salle denise-Pelletier 3 0 s e p t e m b r e a u 2 4 o c t o b r e 2 015 On ne badine pas avec l’amour Texte Alfred de Musset Mise en scène Cl aude Poissant A vec A drien B le t t on , H enri C hass é , F rancis D ucharme , O livier G ervais - C ourchesne , R achel G ra t on , M ar t in H é rou x , A lice P ascual , C hris t iane P as q uier e t D enis R o y © Mathilde Corbeil en savoir Après dix ans de séparation, Perdican retrouve Camille. Mais comme la candeur de l’enfance est disparue sous la jeunesse, les deux amoureux semblent incapables de s’avouer leur flamme. Camille préfère se donner à Dieu plutôt que d’épouser Perdican et les discours de fantoches risquent fort d’aggraver la situation… 8 PRENDRE LE VOILE POUR FUIR LA RÉALITÉ DE SON ÉPOQUE ? © picjumbo par Judith Lussier Dans On ne badine pas avec l’amour, le personnage de Camille décide de devenir sœur parce qu’elle a peur de l’amour : peur de s’y abandonner, peur de s’y perdre, peur des infidélités de son partenaire. Elle préfère aimer un être absent, mais qui la remplit intérieurement et qui ne risque pas de la décevoir : Dieu. Les mœurs ont beaucoup changé depuis l’époque d’Alfred de Musset. Mais se peut-il que les motivations d’une jeune femme à entrer en religion soient similaires ? Nous avons posé la question à Violaine Paradis qui, après des débuts prometteurs comme comédienne, a décidé de devenir sœur Violaine. Comment avez-vous décidé de devenir soeur ? J’avais 28 ans quand j’ai reconnu que ça pouvait être « ça ». Après un été où j’ai joué dans la pièce Les Nonnes, j’ai senti que je devais aller voir ce qui se passait pour moi de ce côté-là. J’ai alors entrepris une retraite silencieuse à l’Abbaye d’Oka. J’écrivais, je pleurais, puis j’ai rencontré un moine qui m’a suggéré des lectures. Au cœur du silence, j’ai repris contact avec cette source d’amour en moi qui est Dieu. Avant, j’étais ailleurs, j’étais beaucoup dans le « plaire aux autres ». Je cherchais à l’extérieur un bonheur que j’avais à l’intérieur de moi. Est-ce que ça a été difficile de trouver cette voie ? P our q uoi ? L’hésitation de Camille dans On ne badine pas avec l’amour entre l’amour sacré et l’amour profane a piqué ma curiosité. Qu’en est-il aujourd’hui ? Qu’est-ce qui pousse une jeune femme à entrer chez les sœurs en 2015 ? Voici la très généreuse rencontre entre Sœur Violaine Paradis et Judith Lussier. J-S. Traversy Le seigneur était présent dans mon cœur depuis que j’étais toute petite, mais ma famille n’était pas pratiquante. C’est un défi, de trouver sa voie, en ce moment. Tout va vite, on est submergés par la vitesse des communications. Le bruit, ça n’aide pas à retrouver sa petite voix intérieure : on n’encourage pas ça aujourd’hui et ça peut être plus difficile de l’entendre. C’est pour ça que plusieurs veulent se ressourcer dans le silence. Pensez-vous que la cacophonie engendrée par les moyens de communication comme Facebook et les textos puisse être une motivation, en 2015, pour vouloir se réfugier dans le silence ? Échapper à la tyrannie des communications ? Malheureusement on ne peut pas ! La Congrégation de NotreDame, à laquelle j’appartiens, est proactive dans les communications parce que c’est le moyen de rejoindre les gens. J’essaie de ne pas être esclave de ces outils. J’ai un cellulaire depuis peu et je capote ! Je comprends maintenant que c’est à moi de garder mes distances. On ne devient pas religieuse pour échapper à ça : au contraire, les religieuses sont appelées à comprendre la réalité dans laquelle elles évoluent. Dans On ne badine pas avec l’amour, les proches de Camille ne sont pas tous heureux de son choix. Avezvous été bien accueillie dans votre décision ? Ce n’est pas tout le monde qui a accepté ma décision sur le coup. Ma famille pensait que c’était un trip, que ça allait passer. Je suis une fille de party, de gang : moi-même On ne badine pas avec l’amour 9 Vous avez dû renoncer à la vie de couple. Est-ce que c’est difficile ? Notre société est hypersexualisée. Est-ce qu’on entretient le beau, le sacré et le mystérieux en l’autre ? En mettant des hommes ou des femmes sur des affiches publicitaires où on révèle tout, surtout la femme, qui est présentée comme un objet, on perd le sens de la beauté, on vide la personne de son sens en la réduisant à son enveloppe. Dans l’abstinence, on choisit de ne plus faire de la sexualité ce qui nous mène. Il fut un temps où les femmes voyaient dans la vie religieuse le seul moyen pour elles d’avoir un métier. Ça leur permettait de devenir enseignantes ou infirmières, notamment. Au moment du concile Vatican II – un genre de réforme dans l’Église catholique – les communautés religieuses sont revenues aux fondements de leurs vocations. Des communautés ont laissé leurs habits religieux pour revenir à quelque chose de plus simple. Ça a fait du ménage dans les raisons pour lesquelles les femmes s’engageaient en religion et certaines ont réalisé, par exemple, qu’elles voulaient seulement enseigner. Des religieuses ont alors quitté leur communauté parce qu’elles n’y étaient pas entrées pour les bonnes raisons. Encore aujourd’hui, dans certains pays plus pauvres, la peur de manquer de ressources peut motiver des jeunes femmes à vouloir devenir religieuses. Avant de les accepter, les communautés religieuses prennent le temps de s’assurer que les candidates désirent s’engager pour les bonnes raisons. Si les sœurs pouvaient dorénavant avoir des relations amoureuses, cèderiez-vous à la tentation ? Est-ce qu’on vous a reproché de vouloir fuir quelque chose ? Je ne sais pas ! Il y a quelque chose de radical dans le fait d’être abstinente. J’ai reconnu que je devais lâcher prise sur ce désir d’être en couple. Je trouve ça difficile, mais dans cet abandon-là, j’accueille beaucoup d’amitié. Je préfère ne pas entretenir de fantasme de relation conjugale ou sexuelle. Par exemple, je n’irai pas voir le film Cinquante nuances de Grey ! Ce n’est pas par peur : c’est pour être cohérente avec mes choix. Oui, on a pensé que je voulais fuir les hommes, l’engagement amoureux. Mon père, sans penser que c’était de la fuite, était déçu parce qu’il trouvait que j’étais une bonne comédienne. Moi, j’ai reconnu que je ne suis plus en accord avec certains aspects du métier : la compétition, téter des rôles, le côté « épater la galerie », je ne m’ennuie pas de ça du tout. Ma vocation, c’est d’aimer. Mais il y a aussi de la beauté dans le théâtre : créer des rôles, travailler ensemble, c’est beau. La passion que j’ai pour Dieu, je peux la transmettre à travers le théâtre. En pastorale, j’utilise beaucoup mon art. Je continue de me réaliser comme comédienne, mais pas de la même manière. C’est tout ! C’est exigeant parce que je voulais des enfants et que, foncièrement, je suis une amoureuse. J’ai connu les relations de couple et j’étais bien là-dedans. Au départ, ça n’a pas été facile. Je me disais que je n’aurais plus jamais d’amoureux, de tendresse, mais j’ai été bien accompagnée. J’ai décidé de me concentrer davantage sur ce que j’ai choisi que sur ce à quoi j’ai renoncé. © Droits réservés Qu’est-ce qu’on choisit dans l’abstinence ? Soeur Violaine Paradis j’étais surprise d’être attirée par la religion. Si j’étais entrée il y a 50 ans, ça aurait peut-être été différent. C’était plus encouragé et les sœurs étaient plus nombreuses à se soutenir. Mais pour moi, ça a été un soulagement. Un peu de la même façon qu’une personne peut se sentir libérée lorsqu’elle découvre son orientation sexuelle. Pensez-vous qu’il soit possible qu’encore en 2015, des jeunes femmes choisissent la religion pour fuir quelque chose, de la même façon que Camille tente d’échapper à l’amour ? Il est possible que certaines femmes, de manière inconsciente, fassent ce choix-là pour échapper à la peur de s’engager en couple ou en famille. En même temps, la vie religieuse, c’est tout un engagement ! JUDITH LUSSIER est auteure, journaliste et chroniqueuse au Journal Métro. SOEUR VIOLAINE PARADIS est membre de la Congrégation de Notre-Dame. On ne badine pas avec l’amour 10 c o n v e r s at i o n Christiane Pasquier et Claude Poissant Claude Poissant Quand as-tu vraiment plongé dans l’œuvre de Musset la première fois ? Christiane Pasquier Il me semble que c’est quand je l’ai enseigné. Claude Tu n’avais jamais joué auparavant dans une pièce de Musset ? Christiane Ah oui ! J’avais fait un monologue. « Me voilà bien chanceuse ; il n’en faut plus qu’autant. Le sort est, quand il veut, bien impatientant. » Plus ou moins l’histoire d’une paysanne courtisée par son maître. © Anaïs Bonotaux P our q uoi ? Christiane Pasquier et Claude Poissant se connaissent depuis leur rencontre sur Le Prince travesti de Marivaux au TNM en 1992. Ils se retrouvent, cette fois, autour de la pièce romantique d’Alfred de Musset : On ne badine pas avec l’amour. J’ai eu la chance d’être témoin de cette foisonnante discussion sur le théâtre, sur Musset et sur la portée de son œuvre aujourd’hui. J-S. Traversy On ne badine pas avec l’amour 11 Claude Claude Christiane C’est une de ses courtes pièces ? Quelles sont les difficultés que les étudiants ont rencontrées devant des pièces qui ont été écrites au XIXe siècle ? Le romantisme a beau être de toute époque. Comment appliquer ce romantisme, aujourd’hui, avec des jeunes étudiants assoiffés de connaissance, mais ignorants de ces temps-là ? L’amour. Christiane Louison. C’est ça. Louison. J’avais travaillé le monologue du début en audition pour Jean Gascon. J’étais impressionnée de me trouver devant lui, mais lui avait l’air découragé. Je n’ai pas eu le rôle. Claude Revenons au moment où tu as enseigné Musset à l’Option-Théâtre du Collège Lionel-Groulx. Qu’est-ce qui t’a le plus marquée en lisant l’œuvre de Musset ? Christiane Le fait que ça n’est pas si éloigné de la façon dont j’ai été éduquée. La façon de Musset de voir les choses, sa façon de voir la religion. Musset était athée, mais, malgré cela, il parlait beaucoup de religion dans ses pièces. C’est un thème très présent dans son univers. 1 Téléfilm français de Claude Santelli, sorti en 1974. de Musset, La Confession d’un enfant du siècle, Flammarion, 1993. Christiane Il faut pénétrer le XIXe siècle. Nous avons écouté La Confession d’un enfant du siècle 1 . Nous avons aussi approfondi certains aspects de l’histoire et de la mentalité de l’époque. La génération de Musset était une génération désenchantée, ne sachant « à chaque pas qu’on fait, si l’on marche sur une semence ou sur un débris 2 » . De la même manière qu’on en veut aujourd’hui aux baby-boomers, Musset était sans pitié pour la génération de ses parents. Claude Claude Le thème de l’amour ? Christiane Oui. Le thème de l’amour. C’est un langage universel et intemporel. Je suis certaine qu’On ne badine pas avec l’amour parle aux adolescents d’aujourd’hui. Je ne doute pas que mon filleul de 16 ans, quand il viendra voir le spectacle, comprendra tout. Ces sentiments ne meurent pas. Moi-même, ça me fait vibrer à l’âge que j’ai. J’ai ressenti toutes ces choses-là. J’ai joué le jeu de Camille. J’ai joué à faire semblant, à vouloir être religieuse. Vouloir être pure et, aussi, rester pure. Ne pas vouloir souffrir d’amour. Que veux-tu ? L’homme et la femme sont deux continents qui se connaissent mal et, malheureusement, ils ne se connaissent pas mieux au XXIe siècle qu’au XIXe. Qu’est-ce que tu voulais mettre de l’avant dans cet univers ? La religion ? Les relations entre les personnages ? La langue ? 2 Alfred On ne badine pas avec l’amour 12 Claude Claude Quand t’es-tu éloignée de la religion ? D’où la réaction de Musset, athée, qui tombe en amour avec George Sand, elle, qui s’habille en homme. Sand est la première femme à s’habiller en homme. Elle déclenchera cette mode, chez les femmes, du veston, pantalon. Christiane À l’adolescence. Lors d’une confession, je m’étais accusée d’avoir embrassé un garçon. Le prêtre m’a dit : « C’est un péché mortel. Mortel. Mortel. » Il a failli s’étouffer, tellement il était indigné. À partir de ce moment-là, j’ai décroché. « Péché mortel. Mortel. Mortel. » Il criait presque dans son confessionnal. Claude (Rires) As-tu étudié chez les sœurs ? Christiane Oui, deux années. C’est à cette époque que j’ai voulu rester pure. (Rires) Très vite, je suis retournée au campus scolaire à Sainte-Foy où j’ai joué Zerbinette dans Les Fourberies de Scapin. C’est Normand Chouinard qui jouait le rôle de Scapin. Je comprends donc les idéaux de Camille, qu’elle ait été impressionnée par les récits des religieuses. La vie des femmes, au XIXe siècle, n’était pas très drôle, je crois. Au XVIIIe siècle, pendant la période des Encyclopédistes, il y avait eu une espèce de vent de liberté qui avait soufflé sur la société ou, du moins, sur l’aristocratie. Alors qu’au XIXe, on retrouve la primauté du corset. Les femmes ont été de nouveau emprisonnées dans le carcan des principes. Ce que dit Dame Pluche évoque cette oppression : « Il est inconvenant de tenir un gouvernail. » Qu’est-ce qu’il peut bien y avoir de malséant dans le fait de tenir un gouvernail ? Le XIXe siècle, c’était la contrainte. Christiane C’était révolutionnaire à l’époque. Sand était une femme très courageuse. Ça prenait de l’audace. Féministe, avant l’heure. Musset pouvait bien être amoureux d’elle. Claude George Sand par Nadar, 1864 Côté jeu, comment abordes-tu le personnage de Dame Pluche ? Christiane Ce sont des fantoches. Le Baron, Blazius, Bridaine et Dame Pluche sont des fantoches. Musset les fait pendre au-dessus de la scène. Il met ses beaux jeunes personnages à l’avant plan. Et là, les vieux, il les fait presque apparaître du haut des cintres. Comme des marionnettes d’un temps considéré comme révolu. Claude Ce sont des personnages schématiques, graphiques. Comment une actrice, comme toi, plonge dans Dame Pluche ? Christiane Si je le savais … Claude Poissant est directeur artistique du Théâtre Denise-Pelletier depuis 2014. Il a été auparavant codirecteur artistique et l’un des fondateurs (1978) du Théâtre PàP. Figure de proue du théâtre québécois depuis plus de trente ans, Claude Poissant est un défricheur et un défenseur de paroles. Parmi ses mises en scène récentes, rappelons Marie Tudor de Victor Hugo, Cinq visages pour Camille Brunelle de Guillaume Corbeil et Grande Écoute de Larry Tremblay. Il portera à la scène L’orangeraie de Larry Tremblay en mars 2016 au TDP. On ne badine pas avec l’amour 13 CO R R ES P ONDANCES flickr.com/photos/britishlibrary P our q uoi ? On ne pouvait passer à côté de la correspondance tumultueuse (et ô combien amoureuse !) de George Sand et Alfred de Musset. Correspondance qui a inspiré Musset dans l’écriture de la pièce On ne badine pas avec l’amour. Voici, ici, un extrait de leur séparation au cœur de ces magnifiques échanges. En contrepartie, la naissance d’une correspondance contemporaine, mais amicale cette fois, entre un romancier et poète québécois, Jean-François Caron et une professeure de théâtre française d’origine établie au Saguenay, Sophie Torris. J-S. Traversy 14 D’Alfred de Musset à George Sand De George Sand à Alfred de Musset Baden, 1er septembre 1834 Voilà huit jours que je suis parti et je ne t’ai pas encore écrit. J’attendais un moment de calme, il n’y en a plus. Je voulais t’écrire doucement, tranquillement par une belle matinée, te remercier de l’adieu que tu m’as envoyé, il est si bon, si triste, si doux : ma chère âme, tu as un cœur d’ange. Je voudrais te parler seulement de mon amour, ah ! George, quel amour ! Jamais homme n’a aimé comme je t’aime. Je suis perdu, vois-tu, je suis noyé, inondé d’amour ; je ne sais plus si je vis, si je mange, si je marche, si je respire, si je parle ; je sais que je t’aime. Ah ! si tu as eu toute ta vie une soif de bonheur inextinguible, si c’est un bonheur d’être aimée, si tu ne l’as jamais demandé au ciel, oh ! toi, ma vie, mon bien, ma bien-aimée, regarde le soleil, les fleurs, la verdure, le monde ! Tu es aimée, distoi, cela autant que Dieu peut être aimé par ses lévites, par ses amants, par ses martyrs ! Je t’aime, ô ma chair et mon sang ! Je meurs d’amour, d’un amour sans fin, sans nom, insensé, désespéré, perdu ! Tu es aimée, adorée, idolâtrée jusqu’à en mourir ! Et non, je ne guérirai pas. Et non, je n’essaierai pas de vivre ; et j’aime mieux cela, et mourir en t’aimant vaut mieux que de vivre. Je me soucie bien de ce qu’ils en diront. Ils disent que tu as un autre amant. Je le sais bien, j’en meurs, mais j’aime, j’aime, j’aime. Qu’ils m’empêchent d’aimer ! Nohant, vers le 7 septembre 1834 Vois-tu, lorsque je suis parti, je n’ai pas pu souffrir ; il n’y avait pas de place dans mon cœur. Je t’avais tenue dans mes bras, ô mon corps adoré ! Je t’avais pressée sur cette blessure chérie ! Je suis parti sans savoir ce que je faisais ; je ne sais si ma mère était triste, je crois que non, je l’ai embrassée, je suis parti ; je n’ai rien dit, j’avais le souffle de tes lèvres sur les miennes, je te respirais encore. Ah ! George, tu as été tranquille et heureuse làbas. Tu n’avais rien perdu. Mais sais-tu ce que c’est que d’attendre un baiser cinq mois ! Sais-tu ce que c’est pour un pauvre cœur qui a senti pendant cinq mois, jour par jour, heure par heure, la vie l’abandonner, le froid de la tombe descendre lentement dans la solitude, la mort et l’oubli tomber goutte à goutte comme la neige, sais-tu ce que c’est pour un cœur serré jusqu’à cesser de battre, de se dilater un moment, de se rouvrir comme une pauvre fleur mourante, et de boire encore une goutte de rosée, vivifiante ? Oh, mon Dieu, je le sentais bien, je le savais, il ne fallait pas nous revoir. Maintenant c’est fini ; je m’étais dit qu’il fallait revivre, qu’il fallait prendre un autre amour, oublier le tien, avoir du courage. J’essayais, je tentais du moins. Mais maintenant, écoute, j’aime mieux ma souffrance que la vie ; vois-tu, tu te rétracterais que cela ne servirait de rien ; tu veux bien que je t’aime ; ton cœur le veut, tu ne diras pas le contraire, et moi, je suis perdu. Vois-tu, je ne réponds plus de rien. Je t’écris sur un album, d’un petit bois où je suis venue me promener seule, triste, brisée, et où je lis ta lettre de Baden. Hélas ! hélas ! qu’est-ce que tout cela ? pourquoi oublies-tu donc à chaque instant, et cette fois plus que jamais, que ce sentiment devait se transformer et ne plus pouvoir par sa nature faire ombrage à sa personne ? Ah ! tu m’aimes encore trop il ne faut plus nous voir. C’est de la passion que tu m’exprimes, mais ce n’est plus le saint enthousiasme de tes bons moments. Ce n’est plus cette amitié pure dont j’espérais voir s’en aller, peu à peu, les expressions trop vives. Et pourtant, je ne m’en inquiétais pas de ces expressions, elles étaient la poétique habitude de ton langage de poète : Et moi-même, est-ce que je pesais et mesurais les mots ? Pour d’autres que pour nous ils eussent peut-être signifié autre chose, je n’en sais rien. […] Est-ce que l’amour élevé et croyant est possible ? Estce qu’il ne faut pas que je meure sans l’avoir rencontré ? Toujours saisir des fantômes et poursuivre des ombres ! je m’en lasse. [...] Oh ! que je suis malheureuse, je ne suis point aimée, je n’aime pas ! Me voilà insensible, un être stérile et maudit ! — Et toi, tu viens me parler de transports d’ivresse, de désirs. Que t’ai-je fait, insensé, pour que tu brises tout dans mon âme, la confiance en toi et en moi-même ? — J’ai consommé mon suicide le jour où j’ai cru te sauver par l’amitié. On ne badine pas avec l’amour 15 CO R R ES P ONDANCES flickr.com/photos/britishlibrary Correspondance entre le romancier et poète JeanFrançois Caron et l’enseignante et blogueuse Sophie Torris. Ils partagent tous deux une correspondance épistolaire sur le blogue in absentia (cliquez pour voir le blogue) entre octobre 2011 et avril 2014, sur l’écriture et comment l’amour de celle-ci peut créer un partage de connaissances inouï. JEAN-FRANÇOIS CARON est écrivain (roman, poésie et théâtre) et rédacteur en chef de l’Unique, le journal de l’union des écrivaines et écrivains québécois. Précédemment, il était rédacteur en chef à l’hebdomadaire Voir Saguenay. SOPHIE TORRIS est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis vingt ans. Elle vit à Chicoutimi, y enseigne le théâtre et le français dans la région. Elle écrit du théâtre scolaire et tient une chronique bi-hebdomadaire sur le blogue littéraire Le chat qui louche. 16 Octobre 2011 Une petite brise Bonsoir Jean-François, Voici une petite requête qui te semblera peut-être déplacée voire indigne d’intérêt. Si c’est le cas, ça aura été un coup pour du beurre et j’en tartinerai ma biscotte en solitaire, ravalant l’allusion sans plus me faire d’illusion. Cela fait quelques jours que l’idée me trottine dans la tête et voilà, je m’entête. (Tu constateras que pour ne point te déplaire, j’ai étêté mon point final d’une potentielle marque exclamative. Je me pointe déjà avec mes gros sabots, c’est assez). quand même de réussir à faire vibrer quelques tamtams sauvages dans ta tête. Qu’en dis-tu ? On se dit tu ? Sophie L’édition n’est qu’un sceau Sainte-Béatrix, le 27 octobre 2011 Chère Sophie, Je n’irai donc pas par quatre rangs, prendrai délibérément le 450 afin de te faire part de mes velléités inouïes. Tu auras peut-être saisi au travers de mes statuts FB le désir d’écriture qui taraude et le ras le bol d’un huis clos entre moi et mes écrits vains. Or, en m’échouant, béate, sur tes rivages romanesques et poétiques, j’ai découvert tes affinités narratives avec la deuxième personne du singulier. Alors voilà, j’ose ici la prétention d’une demande singulière : être pour toi, le temps d’une correspondance, un de tes tu. Tu me disais récemment qu’il serait amusant de se rencontrer, mais tes écuries sont à perpette. Voilà une proposition qui, franchement, me sourit. Aurions-nous alors à gagner à ce que tu me dises oui ? Pour moi, l’éventuelle convivialité féconde d’un dialogue épistolaire ne peut qu’exacerber ce désir de quête identitaire. Imagine que dans mon rapport à toi, je sente enfin sourdre les premiers balbutiements de ma langue. Même si je ne me suis pas penché sur les pratiques épistolaires, vous touchez donc un point : l’adresse à l’Autre fait effectivement partie de mes préoccupations et l’exercice serait certainement stimulant pour moi aussi (il n’y a pas de petites ou de grandes stimulations, la petite brise peut pousser loin, tandis que le vent de tempête oblige souvent à rester à bon port…) Pour toi, toi qui as trouvé ton propre souffle, je ne peux être qu’une petite brise certes, mais de celle qui invite à la balade. Quelque chose de ludique qui ne se prend pas la tête, des rendez-vous inopinés et l’ambition secrète Pour tenir l’argumentaire que vous développez, vous savez sans doute que j’ai justement fait une maîtrise sur l’utilisation de la deuxième personne… Cela dit, ce n’est pas tant son utilisation épistolaire qui m’intéressait que sa portée identitaire dans le rapport narratif. Je vous invite à fouiller sous la poussière de la bibliothèque universitaire de l’UQAC, vous pourrez peut-être encore y trouver le volet théorique de mon mémoire (s’il n’a pas été avalé par le néant où s’engouffrent les connaissances). J’ose toutefois une condition que je vous introduis ici. Les premiers balbutiements de votre langue, ils vous coulent déjà de bouche en clavier toutes vannes ouvertes et depuis longtemps. Vous n’avez pas publié ? Soit. Mais on est écrivain bien avant de publier, dès que forme et fond se côtoient et se confondent dans nos préoccupations. L’édition n’est qu’un sceau. Ma condition, donc : vous devrez vous empêcher de faire des courbettes et de vous excuser de votre talent, vous refuser à réduire la pertinence, la beauté, la justesse de vos écrits. Alors, seulement, je vous dirai tu dans ce projet épistolaire perfectible mais emballant. Et c’est ainsi que je me permets d’aller un peu plus loin, déjà, que votre proposition. Je trouve que ce projet de correspondance vous permet de rester dans une zone un peu trop confortable. Si nous n’avons qu’une relation épistolaire conventionnelle, vous vous rendrez compte en peu de temps que je suis aussi inintéressant que n’importe qui d’autre, et vous n’y aurez pas gagné grand chose. Voici donc ce que je vous propose (enfin !). Cette correspondance, nous pourrions la publier, directement, par l’intermédiaire d’un blogue qui y serait consacré. Il est possible, en effet, d’écrire un blogue à plusieurs mains (je pourrais nous organiser ça en peu de temps, c’est très simple). La forme demeurerait évidemment épistolaire, puisque c’est là, justement, l’intérêt du projet. Ce que cela vous apporterait : l’éventualité d’être lu par d’autres est une contrainte fort stimulante. Et cela permettrait d’agir en écrivains plutôt que de se contenter de vains écrits. Si vous le souhaitez, donc, je vous dirai tu. Un mot de vous et ce sera fait. JFrançois On ne badine pas avec l’amour 17 abécédaire par Claude Poissant Badiner P our q uoi ? Belle surprise que cet abécédaire. Durant ses vacances, et en pleine période de recherche sur Musset et son œuvre phare, On ne badine pas avec l’amour, Claude a préparé ce magnifique abécédaire qui couvre largement les inspirations, l’époque et l’homme qu’était Musset. J-S. Traversy Plaisanter, prendre à la légère, badiner, c’est ce qu’il faut éviter avec l’amour selon Musset. Perdican et Camille n’ont rien d’héroïque, cependant la complexité de leurs sentiments fait que leur amour, fort de ses incertitudes, prend cette place de héros. Musset réussit donc, avec sa pièce la plus inclassable, le discours le plus honnête et cruel qui soit sur l’amour. Car les insistances de Perdican et les méfiances de sa cousine Camille nous font, nous les spectateurs, tanguer entre l’immaturité de leur comportement et la lucidité de leurs paroles. Ils ne badinent donc pas. Deux Mondes (Revue des) Les œuvres des jeunes auteurs sont souvent inédites et la Revue des Deux Mondes vient de naître en 1829. Musset y publiera beaucoup de ses œuvres. La Revue existe toujours et présente Michel Houellebecq à la une dans son numéro de juillet 2015. À ma mère Cénacle Enfant du siècle Tel est le titre de la première œuvre de Musset. Il a alors 13 ans. En fait, c’est une chanson qui se termine ainsi : À toutes époques, les artistes se trouvent des endroits pour se réunir. Lire des textes, discuter, organiser des soirées pour échanger sur l’art, la société, la politique, voilà ce qui se vivait dans les Salons du XIXe siècle. Entre 1820 et 1830, alors que Musset n’a pas 20 ans, il lui arrive de fréquenter le Cénacle. Ce club privé dont le nom s’inspire du Cénacle de Jérusalem où ont eu lieu la Cène et la Pentecôte, est ici un salon privé pour romantiques, où Musset rencontre les écrivains Victor Hugo, Gérard de Nerval et Alexandre Dumas ; les musiciens Chopin, Liszt, Berlioz et le peintre Delacroix. C’est ainsi qu’on a souvent nommé Musset puisque La Confession d’un enfant du siècle, une œuvre phare du romancier, créée en même temps que sa pièce On ne badine pas avec l’amour, reste sa grande œuvre autobiographique, un roman qui plonge au cœur de sa tristesse et de sa colère. Les Enfants du siècle, c’est aussi le titre du film de Diane Kurys datant de 1999 où les comédiens Benoit Magimel et Juliette Binoche jouent la passion tumultueuse entre Musset et l’écrivaine George Sand. Ô toi, dont les soins prévoyants, Dans les sentiers de cette vie Dirigent mes pas nonchalants, Ma mère, à toi je me confie. Des écueils d’un monde trompeur Écarte ma faible nacelle. Je veux devoir tout mon bonheur À la tendresse maternelle. (Bis) On ne badine pas avec l’amour 18 Fauteuil Hugo Jeunesse À partir de 1832, Musset fait paraître ce qu’il nommera « un spectacle dans un fauteuil ». Ainsi, il offre aux lecteurs du théâtre à lire. Musset leur dit en somme : « Vous n’aurez plus besoin de vous déplacer, vous n’aurez qu’à lire les dialogues et à imaginer ce que vous désirez ». Irrité par la critique, Musset ne croit plus tant à la représentation publique de ses œuvres, il pose alors ce geste téméraire qui lui donnera raison, puisqu’ On ne badine pas avec l’amour ne sera jouée que 27 ans après sa publication. Parmi ses pièces dites pour fauteuil, il y a Fantasio, Lorenzaccio et Les Caprices de Marianne. Durant tout le siècle, en France, Victor Hugo règne sur la vie littéraire, sociale et politique. Comme il vivra longtemps, (Hugo meurt à 83 ans, Musset à 46) il traverse donc le XIXe avec une vie encore plus fabuleuse, en raison entre autres de son engagement politique, que celle de Musset. C’est Paul Foucher, ami de jeunesse de Musset, et frère d’Adèle Foucher qui lui présente Hugo. Musset a alors 11 ans, Hugo 19 et Adèle est sa célèbre fiancée. L’auteur de Les Contemplations, de La Légende des siècles et de Marie Tudor, participe donc à ce désir de Musset de choisir la carrière littéraire, lui dont le regard lorgne vers le droit ou encore les beaux-arts, vu son talent inné pour le dessin. Avant d’être l’auteur qui court les cafés littéraires, Musset a déjà des prédispositions. Sa mère, Edmée Claudette Guyot-Desherbiers, est la fille d’un homme politique et son père, Victor de Musset-Pathay, est un homme de lettres qui se penchera entre autres, avec justesse, sur l’œuvre de Jean-Jacques Rousseau, l’auteur de Les Rêveries du promeneur solitaire, précurseur du mouvement romantique. Quant à son frère, Paul de Musset, de cinq ans son aîné, il sera un ardent défenseur d’Alfred et écrira sa biographie après sa mort. Le poète et dramaturge avait aussi une jeune sœur, Hermine, sa dite bienfaitrice, qui a vécu jusqu’en 1905. George George Sand a un prénom d’homme. En fait, son vrai nom est Amantine Aurore Lucile Dupin. Par ses tenues vestimentaires masculines, son pseudonyme, son œuvre belle et révoltée, ses amours tumultueux dont celui, marquant, avec Musset, Sand bouscule les mentalités et crée de nombreux débats tant dans la population que dans les cercles littéraires. Sa relation avec Musset est aussi brève qu’intense, elle devient inévitablement une source d’inspiration pour tous deux. On ne badine pas avec l’amour sera écrit en plein tourment de leur relation. Mais Perdican n’est pas Alfred et Camille n’est pas Sand. Leurs propos et leurs tensions sont cependant nés des déchirements sentimentaux entre les deux auteurs. Interdit Si à la Comédie-Française, On ne badine pas avec l’amour n’a été présentée pour la première fois qu’en 1861, soit quatre ans après la mort de Musset, c’est que la pièce était considérée comme une œuvre irréligieuse. Même ceux qui savaient y lire une œuvre majeure de Musset craignaient que les associations religieuses ne se manifestent si la pièce était programmée. C’est la dure bataille de Paul de Musset et quelques changements opérés dans l’œuvre qui ont finalement permis la première le 18 novembre 1861. Krejca Le grand acteur français Gérard Philippe joue et dirige un mémorable et mythique Lorenzaccio en 1952 dans l’immense Palais des Papes au festival d’Avignon. En 1979, c’est au grand metteur en scène tchèque Otomar Krejca que revient le défi de mettre en scène Philippe Caubère dans le rôle de Lorenzaccio, sur cette même immense scène extérieure. Philippe Caubère, fort de son succès du rôle-titre dans le film Molière d’Ariane Mnouchkine, y vit l’enfer, luttant contre la complexité du personnage de Lorenzaccio, bravant les huées de plusieurs spectateurs qui quittent bruyamment leur place et affrontant le mistral qui vente sur Avignon comme si le fantôme de Gérard Philippe soufflait sur le Palais. En l’an 2000, la même aventure est reprise au Festival, mais cette fois le metteur en scène Jean-Pierre Vincent et Jérôme Kircher en Lorenzo s’en tirent mieux. On ne badine pas avec l’amour 19 Malheur L’homme est un apprenti, la douleur est son maître. Et nul ne se connaît tant qu’il n’a pas souffert. C’est une dure loi, mais une loi suprême, Vieille comme le monde et la fatalité, Qu’il nous faut du malheur recevoir le baptême Et qu’à ce triste prix tout doit être acheté. Musset, La nuit d’octobre. Nuits La nuit d’octobre est un poème, un dialogue entre le poète et la muse. La nuit vénitienne, elle, est une des premières pièces de Musset, celle qui fut si maltraitée par la critique et qui le fit opter pour « un spectacle dans un fauteuil ». Mais il y a aussi les nuits folles de débauche, de tristesse et d’alcool qui auront raison de la santé de Musset. Octave Octave et Octave sont deux personnages, alter ego de Musset. D’abord, Octave est cet éternel désabusé, narrateur pour La Confession d’un enfant du siècle. Et l’autre Octave est le virulent, inconvenant mais attachant personnage qui manie bien le cynisme dans Les Caprices de Marianne. Alfred est donc un Octave. Lorenzaccio Parlant du loup. C’est, on dit, la plus grande pièce de Musset. C’est l’histoire d’un meurtre, celui d’Alexandre de Médicis, par son cousin Lorenzo, un sordide assassinat, inutile en apparence, mais dont la gratuité vise à l’éveil des consciences et des regards sur le pouvoir. Mais d’autres vous diront que la pièce a mille défauts et qu’On ne badine pas avec l’amour est sa plus belle réussite. Proverbe Musset inclut On ne badine pas avec l’amour dans ses Comédies et Proverbes et ne se soucie qu’à peine des conventions théâtrales classiques, ne respectant pas les unités de temps, de lieu et d’action. Aussi, la comédie et le proverbe appellent à une légèreté qu’ici, Camille et Perdican, avec leur propos dramatiques et malgré les autres personnages comiques, brouillent entièrement. Qui ne risque rien n’a rien. Québec Au Québec, On ne badine pas avec l’amour est présentée au TNM en 1988 dans une mise en scène du directeur Olivier Reichenbach avec Sophie Faucher et David La Haye pour jouer les amoureux. Deux ans plus tard, le Théâtre de l’Opsis propose un spectacle où l’on peut voir six fois la même scène 5 de l’acte 2 jouée par six Camille et six Perdican. Albert Millaire signe aussi une mise en scène de la pièce pour le Théâtre du Trident en 1991 avec MarieThérèse Fortin dans le rôle de Camille. Denise Filiatrault met en scène Le Chandelier au Théâtre Populaire du Québec en 1995 avec Gabriel Sabourin en Fortunio. De mon côté, en complicité avec le scénographe Raymond Marius Boucher, je mets en scène, ici même au TDP, Lorenzaccio en 1999 avec 24 comédiens, dont Luc Picard dans le rôle-titre et le regretté Jean-Louis Roux et deux ans plus tard, au Théâtre du Trident à Québec, Les Caprices de Marianne, avec Nadine Meloche, Hugues Frenette et JeanSébastien Ouellette. Romantiques Le romantisme nait à la fin du XVIIIe siècle chez les Allemands pour éclore pleinement en France au XIXe siècle, avec poètes, romanciers et dramaturges pour porte-étendards. Si Hugo, Lamartine, Chateaubriand, Sainte-Beuve, Vigny en revendiquent cet éloignement nécessaire des classiques, Musset est plutôt tiède à l’idée de faire l’éloge de ce grand mouvement à la fois littéraire et politique. Musset s’isole ainsi, ne se réclamant d’aucun mouvement. Sa passion, son infinie mélancolie, l’art comme remède à sa douleur, ses dérives amoureuses et ses nuits blanches, puis son œuvre imprévisible, moins construite que celles de ses semblables, plus impulsive et toute aussi politique parce que sans concession, en font pourtant le plus limpide des romantiques. On ne badine pas avec l’amour 20 Tebaldeo C’est le jeune peintre Tebaldeo dans Lorenzaccio qui prendra le discours de l’artiste Musset : « Je ne ris point du malheur des familles ; je dis que la poésie est la plus douce des souffrances, et qu’elle aime ses sœurs. Je plains les peuples malheureux, mais je crois en effet qu’ils font les grands artistes. Les champs de bataille font pousser les moissons, les terres corrompues engendrent le blé céleste. » Un caprice Un caprice fait partie de ses courtes pièces en un acte que Musset sait écrire avec finesse et économie qu’on joue dans des salons. Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée en est une autre : deux personnages dans un petit espace et une simple question posée de la Marquise au Comte déclenchent une Comédie et Proverbe : « Est-ce que vous avez quelque chose à me dire ? » Venise C’est lors de leur mythique voyage à Venise que les blessures amoureuses de Musset et Sand se font fatales. En arrivant à Venise, George tombe malade mais continue ses travaux. Alfred se sent seul. Puis à son tour, Alfred est atteint d’une frénétique fièvre qui oblige Sand à confier son amant à un jeune médecin, Pagello. Tous deux prennent soin du poète mais contre toute attente, Sand et le donjuanesque Pagello développent l’un pour l’autre des sentiments, ce qui bouleverse Musset qui, dès qu’il le peut, rentre à Paris pour, dit-il, chercher un nouvel amour. Wilde Oscar Wilde, l’écrivain britannique, homosexuel avoué et dandy assumé, s’est fortement inspiré d’une pièce de Musset, Il ne faut jurer de rien, pour créer son œuvre phare, où libertinage et langage sont bons amis, soit L’Importance d’être Constant. XXIe siècle Lorenzaccio parle encore en 2015 si justement de la lutte contre la corruption. On ne badine pas avec l’amour décrit avec modernité la difficulté d’aimer, de s’engager, de se donner et à la fois de croire. Les Caprices de Marianne traitent de la candeur, du cynisme et de la violence des hommes. C’est la preuve que l’œuvre de Musset entre avec grandeur dans le nouveau millénaire. lYrisme Qu’est-ce que le lyrisme ? Un peu d’emphase mais pas d’effusion, plus de vocabulaire, une musicalité dans les phrases, un idéalisme dans les images, une certaine obéissance à l’inconscient, une sublimation de la vie intime et des sentiments qui la font. Donc Musset, comme Hugo, est un romantique lyrique. Zola Émile Zola est un autre admirateur de Musset. L’auteur de Germinal est de ceux qui ont défendu avec détermination l’unicité et la beauté de son œuvre, que d’autres comme Rimbaud et Baudelaire ont raillée. Malgré admirateurs, défendeurs et détracteurs, Musset, l’homme comme l’écrivain, reste, deux siècles après sa jeunesse, un modèle fort du romantisme. Claude POISSANT est directeur artistique du Théâtre Denise-Pelletier et metteur en scène de la pièce On ne badine pas avec l’amour. flickr.com/photos/britishlibrary Shakespeare Dès son enfance, Musset déclare : je voudrais être Shakespeare ou Schiller. Les deux auteurs, l’Anglais comme l’Allemand, étaient donc déjà parmi ses maîtres influents. Comme le seront Rousseau et Molière. On ne badine pas avec l’amour 21