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PARCOURS 2008-2009
représentation du réel se serait traduite par une mise en ordre des phénomènes,
tranchant entre l’essentiel et l’accessoire pour mener son enquête de vérité et
donc déjà excluant les marges, tout comme le pouvoir qui enferme marge et
déviance, tout ce qui est ordre de l’anomie, au nom de l’ordre établi ou à établir.
Il ne s’agit pas des techniques de véridiction qu’utilise un pouvoir, de ce qui
est reconnu comme vérité, même si Foucault s’y attardera aussi, celle de l’aveu et
de l’enquête. Il ne s’agit certes pas de l’endoctrinement ou de la propagande qui
est une transformation de la vérité. Mais il ne s’agit pas non plus de cette sym-
biose du pouvoir avec la vérité en tant que telle qui s’avance comme autorité,
voix de l’oracle. Cette complicité est plus antérieure et remonte avant même ce
que le pouvoir ait pu décider et réfléchir, voire calculer.
Parce que la vérité, elle aussi, n’a pas lieu avant une mise en ordre des
phénomènes qui, parce qu’elle découpe le champ du visible, à la fois précède et
dépasse le champ du savoir, organise les pratiques, stratifie les attitudes et les
comportements. Ainsi avant la loi déclarée, la loi publiée, un pouvoir s’est con-
struit et a déjà disséminé sa loi dans la poussière des usages de sorte que
lorsque la vérité commence à parler elle reconduit la loi dans le champ du
savoir : parce que son acuité et son discernement dépendent, en construisant
son aptitude au discernement, sur une mise au ban de l’exception, de l’insignifi-
ant ou de l’anomalie, la vérité dit la même loi d’exclusion que le pouvoir
organise en pratique d’enfermement et de répression.
Mais en énonçant le terme de pouvoir, nous n’avons encore rien dit car, c’est
là le problème de Foucault, le pouvoir reste inconnu, il reste à déterminer. Il s’agit
d’interroger d’où il vient et comment il s’organise, se déploie au-delà de sa forme
la plus visible, celle de la répression et de l’assujettissement. Car c’est justement le
principe du pouvoir de se substantialiser en entité abstraite masquant les classes
ou les individus au profit de qui il s’exerce. On se souvient de l’Ana,
l’Organisation, le nom que les Khmers rouges utilisaient pour désigner l’autorité
au nom de laquelle ils exerçaient leurs sévices. L’Ana, L’Organisation avait décidé
et cela suffisait pour ôter toute question à son autorité. Dès lors on verra Foucault
s’exercer à suivre le Pouvoir pas à pas dans tous les linéaments qu’il découvre au
fur et à mesure de son interrogation.
De l'Archéologie du savoir àSurveiller et Punir, de l’Histoire de la sexualité à
Sécurité, territoire, population, Naissance de la biopolitique, ce qui se dégage c’est
la distinction de la loi et la norme. A côté d’un grand pouvoir qui appuie son
autorité par la Loi et la répression ou l’enfermement ou investit la vie même des
individus en régentant les taux de croissance des populations, règne la multitude
des micro-pouvoirs. La loi s’impose aux individus de l’extérieur, la norme est ce
qui s’applique aux individus de l’intérieur, assiégeant l’intimité du désir et des
projets pour non seulement les courber vers la recherche d’un canon de conduite
déterminée mais aussi en propager l’exemple.
NICOLE GAUTHEY