme i.e. La
théorie physique : son objet, sa structure.
Il faut remarquer que l’édition au programme est celle de 2007 parue chez Vrin. Or celle-ci
reprend très exactement la seconde édition de La théorie physique datant de 1914. Il n’y a
certes pas de modifications majeures entre les deux éditions de 1906 et 1914 mais Duhem
ajoute dans cette dernière édition (celle qui est au programme) deux articles qui sont liés
à la réception de l’ouvrage et à certaines critiques ou remarque qui avaient été faites à
Duhem. Dès lors, il ne me semble pas exclu que « Physique de croyant » et « La Valeur de
la théorie physique »puisse fournir des textes à expliquer le jour de l’oral. Il convient donc
d’attacher de l’importance à la lecture de ces deux articles et au contexte dans lequel ils
apparaissent. Quoi qu’il en soit, leur étude s’avèrera fructueuse pour la compréhension de
La Théorie physique.
De plus, l’édition datant de 1914, il faut également envisager la possibilité d’utiliser les
études que Duhem a pu faire entre 1906 et 1914 (essentiellement Sauver les apparences et
quelques passages du Système du monde qui sont cités en notes par Duhem dans l’édition
de 1914)
2. Conformément à ce qui précède, lire Sauver les apparences semble alors pertinent (il est
même possible de commencer par cet ouvrage qui est moins volumineux et dont le fond
est moins dense que La théorie physique)
3. Il serait alors bon de lire au moins en partie deux ouvrages de Brenner qui constituent un
bon début pour ce qui est de la littérature secondaire :
(a) Brenner, A., Les origines françaises de la philosophie des sciences, Paris : PUF, 2003
[lire la première partie, chap. 1, 2 et 3 me paraît rentable].
(b) Brenner, A., Science, Réalité et Apparence, Paris : Vrin, 1990.
Si vous souhaitez avoir d’autres conseils pour hiérarchiser vos lectures, n’hésitez pas à
m’envoyer un mail.
10
Chapitre I
Comptes rendus des commentaires sur
l’œuvre de Duhem.
A. Paul Brouzeng, Duhem, Science et providence.
il s’agit d’un ouvrage essentiellement biographique qui procure quelques éléments externes
de compréhension de la pensée de Duhem. Voici les éléments essentiels :
– né le 9 juin 1861 à Paris. Mort prématurée du père. Elevé chez les pères jésuites à
Brugelettes. Partisan de l’ordre moral renvoyant à une société dominée par les principes
religieux. Vit l’insurrection de la commune (1871), la défaite des monarchistes et la
naissance de la IIIe République. Légitimiste.
– Très tôt il s’intéresse à la nature et aux classifications.
– Etude au collège Stanislas qui est une école catholique fréquentée par l’ancienne noblesse et
la grande bourgeoisie. Il est un des rares de ce milieux à faire une carrière dans l’Université
qui est considérée comme un bastion républicain.
– Reçu premier à l’Ecole Normale Supérieure.
– Contexte pour l’éducation : Constitution de 1875 consacre le refus du retour à la monarchie
et à l’empire. Promulgation après la mort de Thiers (3 septembre 1877) des lois relatives
à l’école de la République : 1879, lois sur l’enseignement supérieur (Jules Ferry) et le
16 juin 1881 loi sur la gratuité de l’enseignement primaire, 28 mars 1882, enseignement
primaire obligatoire, 30 octobre 1886, laïcisation des maîtres des écoles publiques. Ces
lois annoncent les décrets pris contre les écoles congréganistes par le ministère Combes en
1902, 1903 et 1904.
– A cela s’ajoute le contexte de l’affaire Dreyfus (1894-1906). Duhem prend clairement parti
contre les dreyfusards. Il participe à l’organisation de la Ligue de la Patrie française qui
répond à la création de la Ligue des Droits de l’Homme (Paul Painlevé en fera partie, ce
qui explique en partie l’éloignement progressif des deux amis)
– Bouasse et Hadamard sont deux amis de Duhem.
– Alors que Berthelot est véritablement considéré comme l’icône de la science républicaine,
Duhem s’oppose à lui et a nécessairement subi quelques revers pour cette opposition
ouverte.
– A l’université : 6 ans à Lille (qu’il quitte après une altercation assez grave avec le personnel
de la faculté), 1 an à Rennes puis tout le reste de sa carrière à Bordeaux.
– A Lille, il participe à l’Institut catholique de Lille (où il rencontre sa femme et fréquente
des ultras).
– A Rennes, Duhem est associé à la préparation du congrès international des scientifiques
catholiques qui se tint à Bruxelles en septembre 1894. Il développe alors des propos assez
violents pour ceux qui ne maîtrisent pas la science et qui s’exposent alors au ridicule de
11
–
–
–
–
–
–
–
la part des libres penseurs. Il précise alors sa conception du rapport entre physique et
métaphysique.
Il est un des fondateurs de la Revue de Philosophie avec le Père Beillauve et le Père Bulliot
qui sont professeurs à l’Institut catholique de Paris. Il contribue alors à désamorcer le
prétendu antagoniste entre la croyance religieuse et la pratique scientifique.
Lettre importante au Père Bulliot du 21 mai 1911 (reproduite intégralement). Cette lettre
est fondamentale car elle affirme explicitement la démarche apologétique de Duhem. Il
décrit alors la tactique des opposants à la science qui vise à refuser toute croyance religieuse
sous prétexte d’un idéal de la science incompatible avec elle. Ces opposants à la religion
s’appuieraient alors sur l’analyse de la méthode scientifique et de sa prétendue fiabilité
(rapport notamment à l’expérience). A cela s’ajouteraient des arguments historiques
montrant à quel point la religion a été un frein pour le développement de la science. On
comprend bien que ce sont ces différents points que Duhem cherchera à réfuter à travers
toutes ses œuvres.
La Théorie physique a été un cours avant d’être publiée dans la Revue de Philosophie.
1900, élu membre correspondant de l’Académie des sciences.
Plusieurs anecdotes sur le comportement paradoxal de Duhem, qui pouvait être à la fois
emporté mais également très aimable.
A Bordeaux, Duhem fonde l’Association catholique des Etudiants de Bordeaux.
5 mai 1913, Duhem est admis comme membre non résident de l’Académie.
B. A. Brenner, Duhem, science réalité et apparence
B.1 Introduction Dans le bilan que Duhem dresse de ses travaux en 1913 pour sa candidature à l’Académie des Sciences, il divise son œuvre épistémologique en deux parties : l’examen
logique de la théorie physique et la recherche sur l’histoire de la théorie physique.
Brenner insiste sur l’idée que ce qui est premier chez Duhem est sa réflexion sur la méthodologie de la théorie physique qui donne lieu aux premiers articles dans lesquels il y a des éléments
historique mais qui sont mis au service de la méthodologie. Mais ensuite, à partir de 1900, la
méthodologie de la théorie physique est un outil herméneutique qui permet à Duhem de travailler
en détail l’histoire des sciences. Cette recherche nourrit alors en retour la philosophie de Duhem
de résultats nouveaux. Brenner qualifie l’approche de Duhem d’épistémologie historique.
Duhem défend une thèse holiste qui menace la possibilité de la vérification expérimentale.
Dès lors, pour éviter l’anarchisme épistémologique, Duhem attribue peut-être à l’histoire des
sciences le rôle de laboratoire pour la réflexion épistémologique et le rôle de guide vers une
classification naturelle.
Ce n’est pas seulement histoire et méthodologie qui sont associées mais Brenner insiste sur
l’idée que ces deux éléments sont également solidaires du projet physique de Duhem : l’énergétisme.
Comprendre ce projet scientifique est nécessaire afin de comprendre sa philosophie.
Le contexte de la pensée de Duhem est le suivant : le début du XIXe est dominé par le
programme newtonien dont les représentants sont Laplace, Poisson et Ampère. Surgissent de
nouveaux faits qui ébranlent la conception de Newton en optique (Young et Fresnel) puis le
développement de la théorie de la chaleur donne lieu à l’apparition d’une nouvelle science : la
thermodynamique. La théorie cinétique des gaz de Bernoulli est réhabilitée. Le dernier quart
du siècle s’interroge sur le bien fondé de l’interprétation cinétisme et atomiste. Il y aurait une
première crise de la physique illustrée par des penseurs telles Poincaré, Mach, Ostwald et Duhem
pour qui il serait nécessaire de s’abstenir de formuler des hypothèses mécanistes. Au début du
XXe c’est une nouvelle crise avec la théorie de la Relativité et la théorie des Quanta. Duhem reste
étranger à ces mouvements et appartient en cela à la physique classique. Le projet scientifique
de Duhem correspondrait alors à une certaine erreur de pronostic.
12
Brenner associe Poincaré, Duhem, Le Roy et Milhaud comme des penseurs qui ont formulé
une critique du mécanisme et de ses prétentions réalistes. Ils appartiendraient alors à un courant
conventionaliste même si de nombreuses divergences existent entre eux (pas une doctrine unique
mais un ensemble assez homogène d’idées).
Brenner fourni les deux axes principaux de son interprétation : il y aurait une
évolution majeure de la pensée duhémienne en 94 qui consisterait dans l’abandon
de l’inductivisme et c’est à partir des Origines de la statique en 1903 que Duhem
s’engagerait dans un projet historique d’envergure duquel ressort la thèse du continuisme historique de l’évolution scientifique. Ces deux thèses vont profondément
marquer la rédaction de La Théorie physique
B.2
Première partie – La recherche d’une méthodologie.
B.2.1. Les articles de la première période et La théorie physique.
– 1892, « Quelques réflexions au sujet des théories physiques ». Duhem distingue trois degrés
de connaissance : la connaissance des faits, la connaissance des lois, et la connaissance
de la théorie. En ce qui concerne la théorie, Duhem affirme les idées suivantes qui vont
permettre de saisir l’évolution de sa pensée :
« La science théorique a pour but de soulager la mémoire et de l’aider à retenir
plus aisément la multitude de lois expérimentales. »
« La physique mathématique n’est pas l’explication du monde matériel, mais
une simple représentation des loi découvertes par l’expérience ».
Il y a ici l’affirmation d’un thème qui sera ensuite constant dans l’œuvre de Duhem, c’est
celui de la séparation de la théorie et de la métaphysique puisque la théorie ne dépasse
jamais l’expérience pour fournir une quelconque explication du monde. Le but est bien
celui d’une transcription symbolique pour alléger la mémoire. La théorie physique affirmera
la même thèse mais Brenner note ici une différence radicale qu’il ne faut pas sous-estimer.
La Théorie physique défend l’idée suivante :
« La théorie n’est pas seulement une représentation économique des lois expérimentales ; elle est encore une classification de ces lois ». P. 30.
L’ajout de cette notion de classification sera fondamentale dans La Théorie physique.
Toutefois, l’analyse du but et de la structure de la théorie fait déjà l’objet de cet article
et c’est une analyse que Duhem reprendra quand il étudiera l’objet et la structure de
la théorie dans La Théorie physique. Concernant la construction symbolique, Duhem
distingue déjà 4 moments et il dessine en cela le programme de son futur ouvrage :
1. la définition des grandeurs
2. le choix des hypothèses
3. le développement mathématique
4. la confrontation avec l’expérience
Mais il y a une autre divergence encore plus fondamentale qui est celle de l’absence de
la thèse holiste dans l’article de 1892. Cette divergence ne serait pas, selon Brenner, un
simple oubli mais le symptôme d’une profonde évolution de la pensée de Duhem.
En effet, cet article serait marqué par une thèse inductiviste incompatible avec le holisme.
Duhem présente une méthode idéale dans laquelle les mathématiques ne joue que le
rôle d’allègement du langage ordinaire et dans laquelle il serait possible d’invoquer la
célèbre affirmation de Newton « hypotheses non fingo ». Il évoque tout de même les
insuffisances des essais de Newton et d’Ampère pour parvenir à cette méthode idéale (le
13
cas d’Ampère est étudié plus en détail dans le cours de science de 1891-1892). L’article
souligne l’écart entre les lois de Kepler et le principe d’attraction universelle de Newton et
on voit bien ici des développements qui semblent préfigurer La Théorie physique. Si Duhem
souligne bien les défauts de Newton et d’Ampère c’est parce qu’il juge leur démarche à
l’aune d’une méthode idéale qui semble bien être inductiviste puisque la théorie est une
« simple »représentation des lois expérimentales (c’est cette définition radicale qui donnera
lieu à la critique de Vicaire).
Le premier article n’évoque aucune des difficultés qui seront par la suite associées au
contrôle expérimental. Le contrôle expérimental ne fait pas problème et Duhem insiste
davantage sur l’origine expérimentale que sur la théorie.
Duhem semble bien défendre l’inductivisme contre les excès du mécanisme.
– 1893, « Physique et métaphysique ». Selon Brenner, Duhem semble encore proche de
l’inductivisme car la théorie n’y trouve qu’un rôle limité et elle n’ajoute rien à l’expérience.
Pour souligner l’évolution de la pensée de Duhem, Brenner met en regard la définition de
la théorie donnée dans l’article de 1893 et celle qui sera donnée, un an plus tard dans les
« Réflexions au sujet de la physique expérimentale » :
« La théorie a pour but de classer les lois expérimentales. Entre un ensemble de
lois expérimentales prises telles que l’expérience les a fait découvrir et le même
ensemble de lois reliées par une théorie, il y a la même différence qu’entre un
amas de documents amoncelés pèle-mêle et les mêmes documents soigneusement
classés en une collection méthodique. Les lois physiques gardent exactement
le même sens lorsqu’une théorie les relie que lorsqu’elles sont disséminées et
isolées ; elles ne nous apprennent rien de plus dans le premier cas que dans le
second ».
Cette citation de l’article de 1893 montre bien que la théorie n’ajoute rien. Or voici ce que
Duhem affirme un an plus tard :
« Selon que l’on adopte une théorie ou une autre, la loi change de sens, en sorte
que la loi peut être acceptée par un physicien qui admet telle théorie et rejetée
par un autre physicien qui admet telle autre théorie ».
Et dans la La théorie physique, p. 259, Duhem affirmera enfin :
« Les théories physiques ne sont qu’un moyen de classer et de relier entre elles les
lois approchées auxquelles les expériences sont soumises ; les théories ne peuvent
donc pas modifier la nature de ces lois expérimentales, elles ne peuvent leur
conférer la vérité absolue ».
Parler de la nature des lois expérimentales renvoie ici à leur vérité c’est-à-dire à la qualité
de leur approximation. La théorie ne changerait donc pas la nature des lois mais, en
revanche, c’est la théorie qui donnerait une signification à la loi expérimentale et celle-ci
n’est donc plus univoque contrairement à ce qu’affirmait l’article de 1893 (il faut donc
distinguer nature d’une loi et signification d’une loi). Cela montrerait à quel point Duhem
se serait éloigné de son inductivisme dans lequel la théorie n’apportait rien de plus que ce
qui était inscrit dans les lois correspondant à la mise en relation de données expérimentales.
– En 1894 dans « Les théories de l’optique », Duhem introduit la critique de l’expérience
cruciale à partir de l’analyse de l’expérience de Wiener. Sur ce point, Duhem suit Poincaré
dont il connaît la position puisqu’il a écrit un compte rendu de La Théorie mathématique de
la lumière. La perspective est bien épistémologique car physiquement, Duhem et Poincaré
acceptent la position de Fresnel. Si Poincaré le précède sur ce point, il n’en a jamais
tiré une thèse générale relative à la méthode expérimentale (il continuera même à parler
d’expérience cruciale ou décisive).
14
– 1894, « Quelques réflexions au sujet de la physique expérimentale ». Cet article introduit
pour la première fois la thèse holiste et on voit la prédominance entre théorie et expérience
s’inverser. Cet article est presque entièrement repris dans La Théorie physique (aux
chapitres 4, 5, 6 de la deuxième partie). Toutefois, l’article de 94 ne contient pas de
passages sur la critique de la méthode newtonienne ou de l’induction. Brenner voit dans
cette absence l’idée que Duhem n’a pas tiré, en 1894, toutes les conséquences de ses
analyses.
Rejeter la méthode inductive a pour conséquence de fournir au savant une entière liberté
dans le choix des hypothèses et cela peut sembler excessif. Par conséquent, Brenner
défend l’idée que cette critique de l’inductivisme va nécessairement de paire avec la vertu
heuristique de l’histoire des sciences et avec la notion de classification naturelle.
Dans cet article, Duhem poursuit et approfondit sa critique de l’expérience cruciale mais
en prenant cette fois-ci l’exemple de l’expérience de Foucault. Duhem établit une différence
entre l’expérimentation et l’observation ordinaire qui est liée à la complexité et la précision
mathématique de la première. L’expérimentation de Regnault sert déjà de base à l’analyse
(le rôle de l’abstraction, de la correction et le degré d’approximation sont notamment mis
en avant).
Brenner identifie une évolution de l’usage de la notion de traduction dans l’œuvre de
Duhem. Il est question de traduction des résultats expérimentaux dès les premiers écrits de
Duhem. Toutefois, il aurait été jusqu’à présent question de la correspondance entre notions
perceptuelles et notions théoriques alors qu’il serait désormais question d’interprétation
(ce qui insiste sur la liberté du savant et le décalage entre la théorie et l’expérience ; ce
décalage est par exemple présent dans la différence entre l’instrument réel et l’instrument
idéal dans laquelle il y a nécessairement interprétation des données de l’expérience). L’idée
d’interprétation est en effet absente dans les premiers articles. L’induction est impossible
car les corrections apportées sont liées à la théorie et l’amélioration de la précision de
l’expérimentation n’est plus seulement liée à l’amélioration de la précision des instruments
(comme c’est le cas dans les précédents articles) mais est liée également à une amélioration
de la description théorique de l’instrument qui permet une meilleure interprétation.
« Physique de croyant » fournit des éléments permettant d’étayer cette thèse de l’évolution
de la pensée de Duhem puisque celui-ci affirme avoir été d’abord mécaniste puis inductiviste.
– Dans La Théorie physique, Duhem parvient à la thèse holiste par la critique conjointe
de l’induction et de l’expérience cruciale. C’est ici qu’a lieu une critique en bonne et due
forme de l’inductivisme.
B.2.2. Les enjeux philosophiques de l’énergétisme.
Les analyses de Brenner font ici le lien entre le projet scientifique de Duhem et sa philosophie.
Le premier article d’épistémologie de Duhem en 92 a d’ailleurs pour origine une introduction à
un cours de physique sur l’électricité et le magnétisme. Mais la synthèse de Duhem déborde ces
deux domaines puisqu’il s’agit d’un élargissement des applications de la thermodynamique.
La conception duhemienne des définitions et de l’association entre les grandeurs mathématiques et les notions perceptuelles est parfaitement illustrée dans l’exposé qu’il fait des
principes de la thermodynamique (« Commentaires aux principes de la thermodynamique »,
in Journal de mathématiques pures et appliquées, 1892-1893-1894). Pour définir la notion de
chaleur, Duhem souhaite éviter la notion d’agitation moléculaire ou d’énergie cinétique (qui
sont des interprétations mécanistes proposant des explications métaphysiques). Le physicien
énergétiste va introduire la température comme une grandeur symbolisant le chaud et cette
définition sera purement opérationniste.
La thermodynamique chez Duhem possède des enjeux philosophiques qui sont bien mis en
15
évidence, selon Brenner, par l’histoire des théories de la chaleur qui font l’objet d’un article de
Duhem. Voici les différentes grandes étapes de l’histoire des théories de la chaleur :
Historiquement, la thermodynamique a deux sources : une conception substantialiste et une
conception cinétiste.
– Descartes s’oppose à la scolastique en tentant de ramener la chaleur, qui était vue comme
qualité, à l’étendue et au mouvement. La chaleur serait un mouvement peu ample mais
rapide des particules (le mouvement calorifique est associé à la quantité de mouvement).
– Leibniz modifie légèrement cette perspective en préférant évaluer la quantité de chaleur
par la force vive. La conception cinétique va dominer jusqu’au milieu du XVIIIe siècle.
– Black découvre l’existence de la chaleur spécifique c’est-à-dire que la quantité de chaleur
nécessaire pour élever d’un degré des corps différents va varier (et cette quantité de
chaleur varie également pour un même corps en fonction de la température). Il étudie
notamment le problème des changements d’états. Température et chaleur se scindent en
deux notions différentes et le terme de chaleur s’affranchit donc de l’expérience commune.
La théorie cinétique explique difficilement ces phénomènes. La notion de chaleur matière
remplace celle de chaleur mouvement. Une conception substantialiste apparaît. La chaleur
serait l’effet d’un fluide impondérable présent dans tous les corps (ce fluide est appelé
le calorique). Ce serait une revanche de l’esprit de la physique de Newton (malgré les
affirmations de Newton) puisque comme la lumière, la chaleur deviendrait une substance
spécifique.
– La thermodynamique a son origine dans l’ouvrage de Carnot qui s’intitule Réflexion
sur la puissance motrice du feu (1824). La chaleur engendre de la puissance motrice
seulement si elle passe d’un corps chaud à un corps froid. Il y a aussi l’idée du cycle de
Carnot. Cet ouvrage fournit la base du second principe de la thermodynamique (découvert
historiquement avant le premier). Carnot se rallie à la fin de sa vie à la conception de la
chaleur-mouvement. Toutefois, la théorie de Carnot n’est pas compatible avec le principe
de l’équivalence entre travail et chaleur.
– Robert Mayer découvre le premier principe de la thermodynamique (son cas intéresse
Duhem car il n’est pas un adepte de l’hypothèse cinétiste mais il n’acceptera pas non plus
la notion de calorique). La découverte est celle de l’équivalence entre travail et chaleur.
Le premier principe définit l’énergie U d’un système fermé en fonction du travail et de la
quantité de chaleur échangée.
– La théorie mécanique de la chaleur apparaît avec le regain de l’hypothèse cartésienne dans
d’autres branches de la physique notamment grâce à Young et Fresnel.
– Clausius réaménage la théorie de Carnot pour la rendre compatible avec le principe
d’équivalence. Sa conception consacre l’hypothèse cinétiste. Toutefois, Duhem ne pense
pas que cette conception soit l’état définitif de la thermodynamique.
Clausius introduit la notion d’entropie et il voit que la réversibilité si centrale chez Carnot
n’est qu’idéale. Duhem souligne le fait que la théorie de Clausius ne fait réellement fond
sur aucune hypothèse quant à la nature de la chaleur et qu’il est donc possible de l’en
débarrasser.
Duhem propose alors de séparer la thermodynamique d’une formulation fondée sur la
mécanique classique. Plutôt que de tenter de démontrer les théorèmes de la thermodynamique
par des conjectures sur la nature de la chaleur, il conviendrait de les considérer comme des
principes, ou comme axiomes. De même les notions de la thermodynamique (comme celle de
quantité de chaleur) ne sont plus définies par une hypothèse mécaniste mais sont définis de
manière à permettre la démonstration de certains principes (la quantité de mouvement permettra
de démontrer directement le principe d’équivalence). Il refuse une définition purement empirique
de la quantité de chaleur (« ce qui est mesuré par le calorimètre ») car une telle définition
suppose toujours des connaissances théoriques préalables permettant d’utiliser l’instrument et
16
éventuellement de corriger la valeur qui est lue.
Selon Brenner, c’est dans la deuxième partie du « Commentaire » que la conception de
Duhem change relativement aux principes de la thermodynamique puisqu’il ne considère plus
les hypothèses liées au second principe comme susceptibles d’une vérification expérimentale
directe. Il n’y aurait plus une simple induction. L’évolution de la mécanique correspond alors
parfaitement à la thèse que Duhem défendra dans La Théorie physique. Au début des années 90,
Duhem pensait donc que le rejet du mécanisme devait passer par la défense d’une perspective
inductiviste. Par la suite, il redéfinira le statut des principes et des hypothèses physiques en les
considérant comme des postulats.
Selon Duhem, la thermodynamique serait une branche autonome de la physique dont il est
possible de faire une construction descriptive qui s’affranchisse de toute explication mécaniste.
Mais Duhem va plus loin que la simple affirmation de cette indépendance en insistant sur l’idée
que c’est la mécanique qui doit être subordonnée à la thermodynamique. La thermodynamique
généralisée de Duhem prétend alors expliquer tous les changements d’état des corps (changements
de lieu et changement de qualités). Cette thermodynamique généralisée répondrait à un souci
d’unification de la physique. Cette entreprise correspond finalement, selon Brenner, à un idéal
classique même si Duhem rejette le mécanisme comme moyen de parvenir à cette unification.
Cet idéal détermine alors la critique de la démarche anglaise qui s’appuie sur l’usage des modèles
qui porterait atteinte à l’unité de la physique. Toute l’entreprise qui précède est appelée par
Brenner « énergétisme » et permet de fixer le vocabulaire de Duhem.
Il y a deux savants dont la perspective peut sembler proche de l’énergétisme de Duhem :
Ostwald mais dont la théorie ressemble à un monisme métaphysique fondé sur la notion d’énergie ;
Rankine dont Duhem ignore en 1894 qu’il l’a précédé dans sa démarche. Dans L’évolution de la
mécanique Duhem soulignera la parenté de sa démarche avec celle de Rankine même si le premier
rejette l’usage que le second fait des théories explicatives comme moteur de la découverte.
D’après tout ce qui précède on voit clairement le lien étroit entre le projet scientifique de
Duhem, sa philosophie et l’histoire des sciences.
B.2.3. La méthode abstraite et l’évolution de la physique.
La Théorie physique distingue quatre écoles cosmologiques qui sont non seulement des écoles
historiques mais surtout des types fondamentaux d’explication :
– L’école péripatéticienne.
– L’école newtonienne.
– L’école atomistique.
– L’école cartésienne.
C’est au XVIIe siècle que ces différentes écoles s’affrontent et c’est également durant ce siècle que
naît la science moderne. C’est dire si ce siècle est le laboratoire historique privilégié pour une
étude épistémologique. Cette typologie est illustrée par l’exemple de l’aimantation dont certaines
thèses se retrouvent au XIXe siècle puisqu’on voit des conceptions qualitative, substantialiste,
corpusculaire ou cinétiste apparaître. La présentation de Duhem est moins historique que logique
car tous les types (outre l’aristotélisme) constituent des aspects du mécanisme.
Duhem prétend clairement séparer la physique de la métaphysique et cette séparation repose
sur :
– la querelle des causes occultes,
– l’absence de consensus
– l’indétermination de la théorie par rapport à la métaphysique.
Pourtant, Duhem affirme nettement l’analogie entre son énergétique et la physique péripatéticienne. Toutefois, ce rapprochement n’est valable que si on considère la théorie comme une
représentation et non comme une explication. Conjointement à son énergétisme Duhem introduit
17
l’idée de mouvement au sens large et l’idée de grandeur intensive. Duhem restaure notamment les
qualités occultes qui étymologiquement veulent dire qualités cachées (ce n’est qu’au XVIIe que la
signification devient péjorative et que la démarche est synonyme d’ajout progressif d’hypothèses
ad hoc).
L’évolution de la mécanique présente les quatre écoles cosmologiques dans leur ordre d’apparition historique :
1. L’école péripatéticienne.
2. L’école cartésienne qui est cinétiste. Cette école serait celle qui dans son projet serait la
plus radicalement opposée à la scolastique.
3. L’école atomistique avec Huygens. Elle constituerait un premier infléchissement de la
perspective de Descartes en refusant la réduction de toute la physique au mouvement et à
l’étendue.
4. L’école newtonienne. Elle constitue un second infléchissement par l’introduction de la
notion de force qui est irréductible à la géométrie.
Brenner souligne certaines confusions sur Leibniz et Newton (identification de leurs physiques)
dans l’ouvrage de Duhem. Toutefois, L’énergétisme de Duhem introduit, à côté de la notion de
force, d’autres qualités en physique.
Brenner se penche alors sur le problème de la mesure en physique puisqu’il est lié au fait
que la physique étant mathématique, il faut qu’elle ait affaire avec des quantités. D’où le
rejet habituel de la notion de qualité, rejet qui est récusé par Duhem. Brenner reprend alors
l’analyse logique que Duhem fait de la mesure. La distinction entre qualité et quantité fournit
une ligne de démarcation entre les théories mécanistes et les théories phénoménistes car les
premières prétendent réduire la qualité à la quantité. Toutefois, Duhem passe sous silence les
développements récents de l’atomisme et, selon Brenner, ce sont les progrès de la science qui
sont venus montrer l’erreur de Duhem lorsque celui-ci refusait toute considération sur le fluide
électrique ou sur l’électron.
Brenner poursuit son analyse par l’étude du lien entre Duhem et Lagrange. Duhem se
réclamerait de la méthode de Lagrange en ce qu’il n’admettrait pas la réduction de toutes
les notions à des quantités, à des grandeurs extensives. Si une notion procure une économie
théorique et qu’elle peut recevoir une traduction mathématique alors il est souhaitable de la
conserver.
Brenner étudie enfin la critique que Duhem adresse à l’école anglaise. Dès L’évolution de la
mécanique, Duhem distingue deux méthodes : la méthode synthétique et la méthode analytique
(dans La Théorie physique, il fera référence à Rankine concernant cette distinction). Le terme
analytique renvoie sans doute à la Mécanique analytique de Lagrange alors que la méthode
synthétique serait celle suivie par Poisson. Poincaré prendra la défense de la méthode suivie par
Maxwell et il y trouvera des armes dans sa critique de la conception classique de la physique.
Toutefois, Duhem va vivement critiquer l’école anglaise qui s’appuie sur la notion de modèle (qui
peut être une machine ou être algébrique) même si cette école ne suppose pas une conception
métaphysique comme le mécanisme. Selon Brenner, le fond de la critique est la nécessité d’une
unité de la physique qui n’est pas permise par l’école anglaise (à cela s’ajoute aussi la critique
de l’esprit pragmatique et utilitariste lié à la science anglaise qui est proche de l’industrie). Le
modèle pourrait toutefois avoir un rôle à jouer dans la découverte.
Duhem développe alors une approche psychologique de la pratique scientifique (avec son
analyse de ce qu’il appelle l’esprit français et l’esprit anglais) en reprenant de manière assez
libre le texte de Pascal. On peut n’y voir que des généralités douteuses et une certaines
inconstances dans les affirmations de Duhem. Cependant, Brenner voit derrière ces affirmations
la nécessité d’une critique d’une certaines conceptions de la science (celle qui refuse l’unité de la
18
science ou celle qui défend l’atomisme). Brenner voit dans la conception duhemienne un certain
conservatisme qui s’exprime notamment dans le refus de l’atomisme.
B.3
Deuxième partie – L’enquête historique.
B.3.1. La constitution de l’histoire des sciences et l’étude de la statique.
Brenner défend l’idée que chez Duhem la méthodologie précède l’histoire (non au sens
chronologique mais au sens logique) car les analyses historiques de Duhem fournissent pendant
très longtemps des justifications a posteriori de ses thèses méthodologiques mais aussi de son
énergétisme.
– 1894, « Les théories de l’optiques », constitue le premier article d’histoire des sciences
de Duhem. Duhem renforce sa critique du mécanisme en montrant que le réalisme qui
lui est associé le pousse à multiplier les hypothèses ad hoc. Dans cette perspective, les
théories physiques en optique depuis le XVIIe sont décrites comme étant fragiles. Duhem
entretiendrait alors un certain scepticisme mais pour que puisse finalement s’imposer l’idée
qu’il y a une direction de l’histoire dans le sens où les théories fourniraient des éléments
susceptibles d’être repris par la suite même si la théorie s’écroule. Duhem distinguera
alors une partie descriptive et une partie explicative de la théorie (cette dernière étant
susceptible de disparaître en laissant survivre la première).
D’un point de vue historique, l’article peut sembler un peu léger mais il faut le voir comme
l’illustration de ses thèses épistémologiques et les théories de l’optique seront souvent
invoquée dans La Théorie physique. Toutefois, Brenner note une variation dans l’usage de
l’histoire des théories de l’optique entre l’article et La Théorie physique. Dans l’article,
l’exemple de l’expérimentation d’Arago sert à introduire la théorie de Fresnel alors que
dans l’ouvrage, le même exemple est utilisé pour introduire la thèse holiste et l’idée de
classification naturelle. La réflexion historique aurait mûri car si l’article développait
la thèse continuiste, La Théorie physique la rattache à une orientation fournie par la
classification naturelle comme fin de l’évolution historique des sciences. La métaphore
de la marée montante illustre ce phénomène continuiste orienté vers un progrès grâce à
la distinction entre description et explication. Il y a une forme de réalisme chez Duhem
même s’il récuse le réalisme naïf du mécanisme.
– Le premier travail de Duhem qui est habituellement reconnu comme une véritable étude
d’histoire des sciences est la série d’articles donnant lieu aux Origines de la statique (1903).
C’est d’ailleurs le premier ouvrage que Duhem reconnaît en tant que tel et les analyses
historiques qui précèdent s’inscrivaient toujours dans un cadre philosophique. Duhem y
étudie la naissance d’une science. Cet ouvrage est primordial car il est en partie centré
sur l’importance de la figure de Léonard de Vinci (ce qui permet de décentrer l’histoire
classique qui focalise sur Galilée) tout en soulignant l’apport éminent du Moyen-Âge.
L’importance du Moyen-Âge serait illustré par la figure de Jordanus de Nemore. Il est
indubitable, selon Brenner, que cette découverte ait eu un impact sur La Théorie physique
puisqu’elle est rédigée postérieurement aux études sur la statique.
Contre l’interprétation de Lagrange, il ne faudrait pas, selon Duhem, remonter à Archimède
mais à Aristote et Euclide pour traiter l’origine de la statique. Seul ce retour à l’école
péripatéticienne permettrait de comprendre la naissance de cette science. Philosophiquement, cet ancrage dans la tradition aristotélicienne est important pour montrer que
l’approche péripatéticienne peut servir de base à l’évolution de la science. Historiquement,
Duhem montre que l’influence d’Aristote domine l’histoire de la statique. Un autre apport
essentiel de la perspective duhemienne de l’histoire est l’idée selon laquelle il convient
d’étudier les erreurs des savants car elles sont grosses de progrès. La conséquence de cela
est une tendance à la démystification de l’histoire (il refuse par exemple l’idée de génie
19
solitaire faisant de grandes découvertes). La science classique aurait notamment tendance
à errer faute d’avoir saisie la nature de la théorie scientifique qui est est d’être un outil de
classification et non un outil d’explication. Les analyses philosophiques guident donc la
pratique historique de Duhem. Duhem s’oppose notamment à la conception classique de la
révolution en science car pour lui, l’évolution de la science va de pair avec sa complexité
et celle-ci implique continuité. La solution qui est esquissée dans ce texte est celle de la
distinction entre partie représentative et partie explicative de la théorie.
On trouve d’abord chez Duhem une métaphore de la construction mais Duhem la remplace
par l’image de l’organisme qui évolue. Grâce à ses études historiques, Duhem précise donc
ses considérations philosophiques sur le statut de la théorie physique et son évolution.
Brenner insiste également sur l’idée que Duhem s’oppose à la conception classique de l’évolution des sciences qui est développée chez d’Alembert (qui s’inscrit lui-même dans la tradition de Bacon) et qui est véhiculée par Kant, Laplace, Comte et Cournot. Il y aurait alors une rupture avec une conception
classique de l’évolution de la science dont Kant serait une figure.
Brenner remarque toutefois que les historiens contemporains, s’ils acceptent l’importance
du Moyen-Âge et de la tradition aristotélicienne, nuancent toutefois certaines thèses de
Duhem. Les intuitions de certains scientifiques qui sont valorisées par Duhem seraient
profondes mais ne passeraient pas au stade de la conceptualisation et c’est pour cela qu’il
semblerait difficile de suivre Duhem lorsque celui-ci reconnait par exemple le principe
d’inertie dans les théories du XIIIe siècle.
B.3.2. L’histoire de la dynamique.
La dernière décennie de la vie de Duhem est essentiellement consacrée à l’histoire des
sciences. Si le Traité d’énergétisme date de 1911 et si Duhem produit des articles importants
sur l’électrodynamique entre 1913 et 1916, il faut se rendre compte que ces travaux s’enracinent
dans des études antérieures de Duhem. Il y aurait donc selon Brenner une véritable conversion
à l’histoire des sciences.
– L’essentiel des études sur Léonard de Vinci sera repris dans Le Système du monde.
– Sauver les phénomènes paraît en 1908 et approfondit un thème déjà abordé : l’histoire
des conceptions méthodologiques. Cela montre que la position épistémologique de Duhem
de la théorie comme représentation et coordination est une conception qui possède de
nombreux précurseurs dans l’histoire de l’astronomie. Cette tradition fournit également
une documentation et une argumentation précieuse relativement à la séparation entre
physique et métaphysique.
– Le Système du monde est un projet qui débute en 1909. Les articles sur « Le mouvement
absolu et le mouvement relatif » seront en majeure partie repris dans Le Système du
monde.
Brenner insiste sur l’idée que certains résultats seront discutés et nuancés par les historiens
postérieurs à Duhem. Il s’agit notamment d’une discussion de la place et de l’importance de
la physique du Moyen-Âge. On retrouve cette idée que la physique du Moyen-Âge contient
bien en puissance certains développements modernes mais que leur conceptualisation
n’apparaît pas et ne peut pas avoir lieu à cause de leur enracinement dans un contexte
philosophique et aristotélicien incompatible avec les développements modernes (c’est
notamment la position de Clavelin ou de Koyré).
La théorie de l’impétus est, selon Duhem, l’apport majeur de la physique du Moyen-Âge.
On trouverait selon lui des formulations de l’essentiel du principe d’inertie dès le XIIIe
siècle (chez Ockham par exemple ou même chez Buridan au XIVe). Duhem voit dans
des théories dissemblables, voire même incompatibles, un même résultat moderne. Pour
20
Buridan le mouvement s’explique par la transmission d’une puissance motrice (l’impetus)
directement imprimée dans le mobile par le moteur. Cette explication a le mérite d’évacuer
la question du milieu pour expliquer le mouvement (le milieu n’est plus que principe de
résistance). Contrairement au concept moderne d’inertie, l’impetus permet de poursuivre
un mouvement tel qu’il a été initialisé (même en cercle. . .). De plus, Buridan précise
relativement bien l’impetus en le faisant dépendre de la vitesse et de la quantité de
matière (matière qui est elle-même semble t-il définie relativement au volume et la densité).
Toutefois, cette conception de la vitesse n’est nullement quantifiée par une quelconque
fonction et elle reste en cela essentiellement qualitative. Tous ces éléments suffisent selon
Duhem à voir dans la théorie de l’impetus de Buridan et de l’école de Paris une anticipation
de la notion d’inertie et la base de sa découverte. Duhem voit aussi dans la philosophie de
Buridan une généralisation de l’impetus à tous les corps du fait de la suppression de la
distinction aristotélicienne entre le sublunaire et le supralunaire. Il prétend ainsi dénaturer
la révolution scientifique telle qu’elle est envisagée d’habitude.
L’historien Maier refusera de voir dans cette conception de l’impetus chez Buridan une
anticipation de la physique moderne (car le mouvement sans résistance n’y serait pas
pensé et il n’y aurait pas véritablement de suppression de la distinction entre sublunaire
et supralunaire). Brenner reproche alors à Duhem de ne pas attacher suffisamment
d’importance à la spécificité des notions introduites en physique au XVIIe siècle. Duhem
échouerait à démontrer une continuité conceptuelle. Duhem aurait toutefois le mérite
d’éclairer le débat entre continuistes et discontinuistes.
B.4
Troisième partie – La philosophie holiste.
B.4.1. La méthode inductive et l’expérience cruciale.
Brenner pose la question de l’influence de l’histoire sur la méthodologie (car il y a manifestement influence de la méthodologie sur les recherches historiques) qui apparaîtrait dans
La Théorie physique. Il faut en effet remarquer d’emblée que La Théorie physique est publiée
en juin 1905 alors que Duhem a pratiquement terminé Les Origines de la statique. Il y a
indéniablement un travail conjoint entre les deux ouvrages dont les articles sont publiés à la
même époque. Brenner remarque que les analyses de La Théorie physique cadrent parfaitement
avec les analyses ultérieures en histoire des sciences. S’il y a une coupure c’est l’évolution par
rapport à l’inductivisme.
– Il est important de noter le long développement dans La Théorie physique sur l’histoire
du principe de la gravitation universelle. Cet exposé est un complément nécessaire à la
critique de la méthode newtonienne. Or il reprend les résultats des Origines de la statique.
Malgré sa longueur, ce passage est un effort de condensation et quatre éléments figureraient
dans cette histoire pour expliquer le développement d’une théorie physique :
1. l’observation
2. la dynamique
3. les doctrines de l’époque
4. les analogies
Duhem insiste sur la lenteur de la « révolution » et il souligne également la simultanéité
de certaines découvertes. Cela renforce l’idée de continuité du développement scientifique.
Il présente également l’histoire de l’électromagnétisme mais si celle-ci ne couvre que 4 ans,
elle possède les mêmes caractéristiques soulignant une évolution conceptuelle continue. De
plus, les découvertes d’Ampère supposent la mécanique céleste qui a une longue histoire
derrière elle.
21
Pourquoi ce développement sur l’histoire ? Selon Brenner, c’est pour répondre aux difficultés
soulevées par la critique de la méthode inductive. Du point de vue « logique » ou statique, les
hypothèses peuvent paraître arbitraires mais l’histoire montre qu’elles sont le résultat d’une
évolution dans laquelle la science semble bien dépasser ses acteurs (// Les Somnambules
de Kœstler).
– La critique de la méthode inductive n’était pas présente dans les premiers articles même
si Duhem voyait déjà les difficultés liées au passage des lois de Kepler aux lois de Newton
(cette prétention inductive est classique et est même présente chez Ampère ; elle se trouve
chez Laplace et Comte et vise à donner une assise expérimentale aux lois de Newton). La
critique de Duhem s’inscrit donc contre une perspective classique. Pour Duhem, il reste
un certain nombre d’indéterminations qui impliquent l’impossibilité de réduire les lois de
Newton aux lois de Kepler :
1. L’attraction est généralisée et mutuelle chez Newton.
2. Cette attraction est proportionnelle à la masse des corps et il y a donc une oscillation
du soleil autour du centre de gravité du système solaire, des perturbations dans les
orbites et une différence des temps de révolution en fonction de la masse planétaire.
3. Afin de rendre compte des phénomènes liés à l’attraction mutuelle, Maxwell propose
de corriger les lois de Kepler et cela revient à dire que les lois de Newton sont
irréductibles à celles de Kepler
La transcription dynamique des lois de Kepler introduirait donc un changement de
signification et il y aurait en réalité une rivalité avec les lois de Newton. Les lois de Newton
sont symboliques parce qu’elles mettent en œuvre des notions théoriques irréductibles à la
simple observation des faits.
– La critique qu’il adresse désormais à l’inductivisme est indissociable du rejet de l’expérience
cruciale. La Théorie physique dégage implicitement le type de raisonnement mis en œuvre
dans l’expérience cruciale : c’est le modus tollens i.e. une application d’un raisonnement
par l’absurde. Toute l’incohérence de ce raisonnement est ici qu’il simplifie excessivement
la situation expérimentale. L’exemple est celui de l’expérience de Foucault pour discriminer
entre la théorie corpusculaire et la théorie ondulatoire de la lumière. Le problème est
que les deux théories ne sont pas contradictoires au sens strict. On ne sait pas qu’elle
hypothèse est falsifiée et même si on pouvait l’isoler, rien n’indique qu’il ne puisse pas y
avoir une troisième possibilité 1 .
– La théorie holiste défend la conception de la théorie comme synthèse unitaire et l’image
utilisée est celle de l’organisme.
Par ce holisme, Duhem s’engage dans les discussions soulevées par Milhaud, Poincaré et
Le Roy au sujet des hypothèses fondamentales. Duhem défend finalement une définition de
la théorie comme système axiomatique. Toutes les hypothèses peuvent être touchées par
la réfutation expérimentale et il n’est pas possible de savoir laquelle l’est véritablement.
Même les grands principes de la science peuvent subir une forme de contrôle expérimental
et être rejetés sous prétexte que certaines conclusions de la théorie sont en désaccord avec
l’expérience (face à l’expérience et le doute qu’elle implique, toutes les hypothèses, même
les plus fondamentales, sont solidaires).
Contre l’interprétation de la critique de l’inductivisme et de la réfutation qui sera celle de
Feyerabend, Duhem renforce la nécessité logique de la rigueur des procédures déductives et
il utilise l’histoire comme justification de la recherche d’un idéal de classification naturelle.
1. Popper prend connaissance en 1957 de la thèse holiste de Duhem sous l’impulsion de Quine. Il y répond
en affirmant la possibilité d’une expérience cruciale réfutative qui ne soit pas une vérification. Brenner insiste
toutefois sur l’incompatibilité entre la position réfutationiste et le holisme de Duhem
22
B.5 Conclusion. Le continuisme historique remplace, selon Brenner, la méthode inductive.
Toutes les recherches ultérieures à La Théorie physique renforceront ce continuisme et l’enjeu
philosophique de la recherche historique est dès lors indéniable. L’importance du Moyen-Âge, par
exemple, n’est pas pleinement développé dans La Théorie physique mais elle s’inscrira ensuite
parfaitement dans la défense du continuisme.
Duhem se rallierait contre Poincaré au côté de Le Roy dans la tentative de fonder un
conventionnalisme généralisé.
C. A. Brenner, Les origines françaises de la philosophie
des sciences
C.1 Introduction Brenner commence par reprendre le préjugé selon lequel l’épistémologie
française serait assimilée, du moins dans son origine, à Bachelard. Contemporain du Cercle de
Vienne, Bachelard proposerait une approche historique plutôt que logique et on voit habituellement une scission entre l’épistémologie française et l’épistémologie allemande puis de langue
anglaise. Koyré représenterait une tentative de conciliation entre les deux pratiques. Toutefois,
cette conception de la philosophie des sciences est trop simpliste et oublie le rôle du pragmatisme
et le rôle de l’épistémologie française de la fin du XIXe siècle.
Brenner reprend l’idée que l’épistémologie répondrait à un besoin souvent lié à une crise
scientifique. Une telle crise serait à l’origine de la réflexion de savants et de philosophes au
tournant du XXe siècle. C’est d’ailleurs à cette époque que l’histoire des sciences et la philosophie
des sciences s’institutionnalisent. Le vocable d’épistémologie daterait d’ailleurs des années 1900
(Meyerson est un exemple d’utilisation de ce vocable) et permettrait de souligner l’autonomisation
d’une discipline tout en soulignant une distance avec le terme de philosophie des sciences inventé
par Ampère et illustré par Comte. Sans condamnation nécessaire de la métaphysique, la nouvelle
épistémologie supposerait une étude des méthodes ayant conduit la science.
Deux thèses marquent une rupture et seront sans cesse discutées au XXe siècle.
– 1891, Poincaré défend le conventionnalisme pour les hypothèses géométriques. Il pose le
problème du rapport entre les mathématiques et le monde.
– 1894, Duhem affirme son holisme et le caractère global du contrôle expérimental.
La notion de convention résume une série de problèmes distincts : le langage de la science,
les hypothèses fondamentales, la décision expérimentale, les critères rationnels, la théorie de
l’instrument.
Brenner souligne la lacune essentiel des études historiques sur la philosophie des sciences :
elles ont bien étudié les origines autrichiennes mais ont délaissé les origines françaises. Pourtant,
le cercle de Vienne et de nombreux épistémologues du XXe se réclament de Poincaré ou Duhem.
Brenner s’interroge également sur l’existence d’un courant conventionnaliste dont Poincaré,
Duhem, Le Roy et Milhaud seraient les protagonistes. Tout d’abord, le terme conventionnalisme
n’est pas employé en tant que tel par ces auteurs (Duhem évite ce terme dans ses écrits de la
maturité et les autres l’utilisent en des sens différents). C’est un terme de commentateur et il
n’y a pas de courant pensé comme tel à l’époque. De plus, des querelles entre ces différents
auteurs ne cessent de surgir. Mais s’il n’y a pas d’école conventionnaliste, il y aurait une thèse
centrale et commune (« une communauté d’esprit ») à ces auteurs qui est celle de la liberté
du savant dans le choix des hypothèses. De même, ces auteurs ont en commun une critique de
la vision classique de la science et retrouvent certaines formes de réalisme tout en pensant la
notion de progrès (même si ce réalisme est de « second ordre »).
C.2
Première partie, la position.
23
C.2.1. La critique de la vision classique de la science.
Le premier point commun des conventionnalistes serait la critique de leurs prédécesseurs et
d’une vision classique de la science.
Quels sont les auteurs véritablement visés ? Quelles sont les théories discutées ?
La vision « classique » de la science à laquelle Poincaré et Duhem s’opposerait serait,
selon Brenner, celle de d’Alembert, Laplace, Comte, Mill et Claude Bernard. Ils dénoncent
notamment le newtonianisme triomphant. Selon Brenner, Kant lui-même aurait été influencé
par la conception de l’Encyclopédie. Voici les thèses essentielles de cette conception - appelée
classique - par Brenner :
– Le préfacier de l’Encyclopédie semble une source majeure de renseignement. Il y aurait une
double fondement de la science : l’expérience et les mathématiques. D’Alembert insiste
sur le rôle de Descartes dans l’entreprise de mathématisation. Il valorise également Bacon
comme étant le fondateur de la science moderne. L’évolution de la science se ferait, selon
d’Alembert, de Bacon à Newton en passant par Descartes et il utilise ici la notion de
« révolution scientifique » (qui est déjà présente chez Fontenelle au début du XVIIIe). Kant,
Laplace et Cournot reprendront, selon Brenner, cette conception classique de la science.
– Ce qui est retenu de Bacon est la nouvelle méthode (contre la scolastique) qui veille à
recueillir et provoquer l’expérience.
– Le cartésianisme constitue le véritable aboutissement de la révolution.
– L’apport de Newton est d’avoir fixé la méthode de la science. Laplace, dans son Exposition
du système du monde s’inspire de d’Alembert et reprend le même schéma de développement
de la science.
– Quoi que prétende Comte, il serait, selon Brenner, très proche de la conception classique
de la science puisqu’il y aurait toujours l’évolution de Kepler à Descartes (passage de
l’état théologique à l’état religieux), puis à Newton (l’état positif de la science).
– Il faut remarquer que le vocable d’induction n’est pas fixé dans ces descriptions classiques
de la science (Ampère utiliserait même le terme de déduction dans un sens identique).
Toutefois, la notion qui est utilisée par d’Alembert, puis par Comte est celui de de fait
(alors que Newton utiliserait le terme de phénomène). La conception newtonienne serait
donc consolidée en passant de ce qui apparaît (phénomène) à ce qui est constaté (fait).
– D’Alembert fait également référence à Locke et à la généralisation à partir de l’expérience.
C’est ce qui fait dire à Brenner que la méthode décrite par d’Alembert est inductiviste.
– C’est cette méthode qu’Ampère prétend illustrer avec sa théorie électrodynamique.
– Si Duhem ne donne jamais d’indication sur l’origine de l’idée du passage inductif des lois
de Kepler à celles de Newton, il semble qu’il fasse référence à une position communément
reçue. On la trouve notamment chez Laplace et Comte. Milhaud note que Mill développe
aussi la même interprétation. Chacune des lois de Kepler fournirait un élément empirique
nouveau.
– L’expérience cruciale remonte à Bacon même si elle est appliquée de façon rigoureuse
pour l’expérience de Foucault et celle de Wiener. Duhem souligne le lien entre ce type
d’expérience et l’inductivisme (Milhaud et Le Roy s’accordent également sur ce point et
Poincaré développe une forme d’inductivisme renouvelé avec la notion de convention et
par l’encadrement qui est fait par le calcul de probabilité).
Voici les principaux traits de l’attitude des conventionnalistes face à la conception classique
de la science qui a été décrite par Brenner :
– Poincaré ne cite presque jamais ces prédécesseurs. En physique, il semble bien rejeter le
mécanisme de l’astronomie classique et le réalisme naïf. Le rejet de la physique des forces
centrales se traduit par un ralliement à un nouveau programme physique et à une épistémologie qui l’accompagne. Poincaré critique la portée de l’expérience de Wiener et dans
La science et l’hypothèse il critique les prétentions d’Ampère de fonder l’électrodynamique
24
uniquement sur l’expérience en soulignant l’existence d’hypothèses inconscientes.
Poincaré critique également la classification des sciences de l’Encyclopédie et de Comte
en s’opposant à l’empirisme géométrique de Helmholtz. La définition des trois types
d’hypothèses (contre Comte pour qui l’hypothèse ne doit être qu’une anticipation de
l’observation future, hypothèse dont on pourrait se passer avec une théorie constituée ;
Comte se méfie des hypothèses explicatives comme celle de Laplace) a pour but de s’opposer
à la conception classique de la science.
– Duhem a une pratique historique bien plus documentée et précise que celle de Poincaré et
il cite bien plus. Brenner compare alors la démarche de Duhem à celle de Poincaré car on
retrouve dans La Théorie physique une critique l’expérience cruciale attribuée à Bacon
ainsi qu’une critique des prétentions d’Ampère. Duhem rattache cependant tout cela à sa
thèse holiste. Duhem et Poincaré partagent une critique d’un fondement purement inductif
de la science et l’importance de la théorie dans certaines hypothèses.
– Milhaud est l’un des seuls à avoir parlé explicitement de Comte dans son livre de 1902
intitulé Le positivisme et le progrès de l’esprit : étude critique sur Auguste Comte. Il
critique la position trop empiriste et trop inductiviste de Comte et il insiste sur la part de
création scientifique qui dépasse ce qui est simplement donné dans l’expérience. Comte est
finalement rejeté du côté des Lumières. Toutefois, Milhaud reprend une partie de l’analyse
contienne en décrivant un « quatrième état » de la science qui est lié au conventionnalisme
(d’ailleurs, Comte dépasserait parfois ses analyses, selon Milhaud, pour cerner le rôle de
décisions volontaires dans la constitution de la théorie).
Deux grandes thèses sont explicitées par Brenner pour illustrer l’étendue de la rupture avec
la conception classique de la science :
1. La thèse poincaréenne de la nature conventionnelle des principes scientifiques. Il y aurait
rupture avec la tradition kantienne mais aussi avec les autres voies traditionnelles. Les
hypothèses géométriques ne seraient ni analytiques, ni empiriques, ni synthétiques a priori.
2. La thèse duhémienne de la nature conventionnelle du caractère global du contrôle expérimental. Cela signifie que le critère de l’expérience est moins puissant et plus complexe
qu’on ne le pensait. La réfutation expérimentale ne permet pas d’isoler une hypothèse et
l’opposition de deux théories ne répond pas au principe du tiers exclu car une nouvelle
théorie pourrait être introduite.
Selon Brenner, l’unité du mouvement conventionnaliste apparaîtrait dans sa
dimension critique vis-à-vis de la conception classique de la science. Selon Brenner,
la vision de la science était auparavant relativement homogène et close alors qu’avec
le mouvement conventionnaliste on passerait à une épistémologie ouverte, plus
exigeante et plus complexe.
C.2.2. Le conventionnalisme en tant que courant de pensée.
Deux textes fourniraient le point de départ de la réflexion conventionnaliste : « Les géométries
non euclidiennes » de Poincaré et « Quelques réflexions sur la physique expérimentale » de
Duhem.
Poincaré est l’aîné des conventionnalistes, il est membre du jury de thèse de Duhem et de
Milhaud ; Le Roy est son élève.
Brenner insiste sur le fait qu’il ne faille pas réduire le conventionnalisme au ralliement aux
idées de Poincaré car il y a notamment des désaccords qui l’opposent à Duhem et cela reviendrait
à minimiser l’apport lié à l’histoire des sciences.
– Poincaré et la notion de convention, « Les géométries non euclidiennes », 1891. Première
occurrence de la notion de convention pour qualifier les postulats de la géométrie. Rejet
de deux solutions classiques, celle de Kant et celle de Mill. Poincaré trouve une solution
25
originale qui s’écarte de l’alternative traditionnelle entre a priori et empirique. Brenner
analyse alors le rôle des fictions dans l’œuvre de Poincaré.
Brenner souligne également le rapport ambigu à Kant (rejet du statut des axiomes et
reprise du vocabulaire). Kant n’est cité qu’une fois dans La Science et l’hypothèse et il
n’y a qu’une série de remarques liées à Kant dans Science et méthode. Poincaré souligne
toutefois la fécondité de la notion de synthétique a priori à condition de la déplacer dans
le domaine de l’arithmétique et de l’analyse. Brenner met en garde contre l’appellation
« kantisme de Poincaré » en insistant sur les modifications faites par Poincaré.
Poincaré ne cite jamais Kant et Brenner insiste sur l’idée que Poincaré fait référence à
Kant tel qu’il a été compris à son époque. Poincaré signale notamment trois auteurs :
Calinon, Lechalas et Renouvier. Par la suite, Couturat, Milhaud et Le Roy rejoindront le
débat. Brenner esquisse très (trop) brièvement (une page) le contenu du débat. Poincaré
utiliserait la référence à Mill pour penser le statut de la géométrie mais il ne le suivrait
pas entièrement dans son empirisme. Contrairement à Mill, il affirme que l’existence en
mathématique signifie seulement la non contradiction. Poincaré s’opposerait alors à Mill
comme à Kant. Brenner souligne le fait que la notion de convention ne soit pas introduite
à la légère mais soit introduite tout particulièrement dans le contexte qui est celui de
la réflexion sur les fondements des géométries non euclidiennes et du rapport entre les
axiomes de la géométrie et la réalité. Cependant, Brenner insiste sur l’idée que la notion
de convention est étendue à la physique. Brenner met en garde contre la distinction entre
commode et convention. L’un n’est pas synonyme de l’autre et le premier serait antérieur
dans les écrits de Poincaré. La commodité n’implique ni un écart avec l’apriorisme ni un
écart avec l’empirisme.
– Duhem, et l’analyse de la méthode expérimentale, « Quelques réflexions sur la physique
expérimentale », 1894. Duhem utilise dans cet article (et indépendamment de la pensée
de Poincaré) la notion de convention. Toutefois, il sera plus prudent dans l’usage de ce
terme par la suite (il aura même tendance à l’éviter). Brenner insiste sur l’idée que Duhem
précède Poincaré dans l’usage philosophique du terme de convention.
Cet article est le lieu de la rupture avec l’inductivisme et de la première formulation du
holisme de Duhem. Il y est clairement distingué l’observation et l’interprétation dans une
même expérience et l’exemple de l’expérience de Regnault est déjà donné. La théorie
physique est clairement analysée comme représentation symbolique de l’expérience (il ne
s’agit pas seulement de la précision d’une expérience mais de sa correction).
C’est dans ce même article que sont analysées les expériences de Foucault et de Wiener.
C’est à l’occasion de cette dernière que Duhem va développer sa thèse holiste. Duhem
reprend donc ici la même critique que celle qui avait été adressée par Poincaré (le holisme
de Duhem s’inscrit donc dans une reprise de la critique de l’expérience cruciale qui avait
déjà été formulée en partie par Poincaré). Toutefois, Poincaré n’allait pas aussi que Duhem
puisque ce dernier réfute la possibilité de l’expérience cruciale alors que Poincaré continuera
à utiliser ce terme (ou la notion voisine d’expérience décisive notamment dans La Science
et l’hypothèse). Cette distance prise avec Poincaré fournira la base d’une controverse.
– Milhaud, dans « La Science rationnelle » (1896) tire toutes les conséquences générales de
la position de Poincaré et de Duhem où l’on remarque plusieurs occurrences de la notion
de convention associée à la thématique du choix et de la liberté. C’est lui qui souligne la
parenté entre la thèse de Duhem et celle de Poincaré. En pensant à Boutroux et à Bergson,
Milhaud introduit également la notion de contingence (Duhem et Poincaré seront réticents
vis-à-vis de ce terme).
Duhem attribuera à Milhaud la thèse selon laquelle certaines hypothèses physiques recouvrent en fait des définitions.
Avant même Poincaré, il étend le conventionnalisme des axiomes de la géométrie à la
26
physique.
Alors que l’article de Duhem de 1894 ne contient aucun développement sur la critique de
l’inductivisme, la théorie physique développera une telle analyse et même si Duhem ne le
mentionne pas, on trouve déjà dans l’article de Milhaud une telle critique à partir de la
base fournie par le holisme de Duhem.
– « Le positivisme nouveau » de Le Roy voit également la parenté entre les thèses de Duhem
et celles de Poincaré. Il perçoit l’ébauche d’un mouvement intellectuel. Le Roy prend fait
et cause pour Bergson et s’inscrit dans le programme de Comte à condition de le rénover.
En cela, il donne des racines philosophiques au mouvement conventionnaliste.
C.2.3. La controverse Poincaré-Duhem.
– Brenner insiste d’abord sur la réception conjointe de Duhem et Poincaré en Autriche et
en Allemagne à travers la thèse conventionnaliste de la libre création de certains énoncés
scientifiques. De même, le lien avec le pragmatisme de James a souvent été évoqué et
les épistémologues américains discuteront également ces deux auteurs. Cette influence
s’explique par les deux thèses fondamentales que sont :
1. La nature conventionnelle des hypothèses.
2. Le caractère systématique des connaissances scientifiques.
– Duhem s’opposerait à Poincaré car le premier serait déductiviste alors que le dernier serait
inductiviste. Dans La Théorie physique Duhem prend explicitement le parti de Le Roy
contre Poincaré.
– Dans son article sur « La nature du raisonnement mathématique », Duhem semble vouloir
lancer une polémique contre Poincaré (celui-ci ne pourra jamais répondre puisqu’il meurt
peu après).
– Au congrès international de philosophie de 1900, Hadamard aurait opposé à Poincaré
l’argument holiste de Duhem concernant les principes de la mécanique.
– Poincaré et Duhem s’accusent mutuellement de verser dans l’empirisme et de ne pas
accorder suffisamment de valeur à la théorie.
– Puisque Poincaré et Duhem n’ont jamais vraiment explicité ni discuté leurs divergences,
cela se fait essentiellement par l’intermédiaire de Le Roy et Hadamard.
– L’article de Duhem sur le raisonnement mathématique refuse le statut du raisonnement
par récurrence accordé par Poincaré. Selon Milhaud ce serait l’unité de la science qui
serait menacée par l’attitude de Poincaré selon laquelle l’arithmétique et l’analyse se
verrait attribuer un statut spécifique. Poincaré réalise alors une classification des sciences
rapprochant la mécanique et la thermodynamique de la géométrie. Duhem refuserait ce
rapprochement car il maintiendrait toujours une distinction tranchée entre mathématique
et physique.
– Dans le fond, la raison du désaccord touche en partie au choix de leur paradigme scientifique
respectif. La Science et l’hypothèse établit un rapprochement entre thermodynamique et
mécanique (car comme en géométrie, la notion de convention y jouerait un rôle fondamental)
et Poincaré les classe dans la rubrique science théorique. Poincaré s’éloigne de l’énergétisme
de Duhem et pourra se rallier en 1911 à la théorie des quanta.
– Poincaré défendrait surtout l’autonomie de certaines hypothèses et contre Le Roy, Poincaré va approfondir un inductivisme dans lequel les faits scientifiques ne sont qu’une
transcription technique des faits bruts. Il n’y aurait alors pas de décalage entre les deux
(contrairement à ce qu’affirmera Duhem).
– Finalement, Poincaré défendrait une thèse inductiviste et probabiliste (car il est impossible
de vérifier tous les cas particuliers et on obtiendrait simplement une probabilité de vérité)
– Selon Duhem, l’ordre logique de la création d’une théorie suit 4 étapes :
27
1. La définition et la mesure des grandeurs physiques.
2. Le choix des hypothèses.
3. Le développement mathématique.
4. La comparaison avec l’expérience.
Or il est à remarquer que La Théorie physique ne suit pas cet ordre. L’étude du choix
des hypothèses est rejeté à la fin et c’est l’étude de la comparaison avec l’expérience
qui donne lieu au traitement le plus important. Par rapport à l’article de 1894, Duhem
ajoute une critique de l’induction probablement inspirée de Milhaud. Il prend également
le partie de Le Roy contre Poincaré. Toutefois, Brenner insiste sur l’idée que Duhem
veut éviter le conventionnalisme radical avec son holisme bien compris. Le holisme fait
rejaillir la réfutation expérimentale sur l’ensemble de la théorie et il est donc possible
de changer n’importe quelle hypothèse. Contre l’affirmation de Poincaré selon lequel le
principe d’inertie ne pourrait être rejeté par l’expérience (ce qui en fait une convention)
Duhem insiste sur la possibilité d’un contrôle indirect et global par l’expérimentation.
– La mathématisation introduirait selon Duhem un élément idéal et symbolique incompatible
avec l’inductivisme.
C.3
Deuxième partie : La réception.
C.3.1. La lecture du conventionnalisme.
– Le conventionnalisme comme mouvement vivant prend fin avec la grande guerre.
– Le conventionnalisme était lié à la thermodynamique et à l’électromagnétisme. La physique
atomique et les quanta représentent des apports nouveaux.
– Avec le bergsonisme, la phénoménologie et l’existentialisme, la philosophie française semble
bien se détourner de la science.
– Pourtant, il y a deux figures de proue de l’épistémologie française : Bachelard (constitue
une philosophie historique) et Koyré (constitue une histoire philosophique).
– Les précurseurs : Brunschvicg (qui aurait relancé le néo-kantisme), Meyerson (notamment
pour Koyré) et Abel Rey (directeur de thèse de Bachelard).
Koyré prend également Duhem comme interlocuteur principal pour réfuter son continuisme.
Bachelard souhaite également se démarquer de Poincaré (dont une forme de pragmatisme
semble le gêner) tout en accusant Duhem d’avoir été trop radical.
Il y aurait des points de convergence selon Brenner : l’importance de la théorie, la critique
de l’inductivisme, la méthode des erreurs en histoire, la théorie de l’instrument, la reprise
de la notion de représentation.
– Il y a également eu des échanges entre les conventionnalistes et les positivistes viennois
(Duhem reconnaît la valeur des analyses de Mach). Il y a une relation privilégiée avec
l’épistémologie viennoise qui est créée (correspondance entre Mach et Duhem ; entreprise
de traduction mutuelle) ; Mach a dû lutter contre le néokantisme au début de sa carrière.
Malgré les similitudes entre Duhem et Mach, le premier s’éloigne de la définition de la
théorie du dernier (comme représentation économe pour la pensée) en introduisant la
thématique de la classification naturelle.
– Les positivistes logiques pourront alors rectifier l’empirisme un peu étroit de Mach grâce
à la philosophie des sciences française, en s’inspirant de Duhem et Poincaré. Les néokantiens du premier cercle de Vienne voit en Poincaré un allier (en négligeant peut-être
les transformations profondes qu’il fait subir aux notions kantiennes).
Le cercle de Vienne est un lieu de réunion entre philosophie et sciences (on y trouve
Schlick, Hahn, Neurath et Frank). Le conventionnalisme se diffuse justement pendant la
création du cercle de Vienne et Poincaré et Duhem constitueraient la préhistoire du cercle.
28
Avec Kant et Mach, le conventionnalisme aurait joué un rôle fondamentale auprès de
l’épistémologie viennoise.
C.3.2. Du conventionnalisme au positivisme logique.
Brenner montre que les références à Poincaré et Duhem sont explicites chez les membres du
cercle de Vienne et il essaye notamment de circonscrire l’influence du conventionnalisme chez
Carnap et Popper.
C.4
Troisième partie : L’héritage.
C.4.1. Mérites et limites de l’analyse logique.
– L’attention sur le volet logique dans l’analyse de la science aurait conduit à sous-estimer
la portée des analyses historiques présentes chez les conventionnalistes. Or c’est une des
raisons pour lesquelles le postpositivisme utilisera aussi le conventionnalisme.
– Poincaré refuse notamment la réduction des mathématiques à la logique et il s’oppose en
cela à Russell.
– Brenner prend l’exemple de l’analyse de la mesure pour souligner les différentes approches
possibles. Duhem, notamment, analyse finement la démarche logique qui préside à la
possibilité de la mesure.
Poincaré développe également un usage intensif de l’outil mathématique pour penser le
continu et les dimensions spatiales.
– Toutefois, chez Duhem, l’analyse logique prendrait son sens par rapport à l’histoire. La
logique n’est pas suffisante chez Duhem car elle ne permet pas de parfaitement rendre
compte du choix des hypothèses, et de la critique de l’expérience (qui implique un rejet
partiel dans lequel on ne saurait être guidé par l’expérience). La réfutation expérimentale
ne saurait être réduite à la démonstration par l’absurde. Deux thématiques sont alors
importantes pour Duhem : celle du bon sens, celle de la nécessité d’une prise en compte
du développement historique pour montrer que les théories ne viennent pas de nulle part.
C.4.2. Pour l’histoire.
Kuhn, Feyerabend et Lakatos appartiennent à une école historique ou postpositiviste. Or
certaines thèses conventionnalistes sont utilisées par ces philosophes contre le positivisme logique :
la thèse holiste dite de Duhem-Quine, l’importance de la méthode historique. Toutefois, il faut
noter que pour le postpositivisme, la démarche historique s’oppose radicalement à l’approche
logique. Il y a également chez eux une critique du continuisme (Duhem avec sa métaphore du
corps vivant insiste sur la notion de progrès continu).
Pour Duhem, l’étude du passé éclaire les hypothèses scientifiques et l’histoire peut avoir un
rôle pédagogique mais surtout philosophique. Dès qu’il est question de la genèse de certaines
notions, l’approche se doit d’être historique (et peut être aussi psychologique comme c’est le cas
chez Poincaré). Brenner remarque l’importance de Tannery pour la constitution de la discipline
qu’est l’histoire des sciences. Il serait le précurseur du conventionnalisme en matière d’histoire
des sciences. Duhem aurait alors construit une véritable « épistémologie historique ».
Brenner voit dans l’usage que Poincaré fait de la fiction le même rôle que l’usage de l’histoire
chez Duhem. Il s’agirait de regarder les principes actuellement admis comme étant contingent.
Chez Duhem, l’histoire permet également de comprendre le cheminement de la science et permet
d’éviter l’association de la convention avec l’arbitrarité (Duhem évite la notion de convention).
S’il y a choix théorique, ce choix n’est pas intégralement arbitraire. Penser l’histoire d’un principe
permet de souligner le caractère progressif de l’évolution de la science et des hypothèses (Duhem
29
prend l’exemple de l’histoire de la gravitation et sa préparation dans la science du Moyen-Age à
travers le concept d’impetus). Ce à quoi s’oppose Duhem est l’idée de « création soudaine et
arbitraire ». De même, la spécificité de la science moderne ne peut être pensée que par le recourt
au contraste historique dans l’étude de sa genèse. En comprenant que les concepts modernes
sont le résultat d’une longue maturation, Duhem ouvre alors tout un programme de recherche
historique (d’où la nécessité de débuter une étude de l’histoire des sciences par la physique
aristotélicienne). Il y aurait une lacune dans la pratique de l’histoire des sciences chez Duhem
qui se trouverait dans l’absence d’une étude précise du processus de mathématisation de la
physique. Cela expliquerait alors que Duhem ait parfois surévalué la parenté entre certains
concepts.
D. Martin, Pierre Duhem, Philosophy and History in the
Work of a Believing Physicist
L’approche est radicalement différente de celle de Brenner puisqu’il s’agit de contextualiser la
pensée duhémienne par le biais de sa posture religieuse. Il s’agit de comprendre les implications
du catholicisme de Duhem dans le contexte historique de l’époque.
D.1 Introduction
– Duhem vient d’une famille catholique fervente.
– Duhem n’est pas une figure mineure et Martin veut montrer qu’il est même une figure
majeure en philosophie et en histoire des sciences. Toutefois, Martin souligne le caractère
ambigu voire inconsistant des thèses de Duhem liées à sa critique du réalisme et de
l’instrumentalisme qui laisse peu de place à une troisième voie. Et quand Duhem introduit
certaines notions pour échapper à l’alternative réalisme/instrumentalisme (classification
naturelle, rôle du bon sens et de l’esprit de finesse, importance de la science médiévale et
du catholicisme dans son développement) on ne peut s’empêcher de penser qu’il y a un
arrière fond dans la réflexion. Martin souligne alors que les affirmations de Duhem dans
« Physique de croyant » n’ont pas fait disparaître cette suspicion.
– Martin insiste sur le fait que Duhem ait alors été associé au développement du néo-thomisme
dominé par la pensée catholique (Nye, moral freedom).
– Duhem serait souvent accusé de défendre l’indéfendable.
– Martin propose alors un fil d’Ariane permettant d’interpréter la cohérence de l’œuvre
duhémienne et de comprendre ses développements. Ce fil d’Ariane serait le catholicisme
de Duhem.
– Il est toutefois précisé que le catholicisme de Duhem ne doit pas être galvaudé et qu’il
convient d’en comprendre la spécificité pour que son œuvre devienne compréhensible. Or
cette spécificité supposera d’éloigner Duhem notamment du néo-thomisme.
– Martin identifie deux démarches apologétiques habituelles qui sont deux types susceptibles
de combinaisons et d’adaptation :
1. L’autoritarisme rigide. Cette attitude suppose que l’autorité ecclésiastique ne soit
pas ambigüe et qu’elle précise ce qui est bien et ce qui est mal. A l’époque de Duhem,
l’essort d’une scolastique thomiste a pour but de soutenir l’autorité ecclésiastique en lui
fournissant des arguments. La carrière et l’attitude de Duhem sont souvent expliquées
en ce sens. Martin souligne toutefois que son interprétation va à l’encontre de celle-ci
puisque Duhem fut souvent amené à discuter ses positions avec ses collègues et qu’il a
souvent pris la voie, au risque d’avoir des problèmes avec les catholiques orthodoxes,
d’un catholicisme ouvert au dialogue. Le but de Martin est donc de montrer que
l’attitude catholique de Duhem est à penser sur le fonde du néo-thomisme et du
30
positivisme de l’époque afin de comprendre la stratégie et la portée de sa réflexion.
2. Le dialogue ouvert et non autoritaire.
D.2 A catholic in a hostile world. Dans la continuité de Popper, Martin insiste sur
l’importance de problèmes non philosophiques pour le développement de la pensée philosophique.
Martin retrace alors à grands traits le contexte de l’époque.
– Révolution française laissant les catholiques hostiles à la République.
– Les protestants ont le plus profité de la politique républicaine.
– Duhem est décrit par sa fille comme légitimiste (défend les Bourbon contre Bonaparte et
les orléanistes). Dans le contexte politique tendu, toutes les disputes devenaient alors des
tests de loyauté.
– Martin souligne également la difficulté de compréhension qui est liée aux différentes
alliances des catholiques. Il prend l’exemple de l’engagement auprès de l’action française de
Charles Maurras (qui gagne son succès avec l’affaire Dreyfus) ou l’alliance avec Boulanger
sous prétexte de paver la voie à la restauration des Bourbon. Martin évoque les revirements
des alliances avec l’armée (d’abord à tendances républicaines puis symbolisant l’autorité).
– Martin évoque également l’ambiguité de l’alliance entre les catholiques et les couches
sociales défavorisées (contre l’alliance traditionnelle entre catholicisme et aristocratie).
– L’engagement ou la sympathie de Duhem auprès de l’action française serait problématique
car Duhem est ami avec de nombreux juifs et notamment avec Hadamard qui est un des
acteurs de la révision du procès Dreyfus. Martin insiste sur la relation entre Duhem et
Blondel pour éloigner Duhem de sa relation habituellement affirmée avec les catholiques
proches de Mauras.
– Martin insiste sur une lettre fondamentale qui fournirait le fil d’Ariane permettant de
comprendre l’influence de la foi de Duhem dans sa réflexion.
La lettre est celle que Duhem adresse en 1911 à J. Bulliot, professeur de scolastique et de
philosophie à l’Institut catholique de Paris (il y en a une reproduction dans la biographie
faite par sa fille et dans l’ouvrage de Brouzenc).
Duhem avance deux principaux problèmes adressés à la foi catholique :
1. L’affirmation de l’opposition historique de l’Eglise au progrès scientifique. Cela
implique un défi historique.
2. La prétention de la supériorité de la rigueur des preuves scientifiques comparée à la
foi religieuse. Cela implique un défi philosophique.
– Duhem pratiquerait alors une perspective apologétique affirmant la non pertinence de la
prétention de la supériorité de la science (« non sequitur apologetic »).
Martin montre que d’une certaine manière la critique duhémienne n’est pas nouvelle et
que le positivisme de Comte insistait déjà sur l’impossibilité pour la preuve expérimentale
de prouver la nature intrinsèque des choses. Pour Comte, la notion de cause devait être
éliminée de la démarche positive. Le risque de la démarche positive est de conduire à une
forme d’instrumentalisme abandonnant l’idée de vérité. Martin insiste alors sur la nécessité
de prendre en compte la dimension réaliste de la thèse de Duhem (d’où la nécessité de
prendre en compte l’évolution depuis l’article de Duhem de 92 qui est aussi proche qu’on
peut l’être de l’instrumentalisme dont l’exemple est l’utilité de la notation atomique en
chimie).
– Martin insiste sur un point fondamental qui est l’opposition catholique à la perspective
duhémienne. Cette opposition est représentée par Vicaire qui critique très largement la
position de Duhem en 1892.
– Dans « L’Ecole anglaise et les théories de physique » Duhem répond à Vicaire et introduit
la notion de classification comme espoir de saisir les relations réelles entre les choses. Il
31
s’agirait alors d’une forme de réalisme pensée à partir de prémisses positivistes (c’est la
thèses de Maiocchi).
D.3 Defending catholic authority. L’enjeu des arguments de Duhem serait bien de
souligner l’impotence de la science comme argument anti-religieux et notamment l’impossibilité
d’affirmer la science comme étant supérieure à la foi.
Selon Martin, tout le problème est que la position de Duhem ne conduit pas directement à
la croyance catholique et à la soumission au pouvoir ecclésiastique. Au contraire, la séparation
de la métaphysique et de la physique tend à limiter les domaines respectifs de la foi et de la
science en empêchant d’utiliser ses arguments pour prouver une quelconque croyance. Martin
parle alors d’une « apologie négative ». Or l’autorité ecclésiastique aurait plutôt recherché des
arguments non seulement contre les prétentions des positivistes - qui nieraient la possibilité de
la religion - mais surtout pour emporter l’adhésion à la foi catholique.
L’article de Duhem « Physique de croyant » ôte d’ailleurs toute possibilité de se servir de la
science pour ou contre la foi. Cette position serait alors en opposition flagrante avec les formes les
plus populaires de l’apologétique catholique. Pour illustrer la position habituelle, Martin évoque
la querelle autour de l’affirmation de Brunetière en 1895 autour de la « faillite de la science ».
Maurice Hulst (recteur de l’institut catholique de Paris) serait intervenu pour souligner les
dangers de cette idée de la faillite de la science pour l’apologie catholique. Un autre exemple de
querelle serait celle liée à l’affirmation de Blondel (dans ses lettres sur l’apologie) selon laquelle
la science serait inutile pour un but apologétique. Duhem se serait même explicitement opposé à
l’usage de la science dans l’apologie catholique lors d’un congrès catholique de Bruxelles (1895).
Martin en déduit que la position de Duhem est aussi bien une physique de croyant qu’une
physique d’athée et c’est ce qui poserait problème aux catholiques orthodoxes.
Martin cite alors différents textes officiels du catholicisme pour souligner la spécificité la
position de Duhem (et aussi son caractère marginal par rapport à la position officielle) :
– Martin fait la différence entre fidéisme et obédience rationnelle pour spécifier la position
de Duhem. Il fait alors référence à l’encyclique Pascendi Dominici Gregis de 1907 au
nom du Pape Pi X. Cette encyclique condamne les hérésies du modernisme associé à
l’agnosticisme et à la séparation entre science et foi. Il s’agit pour l’encyclique de défendre
la théologie naturelle et les motifs de la croyance. Il y a alors une suspicion assez forte qui
pèse sur le fidéisme séparant science et religion. Si Duhem n’est pas explicitement cité
dans l’encyclique, on voit assez mal comment sa conception de la théorie physique peut
être compatible avec une théologie naturelle. Au contraire, il défend une séparation ne
laissant place qu’à un fidéisme ou à un athéisme.
– Le premier concil du Vatican en 1870-1871 est connu pour l’affirmation du dogme de
l’infaillibilité papale mais aussi sur la condamnation d’anathème pour quiconque refuse la
possibilité de la connaissance de Dieu par la raison. Il ne s’agit évidemment pas d’accéder à
la connaissance de l’entendement divin mais bien à la connaissance que Dieu existe et qu’il
a créé toute chose. En défendant une conception de la théorie physique qui mine la théologie
naturelle, Duhem se rend suspect d’hérésie et de fidéisme (F. Mentré a explicitement tiré
ces conclusions en insistant sur les sources pascaliennes chez Duhem). Vicaire a également
cerné ce qu’il appelle « le poison du scepticisme » et s’est dit surpris que l’ouvrage de
Duhem paraisse dans la Revue des questions scientifiques qui est une revue catholique.
– L’encyclique de 1878 Aeternis Patris de Léon XIII défend la véritable philosophie qui est
la scolastique associé à Saint Thomas et ses commentateurs. L’encyclique en question
conduisait à un programme théologique de rétablissement des cinq manières de prouver
l’existence de Dieu.
De nombreuses tentatives ont été faites au XIXe pour adapter des philosophies d’origines
non catholiques comme celles de Kant et Schelling et ont alors été condamnées pour n’avoir
32
pas respecté l’équilibre entre raison et foi. Pour les catholiques orthodoxes, la raison doit
offrir des motifs de croyance et préparer le sol pour la foi en l’Ecriture et en les décisions
du Concil. Il y aurait alors un équilibre délicat entre raison et foi.
Martin soulève alors une question importante qui est celle de l’implication de Duhem auprès
de l’aristotélisme. Il défend l’idée selon laquelle Duhem souhaiterait adapter l’aristotélisme avec
la pensée moderne (mais une telle position est rejetée par l’encyclique de 1907). Duhem se défend
tout d’abord contre Vicaire d’une implication purement positiviste de sa philosophie si celle-ci
doit être associée à un refus de toute connaissance n’ayant pas trait à la science. Toutefois, la
conception duhémienne ne peut pas être associée à la néo-scolastique d’un Maritain par exemple
puisque ce dernier fonde une hiérarchie des sciences dans laquelle la science architectonique est
la métaphysique. Si Duhem se rapproche de l’aristotélisme dans l’idée que le choix des qualités
premières et secondaires n’est que pragmatique, il s’en distingue par la définition de la physique
comme une science mathématique qui classifie et n’explique pas les phénomènes.
Martin analyse l’aristotélisme de Duhem en expliquant qu’il est présent dans les années
90 (dans Le Mixte ou dans L’Evolution de la mécanique), qu’il réapparait dans « Physique
de croyant » mais qu’il disparait ensuite des écrits de Duhem même s’il ne se rétracte pas
explicitement. Cela indiquerait selon Martin un rejet final de la néo-scolastique.
La distance avec la néo-scolastique apparaîtrait alors que Duhem étudie la science médiévale
(et il n’y aurait pas alors trouvé ce que le Pape pouvait attendre) et s’exprimerait notamment
dans le choix des lieux d’édition de son œuvre qui est essentiellement Les Annales de Philosophie
Chrétienne.
Lieux de publication de Duhem :
– Il a contribué à la Revue des questions scientifiques (Origines de la statique) et continue
pendant longtemps à fournir des articles dans cette revue.
– La Revue de Philosophie est déterminée comme néo-scolastique et est notamment lancée
en 1900 (par Jean Bulliot) par Le mixte et la combinaison chimique. C’est elle qui publiera
également la Théorie physique. Cette revue deviendra l’organe en 1905 de la Société de
Saint Thomas (qui n’est pas appréciée par Duhem) et qui publiait jusque là dans les
Annales de Philosophie Chrétiennes
– En 1905 Duhem accepte de contribuer aux Annales de Philosophie Chrétienne alors
que cette revue est acquise par Blondel. L’orientation de cette revue est apologétique
depuis sa création en 1831 et jusque sa disparition en 1913. Sous l’impulsion de Blondel,
l’apologétique devient alors une discussion ouverte et en conséquence de son opposition à
l’Action Française la revue est mise à l’index. « Physique de croyant » est publié dans le
premier numéro de la revue à partir de l’acquisition par Blondel (avec le programme que
ce dernier publie) et Sauver les phénomènes est également publié ici. Cette publication
dans la revue de son ami de l’école normale serait le signe d’une certaine hostilité à la
néo-scolastique et à l’attitude autoritaire de l’apologétique catholique.
D.4 Inspiration from Pascal. Les références à Pascal souligneraient déjà un certain
éloignement de l’orthodoxie catholique. Picard (ami de Duhem) rapporte que Duhem avait été
étiqueté kantien alors qu’en réalité c’est de Pascal qu’il tirait son inspiration. (où Duhem
a-t-il était qualifié de kantien ?). Le contexte serait celui de l’opposition de Duhem à la
néo-scolastique au congrès de Bruxelles en 1895. L’inspiration de Duhem n’est donc ni kantienne,
ni dans la philosophie de Saint Thomas mais bien chez Pascal.
Martin reprend les problèmes de l’interprétation et les différentes orientations qui sont
données aux textes de Pascal. Il mentionne notamment le fait que Pascal était souvent vu
comme le défenseur du scepticisme. L’usage pascalien du scepticisme qui est vu à travers la
critique pascalienne de la portée de la raison pouvait paraître un scandale à la fois pour les
positivistes athées et pour les scolastiques comme Vicaire.
33
Martin souligne la parenté entre la démarche de Duhem et l’Esprit géométrique de Pascal.
Le problème central serait alors celui de la régression à l’infini et Pascal lui apporte la solution
de la différence entre la raison et le cœur (et Martin va souligner la parenté avec la position
duhémienne relativement au bon sens).
D.5 The appropriation of Pascal. L’appropriation de Pascal passe notamment par la
reprise de la thématique de l’esprit de géométrie et de l’esprit de finesse. Cette distinction lui
permet de qualifier l’école anglaise dans un double but :
1. Attaquer les incohérences des Anglais
2. Affirmer que la logique ne peut pas justifier la nécessité de la cohérence de la théorie mais
que seul le « sens commun » le peut.
Duhem illustre la différence d’esprit avec en plus du développement scientifique des exemples
empruntés à la littérature. Ce sont des passages qui peuvent paraître douteux, peu profonds,
chauvins et surprenants de la part de Duhem. En réalité, c’est une thématique assez récurrente
dans l’œuvre de Duhem depuis « L’école anglaise » jusque La Chimie est-elle une science
française et La Science allemande. Cette dernière série d’articles correspond à des conférences
réalisées dans le contexte de la guerre devant un parterre d’étudiants catholiques (et publiée
ensuite dans la Revue des deux mondes).
La Science allemande n’est pas seulement un écrit nationaliste de circonstance car c’est un
ouvrage qui s’inscrit parfaitement dans la cohérence de la pensée duhémienne sur la science.
Plus que cela, c’est un texte qui permet d’expliquer rétrospectivement le rôle de la référence à
Pascal dans La Théorie physique grâce à de nombreuses précisions sur les rôles attribués au
« sens commun ».
Les différents usages du sens commun :
– Il semble d’abord y avoir une incohérence dans la pensée de Duhem puisqu’il se moquait
de la méthode de Euler dans la Théorie physique puisque celui-ci prétendait faire appel au
sens commun pour justifier des hypothèses physiques alors que dans La Science allemande
Duhem insiste sur le fait que s’il est impossible de réduire au silence un adversaire par le
principe logique de contradiction on peut « l’excommunier » par le sens commun. En réalité,
le sens commun ne peut pas être utilisé dans les discussions scientifiques elles-mêmes car
il est un méat principe dont on peut se servir dans les discussions sur la science. S’il est
absurde de faire appel au sens commun pour justifier ou réfuter une hypothèse, il est
possible de l’invoquer pour étayer le souci de consistance d’une théorie scientifique.
– le bon sens est clairement distingué du sens commun. Dans la Théorie physique il est
question du sens commun ou plutôt de la « connaissance commune ». Elle est la source des
principes des mathématiques et de la métaphysique et elle s’accompagne d’une certitude
intuitive (ex. les axiomes d’Euclide car pour Duhem les autres géométries ne sont que
des jeux algébriques ; Duhem connaissait pourtant Klein et Beltrami et avait sans aucun
doute les capacités mathématiques pour comprendre les géométries non euclidiennes).
– Le sens commun joue également un rôle dans les sciences expérimentales et le bon sens
permet de décider quand une hypothèse a été réfutée ou non.
– Le bon sens permet également de savoir quelle hypothèse remplacer (l’exemple est celui
de Pasteur). Martin associe alors l’esprit de finesse avec le bon sens.
La science serait finalement un mixte de finesse/bon sens et de géométrie. Toutefois, l’équilibre
entre finesse et géométrie serait variable en fonction de la science en question et il y aurait
davantage de place pour la finesse en physique qu’en mathématiques. Il est important de noter
que les géométries non euclidiennes sont rejetées à partir de l’argument de la connaissance
commune qui porte le poids de la certitude intuitive.
Martin analyse alors la notion de classification naturelle qui constitue un aspect fondamental
de son épistémologie. Duhem critiquerait dans la Science allemande les classifications de Linnée
34
qui seraient arbitraires car fondées uniquement sur des principes mathématiques.
La référence au bon sens permettrait d’éviter le relativisme et la simple confirmation
probabiliste de la théorie. Or il est à noter que cette référence est très présente chez les penseurs
catholiques de l’époque (Martin donne l’exemple de Picard). Cette thématique du bon sens
serait, selon Martin, le signe d’un détournement d’Aristote pour aller vers Pascal. Martin affirme
également que l’autonomie de la physique relativement à la métaphysique serait un argument issu
de la distinction des ordres chez Pascal plus que d’Aristote (et cela confirmerait la distance que
Duhem prendrait avec la néo-scolastique). Duhem ne ferait toutefois pas référence explicitement
à cette distinction des ordres présente chez Pascal. Si cette autonomie de la théorie physique
est une thèse positiviste très commune à l’époque, elle est toutefois originale chez Duhem
à cause du rapport particulier que la théorie entretient avec l’expérience (cette dernière ne
pouvant logiquement ni infirmer ni confirmer une hypothèse isolée). Les néo-scolastiques, quant
à eux, chercheraient plutôt qu’une autonomie de la physique, à fonder une hiérarchie des savoirs
dominée par la métaphysique (Martin prend l’exemple de Maritain). Là où les néo-scolastiques
cherchent à unifier et à hiérarchiser, il semblerait bien que Duhem suive plutôt une séparation
de type pascalienne.
D.6 The shape of a pascalian methodology. Martin souhaite montrer que la référence
à Pascal permet de rendre compte, de manière cohérente, non seulement de l’autonomie de la
physique mais aussi de l’intégralité du travail de Duhem et notamment son aspect historique.
Tous les travaux de Duhem seraient centrés sur une dialectique subtile entre géométrie et finesse.
– Martin analyse le plan de La Théorie physique pour montrer qu’il résulte de certaines
évolutions sensibles liées notamment au délai de publication de plus d’un an qui aurait
permis une évolution de la pensée de Duhem sur certains points. C’est notamment
l’approfondissement de ses études historiques qui l’aurait amené à certaines précisions.
La liste des étapes de la théorie physique semble d’abord extrêmement logique (voire
géométrique) puisque Duhem distingue :
1. La définition et la mesure des quantités physiques.
2. Le choix des hypothèses.
3. Les développements mathématiques de la théorie.
4. La comparaison entre la théorie et l’expérience.
Martin remarque justement que le plan de l’ouvrage ne correspond pas à ce découpage
puisque Duhem passe de 1 à 3 puis 4 en repoussant 2 à la fin de l’ouvrage (Martin
souligne également que le traitement de 3 n’est pas entièrement distingué de celui de 4).
Duhem justifie ce plan en invoquant l’idée que la connaissance de l’édifice scientifique est
nécessaire pour savoir quel genre d’hypothèse doit résider à son fondement. Martin voit
alors dans la notion de classification naturelle la clef de voute du plan de l’ouvrage. Car
cette notion permet d’éviter le caractère arbitraire de l’édifice théorique et celui-ci devient
le résultat d’un développement historique. Le renversement du plan serait donc motivé
par une définition implicite de la théorie physique comme classification naturelle et par
l’idée qu’il y a alors un développement historique de cette classification.
La construction de l’ouvrage se serait alors avérée problématique à cause du fait que
Duhem ait repris des éléments datant d’une dizaine d’années en même temps que ses
recherches les plus récentes lui faisaient préciser certains points cruciaux d’histoire des
sciences.
Par rapport à ces discussions avec Vicaire, les nouveaux matériaux de La Théorie physique
sont la mathématisation des qualités, les conséquences des déductions mathématiques et
le choix des hypothèses le tout associé à une nette augmentation de la référence au sens
commun, à l’esprit de finesse et à la classification naturelle. Il ne faut donc pas regarder
La Théorie physique comme une simple réédition d’articles plus anciens.
35
– L’usage des arguments pascaliens. Martin remarque qu’au nom du bon sens Duhem rejette
la possibilité de déterminer complètement la théorie par la pure logique mais qu’en même
temps il refuse avec le bon sens le fait qu’une théorie puisse exclure l’ordre logique. La
logique ne peut donc pas être le seul guide pour nos jugements, même en science. La
position de Duhem est alors originale puisqu’il commence par affirmer l’autonomie de la
physique (comme la plupart des positivistes de l’époque), puis par refuser la possibilité
d’une vérification expérimentale et enfin il introduit la nécessité d’une classification
naturelle guidée par l’histoire. Duhem échapperait dès lors à la fois au réalisme classique
et au positivisme instrumentaliste.
– Si Duhem refuse l’idée d’explication en physique, c’est dans le chapitre 2 qu’il introduit
son alternative non explicative. La classification naturelle se distingue de l’explication
non parce qu’elle ne contiendrait pas d’hypothèses mais parce qu’elle prétend simplement
fournir une représentation de l’arrangement ou des relations entre les phénomènes (et non
décrire la nature des choses en elles-mêmes).
– Le bon sens permet de fonder la rigueur déductive en justifiant la nécessité de la cohérence
logique d’une théorie et en évitant la régression à l’infini. Duhem concède d’ailleurs que le
bon sens n’est pas une faculté claire.
– Duhem défend la mathématisation des qualités ou du moins de l’intensité des qualités. Il
prend alors position relativement à la querelle des qualités premières pour montrer que ce
qui est laissé hors du domaine de la science est affaire de jugement intuitif. La référence à
Lavoisier pour la définition des éléments chimiques est ici remarquable puisqu’il les définit
comme ce qui n’a pas été, jusqu’à présent, analysé. De la même manière que certains corps
peuvent s’avérer ne pas être simples, certaines qualités, comme la chaleur, peuvent être
introduites dans la science.
– La mathématisation soulève également le problème de la mesure et de la précision dans
la mesure. La signification pour un physicien n’est pas exactement la même que pour un
mathématicien car ce dernier fait la différence entre des résultats extrêmement proches
alors que le premier ignore cette divergence de résultats.
– Martin fait référence à l’interprétation de Roberto Maiocchi relativement à la relation chez
Duhem entre théorie et expérience. Selon Maiocchi, la thèse de Duhem serait dirigée contre
les instrumentalistes de l’époque pour réhabiliter la notion de vérité. Cette conclusion
dépend en réalité de l’interprétation que l’on donne à la notion de classification naturelle.
Ce qui est certain ici est l’idée selon laquelle Duhem défend que la logique n’est pas le seul
guide pour nos jugements. L’expérience et la métaphysique ne permettent pas de trancher
pour savoir si une théorie a été falsifiée et Duhem nous laisse seuls avec notre bon sens.
Cet appel au bon sens permettrait notamment d’éviter l’interprétation de Le Roy et le
bergsonisme auquel ce dernier était affilié.
– Le dernier chapitre du livre - « Le choix des hypothèses » - serait alors, selon l’interprétation
de Martin, le point culminant de l’ouvrage de Duhem et serait laissé complètement à la
charge du jugement intuitif. En réalité, le problème du choix des hypothèses ne seraient
pas un véritable problème car il serait le résultat d’une évolution historique continue. C’est
pour cela que Duhem défend notamment une approche historique de l’enseignement.
D.7 Critical history and its assumptions.
– Le dernier chapitre de La Théorie physique contient un long passage sur l’attraction
universelle d’Aristote à Newton pour défendre la thèse que les hypothèses scientifiques ne
sont pas le résultats de créations soudaines mais sont plutôt le résultat d’une évolution
progressive. Il veut également montrer (ce qui aux yeux de Martin est plus discutable)
que les scientifiques ne choisissent pas véritablement les hypothèses.
– Pour souligner sa thèse continuiste, Duhem utilise en général le langage de la germination
36
et il fait ici référence implicitement à Louis Pasteur (le laboratoire de Pasteur était à
l’Ecole Normale lorsque Duhem y était élève) et la critique de la génération spontanée.
– L’intérêt de Duhem pour la science médiévale peut en partie être expliqué par sa thèse
continuiste. Quoi qu’il en soit, cet intérêt tranche clairement sur l’attitude la plus fréquente
à l’époque envers le Moyen-Age (notamment l’attitude des positivistes).
– Dès 1888, Duhem commence à écrire sur l’histoire des sciences puisque sa thèse est
accompagnée d’un résumé historique. La plupart de ses articles ultérieurs contiennent
également des aspects historiques indéniables.
– Martin s’intéresse notamment à L’Evolution de la mécanique où il commence par un
résumé des positions principales du 17e siècle (résumé qui dépend en grande partie des
analyses d’Arthur Hannequin). Duhem distingue alors :
1. Les cartésiens (qui s’opposent aux aristotéliciens) qui prétendent réduire toute la
physique à l’étendue pour s’intéresser uniquement à la forme et au mouvement.
2. Les atomistes, comme Gassendi et Huygens, pour lesquelles le programme cartésien
aurait semblé trop restrictif.
3. Les newtoniens pour lesquels l’atomisme était lui aussi trop restrictif faute d’introduire
les notions de force d’attraction et de répulsion.
4. Avec Leibniz, il fallait introduire de surcroît la notion de dynamique liée à celle de
puissance.
Au 18e siècle on retrouverait une tension similaire avec Lagrange (1736-1813) et Poisson
(1781-1840) puisque le premier défend une théorie mathématique rendant compte des
interactions entre les corps macroscopiques indépendamment d’une quelconque supposition
sur la constitution de la matière alors que le dernier affirme quant à lui qu’il est nécessaire
de fonder la physique sur des propriétés corporelles découlant de la notion d’atome.
Il est remarquable que cet ouvrage de Duhem ne fasse aucune place à la science médiévale
(qui est purement et simplement passée sous silence). Seul Aristote est mentionné et on
peut faire l’hypothèse qu’à l’époque Duhem ne considère pas que le Moyen-Age ait ajouté
quoi que ce soit à la philosophie du stagirite.
Si Duhem pouvait être conscient d’un intérêt grandissant à son époque (notamment dans
les milieux catholiques) pour la scolastique, il est également indéniable qu’il considérait
le Moyen-Age comme scientifiquement inintéressant durant les vingt premières années
de sa carrière. En cela, Duhem ne fait que suivre les exemples de Mach et Dürhing qui
considèrent qu’entre Archimède et le 16e siècle il n’y a eu qu’un « désert historique ».
– Martin reprend alors en charge la question du rapport, chez Duhem, entre philosophie,
méthode et histoire des sciences. Martin fait alors référence à Lakatos pour souligner le
fait que la pratique de l’historien des sciences implique toute sa philosophie des sciences
ne serait-ce que pour la sélection et la présentation des matériaux.
Le dernier chapitre de La Théorie physique semble bien utiliser l’histoire des sciences
comme une illustration des thèses philosophiques de Duhem.
En 1913, lorsque Duhem postule pour devenir membre non-résident à l’Académie des
sciences, il affirme que les considérations logiques sur la méthode en physique ne peut
pas être jugées indépendamment de l’enseignement de l’histoire. Il affirme également que
l’histoire fournirait une confirmation de la fertilité de la méthode énergétique.
Comme Mach, Duhem utiliserait donc l’histoire des sciences comme un laboratoire permettant de tester la validité d’une thèse philosophique ou d’une méthode scientifique.
L’histoire pourrait alors être une reconstruction rationnelle visant la confirmation de la
philosophie des sciences et de la science elle-même.
C’est d’ailleurs dans cette perspective que s’inscrit L’Evolution de la mécanique puisqu’il
s’agit d’une critique de la méthodologie atomistique.
37
D.8 The discovery of medieval science.
– Publié un an après L’Evolution de la mécanique, Les Origines de la statique (deux volumes
publiés en 1805 et 1806) constituent l’apparition de l’intérêt de Duhem pour la science
médiévale. La structure de cet ouvrage marque la rupture dans la conception duhémienne
du Moyen-Age. En effet, les 4 premiers chapitres sont publiés sans altérations par rapport
aux articles d’octobre 1903 de la revue des Questions scientifiques. Ces premiers chapitres
ne portent pas d’attention particulière à la science médiévale, ce qui ne serait pas surprenant
pour un positiviste mais qui peut le sembler davantage de la part d’un catholique. Il y a
alors eu un délai de la part de Duhem pour la publication du second volume. Une référence
de Paul Tannery dans une lettre adressée à Duhem relativement à la statique l’aurait
obligé à faire de nouvelles recherches sur les origines de cette science.
– Duhem s’intéressant à des questions de priorité dans les découvertes scientifiques a donc dû
renouveler sa manière de faire la recherche en allant désormais lire les sources premières et
non plus secondaires. Cette augmentation de la bibliographie intéressant Duhem l’a alors
conduit à une tâche plus large qui est celle de l’étude des racines de la science moderne
dans la science médiévale. C’est dans ce contexte que Duhem est amené a s’intéresser
à la théorie médiévale de l’impetus et à l’origine du principe d’inertie (quelques trois
siècles avant Descartes). Duhem se voit donc forcé de changer en partie son rapport à
l’histoire car un véritable programme de recherche est ouvert là où il n’y avait avant cela
qu’une perspective d’illustration. Cependant, Duhem retrouve aussi dans ce programme
de recherche les racines même de sa méthode scientifique pour laquelle il faut séparer la
métaphysique de la physique.
– Martin parle alors d’une crise historiographique puisque Duhem ne peut plus se contenter
d’une reconstruction rationnelle de l’évolution de la science (qui suppose de considérer
l’évolution de la science comme étant en grande partie autonome) mais il doit également
envisager les raisons internes et externes de cette évolution. Duhem va donc accumuler
beaucoup de matériaux tant scientifiques que philosophiques ou théologiques.
D.9 Saving the phenomena and the system of the world.
– Sauver les apparences est probablement l’ouvrage le plus polémique de Duhem et celui
qui peut le plus facilement porter à confusion. Il a été interprété par les critiques aussi
bien comme positiviste, néo-scolastique, ou encore comme une apologie du catholicisme
romain. Or les deux premières interprétations sont impossibles à moins que Duhem soit
véritablement inconstant et la dernière ne peut pas cadrer avec la nouvelle politique
éditoriale des Annales de Philosophie Chrétienne dans lesquelles les articles ont d’abord
été publiés.
– Deux thèses sont bien connues : celle de la tradition considérant que l’astronomie a pour
seule nécessité de « sauver les apparences » et celle selon laquelle dans l’affaire Galilée,
la logique aurait été du côté de Bellarmine et du pape Urbain VIII. C’est la première de
ces deux thèses qui a valu à l’ouvrage d’être dit positiviste et c’est à la seconde qu’il doit
l’interprétation apologétique.
– Duhem cite explicitement diverses études portant sur le même sujet : celle de T. H. Martin
(qui semble être un catholique libéral intéressé par la théologie naturelle et ayant publié
dans les Annales sous Bonnetty), celle de Paul Mansion (catholique belge intéressé par
l’histoire des mathématiques) et celle de Schiaparelli. Mansion est l’auteur qui est ici
le plus intéressé par l’apologie du catholicisme et il avait déjà développé l’idée que la
tradition fondée sur la nécessité de « sauver les apparences » pouvait constituer un ancêtre
respectable pour les idées modernes et la physique mathématique. Mansion participe alors
au projet néo-scolastique et met l’accent sur saint Thomas comme figure essentielle entre
Ptolémée et Copernic.
38
– Duhem s’oppose à cette interprétation centrée sur la figure de saint Thomas d’Acquin. Cela
s’explique en grande partie par un changement d’attitude bibliographique dans laquelle
Duhem fait beaucoup plus attention aux sources primaires.
– Duhem ne voit pas le Moyen-Age comme étant uniquement l’ancêtre de sa conception
méthodologique, il est plus prudent et souligne le fait qu’il y avait déjà des débats autour
des questions méthodologiques de la portée des théories astronomiques.
– Duhem s’intéresse beaucoup plus à une histoire externaliste dans laquelle des conceptions
philosophiques et théologiques jouent un rôle central.
– Duhem voit chez les Anciens un débat entre une astronomie homocentrique héritée
d’Aristote et une astronomie des épicycles culminant dans l’Almageste de Ptolémée. Le fond
du débat serait alors de savoir si la théorie astronomique à un fondement physique (entendre
selon Duhem métaphysique) lié à des considérations philosophiques et théologiques.
– Duhem souligne alors deux impossibilités : celle de réduire une théorie mathématique à
des arguments physiques (i.e. métaphysiques) et celle de trancher la validité d’une théorie
par l’observation. C’est à partir de cela que Duhem défend l’idée que la logique aurait été
du côté de Bellarmine puisque ce dernier aurait demandé à Galilée de réduire la portée de
sa thèse en refusant, par prudence, son réalisme.
– Duhem s’oppose alors au réalisme fondé sur la philosophie et la théologie, qu’il soit celui
de la tradition aristotélicienne ou celui de Galilée. Pour éviter alors l’instrumentalisme et
le positivisme, il ne reste à Duhem qu’à défendre un réalisme de nouveau type fondé sur
l’idée de classification naturelle.
– Selon Martin, Le Système du monde souligne à nouveau l’impossibilité de faire de Duhem
un partisan de la néo-scolastique dans la mesure où il critique ouvertement saint Thomas
d’Aquin comme ayant essayé de concilier des éléments parfaitement hétérogènes avec
la foi chrétienne. Duhem attire au contraire l’attention sur l’école nominaliste de Paris
(essentiellement des franciscains) du 14e siècle (il avait d’abord découvert l’importance de
cette école dans ses études sur l’impetus en 1904).
– Si Duhem conserve l’idée que la physique moderne est bien supérieure à l’ancienne, il n’en
déduit pas (contrairement à certains positivistes) que toute religion s’oppose à la réussite
de la science.
E. Elie Zahar, Essai d’épistémologie réaliste
Cet ouvrage est un essai plus difficile d’accès de part ses analyses logiques relatives à la portée
de certains arguments d’épistémologie. L’enjeu est bien pour Zahar de défendre la possibilité
d’une certaine forme de réalisme renouvelé par la méthode phénoménologique. Zahar s’intéresse
alors à certaines conceptions réalistes et c’est pour cela qu’il y a de nombreux passages relatifs
à Poincaré et Duhem même si ce livre n’est pas à proprement parlé un commentaire de ces
auteurs. Ces notes relèvent essentiellement les passages utilisables pour un commentaire de
Duhem et de Poincaré.
E.1 Le problème de la démarcation Il s’agit de la démarcation entre métaphysique et
connaissance. Zahar utilise le schème popperien pour introduire les difficultés classiques de
l’épistémologie. Selon Popper, une théorie n’est utile que si elle permet des prédictions qui
vont être confrontées à la réalité. Le problème étant qu’une théorie de ce type se doit d’être
universelle et ne peut donc être vérifiée par l’expérience. Popper ne nie pas l’importance de la
métaphysique, au contraire, il réhabiliterait une métaphysique ayant un sens et animant un
programme de recherche.
La critique habituelle vise trois aspects :
1. La structure de l’hypothèse : donne naissance aux problèmes de l’ajustement des paramètres,
39
à ceux de la thèse Duhem-Quine et à ceux liés à la distinction entre les principes analytiques
et synthétiques.
2. D’une théorie on doit inférer des prédictions. Cela pose le problème de la nature de cette
inférence et de l’existence d’éventuelles logiques déviantes.
3. Le problème de la base empirique puisqu’il faut pouvoir se fier à l’expérience pour affirmer
la réfutabilité d’une théorie à travers la conjonction entre les conditions d’une expérience
et la négation de la prédiction.
E.2 L’Ajustement des paramètres Découvert par Kuhn il s’agit du fait que certains
énoncés particuliers ne découlent pas des hypothèses universelles de la théorie mais servent à
déterminer certains paramètres qui déterminent la théorie.
Pour la plupart des membres du Cercle de Vienne, le contexte de découverte est distingué du
contexte de justification pour éviter justement ce genre de problème. Toutefois, cette stratégie
ne permet pas de justifier le fait que le calcul des paramètres puisse être un processus inductif.
Les valeurs des paramètres sont notamment souvent encadrées par la théorie qui restreint le
nombre de possibilités.
Cela ne changerait pourtant rien à la différence faite par Popper entre corroborer et falsifier
car une fois les paramètres fixés à partir d’un certains nombre de résultats d’expérience, il
suffirait de prendre un nombre plus grand d’expérience pour réfuter ou fortement soutenir la
théorie.
E.3 Le problème Duhem-Quine Ce problème est directement lié à la possibilité même
de réaliser des tests empiriques permettant de corroborer ou de falsifier un énoncé. Zahar souligne
le fait que Duhem ait vu que la physique ne peut se rapprocher du développement continu des
mathématiques qu’à condition de séparer rigoureusement métaphysique et sciences. Duhem ne
fournit pas de critère formel pour démarquer rigoureusement la science et la métaphysique (cette
dernière serait simplement insuffisante pour déterminer une théorie scientifique mais permettrait
d’exclure certaines lois empiriques ; ex. : le cartésianisme nie toute action à distance).
Duhem fait également la différence pour toute hypothèse scientifique entre une partie explicative ou métaphysique et une partie représentative s’exprimant au moyen des mathématiques.
Duhem défend alors l’idée que la partie représentative serait susceptible d’une cumulation grâce
au principe de correspondance selon lequel les anciennes équations de la physique, bien que
logiquement incompatibles avec les nouvelles, peuvent en constituer des cas limites (ex. : la
loi classique du mouvement et la loi relativiste si l’on considère que la vitesse des corps est
négligeable devant la célérité). Il y aurait alors une continuité sur le plan syntaxique.
Toutefois, si Duhem voit ici la possibilité d’un progrès en physique dans la coordination
des lois, il ne faudrait pas identifier la physique avec les mathématiques. Les mathématiques
reposeraient sur des propositions synthétiques. Les axiomes seraient accessibles à l’intuition
directe et les théorèmes seraient déduits de manière infaillible. En revanche, les hypothèses
physiques seraient des propositions synthétiques particulièrement complexes [où Duhem utiliset-il le vocabulaire des propositions synthétiques ? à chercher]. L’induction et la réduction par
l’absurde ne sont, pour Duhem, absolument pas semblables et le physicien ne peut pas imiter le
mathématicien dans ses démonstrations.
Il y aurait, selon Zahar, deux causes de l’échec de l’induction d’après Duhem :
1. Ce que Zahar appelle la transcendance verticale de tout énoncé scientifique par rapport à
l’observation. C’est l’idée qu’il y aurait, selon Duhem, une différence qualitative entre un
énoncé observationnel et un énoncé scientifique car ce dernier est déjà imprégné de théorie
et suppose la connaissance de cette théorie pour avoir un sens. Les énoncés observationnels
ne peuvent donc pas soutenir une quelconque induction. L’exemple est celui de l’étude du
galvanomètre qui se déplace dont on déduit qu’un courant passe. Dire qu’un point lumineux
40
se déplace sur un écran est un énoncé observationnel mais rien ne permet d’en déduire,
tel quel, que le courant passe car on a alors affaire à un énoncé scientifique qui suppose
toute une théorie permettant de faire le lien entre le déplacement d’un spot lumineux
et l’affirmation d’un courant qui passe. Il y aurait alors une coupure épistémologique
entre l’observation quotidienne et la science. Or une telle coupure semble difficilement
compatible avec l’induction ou la falsification.
2. Zahar parle alors d’une seconde forme de transcendance qu’il appelle transcendance
horizontale et qui était déjà soulignée par Hume. Elle se divise à son tour en deux
possibilités :
(a) le fait qu’un nombre fini d’expériences ne puisse être généralisé de manière certaine
(car il y a toujours une possibilité de variations ultérieures).
(b) le fait qu’un nombre fini d’expériences ne corresponde pas à des résultats univoques
dont il suffirait de chercher la loi les reliant car un résultat expérimental est en
réalité indéterminé par l’approximation liée aux instruments. Duhem souligne à
plusieurs reprises cette idée qu’une donnée expérimentale soit en réalité une simple
approximation. Or ce genre d’approximation implique qu’il soit mathématiquement
possible de fournir une infinité de lois rendant compte des mêmes données. Les
courbes mathématiques représentant ces lois seraient assujetties à des contraintes
très faibles.
Zahar voit un troisième problème mais dont Duhem ne parle pas. C’est le problème lié aux
rapports auto-psychologiques c’est-à-dire qu’il est nécessaire de pratiquer une réduction phénoménologique sur les faits d’observation qui laisse dans l’incertitude quant au comportement
des choses elles-mêmes indépendamment du sujet connaissant. Pour Zahar, la coupure épistémologique est moins entre le sens commun et la science qu’entre les faits transcendants à la
conscience et les faits de conscience. Zahar défend au contraire, à la suite de Popper, l’idée qu’il
y a une continuité entre le sens commun et la science (la science ne serait que « du sens commun
écrit en gros caractères »)
Duhem critique alors l’expérience cruciale en soulignant d’abord qu’elle présuppose une
disjonction entre deux théories qui n’a rien de certain car le scientifique ne sait pas s’il n’existe
pas une troisième théorie possible permettant de rendre compte des expériences en question.
C’est d’abord cela qui rend impossible d’utiliser une expérience cruciale pour affirmer la vérité
d’une théorie.
A cela s’ajoute l’impossibilité de réfuter une hypothèse isolée mais le fait que l’expérience ne
puisse réfuter qu’une théorie dans son intégralité. (Quine aurait alors renforcé cette thèse en
affirmant que chaque épreuve met en cause la totalité de nos connaissances). Duhem invoque
alors le bon sens pour déterminer quelle hypothèse est réfutée.
E.4 La distinction entre l’analytique et le synthétique Ce qui est analytique est
habituellement associée à la certitude apodictique et est soustrait au test expérimental. Les
difficultés sont surtout liées aux propositions synthétiques. Avec Kant est formulé le problème
de l’existence des jugements synthétiques a priori. (Kripke défend l’existence de propositions
analytiques a posteriori car on se rendrait compte de leur nécessité seulement par une réflexion
approfondie). Si les mathématiques et la logique ne sont pas testables isolément ils le deviennent
lorsqu’ils sont associés à la physique et c’est ce qui peut expliquer l’introduction de GNE ou de
logiques déviantes. // Poincaré qui défend l’idée que la géométrie n’est ni vraie ni fausse mais
que la géométrie euclidienne est plus pratique et plus naturelle.
E.5 Le problème de la base empirique Zahar rappelle les mobiles fidéistes de Duhem
pour souligner l’intérêt de dissocier la science de la métaphysique. Duhem accepte l’infaillibilité
de la connaissance commune (en cela il manquerait la réduction phénoménologique) mais la
41
rejette de la connaissance scientifique. En ce sens, ce n’est pas l’observation commune qui peut
être mise au fondement de la science. La science perdrait en certitude mais gagnerait en précision.
De plus, Zahar insiste sur le rôle de l’esprit de finesse pour décider la théorie à garder. Selon
Zahar, cet appel à l’intuition serait l’aveu de l’absence ou du refus d’une solution satisfaisante
au problème du choix des hypothèses.
Zahar prétend alors reprendre la position de Popper mais en l’enrichissant de la phénoménologie. La structure de l’argument serait le suivant :
[A ] Les propositions immanentes ne sont indubitables que dans un sens purement psychologique
(ex. : je vois le spot qui se déplace) même si le sentiment de conviction peut nous tromper.
[B ] Les rapports auto-psychologiques souffrent du désavantage supplémentaire d’être de nature
privée (on ne peut pas chercher un consensus quant à leur valeur de vérité)
[C ] La psychologie est une science empirique et risque de tomber dans un cercle vicieux si elle
s’appuie sur des sentiments de conviction pour étudier les sentiments de certitude.
[D ] Il est préférable de choisir comme éléments de la base empirique des propositions intersubjectivement testables. Cela pose le problème de l’extériorité des objets examinés et de leur
détermination par la théorie.
[E ] L’acceptation d’un énoncé de base constitue une décision reposant donc sur une convention.
Celle-ci n’est cependant pas arbitraire puisqu’elle se fonde sur un consensus et qu’elle tient
compte des intuitions de plusieurs expérimentateurs.
E.6 La structure de l’argument popérien Selon Zahar, l’argument popérien peut être
déduit de [A] qui est la thèse psychologiste.
E.7 En quel sens les énoncés observationnels sont-ils théoriquement dépendants ? Duhem est mentionné comme un des premiers épistémologues à avoir souligné la
dépendance théorique de tous les énoncés scientifiques. Cependant, cette dépendance théorique
s’entend, selon Zahar, en deux sens différents voire inconciliables :
1. Le premier sens de la dépendance théorique est logique. Les termes dits observationnels
seraient en fait des descriptions définies contenant des propositions universelles. « Le
courant passe » correspond en réalité à une application singulière d’une théorie électrique
de haut niveau et peut signifier ce mouvement d’électrons dans cette région soumise à
un champ magnétique. La syntaxe d’un tel énoncé est superficiellement singulière mais
impliquerait, en profondeur, une structure théorique et donc falsifiable.
2. Le second sens de la dépendance théorique est psychologique. Selon celui-ci toute observation dépend, dans une large mesure, des théories envisagées par l’expérimentateur.
La perception d’un objet serait orientée par les préjugés théorique de l’observateur. Il
y aurait alors une structure intentionnelle de la perception. Ce serait en ce sens que
Duhem parlerait d’un savant « interprétant » ses expériences à la lumière d’une théorie.
Les deux objets intentionnels visés par deux observateurs différents risquent bien d’être
véritablement différents l’un de l’autre. Il serait alors primordial de regarder les croyances
(au sens large) du savant qui expérimente.
E.8 Conséquences de [B] - [E] pour la conception objectiviste de la base empirique Le risque lié à la thèse psychologiste est de tomber dans un scepticisme intégral où
il devient impossible de vérifier mais aussi de falsifier une théorie. La solution de Popper et
d’autres épistémologues consiste à défendre une perspective darwinienne relativement aux énoncés scientifiques. Une telle conception reste toutefois sous-tendue par une théorie problématique :
le darwinisme et son application aux énoncés scientifiques.
42
E.9 Réfutation de la thèse psychologiste « En bref, notre solution consiste à montrer
que nous nous assurons de la vérité des rapports auto-psychologiques non pas en les dérivant
d’autres propositions plus évidentes, mais en ayant un accès direct à la fois à leur référant et à
la sa signification de leurs éléments descriptifs. C’est seulement dans de telles situations - épistémologiquement privilégiées - que nous pouvons constater une relation de vérité correspondance
entre un état de fait et l’énoncé censé le désigner ». [Le détail de la preuve est peu important
pour la compréhension des interprétations que Zahar fait de Duhem]
E.10 Thèse phénoménologique, réfutation et corroboration La thèse phénoménologique de Zahar doit permettre d’affirmer la correspondance entre des énoncés ayant subit
une réduction phénoménologique et la réalité transcendant la conscience. Cette correspondance
suppose des hypothèse psychophysique sur la santé mentale de l’observateur et sur son équipement sensoriel. Cette thèse implique donc des hypothèses auxiliaires qui compliquent encore le
problème de Duhem-Quine.
E.11 La critique de John Watkins Cette critique consiste à souligner qu’aucune théorie
physique ne fait référence aux états psychologiques de qui que ce soit.
E.12 La méthodologie des programmes de recherche scientifique Duhem est ici
évoqué pour son analyse de Ampère et le fait qu’il ait détecté la mauvaise foi intellectuelle de
celui-ci lorsqu’il prétendait ne déduire sa théorie que de l’expérience. Duhem souligne également
le fait qu’il ne suffit pas qu’un physicien se dise réaliste pour pouvoir affirmer que ce réalisme
l’aida à faire certaines découvertes.
E.13 Appendice : le réalisme structurel de Poincaré et sa logique de la découverte scientifique Zahar développe ici la position poincaréenne du réalisme structurel associée
à l’argument anti-conspirationniste permettant d’affirmer un haut degré de probabilité de la
vérité des théories scientifiques.
Zahar profite alors de cette occasion pour comparer la position de Poincaré avec celle de
Duhem car ils semblent tous les deux développer un réalisme assez proche. Tout réalisme doit
traiter le problème posé par les révolutions scientifiques. La stratégie habituelle et qui est celle
de Duhem est de défendre un continuisme syntaxique en distinguant dans toute théorie sa partie
explicative et sa partie représentative. En rester au niveau sémantique ne peut suffir car on
se rend rapidement compte que la signification d’un concept physique dépend largement de la
théorie malgré certaines homonymies (ex. : la notion de masse en mécanique classique et en
mécanique relativiste). Duhem défend alors l’idée d’une progression de la partie représentative
et que l’idéal de la science est celui d’une classification naturelle.
Une telle position repose nécessairement sur l’argument anti-conspirationniste mis en avant
par Poincaré et selon lequel le scientifique doit croire qu’il n’y a pas de raison pour que les lois
de la nature changent tout d’un coup (en anglais le « no miracles argument »). La position
de Duhem soulèverait selon Zahar le problème du refus de la notion d’interprétation et de
son identification trop hâtive avec la notion de réduction. Pour Duhem, toute position réaliste
tendrait à s’appuyer sur une partie explicative dans laquelle il s’agirait d’interpréter réellement un
résultat théorique. L’interprétation donnerait une dimension ontologique à la théorie scientifique
en conduisant le scientifique à l’affirmation d’entités discutables et qui n’apportent rien de plus
à la théorie. C’est ce genre d’argument à partir duquel Duhem refuse la mécanique classique et
atomistique. Zahar soutient au contraire que les physiciens de l’époque cherchent à réduire (et
non à interpréter) les lois physiques à la mécanique classique. Il s’agirait alors moins d’affirmer
la portée ontologique de certains objets que de fournir une cohérence plus grande à ces lois
grâce à une théorie de fond dont l’intelligibilité est jugée exemplaire. Selon Duhem, ce genre
d’entreprise n’apporterait rien d’un point de vue empirique mais serait également nuisible au
43
développement de la science. Si Duhem ne s’oppose pas en tant que tel au réalisme (dont il
défend une variante à travers la notion de classification naturelle), Zahar met toutefois en
exergue la double motivation scientifique et religieuse pour laquelle Duhem refuse le mécanisme
de réduction véhiculant une perspective réaliste relativement à la notion d’atome. Non seulement
il cherche à éviter la réduction de la thermodynamique à l’atomistique mais, selon Zahar, il
verrait également dans l’atomistique une menace pour le dogme catholique.
Zahar voit alors dans l’appel duhémien à la notion de classification naturelle l’évocation
d’une capacité qui relève d’un miracle divin.
La thèse de Poincaré serait l’affirmation de l’impossibilité de connaître la nature profonde
des référents des termes de la théorie (thèse quasi kantienne cf. p. 136) mais la possibilité des
seuls rapports établis entre eux de manière hypothétique. Ces relations sont alors probables et
dans la mesure où la théorie devance l’expérience ou établie des connexions inattendues entre
des phénomènes jugés jusque là disparates il y a une augmentation de la probabilité (car il
devient improbable qu’une théorie puisse ainsi expliquer, par pur accident, tout un réseau de
faits). Si Poincaré critique la tentative de réduction mécaniste c’est parce qu’il insiste sur le fait
que ce qui est important dans la réduction est l’unité théorique ainsi fournie et non l’hypothèse
particulière utilisée.
Zahar distingue différents types de réalisme :
– Le réalisme métaphysique selon lequel il existe une réalité indivisible possédant une
structure objective dont l’esprit humain fait partie. Nos opérations mentales correspondraient alors aux lois régissant tous les processus naturels. Selon Zahar, Kant et Duhem
soutiendraient ce réalisme.
– Le réalisme méthodologique ajoute la supposition que la structure de l’univers nous est en
principe intelligible et le savant pourrait ainsi non seulement décrire mais aussi expliquer
les phénomènes.
– Le réalisme scientifique voit dans une théorie unifiée et capable d’expliquer les phénomènes
(sans y avoir été adaptée d’avance) une approximation vraies. Il n’y aurait plus ici de
vérité correspondance ni une notion sémantique de la vérité. Il s’agirait d’un réalisme
structural tel que le soutient Poincaré. L’inférence est alors probabiliste.
E.14
Appendice : intentionnalité ou platonisme
F. Jean-François Stoffel, Le phénoménalisme problématique
de Pierre Duhem.
Ouvrage de Stoffel bien documenté relativement à la littérature secondaire concernant
l’œuvre de Duhem. Il prend notamment position par rapport à Martin et Brenner pour proposer
son critère d’interprétation de la pensée duhémienne. Là où Martin insiste sur la dimension
apologétique et alors que Brenner voit une conversion à l’histoire, Stoffel ne cesse d’affirmer
que toute l’œuvre de Duhem prend son sens relativement à son projet initial qui est le projet
énergétique.
La réflexion philosophique (qui se limite essentiellement à l’étude de la théorie physique) et
les études historiques (qui là encore sont centrées sur la physique) auraient simplement pour
but de fonder la légitimité du projet scientifique de Duhem. La diminution des publications
scientifiques ne seraient pas alors un signe d’une conversion à l’histoire mais serait le témoin de
l’approfondissement de la justification historique du projet énergétique.
Stoffel défend la thèse selon laquelle la pensée de Duhem ne cesse d’être un phénoménalisme
problématique. Que faut-il entendre par là ? Phénoménalisme renvoie au problème de la portée
ontologique de la théorie physique et implique l’idée qu’une théorie ne rend compte que des
phénomènes (et pas des choses en elles-mêmes, ce qui serait un réalisme) sans nier l’existence
44
d’un au-delà du phénomène et tout en offrant la possibilité d’un certain accord asymptotique
avec les relations entre les choses (c’est le statut de la notion de classification naturelle qui
permet à Duhem d’échapper à un phénoménisme strict qui refuserait l’existence d’un au-delà
du phénomène). Toutefois, Duhem ne défendrait pas, selon Stoffel, un quelconque réalisme (au
sens classique du terme). Chez Duhem, ce phénoménalisme ne sera donc pas synonyme d’un
refus de la métaphysique ou d’un scepticisme radical. Si ce phénoménalisme est problématique
c’est parce que la perspective de Duhem impliquerait, selon Stoffel, un conflit d’intérêt avec une
autre aspiration qui serait celle de l’unification de la théorie.
F.1 Positionnement par rapport à la littérature secondaire. Un des mérites de
l’ouvrage de Stoffel est de discuter les interprétations traditionnelles qui ont été faites de l’œuvre
de Duhem. Voici un résumé de ces discussions :
– Jaki, Scientist and catholic : Pierre Duhem. Thèse de Jaki : orientation apologétique des
analyses de Duhem et fondement de son épistémologie sur la notion de sens commun
permettant de garantir un réalisme. Jaki s’appuie sur une lettre à Récamier d’après 1906
(dont seule une transcription partielle nous est parvenue) et sur « Quelques réflexion au
sujet de la physique expérimentale » de 1894. Selon Stoffel, cette interprétation de Duhem
n’est pas rigoureuse car elle survalorise un texte incomplet et fait tenir à l’auteur un
réalisme auquel de nombreux autres textes semblent bien s’opposer.
– Roberto Maiocchi, Chimica e filosofia, scienza, epistemologia, stria e religions nell’opera
di Pierre Duhem. Il s’agit pour Maiocchi de donner une cohérence à la pensée duhémienne
à partir de deux fils conducteurs que sont sa critique du mécanisme et son continuisme
historique. Il y aurait surtout chez Duhem une opposition à la science anglaise de son
époque qui est essentiellement expérimentale et anti-théorique. Au fond de cette critique,
il y aurait moins une dénonciation de la portée ontologique des modèles utilisés par les
anglais (les savants anglais ne défendent pas vraiment l’idée naïve que leurs modèles
seraient une description exacte de la réalité) qu’une valorisation de la nécessité d’une
théorie unificatrice et de la notion de classification naturelle qui lui est liée. Ce qui est
critiqué chez les Anglais, au nom de l’exigence unificatrice de la physique par la théorie,
ce serait leur éclectisme. Selon Maiocchi, Duhem défendrait alors un certain réalisme
fondé sur l’exigence d’unité de la science et de classification naturelle en s’opposant à
l’instrumentalisme et au scepticisme.
Cependant, comme le dit Maiocchi, si Duhem défend le réalisme contre l’instrumentalisme
ce ne serait selon Stoffel pas véritablement convaincant car la position de Duhem refuse
le fondement métaphysique de la science et prive ainsi le réalisme de son arme la plus
efficace. Par conséquent, Maiocchi est obligé de nuancer l’importance du phénoménalisme
duhémien au profit d’un réalisme fondé sur la notion de classification naturelle et sur les
thématiques religieuses propres à la pensée de l’auteur. C’est cette minimisation de la
revendication phénoménaliste de Duhem qui est critiquée par Stoffel. Pour ce dernier, il
ne faut pas chercher à faire de Duhem un réaliste et il faut au contraire se conformer
rigoureusement à la terminologie liée au phénoménalisme.
Un autre intérêt de l’ouvrage de Maiocchi serait de mettre fin à certains préjugés relatifs
à l’œuvre de Duhem. Ces préjugés auquel il s’oppose sont les suivants : faire de Duhem
un penseur de la crise de la science (alors que son étude se veut au contraire le corollaire
du triomphe de la thermodynamique) ; affirmer que le choix des hypothèses se ferait en
fonction du critère de la simplicité comme pour certains conventionalistes (le choix des
hypothèses est beaucoup plus compliqué selon Duhem) ; la réduction de l’œuvre de Duhem
a une simple apologie (Maiocchi insisterait au contraire, comme Stoffel, sur l’unification
des analyses duhémiennes par son projet scientifique). Maiocchi s’oppose enfin à la thèse
selon laquelle Duhem serait un néo-thomiste.
45
– A. Brenner, Duhem : science réalité et apparence : Brenner voit bien les trois aspects de
la pensée duhémienne mais défend clairement une conversion à l’histoire des sciences à
partir de 1900. Selon Brenner, avant 1900, Duhem n’aurait utilisé l’histoire que comme
illustration alors qu’à partir de 1900 l’histoire aurait davantage irrigué les thèses de Duhem.
La découverte de la science médiévale aurait notamment été essentielle pour la critique
duhémienne de l’inductivisme newtonien. Pour Brenner, le centre de gravité de la Théorie
physique serait l’analyse historique de la fin de l’ouvrage. Stoffel s’oppose alors à cette
conception en soulignant le fait que Duhem ne thématise jamais une soi-disant autonomie
de son travail historique, que Duhem se revendique toujours physicien et que les enquêtes
historiques de Duhem ne prendraient leur sens que dans l’impulsion liée à son inquiétude
pour des problématiques scientifiques. L’argument de Brenner relatif à la fécondité de la
découverte de la science médiévale pour sa critique de l’inductivisme serait plutôt, selon
Stoffel, un argument en faveur de la complémentarité de ses recherches plutôt que d’une
autonomisation de sa démarche historique.
– Martin, Pierre Duhem, Philosophy and History in the Work of a Believing Physicist :
Stoffel affirme une parenté entre la démarche de Martin et la sienne. Stoffel accepte le
jugement de Martin selon lequel il est impossible de faire de Duhem une figure majeure de
l’histoire de la physique à cause de ses prises d’engagements contre Maxwell, l’atomisme
et la relativité. Pour ce qui est de la place de Duhem en tant que philosophe des sciences
et en tant qu’historien de la physique, tout dépendrait alors de la possibilité de montrer
la cohérence de la pensée duhémienne et de lever quelques doutes relatifs notamment à
son néo-thomisme, le sous-bassement religieux de sa conception, ses interprétations de
l’affaire Gallilée. Stoffel rend bien compte de l’interprétation de Martin selon laquelle
les préoccupations explicites de Duhem en science physique cacheraient en réalité une
préoccupation d’ordre apologétique qui donnerait sa cohérence à l’œuvre duhémienne.
Stoffel regrette pourtant que Martin n’ait pas étudié l’articulation entre la préoccupation
explicite et la préoccupation cachée (y a-t-il eu par exemple une évolution chronologique ?).
L’interprétation de Martin négligerait alors de demander si la conception duhémienne est
volontairement apologétique ou si elle l’est incidemment. Selon Stoffel, Martin n’aurait pas
assez précisé les traits caractéristiques de l’apologétique duhémienne. Il aurait finalement
poser la question de la pertinence et de la fécondité de cette apologétique.
Comme Martin, Stoffel considère que l’apologétique duhémienne est négative ou réformiste
au sens où elle ne prétend ni démontrer la foi ni s’appuyer sur le dogme traditionnel
catholique mais essaye plutôt de détruire les arguments sceptiques contre la religion. En
ce sens, Duhem se serait effectivement dissocié du néo-thomisme. C’est cette conception
de l’apologétique que Duhem qualifie d’ouverte.
Martin combattrait le néo-thomisme de Duhem pour pouvoir insister sur l’influence
pascalienne. Si Martin a raison d’insister sur cette influence pascalienne il en rendrait
assez mal compte car il ne ferait pas assez attention à de nombreux thèmes pascaliens dont
Duhem semble s’inspirer toujours plus (impossibilité de tout démontrer, l’ordre des savoirs,
les limites de la connaissance humaine, la critique de l’ambitieux projet cartésien). Selon
Stoffel, martin aurait également mieux dû montrer la cohérence et la systématicité de
l’apologétique pascalienne (mieux montrer toutes les données de ce qui est véritablement
un plan de bataille).
F.2
Exposé : émergence, permanence, paradoxes.
F.2.1. Emergence
Voici différents points importants et originaux de l’analyse de Stoffel :
– Stoffel souligne avec raison que notre regard sur l’œuvre de Duhem n’est pas le même
46
–
–
–
–
que celui de ses contemporains et qu’il est conditionné par la philosophie des sciences du
20e siècle. C’est ce qui explique que nous ferions surtout attention à l’importance de la
notion de classification naturelle et à celle de la critique de l’expérience cruciale alors que
les contemporains de Duhem auraient surtout été marqués par son phénoménalisme qui
apparaît dès le début de l’ouvrage avec la séparation entre physique et métaphysique. Cela
est d’autant plus vrai que les lecteurs de Duhem s’attachent d’abord à l’importance de ses
premiers articles qui ont pour centre de gravité ce phénoménalisme. Dans son article de
1892, Duhem n’hésitait pas à faire de la physique un ensemble théorique permettant une
véritable « économie de la pensée » et non une théorie qui recherche l’adéquation avec les
faits. Cette thématique de l’économie de la pensée éclipsait alors les intérêts habituellement
associés à la théorie physique (et ce sont les critères donnés par Vicaire dans ses objections
contre Duhem) comme la recherche de la vérité, la beauté et la prédiction des faits (selon
Vicaire, dans son article « de la valeur objective des hypothèses physiques », le succès
prédictif de la théorie justifie tout et il serait impossible de soutenir le scepticisme qu’il
voit dans le phénoménalisme de Duhem).
En faveur de sa thèse phénoménaliste, Duhem n’invoque en 1892 qu’une courte référence
à la préface des Révolutions des orbes célestes (référence problématique car il s’agit en
réalité d’un texte de Osiander ; Vicaire soulignera le fait que le patronage de Copernic est
mal venu) et une brève citation de Poincaré (préface de la Théorie mathématique de la
lumière). Le fondement historico-épistémologique de son phénoménalisme apparaît alors
assez faible et c’est ce point qu’il n’aura de cesse de renforcer par la suite.
Dans son écrit sur la notation atomique, Duhem revendique la possibilité de soutenir la
nécessité et la fécondité d’une telle notation sans faire référence à la notion d’atome. Ici se
marque donc son refus de l’atomisme fondé sur la distinction entre la partie explicative et
la partie représentative d’une théorie.
Martin voit une intégration de la référence à l’épistémologie pascalienne entre les écrits de
92 (notamment « Notation atomique et hypothèses atomistiques ») et les écrits de 1902 (Le
mixte et la combinaison chimique). En comparant ces deux écrits on remarque que Le mixte
et la combinaison chimique reprend le contenu de l’article de 1892 mais qu’il en renforce
l’argumentation. Il s’agit notamment de la reprise de la thématique de l’impossibilité
de tout définir et de la régression à l’infini dans la connaissance démonstrative. Duhem
introduit alors la thématique de l’intuition. Stoffel voit en cela l’influence de l’épistémologie
pascalienne.
« Une nouvelle théorie du monde inorganique » introduit notamment une référence à
Pascal contre la prétention cartésienne de la reconstruction de l’univers dans ses Principes
de philosophie. Newton est invoqué, avec Pascal, pour la défense du phénoménalisme.
C’est dans « Physique et métaphysique » que Duhem institue une référence à une tradition
remontant à Ptolémée et comprenant saint Thomas pour fonder son phénoménalisme. Il
découvre cette tradition (qu’il va pouvoir opposer à Vicaire) notamment grâce à Mansion.
Duhem réaffirme dans ce texte la nécessité de distinguer l’étude des phénomènes (qui
est la physique) et l’étude de leur cause (qui est alors l’objet de la métaphysique). Cette
distinction prendrait racine dans la nature de l’intelligence humaine. Duhem montre alors
que ces deux disciplines que sont la physique et la métaphysique (au sens moderne de ces
termes et pas au sens aristotélicien) ne s’apportent rien l’une à l’autre et qu’il faut donc
les séparer rigoureusement.
Dans « L’école anglaise et les théories physiques », Duhem réaffirme son phénoménalisme
et l’oppose à l’esprit anglais qui est éclectique. Pourtant, l’éclectisme anglais semble
d’emblée parfaitement compatible avec le phénoménalisme de Duhem puisque son but
est de proposer des modélisations des phénomènes sans s’inquiéter de leur apparente
contradiction. L’esprit français, plus attaché à la cohérence et à la rigueur géométrique
47
serait alors bien plus compatible avec le réalisme. Mais pour Duhem, là où le réalisme est
« présomptueux » l’attitude phénoménaliste est plus prudente.
Duhem semble donc bien soutenir une forme de paradoxe en défendant à la fois un phénoménalisme et l’exigence d’unité de la théorie physique. En toute rigueur, le phénoménalisme
n’est pas incompatible avec avec l’éclectisme car la logique ne permet pas de trancher
entre les différentes théories potentiellement opposées. Duhem défend alors une de ses
convictions intimes, l’unité de la science, sans pouvoir la rattacher de manière rigoureuse
à son phénoménalisme. Il introduit même la notion de classification naturelle qui est
d’emblée peu compatible avec le phénoménalisme le plus radical qu’il semblait défendre en
1892. Stoffel montre alors que le langage de Duhem aurait légèrement changé en insistant
sur le fait que la théorie n’est plus simplement « plus ou moins bonne » mais devient « plus
ou moins parfaite », « plus ou moins vraie ». Le fait de retrouver les notions de vérité et
de perfection ici en dit long sur l’importance de l’introduction de l’idée de classification
naturelle mais en même temps sur la tension entre cette idée et le phénoménalisme de
Duhem.
– Si Duhem partage donc avec Vicaire la nécessité de fournir des limites à la science, il refuse
en revanche la solution de Vicaire qui est de limiter la science de l’extérieur par le discours
philosophique et métaphysique. Selon Duhem, la science devrait être limitée, de l’intérieur,
pour restreindre ses prétentions et ouvrir une compatibilité avec la métaphysique.
Duhem refuse également la position d’un Brunetière qui affirme en 1895 la « banqueroute
de la science » en persévérant dans l’idée que la science possède une véritable valeur, et ce,
même si elle doit être limitée dans ses prétentions.
– Selon Stoffel, Duhem échoue a montrer véritablement tous les avantages du phénoménalisme
et il ne rend notamment pas compte de la puissance prédictive des théories ni de la
cohérence entre son phénoménalisme et son idée d’une théorie comme classification naturelle.
Toutefois, il y aurait un avantage implicite à ce phénoménalisme, avantage que Duhem ne
dévoile pas, et qui serait apologétique.
F.2.2. Permanence
– Dans Le principe de Pascal, Duhem étudie les sources de Pascal relativement à l’hydrostatique et il montre que son originalité réside moins dans son contenu que dans l’ordre qu’il
donne à cette discipline. Ce faisant, Duhem montre que d’un point de vue scientifique l’essentiel n’est peut-être pas la découverte de nouvelles lois mais l’agencement de la matière
existante. Pascal sert donc de modèle dans l’entreprise de Duhem relative à sa pratique
scientifique (il s’agit bien de concevoir l’activité théorique comme ordonnancement).
– Le contexte anti-réaliste de La Théorie physique : après Maiocchi, Stoffel insiste sur le fait
que Duhem a attendu 8 ans entre la publication de son dernier article de philosophie des
sciences (en 1896) et le début de la rédaction de la Théorie physique sous forme d’articles
dans la Revue de philosophie. Pourquoi un tel délai ?
Selon Maiocchi, cela s’expliquerait par le contexte relatif à la bataille contre le conventionnalisme instrumentaliste. Selon ce commentateur, le modélisme anglais, l’atomisme,
l’apologétique thomiste, la polémique sur la banqueroute de la science (Brunetière) et
l’anti-rationnalisme de Le Roy constitueraient autant d’éléments favorables à l’instrumentalisme et au conventionnalisme. Selon Maiocchi toujours, c’est bien dans ce contexte que
La Théorie physique est publiée et la séparation entre métaphysique et physique - que
Duhem avait défendue dans les années 1890’s - n’aurait ici plus vraiment sa place (car elle
tendrait au contraire à être un argument pour le conventionnalisme instrumentaliste) et
ce serait pour cela que Duhem l’expédirait assez rapidement.
Selon Stoffel, l’ouvrage de Duhem est effectivement une réaction contre le scepticisme et
48
le conventionnalisme (qu’il a pourtant contribuer à alimenter) mais cela ne signifie en
rien que Duhem aurait été obligé d’abandonner son phénoménalisme. Au contraire, Stoffel
affirme que Duhem prétend toujours tenir cette position délicate qui consiste à défendre le
phénoménalisme et à réfuter le scepticisme et le conventionnalisme. Tout le problème est
alors le suivant : comment être phénoménaliste sans être sceptique ?
Relativement au contexte anti-réaliste, Stoffel insiste sur la parution en 1902 d’un article
de Albert de Lapparent 2 (catholique engagé et membre de l’Académie des sciences en
1897) qui critique le travail de Duhem sur La notion de mixte. Il s’agissait pour Lapparent
de défendre la valeur objective et explicative de la théorie moléculaire. Duhem ne répondra
pas à Lapparent avant la publication de La Théorie physique et cet ouvrage constituerait
entre autres choses une prise de position contre le réalisme défendu par Lapparant.
– L’articulation entre physique et métaphysique : Duhem expose les deux conceptions
possibles de la théorie physique qui sont l’explication et la représentation en expliquant
les défauts de l’une et les avantages de l’autre. Une explication doit dépendre d’une
métaphysique or cela empêche l’accord des scientifiques en créant des querelles d’écoles.
De plus, la métaphysique ne détermine pas véritablement les données d’une théorie et
en ce sens elle apparaît comme étant trop lâche. L’adhésion universelle ne serait possible
selon Duhem qu’à condition de considérer la théorie comme une représentation. De plus,
une théorie comme représentation soulage la mémoire du physicien en procurant de l’ordre
aux lois expérimentales. Il y a une économie de la pensée (premier avantage) mais aussi
la possibilité de faciliter son emploi car le physicien retrouvera plus rapidement l’outil
dont il a besoin (second avantage). Enfin (troisième avantage), l’ordre fournit par une telle
représentation donnerait une véritable beauté à la science (et en cela Duhem sort de la
simple commodité de sa conception de la théorie physique).
Stoffel va alors plus loin en introduisant la thématique de la classification naturelle
pour montrer comment Duhem prétend tenir un phénoménalisme anti-réaliste mais non
sceptique. Pascal est ici invoqué pour attester la possibilité d’une croyance en une vérité
qui résiste au scepticisme 3 . Vicaire avait reproché à Duhem son incapacité à rendre
compte de la puissance prédictive de la théorie physique (si celle-ci n’était qu’un outil
mnémotechnique commode) et ce dernier répond donc à Vicaire par cette utilisation de la
notion de classification naturelle. Tout le problème est alors de soutenir cette thèse de
l’existence d’une classification naturelle et d’expliquer comment le scientifique sait ce qui
lui correspond. Selon Stoffel, Duhem n’a pas traité cette question de la possibilité pour
le scientifique de savoir si son travail théorique correspond à cet idéal de classification
naturelle. Selon Stoffel, Duhem aurait pu faire la réponse selon laquelle le scientifique
doit se contenter de travailler à la plus grande pérennité et universalité de la partie
représentative de la théorie et que le reste (la possibilité d’être une classification naturelle)
sera donné de surcroît par la Providence.
– La critique de l’inductivisme : dès ses premiers articles, Duhem insistait sur l’extrême
liberté du savant dans le choix des hypothèses et Vicaire ainsi que Picard ont critiqué cette
liberté qui semblait pour eux frôler l’arbitraire. La conception classique de la physique
considère que ces hypothèses sont issues de l’induction et qu’il est ainsi possible de les
soumettre à la vérification expérimentale (ce schéma inductiviste serait d’ailleurs celui de
l’enseignement). Cette perspective est rendue d’autant plus délicate qu’il faudra finalement
comparer deux théories dans leur intégralité (holisme épistémologique défendu par Duhem)
Toutefois, la réponse de Duhem est claire puisque selon lui « le physicien ne choisit pas les
hypothèses sur lesquelles il fondera une théorie : elles germent en lui sans lui ». Entre autres
2. A propos des hypothèses moléculaires.
3. Nous avons une impuissance de prouver, invincible à tout le dogmatisme. Nous avons une idée de la vérité
invincible à tout le pyrrhonisme.
49
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–
commentateurs, Manville voit alors en l’histoire des sciences ce qui permet d’expliquer ce
choix « inconscient » des hypothèses et si cette idée n’est pas explicitée dans la Théorie
physique elle semble bien l’être en 1911 dans le Traité d’énergétique.
L’inscription dans une tradition phénoménaliste : cette inscription se fait essentiellement
dans Sauver les apparence ; essai sur la notion de théorie physique de Platon à Galilée,
ouvrage paru dans les Annales de philosophie chrétienne en 1908 (en 5 livraisons) qui
interprète l’affaire Galilée. Cet ouvrage est au centre de nombreuses polémiques et il est
rejeté aussi bien par ceux qui y voient une entreprise apologétique que par ceux qui y
voient un égarement dans le phénoménalisme. Selon Stoffel, cet ouvrage n’est pas le fruit
d’un égarement ni une simple entreprise apologétique (même s’il joue également ce rôle)
puisque l’essentiel résiderait justement dans la volonté d’inscrire la pensée duhémienne
dans une tradition phénoménaliste clairement analysée et explicitée. Selon Stoffel, cela
confirme bien le fait que le phénoménalisme soit un thème constant et unificateur de la
pensée duhémienne.
L’intérêt pour l’histoire des théories physiques : cet intérêt s’épanouit pleinement dans
le Système du monde. Toutefois cette œuvre est polymorphe car elle insiste également
sur la continuité de l’histoire des sciences, à nouveau sur la pertinence historique du
phénoménalisme et elle possède même une portée apologétique (en montrant que le
christianisme a contribué à démanteler l’aristotélisme tout en ayant préparé la science
moderne avec notamment la théorie de l’impetus).
La littérature de guerre : les ouvrages suscités par la guerre sont les suivants : La science
allemande, Quelques réflexions sur la science allemande, Science allemande et vertus
allemandes et De Maxwell et de la manière allemande de l’exposer. On trouve également
un dernier ouvrage mais à portée plus historique qui est La chimie est-elle une science
française ?.
La science allemande est un ouvrage très discuté par les commentateurs puisque certains
n’y voit qu’un égarement (Maiocchi) alors que d’autres y voit une des clefs de lecture de
l’œuvre duhémienne (Martin). Cet ouvrage est philosophiquement moins intéressant par
ses analyses historiques que par l’influence de Pascal qu’il met en exergue. En faire un
simple ouvrage de propagande ne permet pas de bien saisir la continuité avec La Théorie
physique.
L’Ecole anglaise et les théories physiques est un ouvrage de 1893 dans lequel la question des
spécificités nationales est déjà posée puisque Duhem cherche a expliquer l’effet surprenant
et dérangeant que la lecture des ouvrages de Thomson peut produire sur le lecteur français
voire allemand. La notion de modèle est au centre des débats puisque l’imagination des
anglais serait liée à cette nécessité pratique et éviterait les abstractions.
En tant que Français, ce qui gêne manifestement Duhem n’est pas la prétention ontologique
des modèles (qui n’est finalement soutenue par aucun scientifique) mais plutôt l’absence
d’unité qu’une telle démarche entretient. Une même loi figurée de deux manières différentes
et sans cohésion véritable pose problème à Duhem. Quoi qu’il en soit, dans cet écrit,
Duhem n’oppose pas encore l’esprit français à l’esprit allemand. Si la parenté avec Pascal
semble présente dès 1893, il n’y est fait nulle part mention et c’est seulement à partir de
1898 dans A propos d’une thèse de physique qu’une référence explicite à Pascal apparaît.
En revanche, La Théorie physique fera massivement usage de cette référence.
Pourquoi la La Théorie physique utilise-t-elle cette distinction entre les spécificités nationales et les différents types d’esprits ? « Si la théorie physique telle qu’elle est définie par
Duhem représente une véritable économie, est-ce que cette économie est appréciée par
tous les physiciens ? » voilà la question centrale. Or la réponse dépend justement du type
d’esprit qui envisage le problème de la définition de la physique.
Si Duhem reprend ici l’article de 1893, il l’approfondit nettement et il fait beaucoup
50
référence à L’esprit de géométrie et l’esprit de finesse ainsi que la pensée « Le sens
droit »(référence ?).
Il faut remarquer tout de même que la distinction entre les différents types d’esprits ne
reflète qu’une tendance nationale car le premier exemple d’esprit de finesse que donne
Duhem est Napoléon. En science, ce seraient les modèles qui auraient participé à la
véritable diffusion de l’esprit cher aux Anglais.
– La science allemande affine encore ces distinctions afin de caractériser l’esprit français
par l’intuition et le bon sens. L’Allemand, quant à lui est essentiellement conduit par la
capacité déductive et néglige l’intuition.
Ce qui est intéressant ici est que Duhem détermine alors deux sources potentielles pour la
certitude : déduction et bon sens (et sens commun). Comme Martin, Stoffel voit dans ce
texte le résultat d’une évolution complexe et il est nécessaire de prendre cet opuscule en
compte pour lire rétrospectivement La Théorie physique.
C’est par exemple au nom du bon sens que Duhem rejette la théorie de la relativité (cela
permet aussi de souligner le lien qu’il y a chez Duhem entre philosophie de la physique et
conviction physique).
On trouve dans cet article une apologie du bon sens. Mais à quoi sert véritablement cette
faculté ? Notamment, le bon sens permettrait de juger de la recevabilité des principes
initiaux de la science. Il est ici intéressant de noter que ce critère du bon sens permet de
distinguer la perspective de Duhem de celle du conventionnalisme pour lequel le choix
des hypothèses peut sembler souvent se réduire à des critères logiques (simplicité, non
contradiction).
La Théorie physique utilisait donc Pascal et la notion de bon sens pour évacuer l’impression
de scepticisme que pouvait impliquer son phénoménalisme. Toutefois, il semble bien que ce
soit La science allemande qui fonde l’épistémologie duhémienne sur cette notion du bon
sens. En ce sens, les écrits de guerre de Duhem ne sont pas un revirement opportuniste
pour la propagande mais sont le fruit d’une lente maturation intellectuelle de la notion
de bon sens (les thèmes abordés l’étaient déjà depuis 1893) et Duhem reconnaît tout de
même certaines valeurs primordiales qui sont attachées à la science allemande.
F.2.3. Paradoxes
La permanence défendue par Stoffel dans l’œuvre duhémienne serait celle du phénoménalisme
dicté tout d’abord par la perspective scientifique qui était celle de Duhem. Stoffel pose alors un
certain nombre de questions qui révèleraient certaines tensions de la pensée duhémienne :
– Pourquoi l’Histoire n’a-t-elle pas retenue Duhem le physicien ?
Le fait que la pensée duhémienne ait davantage était reçue sous son aspect philosophique
et historique pose problème à Stoffel qui voit justement l’unité de cette pensée dans le
projet scientifique qui était celui de Duhem. Stoffel avoue que cela est paradoxal.
– Pourquoi l’histoire des théories physiques ?
Encore une fois, si l’unité du projet duhémien était sa démarche scientifique, pourquoi
Duhem aurait-il passé autant de temps et dépensé autant d’énergie dans ses analyses
historiques ? Qu’est-ce que Duhem attendait véritablement de l’histoire des sciences ?
Stoffel insiste sur la dimension apologétique de ce projet qui est irréductible à l’unité
fournie par la démarche énergétique. Stoffel veut toutefois montrer que même quand Duhem
défend la foi, même quand il écrit pendant la guerre, il ne s’éloigne jamais véritablement
de ses préoccupations scientifiques.
– Pourquoi son exigence de cohérence et de perfection ou, inversement, pourquoi son
phénoménalisme ?
Ce problème est ici central car Stoffel voit deux préoccupations qui ne sont pas véritable51
ment cohérentes l’une avec l’autre. Le phénoménalisme de Duhem qui est introduit très
tôt n’exige en rien cet idéal de la science comme étant cohérent, rigoureux, unificateur et
même « parfait ». Pourquoi une telle attention à la présentation de la théorie physique ?
Le problème peut aussi être regardé dans l’autre sens : si Duhem tient tant que cela aux
critères de cohérence, de rigueur et d’unification de la science et s’il va même jusqu’à
soutenir la thèse éminemment réaliste de la classification naturelle, pourquoi ne va-t-il pas
jusqu’au bout de ces exigences pour soutenir non pas un phénoménalisme mais plutôt un
réalisme strict.
Stoffel voit dans ces deux orientations opposées le résultat d’influences disparates. Les
critères formels imposés à la théorie physique seraient liés à son éducation et à la manière
dont il a appris la science alors que l’exigence de classification naturelle tout autant
que la nécessité de son phénoménalisme seraient liées à son apologétique (pour éviter le
scepticisme tout en évinçant les critiques scientifiques adressées habituellement contre la
foi).
F.3
Interprétation : unité - engagement - phénoménalisme.
F.3.1. Unité
Stoffel prétend ici abandonner la démarche génétique pour fournir une reconstruction
interprétative et logique des thèses duhémiennes. Stoffel veut alors montrer que c’est le concept
d’« unité » qui serait central dans cette reconstruction.
Selon Stoffel, la tension entre les exigences d’unité, de cohérence et de rigueur d’un côté
et le phénoménalisme de l’autre tendrait à montrer que le phénoménalisme de Duhem serait
venu se surajouter au reste par le biais de considérations moins strictement scientifiques et
philosophiques mais davantage apologétiques. Selon Stoffel, il est donc primordial de déterminer
la charge apologétique de la thèse phénoménaliste mais également l’intérêt de ce phénoménalisme
pour la défense de la notion d’unité.
– La critique de l’éclectisme et celle du modélisme se comprennent sur le fond de l’exigence
d’unité de la théorie physique.
– L’unification est aussi celle du projet énergétique qui prétend unifier les différentes branches
de la physique.
– Les exposés historiques soulignent en général une certaine unité en montrant comment un
développement continu contribue à l’élaboration de telle ou telle notion. Dans l’approche
historique, l’évocation de la Providence est fréquente (cf. notamment L’évolution des
théories physiques du XVIIe à nos jours) et cette évocation se fait également dans le sens
de l’unité de l’évolution de la pensée scientifique.
– De même, le traitement de la différence entre qualité et quantité se fait sur le fond d’une
exigence d’unité de la méthode scientifique et de l’approche des phénomènes.
– Dans ce contexte, le phénoménalisme de Duhem peut être mis au service de cette tendance
unificatrice car il invite à mettre de côté tous les arguments philosophiques et religieux
des différents scientifiques. Le but serait donc d’évacuer certaines sources de dissensions
entre les scientifiques.
– En faveur de l’unité, Duhem doit invoquer différentes stratégies pour éviter la notion de
révolution scientifique.
Son continuisme historique est un argument et son phénoménalisme protège les théories de
l’intrusion de discussions métaphysiques. Le phénoménalisme de Duhem et la distinction
entre partie représentative et partie explicative permet de montrer que les différentes
chutes théoriques sont des chutes de la partie explicative.
– Au delà des questions scientifiques, Duhem défendrait également une perspective unitaire
pour toute la pensée humaine et même pour le développement de l’Histoire.
52
F.3.2. Engagement
La pensée duhémienne serait indubitablement marquée par un engagement religieux. Or
Stoffel insiste sur le contexte difficile qui est celui de l’époque entre la religion et la science. Ce
contexte passe à la fois par la présentation problématique du darwinisme mais également par
la condamnation du monde moderne par l’Eglise puis par la prise en compte de la nécessité
d’utiliser la science en faveur de la foi plutôt que de laisser le scientisme se répandre.
Stoffel montre comment un mouvement contre le scientisme apparaît à partir de 1870, courant
auquel Duhem va participer en soulignant certaines limites de la science.
Pour Stoffel, la lettre au père Bulliot de 21/05/1911 établie clairement un plan de bataille
contre le scientisme et pour soutenir une apologétique. La critique de l’inductivisme et le
phénoménalisme de Duhem participent alors clairement à la destruction des arguments scientistes.
L’apologétique duhémienne est ici négative et c’est pour cela que sa conception de la théorie
physique ne permet pas de fonder la foi catholique mais tout au plus de laisser un espace libre
pour cette foi (voir sur ce point Physique de croyant).
L’histoire des sciences et la philosophie de l’histoire constitueraient alors la véritable apologétique positive de Duhem puisque c’est ici qu’apparaîtrait l’idée de progrès continu et donc
implicitement, voire explicitement, la notion de Providence.
Toutefois, certains catholiques reprocheront à Duhem l’impossibilité de fonder une véritable
apologétique positive sur sa conception de la théorie physique. D’autre part, le phénoménalisme
de Duhem encourt deux risques : celui du scepticisme et celui de l’éclectisme puisque rien ne le
relie nécessairement à l’exigence d’unité de la physique et rien ne permet en lui de garantir un
quelconque réalisme (si ce n’est une croyance en la classification naturelle). Le risque d’orientation
sceptique est d’autant plus fort que les thèses de Duhem (comme celles de Poincaré) sont utilisées
dans le cadre de la célèbre controverse sur la faillite de la science (initialisée par Brunetière en
1895) qui est l’apogée de l’anti-intellectualisme.
F.3.3. Phénoménalisme
– Duhem et Kant :
Le phénoménalisme de Duhem peut évoquer la philosophie kantienne pour un lecteur
non averti mais en réalité, il s’ancre d’emblée dans une tradition plus scientifique que
philosophique (Poincaré, Comte, Galilée, Copernic, Osiander etc.) même si les recherches
historiques de Duhem le conduiront à avoir une très bonne connaissance de l’histoire de la
philosophie. Stoffel insiste à juste titre sur le caractère problématique de la référence à
Kant dans le milieu catholique (voir sur ce point la position de Mansion et la destination
implicite de la Revue de philosophie).
– Duhem et le néo-thomisme :
Le néo-thomisme est un candidat beaucoup plus sérieux lorsqu’il s’agit d’examiner les
sources de la position duhémienne. Les commentateurs sont très partagés sur ce point.
Stanley Jaki défend cette filiation mais elle est réfutée par Maiocchi ou encore Martin.
Selon Stoffel, c’est dès son vivant que Duhem a subi des tentatives de séduction de la part
des néo-thomistes mais il les aurait systématiquement rejetées.
Cela serait notamment patent à travers la correspondance avec le père jésuite néo-thomiste
Bulliot qui pensait devoir fonder la science sur une métaphysique issue d’Aristote et par
l’intermédiaire de Saint Thomas. Duhem insiste notamment sur l’accord négatif entre
physique et métaphysique alors que Bulliot voudrait le faire évoluer vers la possibilité d’un
accord pleinement positif (ce que refusera Duhem).
Il y a toutefois un lien particulièrement étroit entre Duhem et Mansion alors justement
que ce dernier se veut en accord avec l’encyclique du pape Léon XIII affirmant la nécessité
du retour à la scolastique. Ce qui est ici en jeu est essentiellement le retour à la prise en
53
compte de la notion de qualité qui semble être une défense de l’aristotélisme.
– Duhem et Blondel :
Stoffel veut montrer que si Duhem séparait davantage physique et métaphysique que ne le
souhaitait le père Bulliot, en revanche il aurait été en deçà de ce que souhaitait son ami
Blondel. Blondel souscrit notamment totalement à l’article de 1892 que Duhem nuancera
par la suite.
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