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On ne
badine pas
avec l’amour
Après dix ans de séparation, Perdican retrouve Camille.
Mais comme la candeur de l’enfance est disparue sous
la jeunesse, les deux amoureux semblent incapables
de s’avouer leur flamme. Camille préfère se donner à
Dieu plutôt que d’épouser Perdican et les discours de
fantoches risquent fort d’aggraver la situation…
texte alfred de musset
mise en scène claude poissant
AVEC ADRIEN BLEttON, HENRI CHASSé, FRANCIS
DUCHARME, OLIVIER GERVAIS-COURCHESNE,
RACHEL GRAtON, MARtIN HéROUx, ALICE PASCUAL,
CHRIStIANE PASqUIER Et DENIS ROy
en savoir
salle denise-pelletier
30 septembre au 24 octobre 2015
© Mathilde Corbeil
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Dans On ne badine pas avec l’amour, le personnage
de Camille décide de devenir sœur parce qu’elle a
peur de l’amour : peur de s’y abandonner, peur de s’y
perdre, peur des infidélités de son partenaire. Elle
préfère aimer un être absent, mais qui la remplit
intérieurement et qui ne risque pas de la décevoir :
Dieu. Les mœurs ont beaucoup changé depuis l’époque
d’Alfred de Musset. Mais se peut-il que les motivations
d’une jeune femme à entrer en religion soient similaires ?
Nous avons posé la question à Violaine Paradis qui, après
des débuts prometteurs comme comédienne, a décidé
de devenir sœur Violaine.
Comment avez-vous décidé de devenir soeur ?
J’avais 28 ans quand j’ai reconnu que ça pouvait être
« ça ». Après un été où j’ai joué dans la pièce Les Nonnes,
j’ai senti que je devais aller voir ce qui se passait pour moi
de ce côté-là. J’ai alors entrepris une retraite silencieuse à
l’Abbaye d’Oka. J’écrivais, je pleurais, puis j’ai rencontré un
moine qui m’a suggéré des lectures. Au cœur du silence,
j’ai repris contact avec cette source d’amour en moi qui
est Dieu. Avant, j’étais ailleurs, j’étais beaucoup dans le
« plaire aux autres ». Je cherchais à l’extérieur un bonheur
que j’avais à l’intérieur de moi.
Est-ce que ça a été difficile de trouver cette voie ?
Le seigneur était présent dans mon cœur depuis
que j’étais toute petite, mais ma famille n’était pas
pratiquante. C’est un défi, de trouver sa voie, en ce
moment. Tout va vite, on est submergés par la vitesse des
communications. Le bruit, ça n’aide pas à retrouver sa
petite voix intérieure : on n’encourage pas ça aujourd’hui
et ça peut être plus difficile de l’entendre. C’est pour ça
que plusieurs veulent se ressourcer dans le silence.
POURqUOI ?
L’hésitation de Camille dans On ne badine pas avec
l’amour entre l’amour sacré et l’amour profane
a piqué ma curiosité. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Qu’est-ce qui pousse une jeune femme à entrer
chez les sœurs en 2015 ? Voici la très généreuse
rencontre entre Sœur Violaine Paradis et Judith
Lussier. J-S. Traversy
par Judith Lussier
PRENDRE LE VOILE POUR FUIR
LA RÉALITÉ DE SON ÉPOQUE ?
© picjumbo
On ne badine pas avec l’amour
Pensez-vous que la cacophonie engendrée par les
moyens de communication comme Facebook et les
textos puisse être une motivation, en 2015, pour
vouloir se réfugier dans le silence ?
Échapper à la tyrannie des communications ? Malheu-
reusement on ne peut pas ! La Congrégation de Notre-
Dame, à laquelle j’appartiens, est proactive dans les
communications parce que c’est le moyen de rejoindre
les gens. J’essaie de ne pas être esclave de ces outils.
J’ai un cellulaire depuis peu et je capote ! Je comprends
maintenant que c’est à moi de garder mes distances.
On ne devient pas religieuse pour échapper à ça : au
contraire, les religieuses sont appelées à comprendre la
réalité dans laquelle elles évoluent.
Dans On ne badine pas avec l’amour, les proches de
Camille ne sont pas tous heureux de son choix. Avez-
vous été bien accueillie dans votre décision ?
Ce n’est pas tout le monde qui a accepté ma décision sur
le coup. Ma famille pensait que c’était un trip, que ça allait
passer. Je suis une fille de party, de gang : moi-même
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Vous avez dû renoncer à la vie de couple. Est-ce que
c’est difficile ?
C’est exigeant parce que je voulais des enfants et que,
foncièrement, je suis une amoureuse. J’ai connu les
relations de couple et j’étais bien là-dedans. Au départ,
ça n’a pas été facile. Je me disais que je n’aurais plus
jamais d’amoureux, de tendresse, mais j’ai été bien
accompagnée. J’ai décidé de me concentrer davantage
sur ce que j’ai choisi que sur ce à quoi j’ai renoncé.
Qu’est-ce qu’on choisit dans l’abstinence ?
Notre société est hypersexualisée. Est-ce qu’on entre-
tient le beau, le sacré et le mystérieux en l’autre ? En
mettant des hommes ou des femmes sur des affiches
publicitaires où on révèle tout, surtout la femme, qui
est présentée comme un objet, on perd le sens de la
beauté, on vide la personne de son sens en la réduisant
à son enveloppe. Dans l’abstinence, on choisit de ne plus
faire de la sexualité ce qui nous mène.
Si les sœurs pouvaient dorénavant avoir des relations
amoureuses, cèderiez-vous à la tentation ?
Je ne sais pas ! Il y a quelque chose de radical dans le
fait d’être abstinente. J’ai reconnu que je devais lâcher
prise sur ce désir d’être en couple. Je trouve ça difficile,
mais dans cet abandon-là, j’accueille beaucoup d’amitié.
Je préfère ne pas entretenir de fantasme de relation
conjugale ou sexuelle. Par exemple, je n’irai pas voir le
film Cinquante nuances de Grey ! Ce n’est pas par peur :
c’est pour être cohérente avec mes choix.
Pensez-vous qu’il soit possible qu’encore en 2015, des
jeunes femmes choisissent la religion pour fuir quelque
chose, de la même façon que Camille tente d’échapper
à l’amour ?
Il est possible que certaines femmes, de manière
inconsciente, fassent ce choix-là pour échapper à la
peur de s’engager en couple ou en famille. En même
temps, la vie religieuse, c’est tout un engagement !
j’étais surprise d’être attirée par la religion. Si j’étais
entrée il y a 50 ans, ça aurait peut-être été différent.
C’était plus encouragé et les sœurs étaient plus
nombreuses à se soutenir. Mais pour moi, ça a été un
soulagement.
Un peu de la même façon qu’une personne
peut se sentir libérée lorsqu’elle découvre
son orientation sexuelle. JUDITH LUSSIER est auteure, journaliste et chroniqueuse
au Journal Métro.
SOEUR VIOLAINE PARADIS est membre de la Congrégation
de Notre-Dame.
Il fut un temps où les femmes voyaient dans la vie
religieuse le seul moyen pour elles d’avoir un métier. Ça
leur permettait de devenir enseignantes ou infirmières,
notamment. Au moment du concile Vatican II – un genre
de réforme dans l’Église catholique – les communautés
religieuses sont revenues aux fondements de leurs
vocations. Des communautés ont laissé leurs habits
religieux pour revenir à quelque chose de plus simple.
Ça a fait du ménage dans les raisons pour lesquelles les
femmes s’engageaient en religion et certaines ont réalisé,
par exemple, qu’elles voulaient seulement enseigner.
Des religieuses ont alors quitté leur communauté parce
qu’elles n’y étaient pas entrées pour les bonnes raisons.
Encore aujourd’hui, dans certains pays plus pauvres,
la peur de manquer de ressources peut motiver des
jeunes femmes à vouloir devenir religieuses. Avant de
les accepter, les communautés religieuses prennent le
temps de s’assurer que les candidates désirent s’engager
pour les bonnes raisons.
Est-ce qu’on vous a reproché de vouloir fuir quelque
chose ?
Oui, on a pensé que je voulais fuir les hommes,
l’engagement amoureux. Mon père, sans penser que
c’était de la fuite, était déçu parce qu’il trouvait que
j’étais une bonne comédienne. Moi, j’ai reconnu que je ne
suis plus en accord avec certains aspects du métier : la
compétition, téter des rôles, le côté « épater la galerie »,
je ne m’ennuie pas de ça du tout. Ma vocation, c’est
d’aimer. Mais il y a aussi de la beauté dans le théâtre : créer
des rôles, travailler ensemble, c’est beau. La passion que
j’ai pour Dieu, je peux la transmettre à travers le
théâtre. En pastorale, j’utilise beaucoup mon art. Je
continue de me réaliser comme comédienne, mais pas
de la même manière. C’est tout !
Soeur Violaine Paradis
On ne badine pas avec l’amour
© Droits réservés
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conveRsation
POURqUOI ?
Christiane Pasquier et Claude Poissant se
connaissent depuis leur rencontre sur Le
Prince travesti de Marivaux au TNM en 1992.
Ils se retrouvent, cette fois, autour de la pièce
romantique d’Alfred de Musset : On ne badine
pas avec l’amour. J’ai eu la chance d’être témoin
de cette foisonnante discussion sur le théâtre,
sur Musset et sur la portée de son œuvre
aujourd’hui. J-S. Traversy
Christiane Pasquier
et Claude Poissant
© Anaïs Bonotaux
Claude Poissant
Quand as-tu vraiment plongé dans l’œuvre de Musset la
première fois ?
Christiane Pasquier
Il me semble que c’est quand je l’ai enseigné.
Claude
Tu n’avais jamais joué auparavant dans une pièce de
Musset ?
Christiane
Ah oui ! J’avais fait un monologue.
« Me voilà bien chanceuse ; il n’en faut plus qu’autant.
Le sort est, quand il veut, bien impatientant. » Plus ou
moins l’histoire d’une paysanne courtisée par son
maître.
On ne badine pas avec l’amour
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Claude
C’est une de ses courtes pièces ?
Christiane
Louison. C’est ça. Louison. J’avais travaillé le monologue
du début en audition pour Jean Gascon. J’étais
impressionnée de me trouver devant lui, mais lui avait
l’air découragé. Je n’ai pas eu le rôle.
Claude
Revenons au moment où tu as enseigné Musset à
l’Option-Théâtre du Collège Lionel-Groulx. Qu’est-ce qui
t’a le plus marquée en lisant l’œuvre de Musset ?
Christiane
Le fait que ça n’est pas si éloigné de la façon dont j’ai été
éduquée. La façon de Musset de voir les choses, sa façon
de voir la religion. Musset était athée, mais, malgré cela,
il parlait beaucoup de religion dans ses pièces. C’est un
thème très présent dans son univers.
Claude
Quelles sont les difficultés que les étudiants ont
rencontrées devant des pièces qui ont été écrites au XIXe
siècle ? Le romantisme a beau être de toute époque.
Comment appliquer ce romantisme, aujourd’hui, avec
des jeunes étudiants assoiffés de connaissance, mais
ignorants de ces temps-là ?
Christiane
Il faut pénétrer le XIXe siècle. Nous avons écouté La
Confession d’un enfant du siècle 1 . Nous avons aussi
approfondi certains aspects de l’histoire et de la
mentalité de l’époque. La génération de Musset était
une génération désenchantée, ne sachant « à chaque
pas qu’on fait, si l’on marche sur une semence ou sur
un débris 2 » . De la même manière qu’on en veut
aujourd’hui aux baby-boomers, Musset était sans pitié
pour la génération de ses parents.
Claude
Qu’est-ce que tu voulais mettre de l’avant dans
cet univers ? La religion ? Les relations entre les
personnages ? La langue ?
1 Téléfilm français de Claude Santelli, sorti en 1974.
2 Alfred de Musset, La Confession d’un enfant du siècle,
Flammarion, 1993.
On ne badine pas avec l’amour
Christiane
L’amour.
Claude
Le thème de l’amour ?
Christiane
Oui. Le thème de l’amour. C’est un langage universel
et intemporel. Je suis certaine qu’On ne badine pas
avec l’amour parle aux adolescents d’aujourd’hui. Je ne
doute pas que mon filleul de 16 ans, quand il viendra
voir le spectacle, comprendra tout. Ces sentiments ne
meurent pas. Moi-même, ça me fait vibrer à l’âge que
j’ai. J’ai ressenti toutes ces choses-là. J’ai joué le jeu
de Camille. J’ai joué à faire semblant, à vouloir être
religieuse. Vouloir être pure et, aussi, rester pure. Ne pas
vouloir souffrir d’amour. Que veux-tu ? L’homme et la
femme sont deux continents qui se connaissent mal et,
malheureusement, ils ne se connaissent pas mieux au
XXIe siècle qu’au XIXe.
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