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Vous avez dû renoncer à la vie de couple. Est-ce que
c’est difficile ?
C’est exigeant parce que je voulais des enfants et que,
foncièrement, je suis une amoureuse. J’ai connu les
relations de couple et j’étais bien là-dedans. Au départ,
ça n’a pas été facile. Je me disais que je n’aurais plus
jamais d’amoureux, de tendresse, mais j’ai été bien
accompagnée. J’ai décidé de me concentrer davantage
sur ce que j’ai choisi que sur ce à quoi j’ai renoncé.
Qu’est-ce qu’on choisit dans l’abstinence ?
Notre société est hypersexualisée. Est-ce qu’on entre-
tient le beau, le sacré et le mystérieux en l’autre ? En
mettant des hommes ou des femmes sur des affiches
publicitaires où on révèle tout, surtout la femme, qui
est présentée comme un objet, on perd le sens de la
beauté, on vide la personne de son sens en la réduisant
à son enveloppe. Dans l’abstinence, on choisit de ne plus
faire de la sexualité ce qui nous mène.
Si les sœurs pouvaient dorénavant avoir des relations
amoureuses, cèderiez-vous à la tentation ?
Je ne sais pas ! Il y a quelque chose de radical dans le
fait d’être abstinente. J’ai reconnu que je devais lâcher
prise sur ce désir d’être en couple. Je trouve ça difficile,
mais dans cet abandon-là, j’accueille beaucoup d’amitié.
Je préfère ne pas entretenir de fantasme de relation
conjugale ou sexuelle. Par exemple, je n’irai pas voir le
film Cinquante nuances de Grey ! Ce n’est pas par peur :
c’est pour être cohérente avec mes choix.
Pensez-vous qu’il soit possible qu’encore en 2015, des
jeunes femmes choisissent la religion pour fuir quelque
chose, de la même façon que Camille tente d’échapper
à l’amour ?
Il est possible que certaines femmes, de manière
inconsciente, fassent ce choix-là pour échapper à la
peur de s’engager en couple ou en famille. En même
temps, la vie religieuse, c’est tout un engagement !
j’étais surprise d’être attirée par la religion. Si j’étais
entrée il y a 50 ans, ça aurait peut-être été différent.
C’était plus encouragé et les sœurs étaient plus
nombreuses à se soutenir. Mais pour moi, ça a été un
soulagement.
Un peu de la même façon qu’une personne
peut se sentir libérée lorsqu’elle découvre
son orientation sexuelle. JUDITH LUSSIER est auteure, journaliste et chroniqueuse
au Journal Métro.
SOEUR VIOLAINE PARADIS est membre de la Congrégation
de Notre-Dame.
Il fut un temps où les femmes voyaient dans la vie
religieuse le seul moyen pour elles d’avoir un métier. Ça
leur permettait de devenir enseignantes ou infirmières,
notamment. Au moment du concile Vatican II – un genre
de réforme dans l’Église catholique – les communautés
religieuses sont revenues aux fondements de leurs
vocations. Des communautés ont laissé leurs habits
religieux pour revenir à quelque chose de plus simple.
Ça a fait du ménage dans les raisons pour lesquelles les
femmes s’engageaient en religion et certaines ont réalisé,
par exemple, qu’elles voulaient seulement enseigner.
Des religieuses ont alors quitté leur communauté parce
qu’elles n’y étaient pas entrées pour les bonnes raisons.
Encore aujourd’hui, dans certains pays plus pauvres,
la peur de manquer de ressources peut motiver des
jeunes femmes à vouloir devenir religieuses. Avant de
les accepter, les communautés religieuses prennent le
temps de s’assurer que les candidates désirent s’engager
pour les bonnes raisons.
Est-ce qu’on vous a reproché de vouloir fuir quelque
chose ?
Oui, on a pensé que je voulais fuir les hommes,
l’engagement amoureux. Mon père, sans penser que
c’était de la fuite, était déçu parce qu’il trouvait que
j’étais une bonne comédienne. Moi, j’ai reconnu que je ne
suis plus en accord avec certains aspects du métier : la
compétition, téter des rôles, le côté « épater la galerie »,
je ne m’ennuie pas de ça du tout. Ma vocation, c’est
d’aimer. Mais il y a aussi de la beauté dans le théâtre : créer
des rôles, travailler ensemble, c’est beau. La passion que
j’ai pour Dieu, je peux la transmettre à travers le
théâtre. En pastorale, j’utilise beaucoup mon art. Je
continue de me réaliser comme comédienne, mais pas
de la même manière. C’est tout !
Soeur Violaine Paradis
On ne badine pas avec l’amour
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