pour la raison. Heidegger développe donc sa problématique sur le néant avec l’appui, même si
également à l’encontre, du sens commun assigné au terme, où le néant est «la négation radicale
de la totalité de l’étant.» (48) Pour Heidegger, puisque la question du néant se pose, le néant doit
pouvoir être rencontré par l’être qui se questionne. Le néant, soulignetil, est réellement donné.
Selon Heidegger, uniquement l’expérience réelle du néant permet à l’être questionnant
d’esquiverlacontrainteformelledelanoncontradictionetd’apercevoirlenéant.
Afin de discuter ce qu’est l’expérience de la négation de la totalité de l’étant, Heidegger
discute ce qu’est l’expérience de la totalité de l’existant qui est dite niée par le néant. L’auteur
précise que la saisie ou l'intellection de la totalité de l’existant est impossible en soi pour une
réalité finie telle l’être humain. Tandis que la possibilité de se sentir au milieu de tout l’étant est
rarement explorée, l’expérience de la totalité de l’étant n’est possible pour la réalitéhumaine que
comme la sensation d’être au centre de tout l’existant. Étant donné que la réalité humaine
ordinaire ne cherche qu’à atteindre des existants particuliers en vu de tâche particulières. Seuls
dans les cas où l’individu ressent un ennui ou un ravissement complet et véritable envers
l’existence en entier, et non lorsqu’un étant quelconque nous ennuie ou nous emballe, explique
Heidegger,latotalitédel’étantluiestellerévélée.
«La situationaffective (Befindlichkeit
) que nous fait sentir cette tonalité
(Stimmung
), non seulement nous dévoile chaque fois à sa manière l’étant en son
ensemble, mais ce dévoilement – loin d’être un simple accident – est en même temps
l’historial
essentieldanslequelseréalise
notreréalité
humaine.»(50)
De se sentir au milieu de l’existant obscurcit le néant. Et de manière analogue, il existe une
«tonalitéaffective» ou un état qui met la réalitéhumaine en présence du néant, en présence de
l’expérience de la négation de la totalité de l’étant. Seulement, l’expérience du néant n’en est pas
une de négation, divulgue Heidegger; ressentir le néant procède plus exactement de la
tonalitéaffectivespécifiquequ’estl’angoisse.
L’angoisse(Unheimlichkeit
), élucide Heidegger, est différente de la crainte (Angst
). Elle
ne se produit guère devant un étant déterminé telle la crainte. L’angoisse se ressent que devant et
pour quelque chose d’essentiellement indéterminé. L’angoisse, explique Heidegger, opprime
l’être qui la ressent par une indifférence envers la totalité de l’étant et même envers soimême.
Dans cet état, l’ensemble de l’existant se tourne vers l’être angoissé, recule, et laisse se montrer
Gnosis 14.1 | 2015