On ne badine pas avec l`amour - Théâtre Denise

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salle denise-Pelletier
3 0 s e p t e m b r e a u 2 4 o c t o b r e 2 015
On ne
badine pas
avec l’amour
Texte Alfred de Musset
Mise en scène Cl aude Poissant
A vec A drien B le t t on , H enri C hass é , F rancis
D ucharme , O livier G ervais - C ourchesne ,
R achel G ra t on , M ar t in H é rou x , A lice P ascual ,
C hris t iane P as q uier e t D enis R o y
© Mathilde Corbeil
en savoir
Après dix ans de séparation, Perdican retrouve Camille.
Mais comme la candeur de l’enfance est disparue sous
la jeunesse, les deux amoureux semblent incapables
de s’avouer leur flamme. Camille préfère se donner à
Dieu plutôt que d’épouser Perdican et les discours de
fantoches risquent fort d’aggraver la situation…
8
PRENDRE LE VOILE POUR FUIR
LA RÉALITÉ DE SON ÉPOQUE ?
© picjumbo
par Judith Lussier
Dans On ne badine pas avec l’amour, le personnage
de Camille décide de devenir sœur parce qu’elle a
peur de l’amour : peur de s’y abandonner, peur de s’y
perdre, peur des infidélités de son partenaire. Elle
préfère aimer un être absent, mais qui la remplit
intérieurement et qui ne risque pas de la décevoir :
Dieu. Les mœurs ont beaucoup changé depuis l’époque
d’Alfred de Musset. Mais se peut-il que les motivations
d’une jeune femme à entrer en religion soient similaires ?
Nous avons posé la question à Violaine Paradis qui, après
des débuts prometteurs comme comédienne, a décidé
de devenir sœur Violaine.
Comment avez-vous décidé de devenir soeur ?
J’avais 28 ans quand j’ai reconnu que ça pouvait être
« ça ». Après un été où j’ai joué dans la pièce Les Nonnes,
j’ai senti que je devais aller voir ce qui se passait pour moi
de ce côté-là. J’ai alors entrepris une retraite silencieuse à
l’Abbaye d’Oka. J’écrivais, je pleurais, puis j’ai rencontré un
moine qui m’a suggéré des lectures. Au cœur du silence,
j’ai repris contact avec cette source d’amour en moi qui
est Dieu. Avant, j’étais ailleurs, j’étais beaucoup dans le
« plaire aux autres ». Je cherchais à l’extérieur un bonheur
que j’avais à l’intérieur de moi.
Est-ce que ça a été difficile de trouver cette voie ?
P our q uoi ?
L’hésitation de Camille dans On ne badine pas avec
l’amour entre l’amour sacré et l’amour profane
a piqué ma curiosité. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Qu’est-ce qui pousse une jeune femme à entrer
chez les sœurs en 2015 ? Voici la très généreuse
rencontre entre Sœur Violaine Paradis et Judith
Lussier. J-S. Traversy
Le seigneur était présent dans mon cœur depuis
que j’étais toute petite, mais ma famille n’était pas
pratiquante. C’est un défi, de trouver sa voie, en ce
moment. Tout va vite, on est submergés par la vitesse des
communications. Le bruit, ça n’aide pas à retrouver sa
petite voix intérieure : on n’encourage pas ça aujourd’hui
et ça peut être plus difficile de l’entendre. C’est pour ça
que plusieurs veulent se ressourcer dans le silence.
Pensez-vous que la cacophonie engendrée par les
moyens de communication comme Facebook et les
textos puisse être une motivation, en 2015, pour
vouloir se réfugier dans le silence ?
Échapper à la tyrannie des communications ? Malheureusement on ne peut pas ! La Congrégation de NotreDame, à laquelle j’appartiens, est proactive dans les
communications parce que c’est le moyen de rejoindre
les gens. J’essaie de ne pas être esclave de ces outils.
J’ai un cellulaire depuis peu et je capote ! Je comprends
maintenant que c’est à moi de garder mes distances.
On ne devient pas religieuse pour échapper à ça : au
contraire, les religieuses sont appelées à comprendre la
réalité dans laquelle elles évoluent.
Dans On ne badine pas avec l’amour, les proches de
Camille ne sont pas tous heureux de son choix. Avezvous été bien accueillie dans votre décision ?
Ce n’est pas tout le monde qui a accepté ma décision sur
le coup. Ma famille pensait que c’était un trip, que ça allait
passer. Je suis une fille de party, de gang : moi-même
On ne badine pas avec l’amour 9
Vous avez dû renoncer à la vie de couple. Est-ce que
c’est difficile ?
Notre société est hypersexualisée. Est-ce qu’on entretient le beau, le sacré et le mystérieux en l’autre ? En
mettant des hommes ou des femmes sur des affiches
publicitaires où on révèle tout, surtout la femme, qui
est présentée comme un objet, on perd le sens de la
beauté, on vide la personne de son sens en la réduisant
à son enveloppe. Dans l’abstinence, on choisit de ne plus
faire de la sexualité ce qui nous mène.
Il fut un temps où les femmes voyaient dans la vie
religieuse le seul moyen pour elles d’avoir un métier. Ça
leur permettait de devenir enseignantes ou infirmières,
notamment. Au moment du concile Vatican II – un genre
de réforme dans l’Église catholique – les communautés
religieuses sont revenues aux fondements de leurs
vocations. Des communautés ont laissé leurs habits
religieux pour revenir à quelque chose de plus simple.
Ça a fait du ménage dans les raisons pour lesquelles les
femmes s’engageaient en religion et certaines ont réalisé,
par exemple, qu’elles voulaient seulement enseigner.
Des religieuses ont alors quitté leur communauté parce
qu’elles n’y étaient pas entrées pour les bonnes raisons.
Encore aujourd’hui, dans certains pays plus pauvres,
la peur de manquer de ressources peut motiver des
jeunes femmes à vouloir devenir religieuses. Avant de
les accepter, les communautés religieuses prennent le
temps de s’assurer que les candidates désirent s’engager
pour les bonnes raisons.
Si les sœurs pouvaient dorénavant avoir des relations
amoureuses, cèderiez-vous à la tentation ?
Est-ce qu’on vous a reproché de vouloir fuir quelque
chose ?
Je ne sais pas ! Il y a quelque chose de radical dans le
fait d’être abstinente. J’ai reconnu que je devais lâcher
prise sur ce désir d’être en couple. Je trouve ça difficile,
mais dans cet abandon-là, j’accueille beaucoup d’amitié.
Je préfère ne pas entretenir de fantasme de relation
conjugale ou sexuelle. Par exemple, je n’irai pas voir le
film Cinquante nuances de Grey ! Ce n’est pas par peur :
c’est pour être cohérente avec mes choix.
Oui, on a pensé que je voulais fuir les hommes,
l’engagement amoureux. Mon père, sans penser que
c’était de la fuite, était déçu parce qu’il trouvait que
j’étais une bonne comédienne. Moi, j’ai reconnu que je ne
suis plus en accord avec certains aspects du métier : la
compétition, téter des rôles, le côté « épater la galerie »,
je ne m’ennuie pas de ça du tout. Ma vocation, c’est
d’aimer. Mais il y a aussi de la beauté dans le théâtre : créer
des rôles, travailler ensemble, c’est beau. La passion que
j’ai pour Dieu, je peux la transmettre à travers le
théâtre. En pastorale, j’utilise beaucoup mon art. Je
continue de me réaliser comme comédienne, mais pas
de la même manière. C’est tout !
C’est exigeant parce que je voulais des enfants et que,
foncièrement, je suis une amoureuse. J’ai connu les
relations de couple et j’étais bien là-dedans. Au départ,
ça n’a pas été facile. Je me disais que je n’aurais plus
jamais d’amoureux, de tendresse, mais j’ai été bien
accompagnée. J’ai décidé de me concentrer davantage
sur ce que j’ai choisi que sur ce à quoi j’ai renoncé.
© Droits réservés
Qu’est-ce qu’on choisit dans l’abstinence ?
Soeur Violaine Paradis
j’étais surprise d’être attirée par la religion. Si j’étais
entrée il y a 50 ans, ça aurait peut-être été différent.
C’était plus encouragé et les sœurs étaient plus
nombreuses à se soutenir. Mais pour moi, ça a été un
soulagement.
Un peu de la même façon qu’une personne
peut se sentir libérée lorsqu’elle découvre
son orientation sexuelle.
Pensez-vous qu’il soit possible qu’encore en 2015, des
jeunes femmes choisissent la religion pour fuir quelque
chose, de la même façon que Camille tente d’échapper
à l’amour ?
Il est possible que certaines femmes, de manière
inconsciente, fassent ce choix-là pour échapper à la
peur de s’engager en couple ou en famille. En même
temps, la vie religieuse, c’est tout un engagement !
JUDITH LUSSIER est auteure, journaliste et chroniqueuse
au Journal Métro.
SOEUR VIOLAINE PARADIS est membre de la Congrégation
de Notre-Dame.
On ne badine pas avec l’amour 10
c o n v e r s at i o n
Christiane Pasquier
et Claude Poissant
Claude Poissant
Quand as-tu vraiment plongé dans l’œuvre de Musset la
première fois ?
Christiane Pasquier
Il me semble que c’est quand je l’ai enseigné.
Claude
Tu n’avais jamais joué auparavant dans une pièce de
Musset ?
Christiane
Ah oui ! J’avais fait un monologue.
« Me voilà bien chanceuse ; il n’en faut plus qu’autant.
Le sort est, quand il veut, bien impatientant. » Plus ou
moins l’histoire d’une paysanne courtisée par son
maître.
© Anaïs Bonotaux
P our q uoi ?
Christiane Pasquier et Claude Poissant se
connaissent depuis leur rencontre sur Le
Prince travesti de Marivaux au TNM en 1992.
Ils se retrouvent, cette fois, autour de la pièce
romantique d’Alfred de Musset : On ne badine
pas avec l’amour. J’ai eu la chance d’être témoin
de cette foisonnante discussion sur le théâtre,
sur Musset et sur la portée de son œuvre
aujourd’hui. J-S. Traversy
On ne badine pas avec l’amour 11
Claude
Claude
Christiane
C’est une de ses courtes pièces ?
Quelles sont les difficultés que les étudiants ont
rencontrées devant des pièces qui ont été écrites au XIXe
siècle ? Le romantisme a beau être de toute époque.
Comment appliquer ce romantisme, aujourd’hui, avec
des jeunes étudiants assoiffés de connaissance, mais
ignorants de ces temps-là ?
L’amour.
Christiane
Louison. C’est ça. Louison. J’avais travaillé le monologue
du début en audition pour Jean Gascon. J’étais
impressionnée de me trouver devant lui, mais lui avait
l’air découragé. Je n’ai pas eu le rôle.
Claude
Revenons au moment où tu as enseigné Musset à
l’Option-Théâtre du Collège Lionel-Groulx. Qu’est-ce qui
t’a le plus marquée en lisant l’œuvre de Musset ?
Christiane
Le fait que ça n’est pas si éloigné de la façon dont j’ai été
éduquée. La façon de Musset de voir les choses, sa façon
de voir la religion. Musset était athée, mais, malgré cela,
il parlait beaucoup de religion dans ses pièces. C’est un
thème très présent dans son univers.
1 Téléfilm
français de Claude Santelli, sorti en 1974.
de Musset, La Confession d’un enfant du siècle,
Flammarion, 1993.
Christiane
Il faut pénétrer le XIXe siècle. Nous avons écouté La
Confession d’un enfant du siècle 1 . Nous avons aussi
approfondi certains aspects de l’histoire et de la
mentalité de l’époque. La génération de Musset était
une génération désenchantée, ne sachant « à chaque
pas qu’on fait, si l’on marche sur une semence ou sur
un débris 2 » . De la même manière qu’on en veut
aujourd’hui aux baby-boomers, Musset était sans pitié
pour la génération de ses parents.
Claude
Claude
Le thème de l’amour ?
Christiane
Oui. Le thème de l’amour. C’est un langage universel
et intemporel. Je suis certaine qu’On ne badine pas
avec l’amour parle aux adolescents d’aujourd’hui. Je ne
doute pas que mon filleul de 16 ans, quand il viendra
voir le spectacle, comprendra tout. Ces sentiments ne
meurent pas. Moi-même, ça me fait vibrer à l’âge que
j’ai. J’ai ressenti toutes ces choses-là. J’ai joué le jeu
de Camille. J’ai joué à faire semblant, à vouloir être
religieuse. Vouloir être pure et, aussi, rester pure. Ne pas
vouloir souffrir d’amour. Que veux-tu ? L’homme et la
femme sont deux continents qui se connaissent mal et,
malheureusement, ils ne se connaissent pas mieux au
XXIe siècle qu’au XIXe.
Qu’est-ce que tu voulais mettre de l’avant dans
cet univers ? La religion ? Les relations entre les
personnages ? La langue ?
2 Alfred
On ne badine pas avec l’amour 12
Claude
Claude
Quand t’es-tu éloignée de la religion ?
D’où la réaction de Musset, athée, qui tombe en amour
avec George Sand, elle, qui s’habille en homme. Sand
est la première femme à s’habiller en homme. Elle
déclenchera cette mode, chez les femmes, du veston,
pantalon.
Christiane
À l’adolescence. Lors d’une confession, je m’étais
accusée d’avoir embrassé un garçon. Le prêtre m’a
dit : « C’est un péché mortel. Mortel. Mortel. » Il a failli
s’étouffer, tellement il était indigné. À partir de ce
moment-là, j’ai décroché. « Péché mortel. Mortel.
Mortel. » Il criait presque dans son confessionnal.
Claude
(Rires) As-tu étudié chez les sœurs ?
Christiane
Oui, deux années. C’est à cette époque que j’ai voulu
rester pure. (Rires) Très vite, je suis retournée au campus
scolaire à Sainte-Foy où j’ai joué Zerbinette dans Les
Fourberies de Scapin. C’est Normand Chouinard qui
jouait le rôle de Scapin. Je comprends donc les idéaux de
Camille, qu’elle ait été impressionnée par les récits des
religieuses. La vie des femmes, au XIXe siècle, n’était pas
très drôle, je crois. Au XVIIIe siècle, pendant la période
des Encyclopédistes, il y avait eu une espèce de vent de
liberté qui avait soufflé sur la société ou, du moins, sur
l’aristocratie. Alors qu’au XIXe, on retrouve la primauté du
corset. Les femmes ont été de nouveau emprisonnées
dans le carcan des principes. Ce que dit Dame Pluche
évoque cette oppression : « Il est inconvenant de tenir
un gouvernail. » Qu’est-ce qu’il peut bien y avoir de
malséant dans le fait de tenir un gouvernail ? Le XIXe
siècle, c’était la contrainte.
Christiane
C’était révolutionnaire à l’époque. Sand était une femme
très courageuse. Ça prenait de l’audace. Féministe, avant
l’heure. Musset pouvait bien être amoureux d’elle.
Claude
George Sand
par Nadar, 1864
Côté jeu, comment abordes-tu le personnage de Dame
Pluche ?
Christiane
Ce sont des fantoches. Le Baron, Blazius, Bridaine
et Dame Pluche sont des fantoches. Musset les fait
pendre au-dessus de la scène. Il met ses beaux jeunes
personnages à l’avant plan. Et là, les vieux, il les fait
presque apparaître du haut des cintres. Comme des
marionnettes d’un temps considéré comme révolu.
Claude
Ce sont des personnages schématiques, graphiques.
Comment une actrice, comme toi, plonge dans Dame
Pluche ?
Christiane
Si je le savais …
Claude Poissant est directeur artistique du Théâtre
Denise-Pelletier depuis 2014. Il a été auparavant codirecteur artistique et l’un des fondateurs (1978) du
Théâtre PàP. Figure de proue du théâtre québécois depuis
plus de trente ans, Claude Poissant est un défricheur et
un défenseur de paroles. Parmi ses mises en scène récentes,
rappelons Marie Tudor de Victor Hugo, Cinq visages pour
Camille Brunelle de Guillaume Corbeil et Grande Écoute de
Larry Tremblay. Il portera à la scène L’orangeraie de Larry
Tremblay en mars 2016 au TDP.
On ne badine pas avec l’amour 13
CO R R ES P ONDANCES
flickr.com/photos/britishlibrary
P our q uoi ?
On ne pouvait passer à côté de la correspondance
tumultueuse (et ô combien amoureuse !) de
George Sand et Alfred de Musset. Correspondance
qui a inspiré Musset dans l’écriture de la pièce On
ne badine pas avec l’amour. Voici, ici, un extrait
de leur séparation au cœur de ces magnifiques
échanges. En contrepartie, la naissance d’une
correspondance contemporaine, mais amicale
cette fois, entre un romancier et poète québécois,
Jean-François Caron et une professeure de
théâtre française d’origine établie au Saguenay,
Sophie Torris. J-S. Traversy
14
D’Alfred de Musset à George Sand
De George Sand à Alfred de Musset
Baden, 1er septembre 1834
Voilà huit jours que je suis parti et je ne t’ai pas encore
écrit. J’attendais un moment de calme, il n’y en a plus. Je
voulais t’écrire doucement, tranquillement par une belle
matinée, te remercier de l’adieu que tu m’as envoyé, il est
si bon, si triste, si doux : ma chère âme, tu as un cœur
d’ange. Je voudrais te parler seulement de mon amour,
ah ! George, quel amour ! Jamais homme n’a aimé comme
je t’aime. Je suis perdu, vois-tu, je suis noyé, inondé
d’amour ; je ne sais plus si je vis, si je mange, si je marche,
si je respire, si je parle ; je sais que je t’aime. Ah ! si tu as
eu toute ta vie une soif de bonheur inextinguible, si c’est
un bonheur d’être aimée, si tu ne l’as jamais demandé au
ciel, oh ! toi, ma vie, mon bien, ma bien-aimée, regarde le
soleil, les fleurs, la verdure, le monde ! Tu es aimée, distoi, cela autant que Dieu peut être aimé par ses lévites,
par ses amants, par ses martyrs ! Je t’aime, ô ma chair et
mon sang ! Je meurs d’amour, d’un amour sans fin, sans
nom, insensé, désespéré, perdu ! Tu es aimée, adorée,
idolâtrée jusqu’à en mourir ! Et non, je ne guérirai pas. Et
non, je n’essaierai pas de vivre ; et j’aime mieux cela, et
mourir en t’aimant vaut mieux que de vivre. Je me soucie
bien de ce qu’ils en diront. Ils disent que tu as un autre
amant. Je le sais bien, j’en meurs, mais j’aime, j’aime,
j’aime. Qu’ils m’empêchent d’aimer !
Nohant, vers le 7 septembre 1834
Vois-tu, lorsque je suis parti, je n’ai pas pu souffrir ; il
n’y avait pas de place dans mon cœur. Je t’avais tenue
dans mes bras, ô mon corps adoré ! Je t’avais pressée
sur cette blessure chérie ! Je suis parti sans savoir ce que
je faisais ; je ne sais si ma mère était triste, je crois que
non, je l’ai embrassée, je suis parti ; je n’ai rien dit, j’avais
le souffle de tes lèvres sur les miennes, je te respirais
encore. Ah ! George, tu as été tranquille et heureuse làbas. Tu n’avais rien perdu. Mais sais-tu ce que c’est que
d’attendre un baiser cinq mois ! Sais-tu ce que c’est pour
un pauvre cœur qui a senti pendant cinq mois, jour par
jour, heure par heure, la vie l’abandonner, le froid de la
tombe descendre lentement dans la solitude, la mort et
l’oubli tomber goutte à goutte comme la neige, sais-tu ce
que c’est pour un cœur serré jusqu’à cesser de battre, de
se dilater un moment, de se rouvrir comme une pauvre
fleur mourante, et de boire encore une goutte de rosée,
vivifiante ? Oh, mon Dieu, je le sentais bien, je le savais, il
ne fallait pas nous revoir. Maintenant c’est fini ; je m’étais
dit qu’il fallait revivre, qu’il fallait prendre un autre amour,
oublier le tien, avoir du courage. J’essayais, je tentais
du moins. Mais maintenant, écoute, j’aime mieux ma
souffrance que la vie ; vois-tu, tu te rétracterais que cela
ne servirait de rien ; tu veux bien que je t’aime ; ton cœur
le veut, tu ne diras pas le contraire, et moi, je suis perdu.
Vois-tu, je ne réponds plus de rien.
Je t’écris sur un album, d’un petit bois où je suis venue
me promener seule, triste, brisée, et où je lis ta lettre de
Baden. Hélas ! hélas ! qu’est-ce que tout cela ? pourquoi
oublies-tu donc à chaque instant, et cette fois plus que
jamais, que ce sentiment devait se transformer et ne plus
pouvoir par sa nature faire ombrage à sa personne ? Ah !
tu m’aimes encore trop il ne faut plus nous voir. C’est de
la passion que tu m’exprimes, mais ce n’est plus le saint
enthousiasme de tes bons moments. Ce n’est plus cette
amitié pure dont j’espérais voir s’en aller, peu à peu, les
expressions trop vives. Et pourtant, je ne m’en inquiétais
pas de ces expressions, elles étaient la poétique habitude
de ton langage de poète : Et moi-même, est-ce que je
pesais et mesurais les mots ? Pour d’autres que pour nous
ils eussent peut-être signifié autre chose, je n’en sais rien.
[…] Est-ce que l’amour élevé et croyant est possible ? Estce qu’il ne faut pas que je meure sans l’avoir rencontré ?
Toujours saisir des fantômes et poursuivre des ombres !
je m’en lasse. [...] Oh ! que je suis malheureuse, je ne
suis point aimée, je n’aime pas ! Me voilà insensible, un
être stérile et maudit ! — Et toi, tu viens me parler de
transports d’ivresse, de désirs. Que t’ai-je fait, insensé,
pour que tu brises tout dans mon âme, la confiance en
toi et en moi-même ? — J’ai consommé mon suicide le
jour où j’ai cru te sauver par l’amitié.
On ne badine pas avec l’amour 15
CO R R ES P ONDANCES
flickr.com/photos/britishlibrary
Correspondance entre le romancier et poète JeanFrançois Caron et l’enseignante et blogueuse Sophie
Torris.
Ils partagent tous deux une correspondance épistolaire
sur le blogue in absentia (cliquez pour voir le blogue)
entre octobre 2011 et avril 2014, sur l’écriture et
comment l’amour de celle-ci peut créer un partage de
connaissances inouï.
JEAN-FRANÇOIS CARON est écrivain (roman, poésie et théâtre) et
rédacteur en chef de l’Unique, le journal de l’union des écrivaines
et écrivains québécois. Précédemment, il était rédacteur en chef à
l’hebdomadaire Voir Saguenay.
SOPHIE TORRIS est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis
vingt ans. Elle vit à Chicoutimi, y enseigne le théâtre et le français
dans la région. Elle écrit du théâtre scolaire et tient une chronique
bi-hebdomadaire sur le blogue littéraire Le chat qui louche.
16
Octobre 2011
Une petite brise
Bonsoir Jean-François,
Voici une petite requête qui te semblera peut-être
déplacée voire indigne d’intérêt. Si c’est le cas, ça aura été
un coup pour du beurre et j’en tartinerai ma biscotte en
solitaire, ravalant l’allusion sans plus me faire d’illusion.
Cela fait quelques jours que l’idée me trottine dans la tête
et voilà, je m’entête. (Tu constateras que pour ne point
te déplaire, j’ai étêté mon point final d’une potentielle
marque exclamative. Je me pointe déjà avec mes gros
sabots, c’est assez).
quand même de réussir à faire vibrer quelques tamtams
sauvages dans ta tête.
Qu’en dis-tu ? On se dit tu ?
Sophie
L’édition n’est qu’un sceau
Sainte-Béatrix, le 27 octobre 2011
Chère Sophie,
Je n’irai donc pas par quatre rangs, prendrai délibérément
le 450 afin de te faire part de mes velléités inouïes. Tu
auras peut-être saisi au travers de mes statuts FB le
désir d’écriture qui taraude et le ras le bol d’un huis clos
entre moi et mes écrits vains. Or, en m’échouant, béate,
sur tes rivages romanesques et poétiques, j’ai découvert
tes affinités narratives avec la deuxième personne du
singulier. Alors voilà, j’ose ici la prétention d’une demande
singulière : être pour toi, le temps d’une correspondance,
un de tes tu. Tu me disais récemment qu’il serait amusant
de se rencontrer, mais tes écuries sont à perpette.
Voilà une proposition qui, franchement, me sourit.
Aurions-nous alors à gagner à ce que tu me dises oui ?
Pour moi, l’éventuelle convivialité féconde d’un dialogue
épistolaire ne peut qu’exacerber ce désir de quête
identitaire. Imagine que dans mon rapport à toi, je sente
enfin sourdre les premiers balbutiements de ma langue.
Même si je ne me suis pas penché sur les pratiques
épistolaires, vous touchez donc un point : l’adresse à
l’Autre fait effectivement partie de mes préoccupations
et l’exercice serait certainement stimulant pour moi
aussi (il n’y a pas de petites ou de grandes stimulations,
la petite brise peut pousser loin, tandis que le vent de
tempête oblige souvent à rester à bon port…)
Pour toi, toi qui as trouvé ton propre souffle, je ne peux
être qu’une petite brise certes, mais de celle qui invite à
la balade. Quelque chose de ludique qui ne se prend pas
la tête, des rendez-vous inopinés et l’ambition secrète
Pour tenir l’argumentaire que vous développez, vous
savez sans doute que j’ai justement fait une maîtrise sur
l’utilisation de la deuxième personne… Cela dit, ce n’est
pas tant son utilisation épistolaire qui m’intéressait que
sa portée identitaire dans le rapport narratif. Je vous
invite à fouiller sous la poussière de la bibliothèque
universitaire de l’UQAC, vous pourrez peut-être encore y
trouver le volet théorique de mon mémoire (s’il n’a pas
été avalé par le néant où s’engouffrent les connaissances).
J’ose toutefois une condition que je vous introduis ici.
Les premiers balbutiements de votre langue, ils vous
coulent déjà de bouche en clavier toutes vannes
ouvertes et depuis longtemps. Vous n’avez pas publié ?
Soit. Mais on est écrivain bien avant de publier, dès que
forme et fond se côtoient et se confondent dans nos
préoccupations. L’édition n’est qu’un sceau.
Ma condition, donc : vous devrez vous empêcher de faire
des courbettes et de vous excuser de votre talent, vous
refuser à réduire la pertinence, la beauté, la justesse de
vos écrits. Alors, seulement, je vous dirai tu dans ce projet
épistolaire perfectible mais emballant.
Et c’est ainsi que je me permets d’aller un peu plus loin,
déjà, que votre proposition. Je trouve que ce projet de
correspondance vous permet de rester dans une zone
un peu trop confortable. Si nous n’avons qu’une relation
épistolaire conventionnelle, vous vous rendrez compte
en peu de temps que je suis aussi inintéressant que
n’importe qui d’autre, et vous n’y aurez pas gagné grand
chose.
Voici donc ce que je vous propose (enfin !). Cette
correspondance, nous pourrions la publier, directement,
par l’intermédiaire d’un blogue qui y serait consacré. Il est
possible, en effet, d’écrire un blogue à plusieurs mains
(je pourrais nous organiser ça en peu de temps, c’est très
simple). La forme demeurerait évidemment épistolaire,
puisque c’est là, justement, l’intérêt du projet.
Ce que cela vous apporterait : l’éventualité d’être lu
par d’autres est une contrainte fort stimulante. Et cela
permettrait d’agir en écrivains plutôt que de se contenter
de vains écrits.
Si vous le souhaitez, donc, je vous dirai tu. Un mot de
vous et ce sera fait.
JFrançois
On ne badine pas avec l’amour 17
abécédaire
par Claude Poissant
Badiner
P our q uoi ?
Belle surprise que cet abécédaire. Durant ses
vacances, et en pleine période de recherche sur
Musset et son œuvre phare, On ne badine pas
avec l’amour, Claude a préparé ce magnifique
abécédaire qui couvre largement les inspirations,
l’époque et l’homme qu’était Musset. J-S. Traversy
Plaisanter, prendre à la légère, badiner, c’est ce qu’il faut
éviter avec l’amour selon Musset. Perdican et Camille
n’ont rien d’héroïque, cependant la complexité de leurs
sentiments fait que leur amour, fort de ses incertitudes,
prend cette place de héros. Musset réussit donc, avec
sa pièce la plus inclassable, le discours le plus honnête
et cruel qui soit sur l’amour. Car les insistances de
Perdican et les méfiances de sa cousine Camille nous
font, nous les spectateurs, tanguer entre l’immaturité de
leur comportement et la lucidité de leurs paroles. Ils ne
badinent donc pas.
Deux Mondes (Revue des)
Les œuvres des jeunes auteurs sont souvent inédites
et la Revue des Deux Mondes vient de naître en 1829.
Musset y publiera beaucoup de ses œuvres. La Revue
existe toujours et présente Michel Houellebecq à la une
dans son numéro de juillet 2015.
À ma mère
Cénacle
Enfant du siècle
Tel est le titre de la première œuvre de Musset. Il a alors
13 ans. En fait, c’est une chanson qui se termine ainsi :
À toutes époques, les artistes se trouvent des endroits
pour se réunir. Lire des textes, discuter, organiser des
soirées pour échanger sur l’art, la société, la politique,
voilà ce qui se vivait dans les Salons du XIXe siècle. Entre
1820 et 1830, alors que Musset n’a pas 20 ans, il lui
arrive de fréquenter le Cénacle. Ce club privé dont le nom
s’inspire du Cénacle de Jérusalem où ont eu lieu la Cène
et la Pentecôte, est ici un salon privé pour romantiques,
où Musset rencontre les écrivains Victor Hugo, Gérard de
Nerval et Alexandre Dumas ; les musiciens Chopin, Liszt,
Berlioz et le peintre Delacroix.
C’est ainsi qu’on a souvent nommé Musset puisque
La Confession d’un enfant du siècle, une œuvre phare
du romancier, créée en même temps que sa pièce On
ne badine pas avec l’amour, reste sa grande œuvre
autobiographique, un roman qui plonge au cœur de sa
tristesse et de sa colère. Les Enfants du siècle, c’est aussi
le titre du film de Diane Kurys datant de 1999 où les
comédiens Benoit Magimel et Juliette Binoche jouent la
passion tumultueuse entre Musset et l’écrivaine George
Sand.
Ô toi, dont les soins prévoyants,
Dans les sentiers de cette vie
Dirigent mes pas nonchalants,
Ma mère, à toi je me confie.
Des écueils d’un monde trompeur
Écarte ma faible nacelle.
Je veux devoir tout mon bonheur
À la tendresse maternelle. (Bis)
On ne badine pas avec l’amour 18
Fauteuil
Hugo
Jeunesse
À partir de 1832, Musset fait paraître ce qu’il nommera
« un spectacle dans un fauteuil ». Ainsi, il offre aux
lecteurs du théâtre à lire. Musset leur dit en somme :
« Vous n’aurez plus besoin de vous déplacer, vous
n’aurez qu’à lire les dialogues et à imaginer ce que vous
désirez ». Irrité par la critique, Musset ne croit plus tant
à la représentation publique de ses œuvres, il pose
alors ce geste téméraire qui lui donnera raison,
puisqu’ On ne badine pas avec l’amour ne sera jouée
que 27 ans après sa publication. Parmi ses pièces dites
pour fauteuil, il y a Fantasio, Lorenzaccio et Les Caprices
de Marianne.
Durant tout le siècle, en France, Victor Hugo règne sur
la vie littéraire, sociale et politique. Comme il vivra
longtemps, (Hugo meurt à 83 ans, Musset à 46) il traverse
donc le XIXe avec une vie encore plus fabuleuse, en raison
entre autres de son engagement politique, que celle de
Musset. C’est Paul Foucher, ami de jeunesse de Musset,
et frère d’Adèle Foucher qui lui présente Hugo. Musset
a alors 11 ans, Hugo 19 et Adèle est sa célèbre fiancée.
L’auteur de Les Contemplations, de La Légende des siècles
et de Marie Tudor, participe donc à ce désir de Musset de
choisir la carrière littéraire, lui dont le regard lorgne vers
le droit ou encore les beaux-arts, vu son talent inné pour
le dessin.
Avant d’être l’auteur qui court les cafés littéraires, Musset
a déjà des prédispositions. Sa mère, Edmée Claudette
Guyot-Desherbiers, est la fille d’un homme politique
et son père, Victor de Musset-Pathay, est un homme de
lettres qui se penchera entre autres, avec justesse, sur
l’œuvre de Jean-Jacques Rousseau, l’auteur de Les Rêveries
du promeneur solitaire, précurseur du mouvement
romantique. Quant à son frère, Paul de Musset, de cinq
ans son aîné, il sera un ardent défenseur d’Alfred et écrira
sa biographie après sa mort. Le poète et dramaturge avait
aussi une jeune sœur, Hermine, sa dite bienfaitrice, qui a
vécu jusqu’en 1905.
George
George Sand a un prénom d’homme. En fait, son vrai
nom est Amantine Aurore Lucile Dupin. Par ses tenues
vestimentaires masculines, son pseudonyme, son œuvre
belle et révoltée, ses amours tumultueux dont celui,
marquant, avec Musset, Sand bouscule les mentalités et
crée de nombreux débats tant dans la population que
dans les cercles littéraires. Sa relation avec Musset est
aussi brève qu’intense, elle devient inévitablement une
source d’inspiration pour tous deux. On ne badine pas
avec l’amour sera écrit en plein tourment de leur relation.
Mais Perdican n’est pas Alfred et Camille n’est pas Sand.
Leurs propos et leurs tensions sont cependant nés des
déchirements sentimentaux entre les deux auteurs.
Interdit
Si à la Comédie-Française, On ne badine pas avec l’amour
n’a été présentée pour la première fois qu’en 1861, soit
quatre ans après la mort de Musset, c’est que la pièce
était considérée comme une œuvre irréligieuse. Même
ceux qui savaient y lire une œuvre majeure de Musset
craignaient que les associations religieuses ne se
manifestent si la pièce était programmée. C’est la dure
bataille de Paul de Musset et quelques changements
opérés dans l’œuvre qui ont finalement permis la
première le 18 novembre 1861.
Krejca
Le grand acteur français Gérard Philippe joue et dirige
un mémorable et mythique Lorenzaccio en 1952 dans
l’immense Palais des Papes au festival d’Avignon. En 1979,
c’est au grand metteur en scène tchèque Otomar Krejca
que revient le défi de mettre en scène Philippe Caubère
dans le rôle de Lorenzaccio, sur cette même immense
scène extérieure. Philippe Caubère, fort de son succès
du rôle-titre dans le film Molière d’Ariane Mnouchkine, y
vit l’enfer, luttant contre la complexité du personnage de
Lorenzaccio, bravant les huées de plusieurs spectateurs
qui quittent bruyamment leur place et affrontant le
mistral qui vente sur Avignon comme si le fantôme de
Gérard Philippe soufflait sur le Palais. En l’an 2000, la
même aventure est reprise au Festival, mais cette fois le
metteur en scène Jean-Pierre Vincent et Jérôme Kircher
en Lorenzo s’en tirent mieux.
On ne badine pas avec l’amour 19
Malheur
L’homme est un apprenti, la douleur est son maître.
Et nul ne se connaît tant qu’il n’a pas souffert.
C’est une dure loi, mais une loi suprême,
Vieille comme le monde et la fatalité,
Qu’il nous faut du malheur recevoir le baptême
Et qu’à ce triste prix tout doit être acheté.
Musset, La nuit d’octobre. Nuits
La nuit d’octobre est un poème, un dialogue entre le poète
et la muse. La nuit vénitienne, elle, est une des premières
pièces de Musset, celle qui fut si maltraitée par la critique
et qui le fit opter pour « un spectacle dans un fauteuil ».
Mais il y a aussi les nuits folles de débauche, de tristesse
et d’alcool qui auront raison de la santé de Musset.
Octave
Octave et Octave sont deux personnages, alter ego
de Musset. D’abord, Octave est cet éternel désabusé,
narrateur pour La Confession d’un enfant du siècle. Et
l’autre Octave est le virulent, inconvenant mais attachant
personnage qui manie bien le cynisme dans Les Caprices
de Marianne. Alfred est donc un Octave.
Lorenzaccio
Parlant du loup. C’est, on dit, la plus grande pièce de
Musset. C’est l’histoire d’un meurtre, celui d’Alexandre de
Médicis, par son cousin Lorenzo, un sordide assassinat,
inutile en apparence, mais dont la gratuité vise à l’éveil
des consciences et des regards sur le pouvoir. Mais
d’autres vous diront que la pièce a mille défauts et qu’On
ne badine pas avec l’amour est sa plus belle réussite.
Proverbe
Musset inclut On ne badine pas avec l’amour dans ses
Comédies et Proverbes et ne se soucie qu’à peine des
conventions théâtrales classiques, ne respectant pas les
unités de temps, de lieu et d’action. Aussi, la comédie
et le proverbe appellent à une légèreté qu’ici, Camille
et Perdican, avec leur propos dramatiques et malgré les
autres personnages comiques, brouillent entièrement.
Qui ne risque rien n’a rien.
Québec
Au Québec, On ne badine pas avec l’amour est présentée
au TNM en 1988 dans une mise en scène du directeur
Olivier Reichenbach avec Sophie Faucher et David La Haye
pour jouer les amoureux. Deux ans plus tard, le Théâtre
de l’Opsis propose un spectacle où l’on peut voir six fois
la même scène 5 de l’acte 2 jouée par six Camille et six
Perdican. Albert Millaire signe aussi une mise en scène de
la pièce pour le Théâtre du Trident en 1991 avec MarieThérèse Fortin dans le rôle de Camille. Denise Filiatrault
met en scène Le Chandelier au Théâtre Populaire du
Québec en 1995 avec Gabriel Sabourin en Fortunio. De
mon côté, en complicité avec le scénographe Raymond
Marius Boucher, je mets en scène, ici même au TDP,
Lorenzaccio en 1999 avec 24 comédiens, dont Luc Picard
dans le rôle-titre et le regretté Jean-Louis Roux et deux ans
plus tard, au Théâtre du Trident à Québec, Les Caprices de
Marianne, avec Nadine Meloche, Hugues Frenette et JeanSébastien Ouellette.
Romantiques
Le romantisme nait à la fin du XVIIIe siècle chez les
Allemands pour éclore pleinement en France au XIXe
siècle, avec poètes, romanciers et dramaturges pour
porte-étendards. Si Hugo, Lamartine, Chateaubriand,
Sainte-Beuve, Vigny en revendiquent cet éloignement
nécessaire des classiques, Musset est plutôt tiède à l’idée
de faire l’éloge de ce grand mouvement à la fois littéraire
et politique. Musset s’isole ainsi, ne se réclamant d’aucun
mouvement. Sa passion, son infinie mélancolie, l’art
comme remède à sa douleur, ses dérives amoureuses et
ses nuits blanches, puis son œuvre imprévisible, moins
construite que celles de ses semblables, plus impulsive et
toute aussi politique parce que sans concession, en font
pourtant le plus limpide des romantiques.
On ne badine pas avec l’amour 20
Tebaldeo
C’est le jeune peintre Tebaldeo dans Lorenzaccio qui
prendra le discours de l’artiste Musset : « Je ne ris point
du malheur des familles ; je dis que la poésie est la plus
douce des souffrances, et qu’elle aime ses sœurs. Je plains
les peuples malheureux, mais je crois en effet qu’ils font
les grands artistes. Les champs de bataille font pousser
les moissons, les terres corrompues engendrent le blé
céleste. »
Un caprice
Un caprice fait partie de ses courtes pièces en un acte que
Musset sait écrire avec finesse et économie qu’on joue
dans des salons. Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée
en est une autre : deux personnages dans un petit espace
et une simple question posée de la Marquise au Comte
déclenchent une Comédie et Proverbe : « Est-ce que vous
avez quelque chose à me dire ? »
Venise
C’est lors de leur mythique voyage à Venise que les
blessures amoureuses de Musset et Sand se font fatales.
En arrivant à Venise, George tombe malade mais continue
ses travaux. Alfred se sent seul. Puis à son tour, Alfred est
atteint d’une frénétique fièvre qui oblige Sand à confier
son amant à un jeune médecin, Pagello. Tous deux
prennent soin du poète mais contre toute attente, Sand
et le donjuanesque Pagello développent l’un pour l’autre
des sentiments, ce qui bouleverse Musset qui, dès qu’il le
peut, rentre à Paris pour, dit-il, chercher un nouvel amour.
Wilde
Oscar Wilde, l’écrivain britannique, homosexuel avoué
et dandy assumé, s’est fortement inspiré d’une pièce
de Musset, Il ne faut jurer de rien, pour créer son œuvre
phare, où libertinage et langage sont bons amis, soit
L’Importance d’être Constant.
XXIe siècle
Lorenzaccio parle encore en 2015 si justement de la lutte
contre la corruption. On ne badine pas avec l’amour décrit
avec modernité la difficulté d’aimer, de s’engager, de se
donner et à la fois de croire. Les Caprices de Marianne
traitent de la candeur, du cynisme et de la violence des
hommes. C’est la preuve que l’œuvre de Musset entre avec
grandeur dans le nouveau millénaire. lYrisme
Qu’est-ce que le lyrisme ? Un peu d’emphase mais pas
d’effusion, plus de vocabulaire, une musicalité dans les
phrases, un idéalisme dans les images, une certaine
obéissance à l’inconscient, une sublimation de la vie
intime et des sentiments qui la font. Donc Musset, comme
Hugo, est un romantique lyrique.
Zola
Émile Zola est un autre admirateur de Musset. L’auteur de
Germinal est de ceux qui ont défendu avec détermination
l’unicité et la beauté de son œuvre, que d’autres comme
Rimbaud et Baudelaire ont raillée. Malgré admirateurs,
défendeurs et détracteurs, Musset, l’homme comme
l’écrivain, reste, deux siècles après sa jeunesse, un modèle
fort du romantisme.
Claude POISSANT est directeur artistique du Théâtre Denise-Pelletier
et metteur en scène de la pièce On ne badine pas avec l’amour.
flickr.com/photos/britishlibrary
Shakespeare
Dès son enfance, Musset déclare : je voudrais être
Shakespeare ou Schiller. Les deux auteurs, l’Anglais
comme l’Allemand, étaient donc déjà parmi ses maîtres
influents. Comme le seront Rousseau et Molière.
On ne badine pas avec l’amour 21
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