Le portrait de la métaphysique chez Heidegger dans ​Qu`estce que

LeportraitdelamétaphysiquechezHeideggerdansQu’estcequela
métaphysique?
TansyEtroBeko
Abstract: Au siècle dernier, le questionnement omniprésent concernant la valeur en termes  
nonreligieux de la philosophie traditionnelle ou de la métaphysique, et ce par la
phénoménologie, mena à une fourche analytique considérable: soit refonder cette philosophie
classique autour du sujet, soit la déconstruire afin de la dissoudre en religion, littérature, etc.
Reconnu pour son écartement de tout contenu métaphysique du sujet transcendantal, M.
Heidegger est réputé d’être un partisan du deuxième camp. Or, de liquider le contenu
métaphysique du Dasein n’est pas pour autant de liquider la métaphysique entièrement. Cet
article cherchera à démontrer qu’en réponse au ‘souci de la métaphysique du 20e siècle’,
Heidegger propose, dans Qu’estce que la métaphysique, une réponse médiane à cette
alternative entre recommencer et déconstruire. Pour ce faire, il nous faudra d’abord survoler le
contenu du texte en question, puis y cerner et examiner le portrait de la métaphysique
qu’Heidegger propose, pour enfin déterminer si ce portrait refonde ou déconstruit (ou déplace)
lamétaphysique
.
Depuis au moins la Grèce antique, les philosophes cherchent à fonder la philosophie de
manière scientifique et absolue. L’incapacité à achever cette tâche sans appuis religieux pousse
la philosophie à prendre une envergure toute neuve aux 19
eet 20
esiècles. Dès lors, les
philosophes, analytiques comme continentaux, s’interrogent sur la valeur du discours
philosophique. L’une des deux directions que prend cette interrogation est le recommencement
de la philosophie, l'autre, sa déconstruction. Or, l’un des philosophes qui a emprunté
successivement chacune de ces alternatives est l’élève d’E. Husserl (et héritier de sa chaire
philosophique à l’Université de FribourgenBrisgau), M. Heidegger. Suite aux années trente, la
philosophie insigne d’Heidegger est réputée de déconstruire la phénoménologie husserlienne
qu’elle commençât plutôt par radicaliser. Cet article tentera alors d’élucider laquelle des deux
directions emprunte Heidegger dans son texte de 1929,
inspiré par sa conférence inaugurale à  
l’Université de Fribourg, Qu’estce que la métaphysique? Heidegger y tenteil de reléguer la    
philosophie ou d’en renouveler la fondation? Afin de répondre à cette question, nous chercherons
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d’abord à comprendre ce qu’explicite ce texte d’Heidegger. Par la suite, nous tenterons d’y
dégager le portrait de la métaphysique ou de la philosophie traditionnelle qu’Heidegger y
propose. Enfin, d’après nos découvertes, nous établirons laquelle des orientations emploie ce
texte d’Heidegger, recommencer ou déconstruire la philosophie. Précisions, pour débuter, que le
recommencement de la philosophie comprend toute tentative neuve de fonder la philosophie en
science indubitable. Notamment, la reprise par Husserl en 1929 de l’épreuve cartésienne de
fondation, dans ses Méditations cartésiennes
, offre un apport incontournable à toute    
interrogation subséquente de la philosophie sur ellemême, soit la phénoménologie. Plus
précisément, la phénoménologie inaugurée par Husserl porte son analyse seulement sur les
phénomènes en tant que phénomènes; contrairement à la métaphysique ou philosophie
traditionnelle qui cherche à établir une ontologie ferme et fixe. Puis, la phénoménologie est dite
incontournable parce que la direction alternative du questionnement sur la valeur du discours
philosophique s’y appuie tout en s’y opposant; cette seconde avenue est la déconstruction du
discoursphilosophique,sadissolutiondanslalittérature,letémoignage,lareligion,etc.
1.L’entreprised’HeideggerdansQu’estcequelamétaphysique?
À la question que pose son titre, Heidegger déclare que pour bien y répondre, la
métaphysique doit se présenter d’ellemême. C’estàdire, Heidegger propose de commencer en
se situant dans la métaphysique. Ce qui s’effectue, selon lui, en posant une question
métaphysique. Heidegger précise qu’une enquête métaphysique comporte deux caractéristiques
essentielles: «L’interrogation métaphysique doit nécessairement être posée dans son ensemble;
chaque fois elle doit l’être comme naissant de la situation essentielle de la réalitéhumaine
questionnante.» (42) Ainsi, suivant Heidegger, quelconque question métaphysique doit couvrir
1
tout le domaine de la métaphysique et l’être qui se questionne doit en être l’origine. Alors,
annonce Heidegger, par son examen de la question du néant, qui laisse à la métaphysique
1Heidegger,Martin,Qu’estcequelamétaphysique?Suivid’extraitssurl’êtreetletempsetd’uneconférencesur
Hölderlin
,trad.HenryCorbin,Gallimard,Paris,c1951,p.42despp.4169.
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l’initiative d’apparaître ou de se donner, la réponse à sa question initiale sur la nature de la
métaphysiquesedégagera.
Heidegger affirme ensuite que l’être qui se questionne sur la métaphysique est passionné
par la connaissance et les sciences. Et malgré le délaissement de la recherche philosophique pour
leur fondation commune, raison pourquoi les sciences demeurent uniquement entrelacés par
l’organisation des domaines universitaires, toutes les pratiques scientifiques partagent trois
caractéristiques importantes. Pour faire quelconque science, rapporte d’abord Heidegger, l’être
qui se questionne doit choisir de se soumettre à l’étant tel qu’il se donne. Car les sciences,
chacune à sa manière, travaillent à laisser se dévoiler l’essentiel de l’étant qu’elles étudient.
Aussi, suivant Heidegger, dans l’expérience scientifique, l’être qui se questionne fait irruption
dans l’existence, permettant du même coup aux étants d’être. Ce n’est donc pas le cas que la
recherche scientifique a affaire à l’autre. Tout étant, remarque Heidegger, l’autre, dépend de
l’être qui se questionne pour éclore dans l’existence. Enfin, souligne Heidegger, les sciences
avancent qu’il n’y a rien à l’extérieur de ce qui est: «La science veut Rien savoir du Néant. Mais
tout aussi sûr est ceci: justement là où elle cherche à exprimer son essence propre, elle appelle le
Néant à l’aide. Sur ce qu’elle rejette, elle élève une prétention.» (45) Alors suivant la science, le
néant est ce qui n’est pas; à l'égard de ce néant, la science n’a aucun intérêt. Cette relation
apparemment aporétique entre la science et le néant, jumelée à la nécessité en science d’avoir un
être qui se questionne, suivant Heidegger, fait de la question du néant une question
métaphysique.
Or, avant d’élaborer son interrogation sur le néant, Heidegger clarifie qu’afin de pouvoir
confiner le néant à ce qui n’est pas, la science doit d’emblée en affirmer l’existence. Il en
découle que la question de ce qu’est le néant est autant paradoxal ou hors des limites de la
logique que l’est la pensée du néant comme pensée intentionnelle, comme pensée de quelque
chose. Conformément aux lois de l’entendement, rappelle Heidegger, le néant est subordonné à
l’opération logique de négation entant que négation de l’ensemble de l’étant. Pourtant, Heidegger
pose l’hypothèse contraire: «le Néant est originairement antérieur au ‘Non’ et à la négation
.»    
(47) Donc, maintient Heidegger, pour être demandée, la question du néant ne peut guère se plier
aux lois de la logique. Être ce qui n’est pas est un raisonnement vraisemblablement impossible
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pour la raison. Heidegger développe donc sa problématique sur le néant avec l’appui, même si
également à l’encontre, du sens commun assigné au terme, où le néant est «la négation radicale
de la totalité de l’étant.» (48) Pour Heidegger, puisque la question du néant se pose, le néant doit
pouvoir être rencontré par l’être qui se questionne. Le néant, soulignetil, est réellement donné.
Selon Heidegger, uniquement l’expérience réelle du néant permet à l’être questionnant
d’esquiverlacontrainteformelledelanoncontradictionetd’apercevoirlenéant.
Afin de discuter ce qu’est l’expérience de la négation de la totalité de l’étant, Heidegger
discute ce qu’est l’expérience de la totalité de l’existant qui est dite niée par le néant. L’auteur
précise que la saisie ou l'intellection de la totalité de l’existant est impossible en soi pour une
réalité finie telle l’être humain. Tandis que la possibilité de se sentir au milieu de tout l’étant est
rarement explorée, l’expérience de la totalité de l’étant n’est possible pour la réalitéhumaine que
comme la sensation d’être au centre de tout l’existant. Étant donné que la réalité humaine
ordinaire ne cherche qu’à atteindre des existants particuliers en vu de tâche particulières. Seuls
dans les cas où l’individu ressent un ennui ou un ravissement complet et véritable envers
l’existence en entier, et non lorsqu’un étant quelconque nous ennuie ou nous emballe, explique
Heidegger,latotalitédel’étantluiestellerévélée.
«La situationaffective (Befindlichkeit
) que nous fait sentir cette tonalité    
(Stimmung
), non seulement nous dévoile chaque fois à sa manière l’étant en son
ensemble, mais ce dévoilement – loin d’être un simple accident – est en même temps
l’historial
essentieldanslequelseréalise
notreréalité
humaine.»(50)
De se sentir au milieu de l’existant obscurcit le néant. Et de manière analogue, il existe une
«tonalitéaffective» ou un état qui met la réalitéhumaine en présence du néant, en présence de
l’expérience de la négation de la totalité de l’étant. Seulement, l’expérience du néant n’en est pas
une de négation, divulgue Heidegger; ressentir le néant procède plus exactement de la
tonalitéaffectivespécifiquequ’estl’angoisse.
L’angoisse(Unheimlichkeit
), élucide Heidegger, est différente de la crainte (Angst
). Elle
ne se produit guère devant un étant déterminé telle la crainte. L’angoisse se ressent que devant et
pour quelque chose d’essentiellement indéterminé. L’angoisse, explique Heidegger, opprime
l’être qui la ressent par une indifférence envers la totalité de l’étant et même envers soimême.
Dans cet état, l’ensemble de l’existant se tourne vers l’être angoissé, recule, et laisse se montrer
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ce rien qu’est le néant. La réalitéhumaine qui fait l’expérience du néant par l’angoisse ne peut se
raccrocher à rien pour s’affirmer comme ‘moi’, ajoute Heidegger. Elle se ressent comme un
individu indéterminé, comme un ‘on’, comme une simple présence humaine réalisée. De plus,
cet ‘on’ ne peut rien dire de son expérience d’angoisse lorsqu’elle la vit. À ce moment, la totalité
de l’existant a glissé ou reculé devant elle. Dans l’expérience réelle du néant, il n’y a rien dont
l’être angoissé puisse parler. Dans l’angoisse, il n’y a plus d’étant dont dire quelque chose.; il n’y
a que le néant. Par l’angoisse, le néant se dévoile comme le glissement de l’entièreté de
l’existant, non comme un objet, un étant ou un acte de négation: «dans l’angoisse, le Néant se
présente d’un seul et même coup avec l’étant. (…) En vérité, le Néant se dénonce avec et dans      
l’étant, en tant que celuici nous échappe et glisse dans tout son ensemble.» (54) Le néant n’est
donc que lorsque la totalité de l’étant recule devant l’être angoissé. Le néant est ce recul de
l’ensembledel’étant,nonsanégation.
La réalitéhumaine, poursuit Heidegger, est calmée mais repoussée par son expérience du
néant. Le néant, étant le glissement de la totalité de l’étant, exerce sur l’être angoissé une
fascination tant reposante que repoussante. Ce mouvement de répulsion clamant qui expulse tout
l’étant,Heideggerlenommele‘néantir’dunéant.
«L’essence de ce Néant qui néantit dès l’origine réside en ce qu’il met tout d’abord   
la réalitéhumaine (Dasein) devant l’étant comme tel.
 C’est uniquement en raison de       
la manifestation originelle du Néant que la réalitéhumaine de l’homme peut aller
vers
l’étantetpénétreren
lui.»(56)

Heidegger avance que le néant est la condition de possibilité de l’apparition de l’étant à la
réalitéhumaine: «C’est dans l’être de l’étant que se produit le néantir du Néant.» (57) Le néant
forme l’horizon duquel l’être en quête transcende ou émerge comme étant et d’où cet être reçoit
et perçoit tout autre étant. De cette manière, selon Heidegger, être et néant forment les deux côtés
d’une même expérience; expérience essentielle à l’irruption de toute réalitéhumaine dans
l’existenceet,subséquemment,àcelledetoutétantqu’ellesaisit.
D’une part, Heidegger reconnaît que l’angoisse, l’état qui provoque le recul de l’être de
l’existant, ne peut perdurer indéfiniment. Même qu’elle est rare et éphémère, vu que d’ordinaire
la réalitéhumaine se détourne du néant afin de se préoccuper d’existants particuliers. De l’autre
part, par contre, Heidegger constate que la rareté et la fugacité de l’angoisse n’empêchent
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